Tribune de Mme Rachida Dati, ministre de la justice, parue dans le journal "Libération" du 2 juillet 2007, sur la partie concernant les mineurs dans le projet de loi renforçant la lutte contre la récidive.

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Texte intégral

La France a développé un droit protecteur des mineurs. En application de ce droit, la politique de prévention et de répression de la délinquance des mineurs est fondée en priorité sur des mesures éducatives. Mais la délinquance des mineurs évolue. Elle a augmenté de 40 % lors des cinq dernières années. Elle est de plus en plus violente. Chaque année, 45 % des personnes mises en cause pour vol avec violence sont des mineurs.
La partie du projet de loi renforçant la lutte contre la récidive qui concerne les mineurs soulève des interrogations, voire des inquiétudes, de la part de certains qui rappellent leur attachement au primat de l'éducatif sur la sanction pénale.
Il convient de saluer le long et bénéfique travail qui, peu à peu, a permis à la France de construire, d'élaborer ce droit des mineurs singularisé, différencié de celui des adultes, tant il est vrai que dans ce domaine, les bénéfices de l'action éducative sont constants. On sait qu'éduquer est infiniment plus difficile qu'instruire. Ce primat de l'éducatif, sa vertu incomparable, ne doivent pas et ne seront pas remis en cause.
C'est la raison pour laquelle le projet de loi que je porte ne modifie pas l'article 2 de l'ordonnance de 1945 qui pose ce principe de la priorité éducative. Il existe un poids des déterminismes sociaux. Naître aujourd'hui dans certains environnements, c'est être au coeur de conflits et de carences, générateurs de souffrance et de culpabilité. Je sais aussi que nos enfants ont cette capacité peu commune de muer en terrain de jeux le pire désert, pour reprendre le beau mot de Michel Leiris. Mon projet n'oublie rien de cela. Renier ces principes, ce serait nous renier.
Mais si les mineurs, comme parfois les adultes, sont déterminés, ils sont aussi des êtres libres et responsables de leurs actes. De ce point de vue, il faut en finir avec les attitudes outrées et rechercher un équilibre, difficile à trouver je le reconnais, entre le caractère insatiable du désir de certains mineurs et les bienfaits d'une loi qui interdit. Peut-être devrons-nous à nouveau nous convaincre qu'il faut, ensemble, apprendre à nos mineurs à accepter des contraintes pour «tendre l'âme», en un mot pour grandir.
Les mineurs violents sont souvent des mineurs qui ont peur, et qui tentent de dissimuler leur peur. Ils sont en attente de valeurs qui leur permettent d'exister, de se différencier, de faire quelque chose de leur vie. Ces valeurs passent notamment par des interdits. Leurs parents et la société n'osent plus les leur imposer. Il est pourtant essentiel, tant pour notre société que pour les intéressés, que nos mineurs s'assurent d'une meilleure maîtrise de la réalité, et j'ai la conviction que la loi pénale peut y concourir, y aider. Mon projet de loi a l'ambition de renouer avec cette vertu oubliée de la loi pénale.
Une loi qui se veut force de dissuasion, rappel des limites à ne pas franchir, une loi qui repose tout entière sur le sens des responsabilités de ceux à qui elle a vocation à s'appliquer. Il s'agit, dans un esprit dégagé de tout préjugé, d'aider les mineurs à devenir adultes. On réduit souvent le mineur à l'enfant. Ce mot d'enfant, c'est-à-dire étymologiquement cet être privé de parole, appelle la tendresse, la protection et la consolation. Mais certains mineurs ne sont pas des enfants. Il faut sur ce point en finir avec l'angélisme qui inspire trop souvent le discours dominant sur la délinquance des mineurs. Aucun mineur ne ressemble à un autre, chacun a un développement personnel qui lui est propre, et la réalité quotidienne est là pour nous rappeler que certains mineurs commettent des faits d'une gravité comparable à celle des faits commis par des majeurs. C'est à ces mineurs-là, auteurs de violences graves et réitérées aux personnes, et à ceux-là seulement, que mon projet de loi s'adresse.
Est-il besoin de rappeler que, du point de vue de la victime, il importe peu qu'elle ait été agressée par un jeune majeur ou par un mineur ? Quand un mineur se comporte comme un majeur, il faut qu'il sache qu'il encourt en théorie une peine du même ordre que celle encourue par un majeur. Refuser de le comprendre, c'est refuser de les aider à devenir adultes. On ne rend pas service à un adolescent si on ne lui fait pas prendre conscience qu'il encourt une sanction lorsqu'il a commis un délit. Ceux qui sont en charge de la question, combien difficile, du traitement des mineurs récidivistes, savent s'en souvenir, eux qui doivent trouver le difficile équilibre entre éducation et sanction, et conjuguer ainsi vertu d'humanité et sens des responsabilités de ceux à qui ils s'adressent.Source http://www.u-m-p.org, le 3 juillet 2007