Interview de M. Michel Barnier, ministre de l'agriculture et de la pêche, sur "France Inter" le 20 juin 2007, sur les négociations à venir concernant la politique agricole dans le cadre de l'OMC ainsi que sur son souhait d'une approche européenne de la question des cultures d'OGM en plein champ.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France Inter

Texte intégral

N. Demorand.- Bonjour monsieur le Ministre.

R.- Bonjour.

Q.- Et bienvenue, tout nouveau ministre donc de l'Agriculture et de la Pêche. Vous remplacez C. Lagarde partie à Bercy. Le premier conseil des ministres du gouvernement Fillon 2 aura lieu tout à l'heure à l'Elysée, 32 personnes autour de la table. C'est un Gouvernement moins resserré que le précédent ?

R.- Le précédent, c'était le premier Gouvernement de F. Fillon qui comportait essentiellement des ministres. Aujourd'hui, comme c'était prévu, il y a une équipe de secrétaires d'Etat qui vient compléter, qui vient aider l'équipe des ministres et en même temps dans cette équipe globale de ministres et de secrétaires d'Etat, il y a une nouvelle preuve d'ouverture, de diversité. Ce Gouvernement veut ressembler à la France, à la diversité de la société française.

Q.- L'ouverture à gauche, c'est une bonne idée d'après vous ?

R.- Bien sûr qu'il faut aller chercher les talents, sans demander à personne de se renier ou de se contredire. Les hommes et les femmes de gauche, qui ont une sensibilité de gauche ou du centre et qui nous rejoignent le font sincèrement, personne ne leur demande de trahir leurs convictions. Ils viennent sur un projet qu'ils connaissent, personne ne se trompe, personne n'est trompé. Et nous allons travailler ensemble en essayant de trouver les bonnes idées, qu'elles soient de gauche, du centre ou de droite ; il faut trouver les bonnes idées qui vont faire repartir la France, qui vont marcher, c'est ça l'objectif de N. Sarkozy...

Q.- Sur votre bureau de ministre de l'Agriculture, M. Barnier, et de la Pêche, un dossier crucial : celui des négociations à l'OMC où se définit la politique mondiale des échanges. On a en France une agriculture qui est très subventionnée, très protégée, au sens stricte, donc la concurrence est faussée. Cet état de fait, c'est non négociable ?

R.- Vous dites "l'agriculture est protégée et... "

Q.-...Et subventionnée.

R.-...La concurrence est faussée, mais on ne peut pas parler de l'agriculture sans parler des agriculteurs, sans parler non plus de la sécurité alimentaire, de ce que vous avez dans votre assiette, N. Demorand, et donc de ce souci d'exigence...

Q.- Pas grand chose, en ce moment je suis au régime.

R.- Oui, ça continuez parce qu'on peut bien manger et tenir un régime...

Q.- C'est vrai.

R.-... Et bien boire aussi parce qu'il y a de très bons vins en France. La question, c'est que vous ne pouvez pas traiter cette agriculture-là, ces échanges-là s'agissant des produits et notamment des produits alimentaires comme si vous parliez de mécanique ou de voiture, ce n'est pas la même chose. C'est ça qui explique la différence. Nous sommes, s'agissant de l'agriculture, au coeur de la société. J'ai dit un jour au congrès des agriculteurs français qui m'avaient invité quand j'étais commissaire européen : "la question agricole n'est pas seulement la question des agriculteurs, même si elle est d'abord la question des agriculteurs. C'est une question de société". Elle est au coeur de beaucoup de défis d'aujourd'hui et de demain, l'équilibre des territoires, en métropole et Outremer, la sécurité alimentaire, la biodiversité, la protection des sols et des mers, l'emploi, la formation, et naturellement la question européenne dont vous parliez tout à l'heure, dont on va parler cette semaine à Bruxelles avec le président de la République. Il faut un traité simplifié, il faut que l'Europe fonctionne. Il n'y a pas de politique forte en Europe si les institutions sont faibles, donc il faut des institutions qui marchent.

Q.- Et ça c'est l'ancien commissaire européen qui parle...

R.- Je ne l'oublie pas.

Q.- Mais on a là deux dossiers et deux négociations très rudes. N. Sarkozy a dit concernant l'OMC que la France n'hésiterait pas à aller jusqu'au veto s'il le fallait pour protéger notamment son agriculture. C'est la ligne ?

R.- Ce n'est pas seulement son agriculture, c'est l'agriculture européenne, c'est la première politique communautaire depuis les années 60, ce n'était pas une politique archaïque, c'est une politique d'avenir, il s'agit de préserver ce modèle de civilisation, cette sécurité alimentaire, cette indépendance, le travail des gens. Mais nous ne voulons pas une Europe fermée, moi je vais me battre pour une Europe ouverte, pas offerte. Une Europe ouverte, pas offerte.

Q.- Mais le veto, M. Barnier ?

R.- Le veto, c'est au bout de la route quand on n'a pas d'autre solution pour défendre des intérêts vitaux. Nous n'en sommes pas là, mais il faut qu'on sache et à la Commission européenne où j'ai beaucoup d'amis, mais où je ferai preuve d'intransigeance pour défendre ce que je crois, et au niveau international, du côté des Etats-Unis, que la France exigera la réciprocité, il n'y aura pas de naïveté. Et naturellement, quand je parle de l'agriculture, pour la France, pour l'Europe, je parle aussi et j'ai le regard vers les autres régions du monde. Un grand défi du président de la République, c'est le co-développement. Je vais être au coeur, avec le ministre B. Hortefeux, de cet enjeu d'aider notamment l'Afrique à développer son économie agricole.

Q.- M. Barnier, vous êtes également ancien ministre de l'Environnement, est-ce que vous ne regrettez pas d'avoir eu les deux casquettes, ministre de l'Environnement et de l'Agriculture ? C'était une des propositions de N. Hulot dans son pacte écologique. Est-ce que ça n'aurait pas été essentiel de redessiner les choses de cette manière-là ?

R.- Il doit y avoir un dialogue au sein du Gouvernement et j'ai été en effet ministre de l'Environnement avec ce souci du dialogue et parfois de la confrontation avec mes collègues. Il y a aujourd'hui un grand ministère du développement durable, c'est un vrai progrès et une promesse tenue par N. Sarkozy.

Q.- On est d'accord mais est-ce que "agriculture et développement durable" sont des termes contradictoires aujourd'hui ?

R.- Je veux être le ministre de l'Agriculture et de la Pêche durables, voilà ma réponse.

Q.- Donc ce sera une révolution ?

R.- Ce sera une évolution, je veux que cette agriculture vive avec le souci que les ressources, les espaces naturels ne sont ni gratuits ni inépuisables. Mais les paysans, ce sont les premiers à le savoir. J'ai dit un jour quand j'étais ministre de l'Environnement : les premiers écologistes, ce sont les paysans, c'est eux qui tiennent le territoire, c'est eux qui tiennent la sécurité des sols, c'est eux qui tiennent nos paysages. Donc on va faire cette évolution, pas contre eux ou sans eux, avec eux.

Q.- Sur un dossier qui nous place au coeur de cette problématique, M. Barnier, comme celui des OGM, on voit qu'il y a encore beaucoup de doutes - on a beaucoup de questions au standard ce matin sur le sujet - il y a beaucoup de doutes, beaucoup d'inquiétudes aussi sur le caractère sain ou non des organismes génétiquement modifiés. Cela avait donné lieu à une opposition entre C. Lagarde, votre prédécesseur et A. Juppé, lorsqu'il était ministre du gouvernement Fillon 1. Sur une question comme celle là, on interdit les OGM, on produit un moratoire, qu'est-ce qu'on fait ?

R.- Je peux comprendre les questions et les doutes, parce que moi-même j'ai éprouvé des doutes notamment sur les questions des OGM, des cultures d'OGM en plein champ. Je vais aborder cette question avec le double souci de la transparence et de la précaution. D'ailleurs je vous rappelle N. Demorand, que c'est moi qui ai mis dans la loi française en 95 le principe de précaution, dans la loi de février 95. J'ai mis un autre mot dans cette loi, qui est le mot de débat public. Donc j'aborderai cette question avec le souci du débat, de la transparence, c'est l'objectif d'ailleurs de ce travail qui va être publié avec le registre national des OGM, on saura précisément où se trouve - il y a à peu près 5 000 hectares de culture d'OGM, Mo810 puisque c'est la seule culture autorisée. Je veux qu'on sache où et dans quelle région on cultive ces OGM. Et la précaution. Mais je l'aborderai aussi avec objectivité.

Q.- Donc un débat à prévoir sur le sujet ?

R.- Il y aura un débat, C. Lagarde avec laquelle je vais faire équipe dans un ministère très important aujourd'hui, avait lancé cette idée d'états généraux ou d'assises de l'agriculture notamment pour préparer le rendez-vous de 2008 où il y aura au niveau européen une évaluation de la Politique agricole commune. Cette politique n'est pas archaïque sous le prétexte qu'elle est ancienne, c'est une politique moderne et je vais la défendre comme telle.

Q.- Transparence, dites-vous M. Barnier, mais on voit bien qu'il y a des tensions, des contradictions même entre ceux qui disent, "méfions nous des OGM, on ne sait pas au fond s'ils sont sains ou non", et les agriculteurs qui disent aussi "ne prenons pas de retard dans un marché mondial où la concurrence est très rude et où l'Europe est peut-être en train de perdre du temps justement sur les organismes génétiquement modifiés". Alors comment on arbitre entre ces deux injonctions contradictoires ?

R.- Moi, je ne vais pas prétendre être plus savant ou expert que les savants ou les experts. Il y a une commission du génie biomoléculaire qui a été saisie notamment sur cette dernière affaire et qui s'est prononcée. Je vais écouter les experts, je vais aussi me battre pour que la France ne soit pas toute seule. Nous comptons dans le monde sur cette question-là des productions et des échanges comme sur la question de la politique étrangère, dont B. Guetta parlait - et je vais me battre aussi comme homme politique français - pour que l'Europe ne soit pas seulement un supermarché ou une communauté solidaire, qu'elle soit aussi une puissance politique avec une politique étrangère et une défense. Sur cette question-là, nous ne comptons dans le monde par rapport aux grands pays émergents et par rapport aux Etats-Unis que si nous sommes ensemble, les Européens. Donc je veux me battre pour une approche européenne de cette question des OGM.

Q.- M. Barnier, pour être ministre, on n'en est pas moins homme, heureux de retrouver des responsabilités au premier plan ?

R.- Franchement oui, franchement je suis heureux d'être dans cette équipe avec F. Fillon dont je suis très proche depuis longtemps, aux côtés de N. Sarkozy que j'ai accompagné depuis un an et demi et à un moment qui est formidable pour la France, où il y a une nouvelle époque qui commence, un nouveau départ, un mouvement pour notre pays.

Q.- C'est dur de rester en réserve de la République quand on a envie d'agir ?

R.- On est parfois frustré, pour dire la vérité, mais on peut être en dehors du Gouvernement - tout le monde ne veut pas être au gouvernement - et avoir des convictions. Donc c'est dans cet esprit-là que j'ai travaillé depuis un mois. Je suis heureux que N. Sarkozy et F. Fillon m'aient fait confiance dans un ministère formidable.

Q.- Excusez la métaphore, M. Barnier, mais c'est une drogue dure la politique ?

R.- (Rires). C'est une passion, moi je me suis engagé quand j'avais 14 ou 15 ans, je dis quelquefois d'ailleurs, pour un geste qui m'a beaucoup touché quand j'étais lycéen, c'était la poignée de main entre le général de Gaulle et le chancelier Adenauer. Je suis devenu gaulliste et européen ce jour-là et ça ne m'a pas quitté. Non, je ne parlerais pas de drogue dure, je parlerais d'une passion solide, tenace, durable. Encore une fois, il faut marcher au milieu de la route et défendre ses convictions, c'est ce que je continuerai de faire.

Q.- Merci, M. Barnier, bon conseil des ministres tout à l'heure à l'Elysée.

Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 20 juin 2007