Entretien de M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, à I-Télé le 7 octobre 2007, sur l'affaire EADS, la Turquie et l'Europe et sur l'avenir du Traité européen simplifié.

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Média : I-télévision

Texte intégral

Q - L'invité politique de ce matin c'est M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'Etat aux Affaires européennes. Il fait parti de la fameuse ouverture de M. Sarkozy. C'est un peu comme au rugby. On va parler de cette ouverture, on va parler bien évidemment de la Présidence française qui se prépare pour l'Europe, mais d'abord un mot d'EADS. Vous avez vu ce matin la bombe du Figaro, un délit d'initié massif. 1.200 cadres sont concernés que se soit du côté français ou du côté allemand également. Votre point de vue sur cette affaire, qui semble colossale ?
R - Si ces faits sont confirmés, ils sont extrêmement graves. Ils montrent la nécessité de déboucher sur une moralisation de la vie financière. Ils montrent la nécessité d'être extrêmement rigoureux en ce qui concerne le gouvernement des entreprises, d'avoir une plus grande transparence. Ces faits doivent être sanctionnés avec la plus extrême fermeté, je répète, si tout cela est confirmé. Il y a une enquête de l'AMF, qui a très bien fait son travail et a transmis le dossier à la justice. C'est donc à la justice de se prononcer. Mais si cela est confirmé, ce sont des faits extrêmement graves.
Je rappelle, néanmoins, en ce qui concerne EADS, que les dirigeants ont changé. Nous sommes maintenant face à un groupe qui a été restructuré pour éviter les problèmes de prises de décisions. Cela reste, au niveau européen, une aventure extrêmement importante, notamment pour le franco-allemand.
Q - C'était quand même le joyau... C 'est la journée de l'amitié franco-allemande.
R - C'est la fête nationale d'Allemagne.
Q - Il va y avoir du "rififi" avec cette affaire là sur la table ?
R - Que se soit du côté allemand ou du côté français, ce qui est important pour les autorités politiques c'est de travailler sur la transparence et sur la moralisation de la vie financière. C'est pour cela qu'Angela Merkel et le président Sarkozy ont, à l'égard de nos collègues européens, déposé un "mémorandum" pour faire en sorte que ce type d'excès, cette espèce d'exacerbation dans laquelle nous vivons sur le plan financier, les excès qu'entraîne la bulle financière, puissent être davantage encadrés.
Q - Jean-Pierre Jouyet, on entend ce message sur la moralisation du capitalisme, de la vie financière et de la gouvernance des entreprises. Ce que souligne quand même l'Autorité des Marchés financiers, c'est que l'Etat n'a encore une fois, visiblement, pas joué son rôle. Ou en tout cas, il a laissé des actions se vendre. Ce rapport dit clairement qu'en avril 2006, Lagardère et Daimler Chrysler, un français et un allemand, vendent 15 % de leurs actions avec le feu vert de Bercy, avec le feu vert de Thierry Breton. Est-ce que, là, il n'y a pas une responsabilité politique ? Sur laquelle il faudra également rendre des comptes ?
R - Il ne vous a pas échappé que je n'étais pas à Bercy, que je n'étais pas ministre de l'Economie et des Finances.
Q - Est-ce que cela vous semble être une faute ?
R - Je n'ai pas tous les éléments. Ce qui est vrai, c'est que l'Etat est actionnaire à hauteur de 15 % d'EADS. Il faudra voir, et, à la suite d'une enquête, déterminer ce qui a été fait à l'époque. Je suppose que les responsables s'expliqueront sur cette question, je ne crois pas que l'Etat ait vendu à ce moment là.
Q - Pas à notre connaissance... Il y a un fonctionnaire qui l'a recommandé mais qui apparemment n'a pas été suivi.
R - Cela est autre chose, mais il n'y a pas eu, sur le plan politique, de ventes d'actions de la part de l'Etat.
Q - L'Etat sait qu'une entreprise va mal, que des comptes vont être publiés qui sont des comptes en négatif, en berne, qui vont faire chuter l'action d'autant que Thierry Breton est un chef d'entreprise, il sait de quoi il parle. Il y aura du retard et malgré tout, il autorise des grands groupes à vendre leurs actions. Il y a quand même une responsabilité ?
R - C'est une responsabilité d'actionnaire, ce n'est pas une responsabilité d'Etat. Si cette responsabilité d'actionnaire a été prise, c'est à la justice de dire ce qu'il conviendra d'en être fait. L'Etat est actionnaire, ce qui montre d'ailleurs qu'il vaut mieux distinguer ce qu'est le rôle d'un Etat qui régule la vie financière et de ce point de vue, je le répète, il faut être encore plus sévère et plus transparent, et ce que sont les responsabilités d'un Etat actionnaire. Les deux doivent être parfaitement distingués.
Q - C'est l'ancien Haut fonctionnaire, l'ancien patron du Trésor qui parle.
Est-ce que vous avez renoncé à des choses ou, au contraire, est ce que le fait d'être un ministre d'ouverture a fait basculer Nicolas Sarkozy ? On pense évidemment à la Turquie, vous avez soutenu qu'il fallait supprimer de la Constitution l'article 88-5, qui oblige à un référendum pour les nouveaux entrants dans l'Union européenne. Evidemment il s'agit de la Turquie, on ne va pas se mentir. Nicolas Sarkozy a été très ferme pendant la campagne, il a dit : "Non, c'est non, ce n'est pas la peine que l'on en discute, c'est terminé" et là, il a l'air de dire d'abord qu'il ne peut pas se retirer des discussions. Et, éventuellement, cette idée de référendum supprimé fait son chemin. Est-ce que c'est grâce à vous Jean-Pierre Jouyet ? Ou est ce que Ségolène Royal avait raison ?
R - D'une part, j'ai beaucoup de respect pour Ségolène Royal. L'important pour moi, lorsque j'ai fait cette proposition, c'était de faire en sorte que l'on garde, dans la Constitution, le choix qui existait antérieurement à l'article 88-5. C'est à dire ou le référendum, ou la ratification parlementaire. J'ai pris des exemples qui ne concernaient pas la Turquie.
Q - Oui, vous avez pris la Suisse et la Norvège ça n'a rien à voir...
R - C'est important puisque vous connaissez bien votre histoire, il y a eu des référendums sur l'adhésion des grands pays, notamment, celle de la Grande-Bretagne en 1972. Sur la Turquie, il appartiendra au Président de la République, si la proposition que j'ai faite est suivie, de décider ce qu'il doit faire. Et pour un grand pays, ce n'est pas choquant de procéder par voie référendaire.
La position du président de la République reste la même, il l'a répété avec constance, il n'est pas favorable à l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne, ce qui n'empêche pas un dialogue étroit avec la Turquie. Je suis favorable à ce dialogue étroit avec la Turquie, ce n'est pas un scoop. Bernard Kouchner l'est également. Le troisième élément, c'est que nous continuons les négociations avec la Turquie à partir du moment où les deux voies sont maintenues. C'est-à-dire le partenariat privilégié ou l'adhésion de la Turquie. Cela permet quand même de négocier 30 des 35 chapitres.
Q - La France va prendre la présidence de l'Union européenne le 1er juillet prochain, sans doute pour la dernière fois d'ailleurs, puisque s'il rentre dans les formes, le traité simplifié, alors il y aura une présidence stable.
R - C'est juste.
Q - Ma première question est : est-ce que ce traité simplifié est prêt ? On dit qu'il est bouclé ?
R - Il est techniquement prêt. Nous espérons que le projet de traité modificatif sera soumis aux responsables politiques au Conseil européen de Lisbonne des 18 et 19 octobre. C'est-à-dire, pour ne pas tourner autour du pot, qu'un compromis technique a été trouvé.
Nous souhaitions que la Conférence intergouvernementale soit la plus technique, la plus juridique possible, puisque l'accord politique, grâce aux efforts du président de la République et de Mme Merkel avait été trouvé lors du Conseil européen de juin dernier. Maintenant, on ne peut que se réjouir que sur le plan technique, que cela soit prêt.
Q - Raisonnablement, sous présidence française, c'est 6 mois une présidence on le rappelle, est-ce qu'on peut voir adopté ce traité simplifié, vous êtes raisonnablement optimiste ?
R - Oui, on est raisonnablement optimiste sur le fait que l'on trouve un accord au prochain conseil européen et que ce traité soit signé dans les mois qui viennent. En ce qui concerne la France, le président de la République a indiqué que nous souhaitons procéder à la ratification le plus rapidement possible, par voie parlementaire. Le président de la République l'a indiqué au cours de sa campagne électorale et nous espérons que l'ensemble de nos partenaires seront en mesure de ratifier ce traité avant 2009 ou, du moins, avant les élections européennes de 2009. Ce qui fait que sous présidence française, nous aurons à mettre en place, à anticiper un certain nombre de dispositions de ce traité, dont la présidence stable dont vous avez parlé, dont le Haut Représentant aux Affaires étrangères qui sera le véritable ministre des Affaires étrangères de l'Europe. Enfin, il y a beaucoup de travail à faire durant cette Présidence française qui commencera le 1er juillet 2008.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 octobre 2007