Texte intégral
20 Minutes : Si vous êtes élue le 6 mai, quelles seront vos premières mesures ?
Ségolène Royal : Je lancerai un inventaire sur le train de vie de l'Etat et de l'Elysée, pour le réduire et en assurer la transparence. Savez-vous qu'aujourd'hui les parlementaires ou les journalistes qui ont voulu avoir accès aux comptes de l'Elysée, n'ont pas pu? Ce sera ma première mesure symbolique extrêmement forte car je crois que dans une vraie démocratie, il faut éviter toute dérive monarchique.
20 Minutes : Le gouvernement sera t-il concerné ?
Ségolène Royal : Oui, les ministres ne pourront plus faire prendre en charge leurs dépenses privées aux frais des ministères. Je ne veux plus de familles entières nourries, logées et blanchies aux frais des contribuables. S'ils habitent les ministères pour des contraintes professionnelles, ça peut se justifier ; mais si leurs familles sont avec eux, elles devront payer leurs frais personnels. Je ne veux plus de logements de fonctions. J'ai le souci d'un Etat modeste qui donne l'exemple.
20 Minutes : Au-delà de cette mesure symbolique, quel est votre premier grand chantier ?
Ségolène Royal : Je veux réunir immédiatement une conférence pour relancer la croissance, l'emploi et revaloriser les bas salaires. Ce travail a été préparé puisque je suis la seule candidate à avoir rencontré l'ensemble des organisations syndicales. Cette campagne, je l'ai conçue comme une façon d'être prête le jour de l'élection.
20 Minutes : Avec les contrats aidés, la lutte contre le chômage des jeunes semble votre première priorité ?
Ségolène Royal : C'est une des clés de la croissance. Quand une famille voit qu'un jeune diplômé est au chômage, cela décourage et touche toutes les générations. La France est le seul pays où les entreprises font aussi peu confiance aux jeunes. Notre pays a besoin de nouvelles règles du jeu. Quand l'Etat donne un certain nombre de choses, en contrepartie il doit en attendre d'autres. Par exemple, pour les jeunes diplômés, je crée les contrats-tremplins. L'Etat prend en charge pendant six mois la rémunération et les cotisations sociales du jeune, mais en contrepartie, l'entreprise prend du temps pour insérer ce jeune. L'entreprise doit faire un effort en contrepartie de l'avantage qui lui est accordé.
20 Minutes : Le patronat vous semble-t-il réceptif ?
Ségolène Royal : Oui, une partie du patronat, que j'ai rencontrée. Ce sont des jeunes dirigeants prêts à entrer dans la logique nouvelle du gagnant-gagnant et qui ont compris que l'efficacité économique passe par le dialogue social. Les entreprises qui embauchent des jeunes, se sentent flouées puisque les entreprises qui ne le font pas, ont aujourd'hui les mêmes aides publiques. Quand François Bayrou promet deux emplois exonérés de charges pendant cinq ans, ce n'est pas normal. Qui en bénéficie ? C'est aussi bien les entreprises qui ont licencié que celles qui créent des emplois, celles qui augmentent les salaires et celles qui ne le font pas. Il faut du donnant-donnant, sinon on crée des effets d'aubaines.
20 Minutes : Si au bout des 6 mois, une entreprise ne garde pas son emploi tremplin ?
Ségolène Royal : Si elle ne le garde pas sans pouvoir le justifier, elle rembourse les six mois de salaires, et elle n'aura pas droit de prendre un autre jeune sous ce contrat. Et si elle embauche un autre salarié pour le même emploi, elle n'aura pas droit aux exonérations de charges. Il faut de nouveaux deals équilibrés.
20 Minutes : Que faire contre les délocalisations ?
Ségolène Royal : Je veux une règle implacable: les entreprises qui licencient ou délocalisent alors qu'elles font des bénéfices, rembourseront toutes les aides publiques reçues. Elles réfléchiront à deux fois avant de délocaliser. Je veux un cercle vertueux. Les gens me connaissent, ils savent que je ne faiblirai pas. Je ne dépends d'aucun lobby, d'aucune puissance financière. Le gouvernement, lui, a donné son accord explicite pour que Noël Forgeard quitte EADS avec plus de 8 millions d'euros. Nicolas Sarkozy était alors membre du gouvernement. Il est donc incroyable qu'il s'offusque aujourd'hui de ces parachutes dorés.
20 Minutes : Vous êtes donc pour interdire les parachutes dorés ?
Ségolène Royal : Evidemment ! Et surtout s'il a mis une entreprise en difficulté.
20 Minutes : Il faut une loi ?
Ségolène Royal : Oui. D'abord pour rétablir la transparence sur la rémunération des hauts dirigeants des entreprises. Cette loi existait mais la droite, avec Nicolas Sarkozy, l'a supprimée. Ensuite, avec moi, les organisations syndicales seront membres des conseils d'administration, comme c'est le cas d'ailleurs partout en Europe sauf en France. Elles pourront donc exercer leur contrôle sur ces rémunérations.
20 Minutes : Intervenir sur les parachutes dorés est possible dans les entreprises où l'Etat est actionnaire, mais pas dans les autres.
Ségolène Royal : Sauf si l'on vote une loi imposant une répartition plus équilibrée des stocks options au profit des salariés. C'est le cas en Suède. Et il faut aussi que la loi limite les écarts de rémunération dans les entreprises.
20 Minutes : Le modèle scandinave que vous évoquez a un composante libérale forte : pas de loi sur le temps de travail, indemnités chômage plafonnées ... La France est-elle prête à cette flexi-sécurité ?
Ségolène Royal : On ne peut jamais plaquer à l'identique le système d'un pays sur un autre. Il faut regarder ce qui marche et est compatible avec le système français.
Ces pays ont réduit de 15% leurs nombres de fonctionnaires.
20 Minutes : Vous en faites autant ?
Ségolène Royal : Non, ce n'est pas le modèle social français. Mais avec ma réforme de la régionalisation, je mettrais fin aux doublons, aux doubles emplois, aux superpositions de structures dont on souffre: la commune, la communauté de communes, le département, la région, l'Etat. Je veux répartir les responsabilités.
20 Minutes : Faudra-t-il supprimer des postes de fonctionnaires ?
Ségolène Royal : Il ne s'agit pas de supprimer des emplois, mais de faire mieux travailler les fonctionnaires pour améliorer les services publics. Si les services publics fonctionnent bien, ils contribuent à la croissance. Quand Nicolas Sarkozy parle de supprimer un fonctionnaire sur deux, il leur dit : votre travail ne sert à rien. Il dresse les gens les uns contre les autres. Moi, je veux faire le contraire. Quand on demande aux entreprises étrangères pourquoi elles investissent en France, elles citent en premier le bon fonctionnement des services publics : c'est le transport, la santé, l'éducation...
20 Minutes : Je suis licencié le 1er janvier 2008, en quoi votre sécurité sociale professionnelle m'aide-t-elle à retrouver un emploi ?
Ségolène Royal : Parce que vous ne serez pas licencié. Je m'explique: une entreprise perd un marché et doit adapter sa masse salariale. Au lieu de faire un plan social qui la déstabilise et traumatise les salariés. On donne aux salariés la sécurité sociale professionnelle. C'est le système danois ou suédois. Vous n'êtes pas licencié, vous gardez votre poste, votre salaire est payé par les pouvoirs publics, le tout pendant un an, mais vous êtes encouragé à préparer votre avenir, soit en suivant une formation ou une reconversion, soit en acceptant une autre affectation dans l'entreprise, soit en créant votre propre entreprise. On l'a expérimenté dans ma région, ça marche.
20 Minutes : La région Ile-de-France, dirigée par le PS, a décidé de la gratuité des transports pour les Rmistes ? C'est une bonne mesure ?
Ségolène Royal : Ce n'est pas le bon critère à mon avis, car c'est un critère de statut, et non pas de revenu. Un travailleur à temps partiel ou un étudiant qui ne gagne pas plus qu'un Rmiste, doit aussi avoir droit à la gratuité des transports. Il ne faut pas décourager le travail. Dans mon projet, je reprends le revenu de solidarité active inventé par le président d'Emmaüs, qui incite un Rmiste à retrouver du travail, en lui assurant de gagner 30% de plus que ce qu'il avait en restant au RMI.
20 Minutes : Nicolas Sarkozy le propose aussi...
Ségolène Royal : Je constate qu'il m'a repris beaucoup d'idées. Comme la valeur travail, ou maintenant le co-développement. Mais il les reprend en les déformant.
20 Minutes : Avez-vous déjà en tête votre futur gouvernement ?
Ségolène Royal : Oui, pour l'essentiel. Mais je n'en dirai pas plus, les Français doivent d'abord choisir librement les 22 avril et 6 mai.
20 Minutes : Bernard Kouchner et Michel Rocard multiplient les appels du pied vers François Bayrou. Pourquoi n'arrivez pas à tenir votre propre parti ?
Ségolène Royal : Je ne fais pas de la politique comme cela. Ce qui m'intéresse, ce sont les problèmes de la France, pas les petits arrangements particuliers.
20 Minutes : Vous ne pouvez pas faire taire les éléphants ?
Ségolène Royal : Ma seule préoccupation, au cours de cette campagne, a été de rendre la parole aux Français, de les écouter pour agir juste. Je l'ai fait en toute liberté, et c'est en femme libre que je me présente à leurs suffrages.
Ségolène Royal : Je veux le socialisme du réel, je suis pragmatique. Je ne suis pas embarrassée de dogme. Je ne dépends d'aucune puissance financière, d'aucun courant du parti, je n'ai personne à placer. Cette liberté-là, c'est ce qui fait ma force.
20 Minutes : C'est aussi pour cela que vous êtes sûre d'être au second tour ?
Ségolène Royal : Non, tant que les Français n'ont pas encore voté. Les instituts de sondage ne disent jamais qu'il y a 40% de personnes indécises ou qui refusent de répondre. Ce qui donne une idée du peu de fiabilité de tous les sondages qui placent Nicolas Sarkozy en tête. Les électeurs doivent savoir que chaque fois qu'il y a eu un mauvais sondage pour moi, j'ai reçu des propositions des instituts de réaliser une enquête complémentaire pour en savoir plus sur ma prétendue baisse. Je les ai bien sûr éconduits.
20 Minutes : Ces 40% d'indécis peuvent être davantage séduits par la stratégie de François Bayrou...
Ségolène Royal : François Bayrou a été président de conseil général. Qu'a t-il fait ? On ne m'a pas cité une seule chose qu'il ait faite. Il a été ministre ? Il a mis un million de personnes dans la rue et il a ensuite arrêté de réformer. Qu'est-ce qui se passe dans les régions, les départements, les villes où il y a des élus UDF ? Jamais ils ne votent avec les socialistes. Même quand les mesures sont bonnes. Dans ma région, j'ai rendu les livres gratuits pour les lycéens, j'ai créé 500 places d'apprentissage pour les jeunes, j'ai mis en place la sécurité sociale professionnelle, j'ai fait baisser l'endettement, je n'ai pas augmenté les impôts. Est-ce que l'UDF a voté ce budget ? Non. Ils ont voté avec l'UMP.
20 Minutes : Si François Bayrou appelle à voter pour vous entre les deux tours, vous lui tendez la main ?
Ségolène Royal : Ce n'est pas une question de personne. François Bayrou n'est pas propriétaire de ses électeurs. Le critère, ce sont ceux qui se rassemblent sur le Pacte présidentiel que je propose aux Français. Ce ne sont pas des ralliements de personnes, ça c'est fini, c'était la IVe République.
20 Minutes : Et s'il y a un ralliement sur la base des projets ?
Ségolène Royal : Tous ceux qui se rallieront autour de mon projet pour la France feront partie de la majorité. Ça ne se fait pas par de petits arrangements de personnes dans le dos des électeurs avant le premier tour. Ceux qui se livrent à ce petit jeu le font pour m'affaiblir.
20 Minutes : Il y aura une négociation entre vous et François Bayrou entre les deux tours ?
Ségolène Royal : S'il souhaite battre la droite au second tour, puisque c'est ce qu'il déclare aujourd'hui, il prendra ses responsabilités. On mesurera alors la sincérité de ses propos. Ou bien préférera-t-il sauver ses circonscriptions électorales puisqu'il a un électorat de droite, par un accord avec l'UMP ? Ça va dépendre de lui.
Source http://www.desirsdavenir.org, le 19 avril 2007