Interview de Mme Rama Yade, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères et aux droits de l'homme, à LCI le 12 octobre 2007, notamment sur les tests ADN, les évacuations de tentes de SDF, la loi sur l'immigration, la France et l'Afrique et sur les droits de l'homme en Birmanie et en Chine.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

C. Barbier.- R. Yade, bonjour. Le feuilleton des tests ADN continue. Le Gouvernement veut que la version du Sénat avec contrôle par la justice soit adoptée. Est-ce qui ne serait pas plus simple de retirer cet amendement ?
 
R.- Je crois qu'il faut respecter le pouvoir d'amendement du Parlement. C'est quand même un pouvoir constitutionnel. Déjà qu'on dit que le Parlement dans ce régime n'a pas la place qu'il mériterait d'avoir. Donc, je crois qu'il ne faut pas non plus trop malmener les parlementaires. Et un équilibre a été trouvé, c'est tant mieux ! Et on va sur la voie de l'apaisement.
 
Q.- Quand F. Fillon parle de "détail" et répète, dit "c'est un détail", est-ce que ce n'est pas un peu léger tout de même ? C'est plus qu'un détail, c'est un fort symbole !
 
R.- Je ne crois pas que ce qu'il ait voulu dire est de toucher à un symbole par rapport à J.-M. Le Pen. Je suis même absolument sûre que...
 
Q.- A part cette polémique, c'est quand même important !
 
R.- Je trouve que c'est une polémique qui est née, vraiment, de pas grand-chose, parce que ce qu'il a voulu exprimer, c'était l'idée selon laquelle que cette loi est quand même importante. Elle couvre divers sujets. Et puis, soudain un amendement, qui en plus n'est pas venu du Gouvernement, provoque l'ire généralisée. Et cela qui, je pense, l'a interpellé. Mais, le reste est une question de mot. Mais il est évident que tout ceci n'a absolument rien à voir avec l'extrême droite, J.M Le Pen... Et il se trouve que c'est une de ces polémiques un peu inutiles dont nous avons le secret en ce moment.
 
Q.- F. Bayrou devrait aller, comme F. Goulard, UMP, au meeting dimanche au Zénith contre ces tests ADN où ils retrouveront S. Royal et F. Hollande. Cela vous choque ces hommes de droite qui vont aider la gauche ?
 
R.- Chacun se définit comme il le veut. Je ne sais pas si F. Bayrou se définirait comme un homme de droite. Je crois qu'il se définit comme un homme du centre. Chacun est libre. Nous, nous avons un Gouvernement d'ouverture, avec des hommes de gauche, du centre, de droite. Et donc, de ce point de vue, nous n'avons pas à nous soucier de ce que peuvent penser les autres. Chacun se positionne comme il le souhaite.
 
Q.- Et que répondez-vous à E. Macias, ardent soutien de N. Sarkozy dans la présidentielle, qui dit aujourd'hui : " cet amendement est honteux, il faut arrêter" ?
 
R.- Je crois qu'on a largement modifié cet amendement à l'Assemblée nationale et au Sénat. Vous savez, ce qui s'est passé par rapport au texte initial. Ce n'est pas un texte qui est obligatoire. Il y a l'autorisation d'un juge qui est nécessaire. Le temps d'expérimentation sera moins important. Le test ne se fera pas rapport à la mère et pas au père. Enfin, je crois qu'il a été tellement encadré qu'on ne peut pas comparer le texte auquel on a abouti avec celui qui a été proposé au départ.
 
Q.- Le retrait de l'amendement sur les limites pour l'accueil des Sans-papiers dans les centres d'hébergements d'urgences, ce retrait vous l'approuvez, vous êtes satisfaite ?
 
R.- Je pense qu'à partir du moment où il y a incompréhension, à partir du moment où il y a un risque de désarroi dans certaines parties de la population même sans-papiers - ce n'est pas parce que vous êtes sans papier qu'on n'a pas droit à un minimum de dignité - je crois que dans ce sens, c'est une bonne chose si on va dans cette voie.
 
Q.- Vous aviez provoqué la polémique en rendant visite à des squatteurs à Aubervilliers. Cette fois-ci, on ne vous voit pas là où les SDF ont installé des tentes, tentes qui sont systématiquement évacuées par les CRS. C'est un dossier qui vous gêne maintenant ?
 
R.- Non absolument pas. C'est que je ne suis pas en charge des affaires sociales. Je suis en charge, sous l'autorité de B. Kouchner et avec mes collègues au qui d'Orsay, de la politique étrangère de notre pays.
 
Q.- Les droits de l'homme en France, cela existe aussi. Et le droit au logement est un droit de l'homme ?
 
R.- Cela existe aussi. Mais simplement, moi mon geste à Aubervilliers était un geste symbolique, pour montrer que je me suis préoccupée, symboliquement, certes, de la question des droits de l'homme en France pour pouvoir mieux rebondir dans notre message universel à l'étranger. Mais vous comprenez bien que je ne peux pas intervenir sur les sujets qui relèvent de mes collègues. Parce que je n'ai pas les services qui sont derrières. Imaginez, j'interviens et alors et après ? Je n'ai pas les services du logement avec moi, je n'ai pas les services du ministère de l'Intérieur, etc.
 
Q.- Comme citoyenne, les évacuations de tentes comme ça, cela vous choque un peu ?
 
R.- Je ne peux pas... Attendez ! Je ne m'appartiens absolument plus. Je ne peux pas me prononcer en tant que citoyenne comme ça à tout bout de champ. J'engage un Gouvernement. Donc, je suis obligée quand même de tenir compte de cela. En même temps des moyens. Et les moyens ne sont pas dans les ministères dont j'ai la charge. Ils sont ailleurs. Donc, si c'est pour juste dire des choses comme ça, cela n'a absolument aucun sens, parce que je serais incapable de mettre en pratique une prise de position, puisque les services concernés ne sont pas au Quai d'Orsay. Et donc, je suis vraiment en charge de la politique étrangère sous l'autorité de B. Kouchner et pas de la politique intérieure.
 
Q.- F. Amara, elle, elle s'exprime comme citoyenne. Bien qu'étant dans le Gouvernement, elle a dit "dégueulasse" pour la loi sur l'immigration. Vous lui avez parlé, vous la soutenez, vous la critiquez ?
 
R.- Je ne sais pas si elle c'est exprimée en tant que citoyenne, puisque je trouve que quand elle est intervenue, c'était peut-être au titre de la politique de la Ville, des Banlieues, où de l'Immigration a quand même une part importante. Donc, elle n'était pas illégitime à se prononcer sur le dossier. Moi, j'ai beaucoup de respect et d'amitié pour F. Amara, c'est quelqu'un que je ne connaissais pas avant, et qui est d'une extrême tendresse et d'une extrême générosité. Donc, je n'ai pas envie de participer à un lynchage médiatique contre elle. Absolument pas ! Voilà. Elle a exprimé quelque chose avec son coeur, puisque le mot employé a été fort, mais je pense que cela venait du fond d'elle-même. Maintenant, cela a eu le mérite au moins d'ouvrir un dialogue entre ces ministres d'ouverture qui nous apportent beaucoup, et la majorité. Parce que ce sont deux populations qui ne se connaissaient pas, et qui aujourd'hui vont se retrouver régulièrement pour justement mettre en discussion leurs positions.
 
Q.- B.-H. Lévy traite H. Guaino de "raciste", Guaino lui répond qu'il est "un petit con prétentieux". Lequel a raison, lequel a tort ?
 
R.- Je ne crois pas que cela se pose en ces termes. Et tout ça est parti du discours de Dakar.
 
Q.- Vous étiez à Dakar. Sur le fond, ce discours était une erreur, il était mal ficelé ?
 
R.- En fait, le discours quand je l'ai lu, je peux vous assurer que je n'ai pas été frappée par tout ce que l'on dit aujourd'hui. C'est-à-dire que les phrases dont on parle - "le paysan africain bloqué dans l'histoire, etc." constituent trois, quatre phrases d'un discours de vingt, trente pages.
 
Q.- C'est une gaffe ?
 
R.- Non, non, non. Je ne qualifierais pas ça de gaffe. L'esprit de ce texte n'est pas du tout ce qu'on dit. Je trouve que c'est un texte extraordinaire. Il faut le lire en entier ce texte-là. Et après, on verra que ce sur quoi on débat, constitue trois, quatre phrases sur un discours de vingt-cinq pages. Et donc, dans ce discours, N. Sarkozy condamne la colonisation, dit que les colonisateurs ont fauté, qualifie et fortement l'esclavage de crime contre l'humanité, appelle la jeunesse africaine à se saisir de son destin. Même le Président T. Mbeki s'en est lui-même félicité. Donc, je ne crois pas qu'on puisse réduire ce discours à trois lignes. Non. Ce serait injuste !
 
Q.- Vous vous rendez aujourd'hui au forum des femmes où se tient un hommage à Aung San Suu Kyi, la Birmane. Le Conseil de sécurité de l'ONU vient de se contenter d'une déclaration non contraignante déplorant la répression. Vous êtes fâchée contre l'ONU ?
 
R.- Je ne suis pas fâchée contre l'ONU. J'ai découvert les Nations unis, concrètement, la semaine dernière en me rendant à l'Assemblée générale des Nations unies. C'est un endroit quand même où les pays du monde entier se retrouvent pour discuter des affaires du monde. Ce n'est pas évident. Alors c'est vrai que sur la question birmane, moi j'attends plus que des condamnations, parce qu'on condamne depuis quand même trois semaines. Et maintenant, qu'est-ce qu'on fait ?
 
Q.- Les parlementaires veulent y aller. Est-ce que vous pouvez aller en Birmanie avec les parlementaires ?
 
R.- Avec plaisir. Simplement, nous sommes en discussion aujourd'hui avec les généraux birmans pour pouvoir savoir à quel moment le faire. Parce qu'évidemment, ils n'ont pas forcement envie qu'un étranger pointe le bout de son nez au moment où ils répriment. Mais, nous maintenons la pression, parce que le simple fait de demander à avoir accès à ce pays est une pression qui est forte. Cela veut dire qu'on n'abandonne pas la Birmanie, cela veut dire que nous restons mobilisés sur le sujet. Je suis allée aux Etats-Unis pour aller demander aux Américains comment on peut faire preuve d'imagination sur ce dossier. On a parlé avec les Européens de la manière dont on peut concrètement aider les dissidents, pour pouvoir aller au-delà, finalement, des déclarations d'intention ou des condamnations. Parce que je crois que les dissidents ont besoin de savoir que la communauté internationale continue à regarder ce qui se passe, que la communauté internationale ne les abandonne pas et qu'ils ne sont pas seuls.
 
Q.- Vous devriez aller en Chine également avec le président de la République à la fin du mois. La Chine est-elle une dictature, comme vous l'aviez laissé entendre en septembre ?
 
R.- Je n'ai jamais dit cela. Je n'ai jamais dit ça. Ce que je regrette profondément, c'est qu'à chaque fois qu'il y a un débat dans ce pays, il en est des Français pour se lever et dire que la France est un pays qui ne respecte pas les droits de l'homme. Et j'ai dit : la France n'est pas la Chine, la France n'est pas la Russie et la France n'est pas une dictature. Cela ne veut pas dire...
 
Q.- Donc, la Chine ne respecte pas vraiment les droits de l'homme ?
 
R.- Evidemment, il y a plein de sujets sur lesquels la Chine ne respecte pas les droits de l'homme : le nombre de prisonniers politiques, la liberté d'expression, c'est quand même pas des choses que j'annonce et qui sont nouvelles, tout le sait.
 
Q.- Vous leur direz cela aux interlocuteurs chinois ?
 
R.- Moi, quand j'ai l'occasion, je le fais à chaque fois. Vous savez, j'ai demandé... par exemple, l'un des premiers gestes quand je suis arrivée au secrétariat d'Etat, c'est de rencontrer le Président du CIO qui organise les jeux Olympiques à Pékin. Parce que je pense qu'il faut saisir l'occasion de ces jeux Olympiques pour faire pression sur la Chine. Parce que la Chine ne s'appartient plus et devra incarner le visage de l'olympisme, c'est-à-dire du monde entier, aussi bien des régimes un peu plus autoritaires que des régimes démocratiques. Et tout le monde doit s'y reconnaître. C'est donc maintenant ou jamais. Pour moi, il est absolument important que sur le Soudan, sur la Birmanie et sur beaucoup de dossiers de ce genre là, la Chine fasse un effort. Parce que la Chine prétend à être un pays, une puissance globale. Etre une puissance globale ce n'est pas seulement faire des affaires, investir. C'est aussi être responsable, c'est assumer des responsabilités pas rapport au reste du monde. Et donc, c'est ce à quoi on veut inviter la Chine, parce que c'est à l'honneur des Chinois que d'aller dans ce sens.
 
Q.- Vous deviez en parler avec N. Sarkozy. Serez-vous candidate aux municipales en mars 2008 à Colombes, à Corbeil ou ailleurs ?
 
R.- J'aimerais bien être candidate aux municipales parce que je pense qu'il est important d'avoir une assise territoriale pour avoir une légitimité, être au contact des gens, les entendre, ne pas se couper des personnes et préserver une certaine authenticité. Néanmoins, on va en parler aujourd'hui. Donc, je vous tiens au courant sur la suite des épisodes.
 
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 12 octobre 2007