Interview de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, à "France 2" le 2 août 2007, sur l'inutilité de la loi sur le service minimum dans les transports terrestres, l'absence de financement du plan Alzheimer, les relations récentes de la France avec la Libye et le rôle de Bernard Kouchner au ministère des affaires étrangères.

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A. Mikoczy .- Dernier jour de la session parlementaire extraordinaire, vous êtes ensuite en vacances. Néanmoins dans ce dernier jour, un texte important, celui sur le service minimum devrait être adopté par les députés. Les Français sont globalement favorables, selon les sondages, et le Parti socialiste ne l'est pas, pourquoi ?

R.- Nous, nous sommes d'accord avec les Français, il faut transporter lorsque que l'on prend les services publics qui sont chargés, justement, d'assurer aussi bien à Paris que dans nos régions les déplacements quotidiens. Mais est-ce que cette loi va changer quoi que ce soit ? Non. Elle va même sans doute créer des conflits qui n'existent pas aujourd'hui. Est-ce qu'elle va régler les problèmes d'interruptions de trafic, que l'on sait souvent provoqués par un mauvais entretien des voies ou des lignes ? Elle ne va pas apaiser la situation sociale, puisqu'il va falloir négocier. Nous, nous avions dit qu'il aurait mieux valu négocier, comme cela s'est d'ailleurs fait avec succès à la RATP ; cela commençait à s'engager, là aussi, avec de bonnes perspectives à la SNCF et dans d'autres réseaux de transport, et éventuellement, s'il devait y avoir échec de la négociation, la loi. Le Gouvernement a fait exactement l'inverse : il a fait une loi qui ne va rien changer, rien produire sinon, je l'ai dit de l'incompréhension, de l'humiliation pour les personnels et peut-être des conflits.

Q.- Autre point de désaccord, le plan Alzheimer présenté par N. Sarkozy il y a deux jours. La franchise médicale, vous vous êtes prononcé contre, du moins dans sa présentation actuelle. Mais comment fait-on pour financer de telles dépenses, notamment pour la dépendance des personnes âgées ?

R.- Là aussi, qui peut être contre un plan luttant contre la maladie d'Alzheimer ? Qui peut être contre la création d'une cinquième branche de la Sécurité sociale pour traiter de la dépendance ? Personne ! Ce qu'il faut, c'est trouver des financements pour que les promesses qui sont aujourd'hui faites puissent être tenues. Or là, on nous parle de franchise médicale mais pas du tout pour financer le plan Alzheimer. Il y a 13 milliards de déficits à la Sécurité sociale, cette année, en 2007 ; 7 milliards rien que pour l'assurance maladie. Les franchises, cela va être un milliard, un peu moins d'ailleurs, 700 à 800 millions d'euros, rien de comparable avec l'ampleur du déficit, rien qui puisse permettre de financer le plan Alzheimer. Donc il y a l'hypocrisie et même du cynisme de la part du Gouvernement de N. Sarkozy que de laisser penser à tous ceux qui sont confrontés, comme enfants ou parents à l'égard de personnes très dépendantes, qu'il y aura là des sources de financement quand il s'agit simplement de combler une partie du trou de la Sécurité sociale. Je vais ajouter une autre donnée : le Gouvernement, là, dans cette session a fait voter une loi pour accorder des avantages fiscaux, ce qu'on a appelé "le paquet fiscal", près de 13 milliards d'euros pour supprimer l'impôt sur la fortune, les droits de succession pour les plus gros patrimoines et ce que l'on appelle "le bouclier fiscal", sans compter les exonérations des heures supplémentaires. Et là, on va demander, alors qu'on a fait des cadeaux à une toute petite minorité de nos concitoyens, un effort supplémentaire à la très grande majorité. Et vous savez que le Gouvernement est allé plus loin : ces franchises médicales - 50 centimes par acte qui s'ajouteront à 1 euro par consultation...

Q.- Avec une limite quand même.

R.-...Avec une limite de 50 euros par personne et par an, ces franchises médicales ne pourront pas être couvertes par les assurances complémentaires, par les mutuelles. C'est dissuasif puisque le Gouvernement a menacé les mutuelles ou les assurances complémentaires de retirer les exonérations fiscales ou les avantages fiscaux, si ces mutuelles ou ces assurances complémentaires couvraient les franchises médicales. Donc je le dis ici, pour une très grande majorité de Français, pas les plus pauvres, j'en conviens, les classes moyennes, c'est un impôt supplémentaire qui est créé avec les franchises médicales quand il y a eu des prélèvements en moins sur une minorité de nos concitoyens les plus favorisés. Qui peut comprendre et au plan de la justice sociale, et au plan de l'efficacité pour combler le déficit de la Sécurité sociale, une telle mesure ?

Q.- Au chapitre économique, un dernier point : dans le projet de budget, le Gouvernement a annoncé 22.700 postes de fonctionnaires non renouvelés. Est-ce que cela vous paraît être un bon chemin pour gérer correctement les dépenses publiques ?

R.- Moi, je suis pour qu'on réduise les déficits du budget de l'Etat, de la Sécurité sociale, parce que c'est de l'endettement pour demain, pour aujourd'hui et surtout pour demain. Donc, je ne suis pas là pour dire : il ne faut faire aucun effort, aucun redéploiement, aucune économie, il faudrait continuer comme ça, c'est-à-dire comme ça se fait depuis cinq ans avec la majorité actuelle. Non, je crois qu'il faut faire là aussi la lutte contre tous les gaspillages, contre les actions qui sont déjà menées ailleurs, notamment dans les collectivités locales ; mais là, il s'agit d'une mesure purement comptable. On dit : ça sera 22.000. Pourquoi 22.000 ? On n'en sait rien, aucune négociation, et c'est surtout dans l'Education nationale que vont se faire les coupes claires qui sont annoncées aujourd'hui.

Q.- Deux postes sur trois seront quand même renouvelés...

R.- Oui, mais cela veut dire qu'un poste sur trois ne l'est pas. Et comment va-t-on améliorer l'encadrement des élèves, notamment dans les zones en difficulté ? Accueillir les enfants handicapés, ce qui est une promesse du président de la République ? Défendre d'avantage le service public, qui doit aujourd'hui être présent sur tout le territoire, si on réduit le nombre de fonctionnaires dans l'éducation nationale ? Je crois qu'il y a là une source d'incompréhension. Mais quand on ajoute tout cela, on voit qu'il n'y a pas de cohérence. On fait payer au plus grand nombre les cadeaux que l'on fait aux plus privilégiés ; on laisse filer les déficits car ils sont là - les déficits - et on fait payer aux fonctionnaires, mais aussi aux usagers, finalement, la charge qui n'a pas été maîtrisée par ailleurs. Et puis, on le voit sur le service minimum, on annonce une loi qui ne changera rien.

Q.- Un peu de politique étrangère. Dans Le Monde, le fils du Colonel Kadhafi a donné sa version de la libération des infirmières bulgares, avec notamment des contrats d'armement, des contreparties financières. Le Gouvernement dément... Vous avez tendance à croire lequel ?

R.- D'abord, moi je me suis réjoui, comme tous les Français, de la libération des infirmières bulgares et du médecin. Huit ans que ces personnes étaient dans les geôles libyennes du Président Kadhafi, torturées, on le sait aujourd'hui, et dans des conditions atroces. Il fallait les libérer. Mais nous avons demandé quelles étaient les contreparties pour cette libération. D'abord, il y a les négociations européennes et il y avait les négociations, si j'ai bien compris, menées par les autorités françaises, ou en tout cas accréditées par elles. Nous avons reçu le ministre des Affaires étrangères avant hier. Nous lui avons demandé ce qu'il y a eu comme contreparties. Il nous a parlé du mémorandum sur le nucléaire, c'était déjà grave, mais il nous a dit que ce n'était pas une contrepartie. Et puis là, on apprend par la bouche du fils du Président Kadhafi qu'il y a eu un accord d'armement. Donc moi, ce que je demande, c'est la transparence. Qu'est-ce qui s'est passé ? Qu'est-ce que l'on a donné en échange de cette libération ? Ou s'il n'y a pas eu échange, s'il n'y a pas eu troc, s'il n'y a pas eu contrepartie, pourquoi signer un accord militaire avec le régime Kadhafi qui, rappelons-le, a été à l'origine d'actes terroristes, qui a été un Etat voyou, dont il y a eu l'embargo sur les armes jusqu'en 2004 ?

Q.- B. Kouchner vous a caché des choses ?

R.- Non, je crois que le pire, c'est qu'il ignorait tout de cette affaire. Eh bien, quand dans un régime démocratique comme le nôtre, le ministre des Affaires étrangères ne sait même pas qu'il y a eu un accord - ou qu'il y aurait eu un accord - militaire, je crois qu'on est là dans une omni présidence qui pose un problème de transparence et de contrôle de l'exécutif.

Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 2 août 2007