Interview de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, à "RMC" le 1er octobre 2007, sur la "démarche d'ouverture" de Nicolas Sarkozy et les tentations de Jack Lang, la mise en place du nouveau système d'heures supplémentaires, les besoins de la Fonction publique et la grève du 13 octobre prochain.

Prononcé le 1er octobre 2007

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

J.-J. Bourdin.- Des parlementaires UMP trouvent qu'il y a trop d'hommes ou de femmes de gauche autour du président de la République. Vous êtes d'accord avec eux ?

R.- Où ils les ont vus ? Je crois que cette "démarche d'ouverture" - puisque c'est des mots qui avaient été choisis par N. Sarkozy - elle n'est pas finalement bonne pour la démocratie. Pourquoi ? Parce que les Français ont voté, ils ont choisi une majorité, ils ont mis la gauche dans l'opposition. Normal que la majorité puisse appliquer sa politique et que la gauche puisse la contester pour, demain, être en situation de gouverner. Et quand on essaye de confondre les lignes, de faire perdre les références, plus personne ne s'y retrouve.

Q.- Et que dites-vous à J. Lang qui rêve d'aller participer à une mission, même peut-être d'entrer au Gouvernement ?

R.- S'il est d'accord avec la politique actuelle, qu'il y aille. S'il n'est pas d'accord...

Q.- S'il y va, il sera exclu du PS ?

R.- Comme les autres. Je veux dire que ce n'est même pas la peine d'en parler, cela va de soi. Quand on est en dehors de sa famille politique, on se met forcément à côté de ce qu'est un engagement. Mais nous n'en sommes pas là et je n'ai pas encore entendu J. Lang aller aussi loin qu'on le dit.

Q.- Le président de la République qui se rend à Neuilly pour introniser son porte-parole pour les prochaines municipales, cela vous a fait réagir ? Vous avez vu l'image ?

R.- Cela m'a amusé. Neuilly-sur-Seine n'était pas connu comme une ville contestatrice des orientations du président de la République. Et là, on avait presque l'impression d'une émeute, d'une manifestation, parce que N. Sarkozy, comme un prince qui gouverne y compris Neuilly-sur-Seine, était venu adouber l'un, en l'occurrence son porte-parole, pour écarter l'autre, et cela ne faisait visiblement pas plaisir aux militants. Mais au-delà de cette anecdote, je pense qu'il y a un moment, quand on est président de la République, on ne doit pas se mêler de tout.

Q.- Les heures supplémentaires défiscalisées, c'est mis en route aujourd'hui. Est-ce que cette mesure était une bonne idée au départ : aider les Français à travailler plus pour gagner plus ?

R.- Je pense que ce qu'il faut c'est que toute la France travaille plus. On a besoin de davantage de travail, c'est un fait. Si on veut avoir plus d'activités...

Q.- Dans le privé comme dans le public ?

R.- Oui. Si on veut avoir plus d'activités économiques, plus de croissance, il faut qu'on travaille tous plus. Mais cela veut dire quoi "tous plus" ? Cela veut dire qu'il y a déjà bon nombre - deux millions, deux millions cinq cent mille - qui ne sont pas du tout au travail. Ce sont les chômeurs. Il y en a d'autres qui rentrent trop tard sur le marché du travail, beaucoup de jeunes, et notamment à travers les activités intermittentes, les petits boulots. Et puis, il y en a d'autres qui sortent trop tôt du marché du travail. A 53, 54, 55 ans, on leur dit : vous n'avez plus votre place. Donc, la première exigence c'est de faire travailler tous ceux qui aujourd'hui travaillent peu ou ne travaillent pas. Alors, après, il y a ceux qui sont dans l'emploi. Qu'il y ait des heures supplémentaires, il y en a toujours eus, y compris lorsque se sont appliquées les 35 heures. Et depuis 2002, il y a eu deux lois adoptées par la majorité actuelle, qui ont assoupli les 35 heures. C'est-à-dire qu'on peut faire jusqu'à 220 heures par an d'heures supplémentaires. Donc qu'on ne me dise pas qu'on ne peut pas faire d'heures supplémentaires. Alors, maintenant, est-ce qu'il vaut mieux les rémunérer ? Tant mieux si notamment dans les PME, maintenant, les salariés vont être rémunérés non plus à 10 % de plus en heures supplémentaires mais à 25 %. C'est un progrès, c'est finalement une forme de généralisation des heures supplémentaires. Mais si c'est au détriment de l'emploi, alors cette mesure peut avoir des effets pervers. Si on fait travailler plus ceux qui sont dans l'emploi et que c'est au détriment de l'embauche, l'économie française n'y gagnera pas. Ensuite, cette rémunération supplémentaire...

Q.- Vous croyez donc que cette loi aura un effet pervers ?

R.- Elle peut en avoir un, bien sûr, si la tentation pour des chefs d'entreprise, et on peut les comprendre, au nom d'un calcul économique - c'est payé par l'Etat, parce que c'est l'Etat qui paye la sur-rémunération des heures supplémentaires à travers les exonérations des cotisations sociales et les baisses d'impôts - donc si les chefs d'entreprise, finalement utilisent aujourd'hui les heures supplémentaires plutôt que d'embaucher des jeunes ou des moins jeunes, on va voir que la France, globalement, ne travaillera pas autant qu'il serait souhaitable.

Q.- Dans l'entreprise, celui va faire des heures supplémentaires gagnera plus !

R.- Oui.

Q.- Donc, cela veut dire consommera plus.

R.- Pour celui-là. S'il avait déjà des heures supplémentaires et qu'il était dans une grande entreprise, il avait déjà sa rémunération de 25 % supplémentaire. Là, il va gagner l'équivalent de ce qu'il paye en cotisations sociales. Donc, pour cela-là ou pour celle-là, il y aura...

Q.- S'il paye des impôts.

R.-... S'il paye l'impôt sur le revenu. Donc, pour celui-ci, ou pour celle-là, reconnaissons-le, il y aura un petit plus. Un petit plus pour celui-là ou pour celle-là. Rien pour ceux qui ne font pas d'heures supplémentaires. Par définition, rien pour les salariés qui aspirent à travailler davantage, parce qu'il y a aussi beaucoup de salariés qui sont à temps partiel, on n'en parle pas. Mieux vaudrait faire travailler plus ceux qui sont à temps partiel.

Q.- Est-ce que vous pensez que c'est un pari tenté par le Gouvernement ? Et est-ce que vous pensez que ce pari sera perdu avant même que la mesure ne soit concrètement mise en place ?

R.- C'est un pari qui est déjà coûteux puisque cela va coûter 6 milliards d'euros à l'Etat, si les heures supplémentaires, même si elles n'augmentent pas en nombre, sont rémunérées plus avec ces exonérations de cotisations sociales et ces baisses d'impôts. Donc c'est déjà un pari coûteux. Mais moi je ne suis pas là pour dire qu'il va être perdu. Parce que finalement, on va regarder, on voir, on va constater. Moi j'ai donné mes arguments. Cela va être aussi une formidable usine à gaz, tout le monde le dit. Pour beaucoup de chefs d'entreprise notamment de PME, ça va être beaucoup de paperasses, beaucoup d'évaluations, de comptes-rendus à donner, et de vérifications. Beaucoup de chefs d'entreprise ne sont pas favorables, paradoxalement, à cette mesure. Donc, on va voir mais laissons cette mesure se faire, puis après, on constatera. Je crois que ce sera notre rôle que d'évaluer ce dispositif. Pour l'instant, je l'estime coûteux, peu productif, même avec des effets pervers.

Q.- Très vite, les déficits publics. Je vous ai écouté lors de vos derniers passages dans les différents médias, vous dites : il faut faire des économies partout où c'est possible. "Partout où c'est possible" cela veut dire même dans la fonction publique ?

R.- Là où il y a des administrations qui n'ont plus à servir le public avec le même effectif, bien sûr.

Q.- Comment fait-on ?

R.- On redéploie, puisque chaque année, on va avoir 70.000 à 80.000 fonctionnaires qui vont partir en retraite. Donc, on peut recruter des fonctionnaires là où on en a le plus besoin : éducation, sécurité, justice...

Q.- On ne remplace qu'un fonctionnaire sur deux qui part à la retraite ?

R.- C'est une mesure purement quantitative. Cela n'a aucun sens par rapport aux besoins de service public. Dans certaines administrations, il faut recruter plus, dans d'autres, il faut recruter moins. D'abord, je ne suis pas du tout pour ces méthodes d'affichage où d'ailleurs on ne tient pas l'objectif, puisqu'on nous avait dit "un fonctionnaire sur deux partant à la retraite ne serait pas remplacé", puis maintenant, on nous dit "un sur trois". Pourquoi un sur trois ? Pourquoi pas un sur deux ? Mais peut-être qu'il faut simplement regarder où sont les besoins. Mais je voudrais peut-être dire un mot à vos auditeurs. Je crois qu'hélas, aujourd'hui, il faut bien mesurer ce qui est le handicap principal de l'économie française : c'est la compétitivité des entreprises. On a plus de 30 milliards de déficit de balance commerciale. Qu'est-ce qu'il faut faire ? Il faut mettre véritablement le paquet sur la recherche, l'innovation, l'investissement des entreprises. Et nous, si nous avions été aux responsabilités, là en ce moment- ça n'aurait pas été forcément facile, vu de gauche - nous aurions baissé l'impôt sur les sociétés pour les entreprises qui investissaient. On aurait relevé l'impôt sur les sociétés pour les entreprises qui distribuaient sous forme de dividendes. Il faut que les entreprises se musclent, il faut que les entreprises se renforcent, sinon comment on tient dans la mondialisation. Alors, on ferait des cadeaux, toujours pour baisser les cotisations sociales ? Et comment sera financée la protection sociale ? Non, il faut que les entreprises soient plus productives. Voilà aujourd'hui ce qu'aurait dû être la priorité, plutôt que de faire des cadeaux fiscaux. 15 milliards d'euros qui ont été distribués, là pendant l'été, aux plus favorisés, et aux heures supplémentaires détaxées, puisqu'il n'y aurait pas 6 milliards...

Q.- Et aux heures supplémentaires, parce qu'il n'y a que le paquet fiscal...

R.- Il y a les deux.

Q.- Il y a les deux.

R.- Il aurait mieux valu utiliser cette somme pour véritablement favoriser l'investissement.

Q.- Il y a une grève annoncée dans les transports SNCF et RATP le 18 octobre. Est-ce que vous soutenez ce mouvement d'action, vous au PS ?

R.- Oui, je pense que ce mouvement d'action, ce n'est pas nous qui devons l'organiser...

Q.- Nous sommes d'accord. Mais est-ce que vous le soutenez ?

R.- Si ce mouvement d'action, soyons clair, est pour dire qu'il faut une négociation poussée, entreprise par entreprise, c'est un mouvement qui mérite d'être entendu. Si c'est simplement...

Q.- D'être entendu ou d'être soutenu ?

R.-...Soutenu, parce qu'il faut une négociation poussée...

Q.- Vous vous associez à cette grève ?

R.- Nous, nous n'avons pas à nous associer, nous sommes un parti politique. Nous ne sommes pas là pour...

Q.- Vous avez votre avis sur la question ?

R.- Mon avis c'est si ce mouvement s'engage pour dire "nous, on veut une vraie négociation, on veut que la pénibilité soit le critère principale dans la négociation sur les régimes spéciaux" - d'ailleurs comme dans la négociation future sur le régime général, c'est autour de la pénibilité et c'est à travers une démarche de négociation -, ce mouvement mérite d'être entendu. Si en revanche, c'est de dire : "non, pas de réforme, jamais de réforme, aucune réforme", alors je pense que ce mouvement ne pourra pas, lui, être entendu. Mais j'ai cru comprendre que les syndicats étaient plutôt, aujourd'hui, sur négociation et pénibilité comme critères. [...]

Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 1er octobre 2007