Déclaration de M. Christian Poncelet, président du Sénat, sur la situation financière des départements depuis la mise en place de la décentralisation et des transferts de compétences de l'Etat vers les collectivités territoriales, Marseille le 17 octobre 2007.

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Circonstance : 77ème congrès de l'assemblée des départements de France à Marseille (Bouches-du-Rhône), le 17 octobre 2007

Texte intégral


Monsieur le Président de l'Assemblée des Départements de France, cher Claudy LEBRETON,
Monsieur le Maire de Marseille, cher Jean-Claude GAUDIN,
Monsieur le Président du Conseil général des Bouches-du-Rhône, cher Jean-Noël GUÉRINI,
Mesdames et Messieurs les présidents de Conseil général,
Messieurs les Parlementaires,
Monsieur le Préfet,
Mesdames, Messieurs,
Chers amis,
C'est avec beaucoup de joie et de plaisir que je vous retrouve aujourd'hui, à Marseille, dans cette ville dont le renouveau et le dynamisme doivent beaucoup à l'action de mon ami Jean-Claude GAUDIN.
Permettez-moi de saluer cordialement le président de l'Assemblée des Départements de France, Claudy LEBRETON, et mon collègue, le président du Conseil général des Bouches-du-Rhône, Jean-Noël GUÉRINI, qui nous accueille dans son département à l'occasion du 77ème congrès de l'ADF.
Je tiens aussi à adresser mes très sincères et amicales salutations à tous mes collègues sénateurs qui me font l'honneur et le plaisir de leur présence.
En tant que Président du Sénat, assemblée parlementaire à part entière investie d'une mission exigeante de représentation des collectivités territoriales, je me réjouis de participer, une nouvelle fois, à ce traditionnel rendez-vous institutionnel et républicain.
Situé à mi-chemin entre des élections nationales et des scrutins locaux, qui verront notamment se renouveler nos assemblées départementales, ce Congrès constitue le moment idéal pour faire le point et porter un regard objectif et prospectif sur la décentralisation en France avec, pour baromètre, l'état de santé de nos départements.
Ce regard, je veux le porter avec la hauteur que mérite un sujet qui dépasse les frontières politiques traditionnelles et transcende les clivages partisans.
Et quelle ville pouvait mieux que Marseille être aujourd'hui l'hôte de ce rendez-vous ?
Marseille, en effet, incarne la décentralisation. Elle puise dans ses racines méridionales cette fierté qui lui confère la volonté naturelle de s'administrer librement.
Et puis, bien sûr, Marseille, c'est cette ville qui eut pour premier magistrat, durant plus de tente ans, l'un des pères de la décentralisation, le regretté Gaston DEFFERRE.
Enfin, comment pourrais-je ne pas rappeler que c'est ici même, à Marseille, en juin 2001, à l'occasion des États généraux des élus locaux de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, que nous avions appelé -avec Jean-Claude GAUDIN, Jean-Noël GUÉRINI et tous les sénateurs de la région- à l'avènement d'une véritable République des territoires.
Inscrite dans le marbre de notre Constitution à l'initiative du Sénat, la décentralisation fait aujourd'hui partie intégrante de notre patrimoine commun.
Pour les décentralisateurs convaincus que nous sommes, il ne s'agissait pas d'effacer d'un trait de plume des siècles d'histoire et de culture jacobines, mais bien de confondre notre pays à la réalité du monde qui l'entoure.
Car dans un monde « globalisé », souvent perçu comme une menace, dans une Europe qui a un peu perdu de sa faculté à faire rêver, dans une France qui peine à retrouver confiance en elle, les collectivités territoriales constituent pour nos concitoyens tout à la fois un ancrage, un repère et un refuge.
Elles jouent, par ailleurs, un rôle déterminant pour le maintien du lien social et le développement économique.
Ainsi, le département constitue tout à la fois cet espace d'expression des solidarités garantes de la préservation du pacte républicain et ce lieu de conception des grands projets d'aménagements structurants dont notre pays a tant besoin.
Collectivité territoriale dont l'action et le savoir-faire sont appréciés et reconnus, le département incarne, à l'évidence, une institution bien vivante.
Néanmoins, force est de reconnaître que cette vivacité, cette vitalité, les départements la payent au prix fort !
N'ayant pas pour habitude de manier la langue de bois, j'irai -comme on le dit à Marseille- « droit au but » : nos départements sont aujourd'hui dans une situation budgétaire préoccupante.
Comment pourrait-on le nier, les départements ne disposent pas de marges de manoeuvre suffisantes pour enrayer l'inflation de leurs charges et ajuster leurs recettes.
Que les choses soient claires ! Il ne s'agit pas de stigmatiser l'action d'un gouvernement ou d'un autre.
La vérité, c'est que pour tous les gouvernements qui se sont succédés -de gauche comme de droite-, les transferts aux collectivités territoriales ont souvent constitué une vraie voie de délestage pour l'État.
L'État a ainsi transféré aux départements des dépenses très dynamiques, notamment en matière sociale (APA, RMI, prestation handicap...). Et ces dépenses, ces charges, sont bien plus dynamiques que les ressources attribuées en contrepartie.
Je le dis sans ambages : si rien ne change, alors « nous irons dans le mur ».
A mon sens, la solution passe par le renforcement de l'autonomie des collectivités territoriales. C'est une « absolue nécessité ».
Ce renforcement de l'autonomie que j'appelle de mes voeux, c'est tout simplement l'application réelle et concrète des principes constitutionnels de libre administration des collectivités territoriales et d'autonomie fiscale.
Cela passe d'abord par une plus grande autonomie de gestion des compétences transférées. Cela passe ensuite par une meilleure prise en compte des charges induites par les transferts de compétences ou par certaines décisions de l'État. Cela passe enfin par l'octroi de moyens financiers adaptés à la décentralisation.
En effet, je considère, en premier lieu, que les leviers mis à la disposition des collectivités territoriales restent insuffisants. Ce constat est particulièrement édifiant à l'échelon départemental, s'agissant des politiques de solidarité.
Or, les départements n'ont pas vocation à devenir des sous-traitants de l'État.
Il convient donc de leur donner de véritables marges de manoeuvre, comme la possibilité de moduler certaines prestations ou de créer de nouveaux dispositifs incitatifs, complémentaires ou supplétifs qui soient pleinement adaptés au tissu économique et social local.
Car faire le pari de la décentralisation, c'est aussi accepter que les politiques publiques soient liées aux spécificités des situations locales, qui sont par nature différentes d'une collectivité à l'autre.
Je pense, en deuxième lieu, que de trop nombreuses charges viennent grever les budgets locaux sans que les collectivités puissent les juguler.
C'est notamment le cas de certaines réglementations d'origine nationale ou européenne, sur lesquelles les collectivités n'ont aucune emprise. C'est aussi le cas des recrutements de personnels supplémentaires qu'exige l'exercice de certaines responsabilités.
A cet égard, l'association des élus locaux à l'élaboration des normes, dans le cadre de la nouvelle Conférence nationale des exécutifs, que vient d'installer Monsieur le Premier ministre, constitue un véritable motif de réjouissance et d'espérance.
Enfin, j'estime, en troisième lieu, qu'il y a urgence à rénover -j'allais dire à refonder- le financement des collectivités territoriales.
Et la mort programmée du contrat de croissance et de solidarité ne fait que renforcer cette exigence.
A titre personnel, je considère que ce nouveau « contrat de stabilité », qui lie l'indexation des dotations à la seule inflation (soit plus 1,6 % pour 2008), constitue une décision de bonne gestion -de « bon père de famille »- compte tenu de la situation de nos finances publiques.
En effet, il ne paraît pas anormal que les collectivités territoriales participent également à l'effort global de maîtrise des dépenses publiques.
Et j'ai la conviction que les départements sont prêts, comme les autres collectivités, à accepter ces nouvelles règles du jeu en matière d'indexation des dotations.
Mais il faut, en retour, que l'État joue lui-même véritablement le jeu de la décentralisation en octroyant aux collectivités territoriales des moyens financiers qui lui soient pleinement adaptés.
La consécration de l'autonomie fiscale des collectivités territoriales dans notre Constitution, à l'initiative du Sénat, puis la définition d'un seuil « plancher » par catégorie de collectivités constituent une avancée considérable, une garantie sans précédent.
Cette étape essentielle franchie, il convient désormais de doter les collectivités territoriales d'impôts locaux modernes, justes et dynamiques.
Il en va de leur capacité à assumer toutes leurs responsabilités !
Il en va de l'avenir de la décentralisation ! Ni plus, ni moins !
Je me réjouis de la volonté de Monsieur le Premier ministre de mener à bien cette réforme. Je sais que François FILLON est un homme déterminé qui mettra toute son énergie pour faire aboutir cette réforme cruciale et capitale de la fiscalité locale.
A mon sens, toutes les pistes méritent d'être explorées. J'en évoquerai rapidement deux.
Première piste : le partage d'impôts nationaux entre l'État et les collectivités territoriales. Je rappelle qu'aucun impôt n'appartient par essence à l'État !
Pourquoi ne pas considérer, par exemple, la CSG comme un impôt particulièrement bien adapté au financement des dépenses sociales des départements ?
Seconde piste : la spécialisation des impôts locaux par niveau de collectivité. A mon sens, la spécialisation permettrait de simplifier l'architecture de la fiscalité locale et contribuerait à renforcer la lisibilité démocratique de notre système fiscal.
Bien sûr, sa mise en oeuvre devrait veiller à la « mixité » de la ressource fiscale.
Il convient, en effet, de garantir, pour chaque niveau de collectivité, la faculté de lever un impôt assis sur l'activité économique en plus de l'impôt à la charge des ménages.
A défaut, la spécialisation des impôts locaux présenterait l'inconvénient structurel de rompre le lien entre entreprises et territoires. Et les élus locaux ne le souhaitent pas. Moi non plus !
Quels que soient les choix qui seront opérés, la réforme de la fiscalité locale devra se faire -c'est une exigence- à périmètre fiscal constant et à niveau de prélèvement identique.
La réforme envisagée devra également veiller à ne pas creuser les inégalités territoriales et impliquera la mise en oeuvre de nouveaux mécanismes de péréquation.
La « revue générale des prélèvements obligatoires », à laquelle Monsieur le Président de la République a demandé au gouvernement de s'atteler, devrait favoriser l'ouverture de ce vaste chantier de la fiscalité locale.
Voilà, mes chers collègues, ce que je voulais vous dire aujourd'hui, à Marseille.
Comme vous l'aurez compris, je considère le renforcement de l'autonomie locale et la réforme des financements locaux comme des préalables indispensables à la poursuite des transferts de compétences entre l'État et les collectivités territoriales.
Je soutiens donc la décision du gouvernement de procéder à une pause dans les transferts de compétences et je partage pleinement sa volonté de redéfinir le cadre des relations entre l'État et les collectivités territoriales.
A cet égard, je forme le voeu que la mission de réflexion confiée à notre collègue sénateur Alain LAMBERT permette de tracer de nouvelles perspectives ambitieuses et audacieuses de nature à rassurer les élus locaux et satisfaire leurs légitimes attentes.
Je compte également sur les travaux réalisés par l'Assemblée des Départements de France avec l'Association des Maires de France et l'Association des Régions de France pour nourrir le débat et porter de nouvelles idées en la matière.
Vous pouvez compter sur moi, vous pouvez compter sur le Sénat, « avocat éclairé » des collectivités locales, ardent « défenseur des territoires », pour poursuivre son action en faveur d'une décentralisation juste et aboutie, dont les départements constituent un acteur et un atout majeurs.
Je vous remercie. Source http://www.senat.fr, le 22 octobre 2007