Déclaration de M. Lionel Jospin, Premier ministre, sur le rôle des associations de tourisme social, le financement du tourisme social par les chèques vacances, les mesures fiscales et la réhabilitation du patrimoine immobilier des associations du tourisme social, Paris le 6 mai 1999.

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Circonstance : Etats généraux du tourisme social et associatif à Paris le 6 mai 1999

Texte intégral

Madame la ministre,
Mesdames et Messieurs,
Cher(e)s ami(e)s,
Je suis heureux de vous rejoindre aujourd'hui, alors que vous venez d'inaugurer ces Etats généraux, pour la réalisation desquels vous avez travaillé plusieurs mois, afin d'évoquer les perspectives qui s'ouvrent à un secteur important du monde associatif français et, à travers lui, à une dimension essentielle de notre société. Notre pays est riche d'un tel patrimoine naturel et culturel que chaque parcelle de son territoire offre au voyageur une source d'intérêt, un lieu de repos, un espace de loisir.
Parce que la France est la première destination touristique au monde, le tourisme est aujourd'hui un des pôles de notre compétitivité, un atout majeur pour notre commerce extérieur, un important gisement d'emplois. Mais ni vous ni moi ne voudrions réduire le tourisme à sa seule dimension économique. Le tourisme est d'abord l'une des traductions concrètes d'un droit ' droit au repos, aux loisirs, à la détente ', d'un droit auquel trop de nos concitoyens n'ont toujours pas accès. C'est là une injustice.
(I) Une injustice que vous vous attachez à réparer, et c'est pourquoi je veux d'abord rendre hommage au travail accompli par tous les acteurs du tourisme social et associatif. (II) Pour vous aider à mieux lutter encore contre cette injustice, (III) le Gouvernement épouse les priorités qui vous animent et forment votre identité.
I ' Les associations de tourisme social ont aidé des millions de Français à conquérir un " droit aux vacances ".
C'est bien une conquête sociale qu'il a fallu mener. Sous des formes spécifiques et au risque de me faire taxer d'anachronisme, le " tourisme " ne date pas d'hier. Romains se consacrant aux loisirs de l'"otium", patriciens de Venise "en villégiature", Lords anglais inventant le "Grand Tour " : tous étaient des aristocrates. Les rentiers du XIXème siècle se firent "touristes " pour imiter ces moeurs de la noblesse. Certes, vers 1930, la révolution des transports avait étendu aux classes moyennes aisées cette toute relative démocratisation des voyages.
Mais pour les travailleurs, le temps restait compté, encadré, discipliné. Il ne pouvait être qu'un temps productif. Car " l'oisiveté " des plus pauvres était considérée comme perverse et dangereuse. Et si du temps libre leur était accordé, avec parcimonie, c'était uniquement pour maintenir l'efficacité de leur travail.
C'est un véritable " droit à la paresse ", avec Paul LAFARGUE, qu'il fallut d'abord affirmer. C'est tout simplement " du temps pour soi " que les classes populaires ont réclamé. C'est un " droit aux vacances " qu'il fallut enfin faire reconnaître. En 1936, grâce au gouvernement du Front populaire de Léon BLUM, la réduction du temps de travail et les " congés payés " furent un moment hautement symbolique de ces luttes. La philosophe Simone WEIL saluait alors " le joug desserré ", la joie se répandait sur les routes, les plages et les campagnes de France. Pour la première fois en Europe, la loi accordait universellement un droit aux vacances.
Pour que ce droit devienne réalité, il fallait encore donner à tous les moyens de l'exercer. Les acteurs du tourisme social ont joué là un rôle décisif.
En cinquante ans, avec créativité et imagination, votre mouvement a considérablement développé le tourisme social. Je ne retracerai pas devant vous votre propre histoire. Mais je voudrais rappeler les valeurs que vous portez.
Solidarité : celle des fondateurs et des premiers animateurs bénévoles, comme des premiers adhérents volontaires de vos associations.
Convivialité : la chaleur de l'accueil, un vaste brassage social, de nombreux espaces de vie commune, qui contribuent à faire " mieux vivre ensemble " vos adhérents.
Liberté : écoles de participation démocratique, vos associations ont su répondre à l'aspiration de nos concitoyens à une plus grande liberté de choix.
Surtout, la créativité des associations a permis de suppléer à la grande dispersion des sources de financement du tourisme social, de s'adapter aux fréquents changements de politiques, d'accompagner les évolutions de la demande de loisirs, toujours plus exigeante et plus diversifiée. Vous avez imaginé les solutions financières qui permettaient de réunir autour d'un même projet les contributions venant de multiples sources 'Etat, Caisse nationale d'allocations familiales, organismes sociaux, collectivités locales et établissements financiers. Vous avez su faire face à la diminution des aides à la pierre, ainsi qu'aux réorientations de l'aide aux personnes.
Aujourd'hui, vos 1.200 associations gèrent plus de 240.000 lits et accueillent chaque année 6 millions de vacanciers, réunis autour des valeurs de solidarité, de convivialité et de liberté qui ont façonné l'identité du tourisme social.
II ' Cette identité, le Gouvernement entend la préserver avec vous afin de faire reculer l'inégalité devant les vacances.
Réduire cette injustice demeure aujourd'hui un impératif. 40 % de nos concitoyens ne partent pas en vacances. Or partir en vacances, c'est affirmer que l'on appartient, à égalité de droits, à la collectivité de ceux qui peuvent s'offrir ces moments de liberté. La crise a creusé le fossé qui sépare ceux qui " partent " de ceux qui " restent ". Pour ces derniers, que les urgences de la vie quotidienne absorbent, les loisirs, le voyage, ne peuvent pas devenir un projet. Faute de moyens, bien sûr. Faute aussi de croire encore légitime l'envie de vacances : dans notre imaginaire social, les congés disparaissent avec la perte de l'emploi.
Une politique volontaire en faveur du tourisme social est donc indispensable. Pour lutter contre la mise à l'écart de ces " exclus des vacances ". Pour que ceux qui se sentent enfermés dans leur quartier puissent connaître d'autres horizons, par exemple grâce au programme " Vacances ouvertes ", qui aide 1.000 jeunes en difficulté à construire leur projet de vacances et à devenir plus autonomes. Pour soutenir les jeunes qui veulent créer leur emploi, notamment dans les professions du tourisme, comme le fait l'Union Nationale des Foyers de Jeunes Travailleurs dans ses réseaux d'initiatives locales et d'emplois en milieu rural.
Les moyens dont dispose le tourisme social et associatif doivent être adaptés. Le patrimoine à votre disposition vieillit. Les fonds que les collectivités publiques peuvent mettre à votre disposition ne sont pas inépuisables.
Mais c'est une politique globale qu'il convient de mener. Réduire le temps de travail et donner à tous les moyens de partir en vacances sont des aspects complémentaires d'une même politique. Celle-ci entend donner à chacun " du temps pour soi " : du temps pour vivre, du temps pour s'engager dans les associations, du temps qui ne soit pas uniquement voué à la production marchande. Intégrer les associations au projet local de développement touristique, c'est aménager le territoire autrement. Aider les jeunes des cités à découvrir d'autres paysages et d'autres milieux sociaux, c'est contribuer à une nouvelle politique de la ville.
III ' Voilà pourquoi le Gouvernement a fait des objectifs du tourisme social autant de priorités.
L'objectif de solidarité est au coeur de votre action : il est également le nôtre. En particulier, la loi de lutte contre les exclusions du 29 juillet 1998 a fait de " l'égal accès de tous, tout au long de la vie, aux vacances " un objectif national.
Pour traduire cette solidarité dans les faits, de nouvelles mesures sont prises. Dans cet esprit, une " Bourse Solidarité vacances " rapprochera, dès 1999, les professionnels du tourisme, les associations caritatives et les comités de chômeurs. Elle mettra en commun les moyens et les comp??tences de chacun : elle donnera aux moins fortunés une chance de rompre avec leur quotidien.
Le dispositif des chèques vacances allie la liberté de choix à la solidarité. Le Gouvernement a donc présenté un projet de loi, que la Secrétaire d'Etat au Tourisme, Michèle DEMESSINE défend avec toute la conviction que chacun lui connaît, pour étendre le bénéfice du chèque vacances aux salariés des petites et moyennes entreprises de moins de cinquante personnes. Ce texte élargira encore le champ de votre action.
Pour préserver la convivialité, il faut entretenir les lieux où elle s'exprime. Les moyens accordés au tourisme, dans le budget de l'Etat, avaient baissé de près d'un cinquième entre 1993 et 1997 'de 430 à 355 millions de francs. Le tourisme social associatif a souffert de ce désintérêt. Nous avons décidé un nouvel effort de solidarité. Pour l'aide à la pierre, tout d'abord : dans le cadre du plan patrimoine, le Gouvernement a doublé, dès le budget 1998, les crédits consacrés à la réhabilitation du parc immobilier des acteurs du tourisme social et associatif. Par ailleurs, les fonds de l'Agence nationale pour le chèque vacances sont affectés à la réhabilitation des sites à vocation sociale ou familiale et à des actions de solidarité.
Enfin, préserver votre identité, c'est clarifier votre régime fiscal. Je sais que cette préoccupation s'est exprimée dans vos groupes de travail. Par la publication de l'instruction fiscale du 15 septembre 1998, le Gouvernement a souhaité mettre fin à une trop longue période d'insécurité fiscale pour les associations. Les critères objectifs définis dans ce texte permettent de distinguer les associations dont l'activité est réellement non lucrative 'qui sont l'immense majorité', des autres. Ces critères recouvrent largement la notion d'utilité sociale, à laquelle vous êtes, à juste titre, attachés. S'il apparaissait que des difficultés d'application subsistaient, nous les examinerions dans l'esprit des orientations que j'ai présentées aux Assises Nationales de la Vie Associative, le 21 février dernier, et des travaux qui les prolongent.
Afin d'amplifier notre effort, tous les outils à notre disposition seront mobilisés. L'Etat maintiendra les moyens engagés pour réhabiliter le patrimoine existant. Mais d'autres initiatives sont nécessaires. La réflexion que vous avez engagée dans ces Etats généraux sera précieuse. Elle permettra d'imaginer de nouvelles formes de solidarité. L'approfondissement de ces pistes de réflexion nécessitera une coordination plus étroite avec l'ensemble des acteurs du tourisme social, notamment les comités d'entreprise.
Mesdames et Messieurs,
Chacun a le droit de partir en vacances. Mais il faut que tout le monde ait les moyens de le faire.
Donner corps au droit de partir en vacances, de découvrir des paysages nouveaux, de s'épanouir dans la recherche de sensations neuves, c'est s'efforcer de faire partager à chacun, le temps d'un voyage, la qualité de moments de loisir qui font que la vie vaut la peine d'être vécue. C'est reconnaître aux plus démunis la dignité que leur dénie souvent une société marchande dont ils sont exclus. C'est s'attacher à restaurer le lien social qui fonde notre République.
Cette oeuvre irremplaçable de justice, vous y contribuez chaque jour. Soyez assurés de notre détermination à vous aider dans une tâche dont nous partageons les valeurs.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 10 mai 1999)