Déclaration de M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, notamment sur les priorités des présidences française, tchèque et suédoise de l'Union européenne et sur les relations franco-tchèques, à Prague le 20 septembre 2007.

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Circonstance : Déplacement en République tchèque les 20 et 21 septembre-rencontre avec la presse à l'ambassade de France, à Prague le 20 septembre 2007

Texte intégral

Ma visite à Prague a deux objectifs. Le premier est de lancer la préparation du programme de travail tripartite des présidences française, tchèque et suédoise. C'est un processus qui aboutira au mois de juin prochain. Il sera présenté ensuite au Conseil. Chaque présidence aura bien entendu des priorités propres.
Mais nous devons également définir ensemble quelques grandes lignes pour avoir un programme de travail commun. Au titre de ce second volet, nous avons déjà évoqué des pistes de réflexion, autour notamment des réformes à mener pour faire de l'Europe un acteur global, autour de l'énergie, du développement durable et du rapprochement de l'Europe et de ses citoyens. Nous devons encore discuter pour décliner plus précisément ces grandes lignes, car chaque pays aborde ces sujets avec sa propre sensibilité. La République tchèque accorde ainsi une priorité à l'intégration du marché intérieur. Nous le souhaitons également, mais dans un cadre cohérent, qui tienne compte également des intérêts propres à l'Europe sur le plan financier, économique, énergétique, agricole et social.
Le deuxième point d'accord, c'est de faire en sorte que nous ayons une politique de sécurité d'approvisionnement énergétique, et de diversifier les sources. La Suède et la France mettent d'avantage l'accent sur la lutte contre le changement climatique, un des buts majeurs de l'Union. Nous avons demandé à nos amis tchèques de se rallier à nous dans ce combat contre la lutte contre le réchauffement climatique, qui sera, sur le moyen terme, une des grandes priorités de l'Europe quels que soient les pays qui auront à assumer la présidence.
La troisième priorité a trait au fait que nous voulons rapprocher l'Europe des citoyens, faire en sorte que l'implication des citoyens soit plus forte, et la Présidence française en ce qui la concerne, sera une présidence citoyenne.
Mais, nous sommes au début du processus. A ce stade, ce sont des pistes de travail. Nous devons au niveau technique et politique développer cela avant le mois de juin. Nous ferons des rencontres régulières, dont la prochaine aura lieu en marge du Conseil Affaires générales de Luxembourg au mois d'octobre.
Sur le plan bilatéral, nous avons eu beaucoup d'échanges avec le Premier ministre, le vice-Premier ministre, le ministre des Affaires étrangères, M. Schwarzenberg. Je verrai tout à l'heure au déjeuner le Premier vice-ministre pour les Affaires étrangères.
Ce qui a été dominant dans nos échanges, c'est la discussion autour de la préparation de nos présidences, puisque nous serons chargés, notamment durant la Présidence française, de préparer la mise en oeuvre des nouvelles dispositions du traité en ce qui concerne la présidence stable du Conseil européen, le Haut Représentant pour les Affaires étrangères, et le service extérieur diplomatique commun.
De plus, comme je l'ai indiqué à nos amis tchèques, qui ne sont pas encore membres de la zone euro, il y a dans le traité des nouvelles dispositions qui visent à renforcer la coordination au sein de la zone euro. Nous avons donc une co-responsabilité sur la mise en oeuvre du nouveau traité dont nous souhaitons qu'il soit agréé politiquement au prochain Sommet de Lisbonne. Nous sommes en parfait accord, et nous avons convenu que nous devions rapidement signer ce nouveau traité.
L'autre voie importante, c'est d'autre part, tout ce qui a trait à l'énergie et nous souhaitons véritablement développer un partenariat stratégique avec la République tchèque. Nous avons également eu des discussions sur la politique de voisinage, sur les Balkans, le Kosovo et nos relations économiques, qui sont bonnes. Nous avons eu enfin un échange sur la politique européenne de défense et de sécurité commune, tant avec les interlocuteurs gouvernementaux qu'avec les parlementaires que j'ai rencontrés ce matin. Ma visite sera rapidement suivie de nouveaux contacts.
Le Premier ministre, M. Mirek Topolanek se rendra à Paris les 8 et 9 octobre et il rencontrera le président de la République. J'ai rappelé au Premier ministre toute l'importance qu'accordait le président de la République française au lancement, au Conseil européen de décembre, d'une réflexion sur le futur de l'Europe, sur les missions de l'Europe, son rôle, ses frontières, et les valeurs qu'elle porte dans le cadre d'un monde globalisé. Ces réflexions auraient lieu dans le cadre d'un groupe d'une dizaine de membres. Il sera très différent de ce qu'a été la Convention européenne - qui était très large et qui portait uniquement sur les institutions. Ce groupe n'a pas une nature politique, et ne reviendra pas sur la question des institutions de l'Union, car le nouveau Traité apporte sur ce point une réponse satisfaisante et permet d'avoir des institutions efficaces pour une Europe élargie.


Questions posées à M. Jouyet par les journalistes présents à la conférence de presse :
Q - Une question en ce qui concerne le réchauffement climatique : nous avons l'impression qu'il existe un décalage entre la priorité donnée à cette question par votre pays et par la République tchèque ?
R - Ce n'est pas le sentiment que j'ai eu. J'ai eu le sentiment que cela constituait un débat de politique interne en République tchèque, dans lequel je n'ai pas à interférer. Ce que nous avons fait valoir, c'est qu'au niveau européen, c'est une des priorités importantes de l'Union et qu'il y a une continuité à assurer. Dans le cadre du programme de travail de la Commission, ce sera une des priorités fortes. Sous la Présidence française, nous aurons à travailler dans le domaine environnemental sur le partage du fardeau, les permis d'émissions, la préparation du post-Kyoto, les mécanismes de mise au point des différents permis, l'incitation au développement des produits écologiques en Europe, les instruments fiscaux. Nous aurons un certain nombre d'accords politiques à trouver sous Présidence française.
Ce que j'ai expliqué, c'est que, quelles que soient les présidences, nous devons gérer la continuité et les grandes orientations de l'Europe. Sur la scène internationale, l'Europe a pris des engagements très forts sur l'augmentation des énergies renouvelables, la réduction du CO2 et dès lors que vous exercez une responsabilité en Europe, vous êtes conduits à assumer ce programme. C'est ce que nous ferons sous Présidence française, nous aurons une dizaine d'accords politiques à trouver rien que dans ce domaine environnemental et nos amis tchèques auront également à gérer, à présider des conseils dans ce domaine, et à trouver des accords pour faire avancer l'Europe.
Nous avons également en France des débats importants sur un certain nombre de sujets, et ce n'est pas pour autant que nous ne devons pas faire avancer les choses sur le plan européen. La relation entre environnement et compétitivité en France peut aussi être abordée différemment selon les formations politiques. Le degré de "politique verte" est aussi très différent en France. Cela ne nous empêche pas d'assumer nos responsabilités pour l'Europe. Nous avons un programme de travail de 18 mois, donc nous avons beaucoup parlé de développement durable pour tenir compte des difficultés de chacun, mais il appartiendra à chaque présidence de définir ses priorités.

Q - Une question concernant la Politique agricole commune : vous avez défini cela avec les Tchèques, et il y a des différences assez claires, est-ce qu'il existe des différences entre la position tchèque et la position suédoise ?
R - Il n'y a pas de grand désaccord entre les Tchèques et les Suédois sur la PAC. En ce qui nous concerne, le président de la République a indiqué qu'il désirait une refondation de la PAC et que sous Présidence française nous n'allons pas attendre l'échéance de 2013 pour moderniser la PAC, d'autant plus que nous sommes dans une situation de cours mondiaux qui est favorable et durablement favorable.
Ce que nous souhaitons, c'est moderniser la PAC de façon à mieux respecter les impératifs de sécurité alimentaire, les impératifs environnementaux, de faire en sorte d'avoir une agriculture plus compétitive, que nous puissions faire en sorte que, dans le cadre d'une PAC refondée, les agriculteurs puissent vivre de leur revenus ou d'avantage de leurs revenus que de subventions.
Pour cela il faut deux choses : la première, c'est avoir des garanties en termes de prix, la seconde, c'est avoir des échanges internationaux qui fassent en sorte qu'il y ait des accès parfaitement garantis aux produits européens en matière agricole dès lors qu'ils sont aussi compétitifs. C'est pour cela que nous n'avons pas changé de position en ce qui concerne les négociations commerciales internationales, nous considérons toujours que les propositions qui sont sur la table sont des propositions qui vont trop loin en ce domaine parce qu'elles affaibliraient la compétitivité de l'agriculture européenne par rapport à d'autres agricultures qu'il faut subventionner, notamment l'agriculture américaine.

Q - Avez-vous décidé avec vos interlocuteurs tchèques et suédois d'une politique commune en matière d'immigration ?
R - Oui, cela a été au centre des débats et je ne pense pas qu'il y ait de désaccords entre nous à ce sujet. Une des priorités de la Présidence française, partagée par de nombreux pays, est d'avoir des politiques communes en matière d'immigration et également en matière d'intégration de façon à répondre à des préoccupations du citoyen qui sont de plus en plus importantes. Nos partenaires tchèques comprennent très bien cela, il n'y a aucune divergence sur le sujet, cependant ils sont moins concernés, au sens anglo-saxon du terme, que les autres pays européens peuvent l'être, que ce soit au sud ou du côté allemand.

Q - Une des priorités de la Présidence tchèque est "l'Europe sans barrières". Avez-vous discuté de ce sujet avec vos homologues tchèques et quelle est la position française face à ce sujet ?
R - Nous, nous sommes pour une Europe ouverte, nous sommes d'accord avec les Tchèques pour dire qu'il faut cesser d'avoir des préjugés, ouvrir les mentalités, il faut qu'il y ait une Europe qui soit ouverte sur le plan culturel et de ce point de vue, j'ai beaucoup insisté pour que les trois présidences développent la saison culturelle européenne. C'est-à-dire que nos trois pays devront organiser des évènements culturels européens qui puissent faire en sorte que l'on renforce les échanges entre nos différentes cultures de façon à bien marquer ce qui est à la fois la diversité et la richesse culturelle de l'Europe.
Il n'y a pas d'Europe sans culture. Vous connaissez le fameux mot de Jean Monnet : "si j'avais à recommencer l'Europe, je recommencerai par la culture". Nos présidences doivent avoir, dans un esprit d'ouverture et d'échanges, une marque culturelle très forte. La France inaugurera ce principe de saison culturelle européenne et nous souhaitons que ce concept soit repris par les autres présidences à l'avenir. Bien sûr, "sans barrières", mais aussi sans naïveté : nous sommes ouverts à partir du moment où les autres le sont également et à partir du moment où l'ouverture se fait sur des bases de réciprocité et quand elle ne menace pas nos intérêts stratégiques.
Sur ces bases, nous sommes d'accord pour dire, avec les Tchèques et les Suédois, que la mondialisation c'est beaucoup plus d'opportunité que de menaces, c'est un jeu gagnant-gagnant. La seule différence qui existe est dans le degré d'organisation et de régulation de cette mondialisation : nous ne pouvons pas tout accepter dans le domaine financier, nous sommes pour une certaine régulation financière internationale, pour une transparence. Lorsque l'on supprime des barrières, il faut s'y préparer et les encadrer au profit des citoyens européens.

Q - Avez- vous parlé de l'adhésion de la Turquie ?
R - Oui, j'ai rappelé quelles étaient les positions du président de la République, qu'il a reformulées hier. Le président de la République estime que, en dépit des liens très forts qui nous unissent à la Turquie, du respect et de l'amitié que nous avons pour le peuple turc, des coopérations que nous développons avec la Turquie, la France n'est pas favorable à son adhésion à l'Union européenne. Mais nous avons dit également que, dès lors que les chapitres de négociation qui s'ouvraient respectaient les deux voies telles qu'elles ont été explicitées dans le Conseil européen de 2005, c'est-à-dire d'un côté l'adhésion et de l'autre coté le partenariat privilégié, nous pouvions négocier un grand nombre de chapitres.
Par conséquent, on ne peut plus dire que la France bloque le processus de dialogue avec la Turquie. Nous dresserons le bilan quand nous aurons discuté les 30 chapitres qui n'impliquent pas nécessairement une adhésion. Nous attendons un rapport de la Commission au mois de novembre sur l'état de progrès des réformes en Turquie. Tout le monde sera attentif à ce qui concerne les relations avec la République de Chypre, qui est un membre à part entière de l'Union.

Q - Avez-vous une idée pour améliorer le taux de participation aux élections européennes et améliorer l'implication du citoyen dans les institutions européennes ?
R - Nous souhaitons tous un plus fort taux de participation aux élections européennes. Nous avons indiqué à nos amis tchèques, dans les discussions que nous avons eues avec les "think tanks" ce matin et j'en avais déjà parlé à la conférence à l'Université Charles hier, qu'il faut associer les citoyens pendant les préparatifs de la Présidence, afin de permettre de mieux débattre sur les enjeux européens. C'est ainsi que nous renforcerons le taux de participation aux élections européennes. Je crois aussi que, comme nous l'avons appris à nos dépens en France, ce n'est pas en fustigeant l'Europe que nous amenons le mieux les citoyens à prendre conscience de la nécessité de participer au débat démocratique européen et des bienfaits de l'Europe. Nous devons faire preuve de pédagogie et assumer notre responsabilité politique à cet égard.

Q - Et en ce qui concerne les finances de l'Europe, qu'est ce que vous comptez entreprendre ?
R - C'est une bonne question, car nous allons devoir faire ce que l'on appelle la Revue des perspectives financières sous Présidence française. Ce que nous avons dit à nos partenaires tchèques et suédois c'est que nous souhaitions avoir une politique ambitieuse de réforme du budget européen, c'est-à-dire que nous voulons avoir un cadre d'analyse dans lequel nous pourrons évaluer ce que coûte et rapporte chacune des politiques européennes. Nous souhaitons que l'on évalue chaque euro dépensé au niveau européen, dans le cadre de ce qu'a proposé la Commission dans sa communication de la semaine dernière.
Nous devons également doter l'Europe d'un système de ressources adapté à ses besoins futurs. Nous voulons d'un côté travailler sur le long terme en ce qui concerne les dépenses et les priorités budgétaires européennes et d'un autre côté avoir un système de ressources stable, pérenne et équitable entre les Etats membres, car la France devient désormais avec l'Allemagne le premier contributeur net de l'Union européenne. C'est donc un sujet qui nous préoccupe. De ce point de vue nous souhaitons qu'en terme de recettes, on réfléchisse à une modernisation de notre système en fonction des facultés contributives de chacun.

Q - Vous avez parlé des renforcements des rapports culturels entre nos deux pays, envisagez-vous un programme commun dans le domaine de la culture entre la République tchèque et la France ? Je tiens à rappeler qu'à une certaine époque, la France et la Tchéquie avaient des liens culturels étroits...
R - Nous avons des liens culturels extrêmement forts et donc nous souhaitons, dans le domaine du théâtre, dans le domaine également de l'audiovisuel - nous sommes deux pays qui ont une grande tradition d'animation audiovisuelle, dans la littérature, puisque comme vous le savez nous sommes de grands admirateurs de la littérature tchèque, dans le domaine des arts modernes, de la créativité, nous souhaitons faire de nombreux échanges durant cette saison culturelle. Nous avons soumis différents projets aux autorités tchèques et c'est maintenant à elles de se déterminer sur ces projets.

Q - Durant votre présidence, comment-allez vous considérer la question du nucléaire ?
R - Nous sommes vraisemblablement d'accord sur le fait que l'un des aspects forts pour assurer la sécurité énergétique et atteindre nos objectifs en matière de CO2, est de reconnaître sa juste place à l'industrie nucléaire, sous l'angle notamment de sa sécurité et de la gestion des déchets. C'est d'autant plus le cas que dans le cadre d'une Europe à 27, vous avez un certain nombre de capacités nucléaires qui doivent être rénovées, modernisées, sécurisées et nous sommes tout à fait désireux que, dans le cadre du paquet énergétique, cet aspect nucléaire soit pris en compte.
Nous partageons également les mêmes préoccupations sur le paquet énergétique. Il est présenté par la Commission sous l'angle de la concurrence, et ne tient pas suffisamment compte des objectifs de sécurité et d'indépendance énergétique. C'est un paquet qui affaiblit les opérateurs européens et, compte tenu des modalités choisies, qui ne permet pas de garantir une baisse des prix au profit des consommateurs. Nous sommes très clairement en opposition avec les propositions faites par la Commission en matière de ce qu'on appelle l'"unbundling".

Q - Et que pensez-vous des énergies renouvelables ?
R - Nous ne l'avons pas évoqué mais nous sommes tout prêts à le faire : pour nous c'est une composante également importante des aspects agro-environnementaux et c'est un des aspects qui permet à la fois d'assurer une évolution de l'agriculture et de trouver de nouvelles sources d'énergies. Nous y sommes favorables et l'on espère que nos amis tchèques le sont également.

Q - Enfin, concernant l'agriculture : est-ce que vous avez abordé aussi le sujet du sucre, un thème particulièrement intéressant pour nous ?
R - Nous ne sommes pas entrés dans ces détails jusqu'à présent, mais M. Barnier est venu récemment à Prague et il a eu l'occasion d'évoquer à la fois la question du sucre et du vin avec le ministre de l'Agriculture et avec M. Vondra.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 octobre 2007