Déclaration de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, sur la réforme de la PAC et la prochaine négociation multilatérale d'un nouveau cycle de l'OMC, Paris le 28 janvier 1999.

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Circonstance : Journée commune APCA-FNSEA consacrée à l'OMC, à Paris, le 28 janvier 1999

Texte intégral

Messieurs les Présidents,
Mesdames, Messieurs,
Tout d'abord, je vous remercie, puisque Jean Glavany ne pouvait être parmi vous ce matin, de m'avoir invité à participer à vos travaux en ma qualité de ministre des Affaires européennes. Le sujet ne me dépayse pas puisque jai, à ce titre, une responsabilité particulière dans la conduite des négociations multilatérales.
En effet, l'attention de tous, et en particulier des agriculteurs français, est aujourd'hui légitimement tournée vers la négociation de l'Agenda 2000 et de la réforme de la Politique agricole commune. L'enjeu est évidement de taille, puisqu''il s'agit de définir, pour les sept prochaines années, les modalités de financement et l'avenir des politiques communes dans une Europe bientôt élargie et désormais dotée dune monnaie commune.
Pourtant, notre horizon ne peut se limiter au mois de mars 1999, échéance programmée pour le bouclage de l'Agenda 2000. Il est aussi, peut-être surtout, celui de l'issue de la négociation multilatérale qui sera lancée à la fin de cette année au sein de l'Organisation mondiale du commerce, conformément aux accords de Marrakech et aux engagements ultérieurs pris par les Etats membres de cette organisation.
C'est pourquoi je me réjouis que l'Assemblée permanente des Chambres d'agriculture et la Fédération nationale des Syndicats d'Exploitants agricoles engagent, dès à présent, une réflexion approfondie sur ces négociations désormais proches. D'autant que les positions de négociation de la France, dans le cadre de la réforme de la PAC, prennent largement en compte cette échéance.
Il ne s'agit pas d'anticiper sur ce qui na pas lieu de l'être, et encore moins de « payer deux fois », mais bien d'avoir le souci constant de mettre l'Europe dans la meilleure position possible, le 1er janvier 2000, à Genève, pour défendre ses intérêts et, singulièrement, son identité agricole.
I - J'entrerai dans le vif du sujet en rappelant, comme chacun le sait ici, que l'agriculture sera, pour la France, un élément central dune négociation multilatérale au demeurant globale. Et ce cycle devra constituer une nouvelle étape dans l'affirmation par l'Union, bientôt élargie à la première vague des pays candidats, de son identité au plan international.
C'est dire que la préparation de l'élargissement de l'Union européenne aux Pays d'Europe centrale et orientale devra intégrer la dimension commerciale multilatérale :
· il faudra d'abord développer une concertation étroite entre les quinze Etats membres actuels et les pays candidats sur les positions à défendre au sein de l'OMC ; à cet égard, la pédagogie de l'acquis communautaire, la stratégie de pré-adhésion ou encore l'entrée dans l'Union d'un grand pays agricole comme la Pologne constituent autant d'atouts ;
· mais il faudra aussi prendre en compte, dans les négociations tarifaires d'adhésion à l'Union, la question des compensations que celle-ci devra verser, conformément aux règles du GATT, aux autres partenaires commerciaux des nouveaux Etats membres.
· il faudra enfin être vigilant quant aux niveaux de soutien notifiés à l'OMC par les Pays d'Europe centrale et orientale, qui entreront en ligne de compte dans la négociation agricole multilatérale.
Il reste que le Conseil des ministres de l'Union confiera, avant la fin de l'année, à la Commission, un mandat de négociation pour ce nouveau cycle OMC qui sera, dans ses aspects agricoles, largement déterminé par la réforme de la PAC.
C'est d'ailleurs lune des raisons pour lesquelles il est souhaitable d'aboutir rapidement à un accord à Quinze sur la PAC - mais bien sûr pas à n'importe quel prix, jy reviendrai - afin que l'Europe aille dans l'ordre à cette bataille commerciale. Il est en effet indispensable de refonder un consensus communautaire, sur la base de l'Agenda 2000, avant d'affronter les pays tiers.
Le gouvernement a engagé sa propre réflexion sur la négociation à l'OMC. Les positions sur la réforme de la PAC, définies en parfaite concertation avec le président de la République, y sont d'ailleurs largement liées. Le Premier ministre a confié une mission préparatoire à Mme Lalumière et à M. Landau, qui mènent un large travail de concertation préalable et éclaireront nos choix définitifs.
II - Ceci me conduit donc - c'est le deuxième point de mon intervention - à vous livrer quelques éléments de réflexion sur le contexte des prochaines négociations à l'OMC, et tout particulièrement sur les enjeux pour notre agriculture.
1.Lobjectif général du gouvernement est de renforcer la fonction d'organisation et, partant, de maîtrise de la mondialisation qui doit être celle de l'Organisation mondiale du commerce.
L'agriculture qui, depuis Marrakech, ne fait plus exception aux règles commerciales multilatérales, en est l'un des meilleurs exemples : le prochain cycle de négociation devra permettre à l'Europe de défendre et de renforcer son modèle agricole.
Nous devons en effet, me semble-t-il, partir de l'évidence selon laquelle la France, grand pays exportateur, en agriculture comme dans bien d'autres secteurs de production, a tout à gagner dune intégration commerciale multilatérale plus poussée. Nous ne saurions donc faire preuve dune attitude frileuse, que nos exportateurs ne comprendraient pas.
En effet, la demande mondiale reste très soutenue. Les échanges internationaux de produits agro-alimentaires n'ont cessé d'augmenter depuis 25 ans. Les perspectives de croissance sont bonnes, avec une population mondiale supérieure à 8 milliards d'habitants en 2050, des besoins alimentaires seront mal couverts dans de nombreux pays. Enfin, la répartition entre zones de forte croissance démographique et surfaces cultivables est de plus en plus déséquilibrée.
L'Europe est particulièrement bien placée pour tirer profit des perspectives ouvertes par cette mondialisation, dans laquelle nous avons des intérêts offensifs évidents.
En particulier, la bonne compétitivité mondiale des deux principaux postes que sont, pour la France, les céréales et les boissons, doit nous conduire à rechercher la poursuite du mouvement d'ouverture des marchés tiers.
Par ailleurs, le déplacement de la structure des échanges vers les industries de produits transformés et les industries agro-alimentaires, constitue une tendance favorable pour la France dont les ventes augmentent régulièrement et rapidement, à la fois sur le marché européen et sur les marchés des pays tiers.
2.Mais j'ajouterai aussitôt que cette mondialisation doit être maîtrisée. Ceci est vrai dans tous les domaines :
· je pense d'abord qu'il faut éviter le dumping social ou environnemental, mais aussi préserver notre identité culturelle comme notre modèle agricole et alimentaire.
L'agriculture ne saurait être réduite à un marché de « commodités ». Elle produit, pour le marché national, communautaire et des pays tiers, et répond, dans le même temps, à de nombreuses autres fonctions : production de qualité, aménagement des territoires, préservation de l'environnement, emploi en milieu rural... De plus, comment nier que les exigences sociales ne sont pas partout les mêmes ? Je pense au refus, par les consommateurs européens, de la viande aux hormones, ou encore des réticences quil faut noter et prendre en compte en ce qui concerne les organismes génétiquement modifiés.
Toutes ces exigences sociales ont un coût pour notre agriculture. Il incombe largement à la collectivité de les prendre en charge par des formes adaptées de soutien.
· ensuite, je suis convaincu qu'il faut maîtriser l'ouverture accrue du marché communautaire.
L'accord de Marrakech prévoit une réduction des protections tarifaires. Nous devrons donc éviter une exposition trop brutale à la concurrence internationale, qui remettrait en cause certaines organisations de marché, tout en étant conscients que l'agriculture européenne ne peut, dans de nombreux domaines, lutter contre la concurrence de productions issues de pays où les dotations naturelles permettent de produire à des coûts très inférieurs.
Il me paraît clair, dans ce contexte, que nous avons donc besoin de l'Organisation mondiale du commerce pour organiser et non pour subir l'ouverture des marchés.
Le dispositif de règlement des différends au sein de l'OMC est également un outil décisif pour substituer à l'unilatéralisme une ouverture maîtrisée des marchés.
Le contentieux en cours sur la banane est, à cet égard, révélateur, mais, en même temps, inquiétant. Pour protester contre la réforme de l'Organisation commune que nous avons adoptée en juin dernier, les Etats-Unis ont publié une liste de sanctions commerciales contre l'Union. Cet unilatéralisme en forme de menace est inacceptable, en ce quil met gravement en cause le principe du règlement multilatéral des différends.
J'attends de l'OMC quelle condamne, comme le lui demande l'Union, les menaces de rétorsions. Je note aussi que le dernier « panel » constitué sur la banane a confirmé la possibilité pour l'Europe d'accorder une préférence à ses bananes ainsi qu'à celles des pays ACP. J'attends donc du « panel » qui vient d'être constitué qu'il confirme cette interprétation.
Il s'agit bien sûr d'un enjeu majeur, tant les conditions de production de bananes dans certains pays sont caractéristiques des pires méfaits d'un libéralisme débridé.
C'est justement cela que devra éviter le prochain cycle de négociations à l'OMC, sous peine de risquer de subir le même sort que l'Accord multilatéral sur l'investissement.
Comme je l'indiquais précédemment, je note, en premier lieu, que nous n'avons aucune raison d'aborder cette négociation sur un mode exclusivement défensif. Nos intérêts offensifs sont nombreux. S'agissant de l'agriculture, nous n'avons aucune raison de nous priver de mettre en cause certains dispositifs de soutien à l'agriculture en place chez nos partenaires les plus critiques à l'égard de la Politique agricole commune.
Je pense aux crédits à l'exportation, à certaines modalités contestables de versement de laide alimentaire, au statut dérogatoire accordé à certains grands pays en développement qui veulent imposer toutes sortes de disciplines à l'Union pour mieux sen exonérer, au statut de certaines entreprises d'Etat, de certaines aides directes...
J'ajoute que cette négociation ne se limitera pas à un face à face entre l'Europe et les Etats-Unis, où l'appréciation portée sur l'intervention publique varie d'ailleurs avec la conjoncture agricole.
D'autres acteurs s'affirment : le « groupe de Cairns », bien sûr, dont la détermination ne peut être sous-estimée, mais aussi des pays en voie de développement, dont certains sont de plus en plus soucieux de préserver leurs politiques agricoles et de promouvoir la sécurité alimentaire.
Et il y a enfin tous ceux aussi qui estiment que l'agriculture répond à de nombreuses fonctions et doit, pour cela, faire l'objet d'un traitement adapté : le Japon, la Norvège, la Suisse, la Corée du Sud...
III - Ceci m'amène enfin à vous dire quelques mots du contenu probable de ces prochaines négociations multilatérales dans le domaine agricole.
1.Premièrement, la négociation agricole à l'OMC abordera d'abord les sujets commerciaux classiques : protection extérieure, soutiens internes, subventions à l'exportation.
L'Europe ne saurait renoncer au soutien de son agriculture. C'est pourquoi nous devons nous mettre en position de privilégier la protection du marché européen, c'est-à-dire la préférence communautaire, sans renoncer bien sûr aux autres outils de soutien.
Là réside à mes yeux l'un des principaux avantages des propositions du gouvernement et du président de la République, visant à intégrer à l'Agenda 2000 une réduction progressive et différenciée des aides à l'agriculture dans le temps.
La justification immédiate de ces propositions réside dans la lutte contre un mal dénoncé par toute la profession comme par l'ensemble des autorités de l'Etat : le cofinancement des aides de marché.
Il nous fallait, pour cela, être en mesure de proposer un ensemble de mesures équilibrées permettant des économies sur toutes les dépenses communautaires, jointes à des dispositions relatives au financement de l'Union, la fameuse clé PIB.
La réduction des aides à l'agriculture dans le temps, selon des modalités adaptées aux divers secteurs de production et respectueuses des petites exploitations, constitue l'un des éléments de ce paquet d'ensemble.
Nous voulons aider la présidence allemande à conclure la discussion sur l'Agenda 2000 en mars prochain. Nos propositions - courageuses - vont dans ce sens. Mais - je le dis solennellement ici, comme le ministre de l'Agriculture a pu le faire à plusieurs reprises - la France refuse de faire seule le chemin qui mène à un accord sur l'Agenda 2000 au premier semestre. Nous refusons formellement le cofinancement des aides de marché et nous ne sommes prêts à faire notre part des sacrifices que si tous nos partenaires y participent.
C'est ce que j'ai moi-même rappelé à diverses reprises et tout récemment encore, à Bonn la semaine dernière, à Bruxelles lundi dernier, et je crois que nous commençons à être compris.
Mais la réduction des aides dans le temps, accompagnée dune utilisation partielle de son produit sur les dépenses de développement rural, constitue un élément fondamental de la préservation du modèle agricole européen, en ce quelle traduit aussi une évolution de nos soutiens à l'agriculture, tout particulièrement en vue de la négociation à lOMC.
La poursuite du découplage devrait permettre en effet de mieux prendre en compte la rémunération des fonctions non productives de l'agriculture, que j'évoquais précédemment, et de dégager ainsi des marges de manœuvre supplémentaires pour les négociations à l'OMC.
En effet, en limitant les soutiens suspectés de fausser la concurrence, qui figurent dans la boîte « bleue », et en augmentant les aides qui ont moins d'effet sur elle, l'Europe renforcerait sa position, pour mieux faire reconnaître son modèle agricole dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce.
C'est là un objectif majeur dont on peut faire amicalement reproche à la Commission de ne pas lavoir réellement pris en compte. Nous ne pouvons assurer aux agriculteurs que toutes les aides de la boîte « bleue » proposées par la Commission en compensation des baisses de prix seront préservées, en même temps que la préférence communautaire et les subventions à l'exportation.
J'ajoute d'ailleurs que si nous souhaitons améliorer la position de négociation de l'Union au plan des soutiens internes, il n'y a aucune raison d'anticiper le résultat du prochain cycle, dans le domaine laitier par exemple, même si nous ne pouvons ignorer l'existence dune minorité hostile aux quotas laitiers. La partie sera difficile, mais nous devons aller à l'OMC comme à l'élargissement avec des quotas laitiers.
Il y a donc bien une pleine cohérence entre les positions défendues par le gouvernement dans le cadre de la réforme de la PAC et les grands enjeux de la négociation agricole à l'OMC.
2.Un mot enfin pour dire que cette négociation concernera aussi des sujets nouveaux, les « considérations autres que commerciales » : l'environnement, les normes sociales, la propriété intellectuelle, le bien-être des animaux, la multifonctionnalité de l'agriculture.
Autant d'éléments qui devront être versés à la négociation sous une forme ou sous une autre.
En guise de conclusion, je dirais que la France, en agriculture comme dans tous les domaines de l'activité économique, na rien à craindre du renforcement de l'intégration commerciale mondiale. Ses produits sont présents partout dans le monde, leur qualité reconnue, le dynamisme de ses exportateurs incontestable.
Mais la mondialisation ne peut signifier l'uniformisation. Notre agriculture, notre monde rural, ne sont pas ceux de l'Argentine, des Etats-Unis ou de l'Australie. Les conditions naturelles comme les exigences sociales comportent des coûts qui doivent être compensés par diverses formes de soutiens.
Là réside la responsabilité de l'Etat, qui consiste à adapter les formes de soutien aux attentes nouvelles de la société et des agriculteurs, ainsi qu'aux formes nouvelles du commerce mondial. Cette évolution doit être engagée au plus vite, en refondant un consensus européen, bientôt élargi aux pays candidats. C'est tout l'enjeu du prochain cycle de négociations à l'OMC. Je vous remercie de votre attention.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr)