Interview de M. Christian Estrosi, secrétaire d'Etat chargé de l'outre-mer, à "France-Inter" le 20 août 2007, sur les mesures d'urgence prises après le passage de l'ouragan Dean sur les Antilles, la création de pôles de compétitivité en outre-mer, la lutte contre l'immigration clandestine et la réforme des institutions en Polynésie.

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Média : France Inter

Texte intégral

Fabrice Drouelle : Six morts, dont deux en Martinique, des dégâts considérables. L'ouragan Dean, qui se dirige maintenant sur le Mexique sans faiblir, a dévasté les Antilles françaises, les pires dommages depuis 20 ans dans ces départements d'outre-mer ; toute la production de banane est perdue en Martinique - une catastrophe -, à Saint- Miquel, aussi, dans les zones d'habitat précaires. Et on estime la facture des dégâts à 200 millions d'euros. Christian Estrosi, secrétaire d'Etat, chargé de l'Outre-Mer, on a dit : "200 millions d'euros", c'est toujours difficile d'évaluer de façon précise les dégâts. 200 millions d'euros, est-on dans un ordre de valeur juste quand on dit cela ?
Christian Estrosi : Non, simplement, lorsque je me suis rendu, dans la nuit de vendredi à samedi en Martinique, juste au moment où tous nos services, au-delà de la population elle-même était libérée de son confinement, pour faire les premières évaluations, c'est ce qu'avec les acteurs économiques et les élus des collectivités, nous avons pu évaluer. Maintenant, nous sommes rentrés dans une expertise plus détaillée, et donc, entre 170 et 250 millions d'euros, entre Martinique et Guadeloupe, il est difficile d'en dire plus. Mais dans le courant de la semaine, nous aurons affiné cela. Ce n'est pas l'essentiel. L'essentiel c'est de dire que, quel que soit le montant, parce que c'est la volonté du président de la République, le Gouvernement fera totalement face pour permettre, et à la Martinique et à la Guadeloupe, à ce que personne, aucune entreprise, aucun foyer, ne soit laissé sur le bord du chemin. Des mesures d'urgence ont d'ores et déjà été prises, et dès ce matin, les préfets de La Martinique et de La Guadeloupe disposent de la part de mon ministère d'un fonds d'urgence leur permettant de réagir.
QUESTION : Alors, justement, vous dites, quels que soient les montants, bon... La filière banane aurait besoin, dit-on, d'au moins 100 millions d'euros pour redémarrer, pour que les premières bananes se retrouvent sur les étals en février prochain. L'Etat est-il prêt à consentir cette aide d'urgence ? Quand on dit "aide d'urgence", cela veut dire qu'il faut aller vite. Alors comment va-t-on vite ?
Christian Estrosi : On dit : est-ce que l'Etat est prêt à consentir cette aide d'urgence ? Ce qui compte c'est l'action de l'Etat. L'Etat est-il en mesure de faire en sorte que la bananeraie de Martinique et de Guadeloupe dispose des moyens pour que, sur ce calendrier, on puisse produire de nouveau ? Ma réponse c'est oui. Nous y mettrons toute notre énergie pour cela. Ce sont des procédures. Je suis allé là-bas pour conduire les maires à prendre les délibérations me permettant de soutenir une démarche de déclaration d'état de catastrophe naturelle, qui permettra aux assureurs de prendre leur part de responsabilité. Ensuite, nous allons demander au FSU, au Fonds social de l'Union européenne, d'apporter sa légitime contribution. Puis restera le solde de la facture. Et oui, l'Etat, en discussion avec les grandes collectivités départementales et régionales, veillera à ce que la totalité de la facture soit prise en charge.
QUESTION : Donc, il y aura un suivi, c'est cela qui est important au-delà des intentions, c'est le suivi. Comment cela se passe-t-il ? Est-on indemnisés ? Comment allez-vous assurer ce suivi ?
Christian Estrosi : Tout simplement, j'ai mis en place une cellule autour du préfet de la Martinique, autour du préfet de la Guadeloupe, qui se réunissent dès ce lundi, 16 heures, heure des Antilles, qui, quasiment, au jour le jour, avec les élus locaux, avec les chambres de commerce, les chambres d'agriculture, les chambres des métiers, les syndicats socioprofessionnels - E. de Lucie, le président de la filière de la banane, par exemple, aux Antilles - vont régulièrement me faire un point d'étape. Et moi-même, je retournerai dans quelques semaines là-bas pour voir où nous en sommes, sachant que, ici, dès cet après-midi, à travers une réunion interministérielle autour du Premier ministre, sous instruction du président de la République, nous allons veiller à ce que toutes les procédures soient lancées. Il y a, à la fois, bien évidemment, la filière agricole, mais, permettez-moi de vous dire un mot du tourisme, parce que nous rentrons dans la saison haute, et je dis à tous ceux qui nous écoutent que la Martinique et la Guadeloupe ne sont pas défigurées, leurs infrastructures hôtelières sont en bon état. Nous avons quelques travaux pour reconstituer les plages. J'ai demandé à ce que tous les moyens soient engagés par l'Etat pour reconstituer le littoral touristique de...
QUESTION : Parce que, ne pas y aller, ce serait en ajouter au malheur des Martiniquais ?
Christian Estrosi : Ce serait en ajouter. Or, c'est une destination exceptionnelle et extraordinaire pour cette haute saison, et toutes les conditions seront réunies pour pouvoir accueillir tous ceux qui ont réservé des séjours. Et ceux qui ne l'auraient pas fait, je ne peux les inciter qu'à le faire.
QUESTION : On n'a pas parlé de l'habitat précaire ; c'est important en Martinique comme en Guadeloupe. Quelles ont été les conséquences du cyclone sur cet habitat précaire ?
Christian Estrosi : En Guadeloupe, quasiment nulles. En Martinique, où l'ouragan a été beaucoup plus violent, nous voyons que les habitats les plus fragiles ont été endommagés, parfois détruits, et nous avons été attentifs, avec l'ensemble des élus, à pouvoir reloger ceux qui en avaient besoin, à débloquer des fonds d'urgence immédiats, pour pouvoir accompagner les plus vulnérables. En même temps, je veux dire que, dans le projet de loi que j'ai en préparation, sur la demande du président de la République et du Premier ministre, il y aura un volet logement très important, avec un soutien en matière de défiscalisation, et puis, des fonds du Gouvernement, inscrits dès la loi de Finances 2008, parce que, là où déjà, grâce à l'Agence nationale pour la rénovation urbaine, nous avons commencé à Fort-de-France, à Pointe-à-Pitre et ailleurs aussi, en outre-mer, je pense à Mayotte, je pense également à La Guyane, où...
QUESTION : Un effort sur le logement ?
Christian Estrosi :  ... j'étais la semaine dernière, il y a trois priorités en outre-mer : c'est une relance de l'activité économique, créer des conditions...
QUESTION : Des zones franches, notamment.
Christian Estrosi : ...créer des conditions de la compétitivité, parce que, trop longtemps, on a regardé l'outre-mer, je ne veux pas faire comme mes prédécesseurs, comme des lieux où il fallait inciter à la consommation. Pour moi, il faut faire de l'outre-mer, des outre-mer, des terres de compétitivité et d'excellence. Nous avons des ressources humaines et naturelles extraordinaires. J'ai fait retenir déjà deux pôles de compétitivité : un sur la santé tropicale en Guyane, un sur les énergies renouvelables, en Guadeloupe. Et puis, autre priorité, c'est le logement, en même temps que l'emploi, que les réseaux d'assainissement. Ce seront les trois priorités qui figureront dans mon projet de loi.
QUESTION : Alors, c'est le projet de loi, loi-programme pour le premier trimestre 2008, c'est bien cela ?
Christian Estrosi : C'est cela.
QUESTION : Qui doit généraliser d'ailleurs, dans les départements d'outre-mer, la formule des zones franches. Pourquoi relancer l'activité de la production plutôt que de soutenir la consommation des ménages ? Pourquoi ce choix-là ?
Christian Estrosi : Parce que je veux reconnaître à la Martinique, à la Guadeloupe, à la Guyane, à la Réunion, à la Nouvelle-Calédonie, à la Polynésie, le droit à l'excellence, à la production, à l'innovation, à la recherche, au développement. Pourquoi cela serait-il réservé à Rhône-Alpes, à Midi- Pyrénées, à l'Aquitaine, à Provence-Alpes-Côte d'Azur, alors qu'il y a là-bas des talents immenses, que nous avons des ressources naturelles qui représentent pour la France plus de 80 % de ce qui pourra nous permettre, en énergies renouvelables, en molécules pour fabriquer les médicaments du XXIème siècle, en biodiversité à travers notre espace maritime, qui est le deuxième espace au monde après celui des Etats- Unis, des richesses extraordinaires. Eh bien, permettons à nos compatriotes d'outre-mer de pouvoir revendiquer, de permettre à la France d'être un champion au monde dans tous ces domaines, et non pas d'être seulement des lieux de consommation. On a trop longtemps regardé l'outre-mer de cette manière. Ce n'est pas ma vision des choses.
QUESTION : On va parler d'un autre problème concernant l'Outre-mer, qui est un problème douloureux, celui de l'immigration clandestine. Fin juillet, des Comoriens clandestins sont morts en mer. Comment peut-on faire pour résoudre ce douloureux problème de l'immigration irrégulière par les départements et territoires d'outre-mer, qui se présentent comme autant de portes ouvertes vers la France ?
Christian Estrosi : Il y aura aujourd'hui à 14 heures, autour du président de la République, une réunion, autour du ministre, aussi, de l'Immigration et de l'Identité nationale, mon ami, Brice Hortefeux, et du Premier ministre, une grande réunion, où j'aurai ma contribution à apporter pour l'Outre-mer. Je veux que nous soyons sans faiblesse à l'égard de l'immigration en outre-mer, qui représente une grande part des flux migratoires irréguliers en direction de la France. Déjà, on a renforcé les moyens : des radars à Mayotte, des groupements d'intervention régionaux, où nous faisons agir de manière transversale, police, gendarmerie, magistrats, inspections du fisc, du travail, douaniers, etc., en Guyane. Je veux que nous installions ce type de groupements d'intervention régionaux aussi en Guadeloupe, que nous les installions aussi en Martinique, que nous les installions aussi à la Réunion, parce que c'est l'action transversale de l'Etat qui permettra de mieux lutter contre cela. Je veux veiller à ce que, en Guyane, où nous sommes un des rares territoires d'outre-mer continentaux, puisque le seul territoire en Amérique du Sud, et que nous avons une frontière avec le Surinam et le Brésil, en relation avec le Brésil et le Surinam, nous ayons des équipes de police conjointes pour lutter contre des réseaux maffieux. Nous avons affaire à des passeurs, nous avons affaire à des gens qui connaissent les lois françaises, qui les exploitent. Je me réjouis des dispositions de R. Dati, avec la baisse de l'âge de l'excuse de minorité, avec la lutte contre...
QUESTION : D'accord. Volet répression. Volet humain maintenant, politique de coopération aussi.
Christian Estrosi : Oui, et politique de coopération. Lorsque j'étais ministre délégué de N. Sarkozy au ministère de l'Intérieur, nous avons déjà engagé le débat sur la coopération et le co-développement. Je dis, par exemple, à la Fédération des Comores : nous sommes prêts à vous aider en matière de santé publique, en matière de constitution de réseaux d'assainissement, de développement économique, prendre un certain nombre d'enfants comoriens ou des îles d'Anjouan, pour qu'ils viennent étudier dans les universités françaises, mais c'est donnant-donnant. En échange de notre soutien, en même temps, vous devez veiller à contrôler vous-mêmes vos émigrants, en direction de Mayotte. C'est un exemple. On a passé des accords avec l'île de la Dominique, qui ne contrôlait pas les visas des Haïtiens, pour pouvoir se rendre en Guadeloupe. Eh bien nous voyons que l'émigration depuis Haïti vers la Guadeloupe est en réduction parce que la Dominique a accepté d'exiger des visas de la part des Haïtiens. Il faut continuer avec la Guyana, il faut continuer avec le Brésil, il faut continuer avec Cuba. Et ce sont ces politiques que j'entends proposer au président de la République, au ministre de l'Immigration, et qui, sans doute, nous permettrons d'endiguer considérablement les flux migratoires vers l'outre-mer.
QUESTION : Un tout dernier mot sur la Polynésie, qui souffre d'une situation politique insoluble. En deux ans elle a changé quatre fois de Président. Comment fait-on pour en sortir ?
Christian Estrosi : C'est vrai. C'est une grande semaine polynésienne pour moi, puisqu'à partir de ce matin, je reçois le président de la Polynésie, monsieur G. Tong Sang. Je recevrai tous les acteurs politiques de la Polynésie, je dis bien, tous, qu'ils se revendiquent de l'autonomie, qu'ils se revendiquent de l'indépendantisme. J'ai de la considération pour chacun d'entre eux, et je les remercie, pour chacun d'entre eux, d'avoir accepté mon invitation. Le président de la République m'a demandé de préparer un texte de loi qui modifie, à la fois, l'organisation institutionnelle, le mode de scrutin, pour assurer une majorité stable, et en même temps, une relance économique pour que nous puissions engager un contrat de projets de près de 140 millions d'euros avec la Polynésie...
QUESTION : Et sans dissolution de l'Assemblée ?
Christian Estrosi : Non, sans dissolution, parce que prononcer une dissolution, ce serait faire de l'ingérence dans les affaires politiques polynésiennes. Avancer le mode de scrutin, à partir du moment où il y aura un consensus et un texte de loi qui garantit une stabilité en Polynésie, oui, c'est le choix que nous avons fait.
 
Fabrice Drouelle : Merci Christian Estrosi.Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 20 août 2007