Interview de Mme Rachida Dati, ministre de la justice, à LCI le 26 juillet 2007, sur le dopage dans le Tour de France, les négociations avec la Libye, le rôle du futur contrôleur général des lieux privatifs de liberté, la loi sur la récidive et sur l'affaire "Clearstream".

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

Q- "Il faut condamner le dopage de la manière la plus sévère qui soit", vient de déclarer F. Fillon. Faut-il aller jusqu'à de la prison ferme contre les dopés et contre leur médecin ?
R- Le Tour de France est un sport extrêmement populaire. On voit bien les mobilisations des Français en province. C'est vraiment un évènement sportif familial. Il est important que ce sport reste propre et reste encore populaire. Et d'ailleurs, les Français ne s'y sont pas trompés : regardez hier, quand Rasmussen a le maillot jaune, il s'est fait huer. Dans ce sport, il y a quand même des contrôles inopinés, en rapport avec le dopage. Donc, cela veut dire qu'on a quand même une avancée claire, s'agissant des contrôles de dopage. Mais pour les tricheurs, il faut avoir absolument, il ne faut faiblir sur aucun point.
Q- Et durcir la loi éventuellement, réprimer encore plus ?
R- Il faut qu'au niveau international, il y ait de plus en plus de contrôles. Donc les sanctions devront être de plus en plus appliquées et les contrôles de plus en plus développés.
Q- Faut-il arrêter ce Tour 2007 avant la fin ?
R- Ce qu'il faut faire, c'est réfléchir à la manière dont on fait, comment on retransforme
ce sport comme un évènement populaire et un évènement familial.
Q- N. Sarkozy est allé sur le Tour de France. Est-ce qu'il doit y retourner avant la fin ? Est-ce qu'il doit aller aux Champs-Élysées pour montrer son soutien aux organisateurs ?
R- Il a toujours aimé le vélo. Il l'a toujours d'ailleurs soutenu. C'est quelqu'un qui aime
le sport et particulier le cyclisme. Donc il est allé sur une étape. Et ce n'est pas parce
que quelques sportifs et quelques cyclistes ont été dopés qu'il faut jeter l'opprobre
sur tous les autres cyclistes.
Q- Avez-vous téléphoné ou rencontré C. Sarkozy pour la féliciter pour son action en faveur des infirmières bulgares détenues en Libye ?
R- Je l'ai félicitée.
Q- Est-ce qu'il faut un statut pour la Première dame de France, comme le suggère P. Devedjian, ou est-ce qu'il faut refuser de théoriser, comme l'a demandé N. Sarkozy ?
R- Il n'y a pas à théoriser. Le président de la République a été élu sur un programme. Dans le cadre de se programme, il avait indiqué qu'il fera tout pour obtenir la libération des infirmières bulgares et du médecin. Et, c'est ce qu'il a mis en oeuvre dès lors où il a été élu. Cela ne fait que deux mois. Il a été élu, il a eu un mandat légitime, il a mis en oeuvre tout ce qu'il pouvait pour pouvoir obtenir la libération de ces otages.
Q- Dans le "tout", il y avait l'action de C. Sarkozy. Est-ce qu'elle doit par exemple venir parler à la Commission des Affaires étrangères de l'Assemblée pour raconter ce qui c'est passé là-bas ?
R- Ce n'est pas à moi de faire de commentaires. Tous les chefs d'Etat ont eu des émissaires s'agissant de la diplomatie, voilà. C. Sarkozy a oeuvré utilement, en faveur de la libération des infirmières et du médecin. Elle a fait preuve d'une grande intelligence politique et elle a oeuvré avec beaucoup de professionnalisme, tout à fait en concertation et en cohérence avec la diplomatie européenne.
Q- La France va construire un réacteur nucléaire civil en Libye. Est-ce que ce n'est pas beaucoup quand même de coopération avec un pays dont on recherche certains responsables - la justice française en recherche encore - dans le cadre de l'attentat contre le DC10 d'UTA ?
R- Il faut quand même rappeler que la Libye est un acteur stratégique au niveau de la Méditerranée. Donc il est important aussi qu'on puisse lutter ensemble contre le terrorisme et contre l'immigration clandestine.
Q- Donc, il faut discuter avec elle ? Il faut faire de la Realpolitik ?
R- Il est important aujourd'hui de pouvoir discuter avec les Libyens.
Q- A quoi sert B. Kouchner ? C'est un ministre d'ouverture potiche ?
R- Monsieur Barbier, vous ne pouvez pas dire cela !
Q- La gauche le dit un peu !
R- La gauche, elle est dans son rôle. Mais regardez les actions qu'il mène, regardez les dossiers et les sujets qu'il traite ; je ne crois pas que ce soit ainsi ou qu'on puisse qualifier ainsi B. Kouchner.
Q- Vous partez à Londres demain, pas pour vous occuper de politique étrangère, mais pour voir comment les Anglais gèrent un peu leurs prisons. A quoi va ressembler, à quoi va servir le contrôleur général des prisons que vous voulez installer en France ?
R- Je vais rencontrer demain Anne Owers, qui est inspectrice des prisons, qui est une institution, une autorité indépendant en Angleterre depuis 1980. Elle a une mission d'inspection des prisons, de voir les conditions de vie des détenus mais aussi du fonctionnement des prisons. Et nous, nous souhaitons aller plus loin - c'est un texte que je porterai devant le Sénat dès mardi prochain - nous souhaitons instituer un contrôleur indépendant de tous les lieux privatifs de liberté. Donc, nous allons au delà du simple lieu de prison, parce qu'il y a 6000 lieux environ en France privatifs de liberté, il y en a 200 qui dépendent de la justice. Mais il est important que nous ayons une autorité indépendant pour pouvoir contrôler les conditions de vie des personnes privées de liberté, mais également des conditions de travail des personnels affectés à ces lieux.
Q- La garde à vue sera concernée également ?
R- Tout à fait.
Q- Les rapports seront publics ? On nous dira ce qu'il a vu ?
R- Le contrôleur rendra un rapport annuel au président de la République et ainsi qu'au Parlement.
Q- Pourquoi ce n'est pas le Parlement qui peut choisir le contrôleur général des prisons ? Pourquoi vous souhaitez une nomination par décret, par le Président ?
R- Les conditions de nomination sont dans le texte. Et le texte n'a pas encore été débattu. Nous verrons...
Q- Vous êtes ouverte aux propositions ?
R- Nous sommes tout à fait ouverte à toutes les propositions.
Q- Qui sera le premier contrôleur général des prisons ? On avait cité J.-P. Delevoye qui est le médiateur actuellement. Déjà, sous D. Villepin, son nom avait circulé.
R- Ce sera une autorité indépendante. Et le profil du contrôleur, ce sera une personne qui aura connaissance de ce type de sujet, et qui sera sensible à ce type de sujet. Mais on ne connaît pas la personne. Le texte n'a pas encore été débattu. Il n'a pas été adopté.
Q- On a l'impression que tous les problèmes pénitentiaires se résument en un mot :
surpopulation. Où en est-on des places nouvelles ?
R- Nous avons lancé en 2002 la construction de 13.200 places nouvelles.
Q- C'était il y a 5 ans !
R- Oui. Mais, il faut le temps aussi de la construction, des mises en chantiers. 2008 verra 2.000 places de plus qu'aujourd'hui. Aujourd'hui, nous sommes à peu près à 50.500 places, et en 2012 nous aurons 63.000 places en prison.
Q- Il n'y a pas eu de grâce, au 14 juillet. Vous ne craignez pas des émeutes cet été, en prison, par surpopulation ?
R- Je souhaite rendre hommage, vraiment, à l'administration pénitentiaire et à tout le personnel qui compose cette administration. Ce sont 30.000 personnes qui font un travail avec beaucoup de dévouement, de professionnalisme et de conviction. Et c'est aussi grâce à eux que nous ne déplorons pas d'incidents en détention. La grâce collective, même les détenus ont compris qu'elle était souvent injuste, parce qu'ils ne savaient pas quels étaient les critères. D'une année à l'autre, ça changeait, et dès lors où elle est automatique et collective, cela ne favorise pas les projets de réinsertion, donc cela ne favorise pas, en particulier, la lutte contre la récidive.
Q- Vingt ans après leur incarcération, faut-il libérer les membres d'Action Directe ?
R- C'est une décision de magistrats.
Q- Vous n'interférez pas ?
R- La justice est indépendante, et je compte être garante de cette indépendance. Donc c'est une décision de magistrats et des juges d'application des peines.
Q- Votre loi sur la récidive est définitivement adoptée par le Parlement aujourd'hui, en commission mixte paritaire. Quand est-ce que vous attendez des fruits sur la baisse des récidives ?
R- C'est une véritable attente des Français que de lutter contre la récidive des majeurs et des mineurs. Aujourd'hui, vous savez que l'insécurité a diminué, sur les cinq dernières années, et le nombre de condamnations pour les récidivistes a augmenté. Donc c'est bien qu'il faut avoir un outil adapté pour lutter contre la récidive. Ce texte apportera les outils adaptés, avec des sanctions graduées, que pourront prononcer les magistrats.
Q- Et ça va payer très vite ?
R- Dès lors que la loi sera promulguée, elle sera applicable. Nous avons juste différé toutes les dispositions liées aux injonctions de soins, parce qu'il s'agit pour nous de recruter des médecins coordonnateurs pour mettre en oeuvre ces dispositions.
Q- D. de Villepin sera probablement mis en examen dans l'affaire Clearstream. Est-ce une affaire qui relève de la justice ordinaire ou de la Cour de justice de la République, puisque ce sont des ministres qui agissaient dans le cadre du Gouvernement ?
R- Eh bien, les magistrats instructeurs le diront : ils sont en charge du dossier et ils sont, encore une fois, indépendants...
Q- Vous n'avez pas de sentiment sur l'aspect technique ?
R- Je n'ai pas de sentiment, je n'ai pas du tout accès au dossier. Les magistrats instructeurs ont le dossier, ils font des actes de procédure, ils sont, encore une fois je le répète, indépendants dans leurs actes, donc je n'ai pas de commentaire à faire là dessus.
Q- Et est-ce que J. Chirac a tort de leur dire "non, je ne viendrai pas répondre à vos questions" ?
R- Les magistrats sont indépendants, ils font les actes qu'ils souhaitent en toute indépendance. Moi, ce qui m'intéresse c'est de pouvoir oeuvrer pour les Français, de rapprocher les Français de leur justice et de la rendre plus lisible, plus efficace, plus rapide.
Q- Avez-vous évoqué cette affaire avec N. Sarkozy, qui est partie civile, il est victime ?
R- Il est partie civile mais moi je ne suis pas partie de cette affaire.
Q- Avez-vous l'impression depuis deux mois que vous êtres à ce poste - un peu plus - d'avoir été l'objet d'attaques un peu basses, ou est-ce que c'est la violence normale de la vie politique ?
R- Ecoutez, je suis garde des Sceaux, c'est une formidable mission, c'est une vraie responsabilité, donc ça m'expose beaucoup plus, donc je n'ai pas de commentaire particulier. Les Français attendent beaucoup de moi, j'ai une obligation de résultat et j'espère ne pas les décevoir. C'est pour cela que je me suis mise au travail très rapidement.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 26 juillet 2007