Entretien de M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, avec Europe 1 le 20 octobre 2007, notamment sur le Traité européen simplifié.

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Circonstance : Conseil européen, à Lisbonne (Portugal) les 18 et 19 octobre 2007

Média : Europe 1

Texte intégral

Q - Vous étiez donc hier et jeudi à Lisbonne aux cotés du président Sarkozy. Il y a encore un mois, est-ce que vous auriez imaginé que l'adoption d'un nouveau Traité de l'Europe serait accueillie dans une telle indifférence, pour ne pas dire apathie, du débat politique ?
R - Je ne suis pas d'accord avec vous, parce que lorsque vous regardez les commentaires, ils saluent le fait de mettre fin à quinze ans de blocage institutionnel c'est une étape importante dans la construction européenne. On essayait depuis quinze ans, depuis ce qu'on appelle le Traité de Maastricht de mettre ça véritablement sur les rails, c'est fait aujourd'hui. On a un cadre durable et efficace de prise de décisions au niveau européen.

Q - Alors qu'est ce que vous dites ce matin aux Français qui avaient dit "non" en majorité à la Constitution européenne et qui voient là avec ce Traité, revenir par la fenêtre au moins une bonne partie de ce qu'ils avaient fait sortir par la porte ?
R - C'est une évidence de le dire, mais ce n'est pas un traité constitutionnel. Nous n'avons plus de Constitution. C'est un traité qui modifie d'autres traités, qui offre un cadre durable et stable de prises de décisions au niveau européen, qui est plus démocratique puisque le rôle du Parlement européen a été également renforcé. C'est un Traité qui donne une Europe plus visible sur la scène internationale. Il y aura un président stable, il y aura une sorte de ministre des Affaires étrangères européen. Je crois que pour les années à venir, nous avons un cadre véritable de décisions. Cela maintient également les avancées sociales qui étaient voulues par ceux qui avaient voté "non" à la Constitution.

Q - Oui, mais Valéry Giscard d'Estaing dit le premier que la France n'a pas obtenu les changements qui étaient réclamés par une partie de ceux qui ont voté "non". Il souligne que, par exemple, la référence à une concurrence libre et non faussée figure toujours dans le projet. Il souligne que la primauté du droit européen sur notre droit est réaffirmée.
R - Si je peux me permettre c'est un peu paradoxal. Valéry Giscard d'Estaing est l'homme qui a voulu la Constitution, qui a fait la Convention....

Q - Mais qui regarde à quoi on aboutit...
R - On aboutit au fait que, premièrement, il n'y a pas de Constitution, c'est la première chose par rapport à ceux qui ont voté "non". Deuxièmement, la concurrence n'est plus une finalité de l'Union européenne. Cela l'était dans le projet de la Constitution, cela ne l'est plus aujourd'hui. Le fait qu'il y ait primauté du droit communautaire sur le droit national est une constante du droit national et communautaire. Ce serait remettre en cause l'esprit des pères fondateurs et ce qu'a été le Traité de Rome. Ce serait quand même paradoxal.

Q - Il dit aussi que le vrai vainqueur c'est la Grande-Bretagne, qui va pouvoir continuer à jouir encore plus d'un statut particulier.
R - Est-ce que vous voulez être au service de l'Europe et être au coeur de l'Europe ? C'est le but de la France et c'est pour nous une priorité absolue. Par rapport à la mondialisation, l'Europe est un point de passage obligé pour la France. La Grande-Bretagne a choisi de se mettre en marge, je pense que ce n'est pas une bonne chose. Mais c'est la responsabilité des Britanniques, ce n'est pas la nôtre.

Q - Cela dit, à peine arrivé dans vos fonctions, vous avez dit que le drapeau européen allait être au-dessus du Quai d'Orsay aux cotés du drapeau français. Là vous avez mis une fiction au-dessus du Quai d'Orsay puisque le drapeau européen n'a même pas d'existence juridique.
R - Mais les symboles doivent être faits pour être utilisés et doivent vivre. J'estime que ce qui s'est passé le 14 juillet, le fait qu'il y ait un drapeau européen sur le ministère des Affaires étrangères et européennes, ce que nous avons fait avec Bernard Kouchner est aussi important dans la prise de conscience des populations que le fait d'avoir des symboles juridiques abstraits qui ont cristallisé les choses. C'est toute la différence d'approche entre ce qui est fait aujourd'hui et ce qui a été tenté hier.

Q - Alors, Jean-Pierre Jouyet, pourquoi pas un nouveau référendum ?
R - D'une part, le président de la République a été extrêmement clair pendant sa campagne électorale. C'est une ratification par voie parlementaire. Plus de 23 pays dans l'Union européenne, la très grande majorité des pays, vont procéder de cette manière. D'autre part, j'allais dire un référendum pourquoi ? Qui le demande ? J'ai entendu un appel à un référendum pour que l'on s'abstienne. Je trouve cela un peu baroque comme idée.

Q - Vous l'avez entendu dans les rangs du parti socialiste, vous êtes un ministre de l'ouverture. Quand vous avez été nommé, vous avez dit que s'il y a bien une cause qui justifie l'ouverture, c'est bien l'Europe. Là dans le vote que vont faire les députés et les sénateurs, est ce que ce qui va se jouer pour vous, c'est un nouvel acte de l'ouverture ?
R - Je maintiens que ce qui justifiait l'ouverture et, pour moi, ce qui justifie l'ouverture, c'est l'Europe. J'en suis encore plus convaincu aujourd'hui. C'est un combat vraiment important et je suis certain que dans le processus de ratification, au-delà des clivages traditionnels, il y aura un rassemblement des Européens pour pouvoir porter ce Traité qui est véritablement une chance pour la relance de la construction européenne.

Q - Mais les socialistes qui vont ratifier ce Traité, est ce qu'ils deviendront pour vous, de ce fait, acteurs de l'ouverture ?
R - Je n'ai pas dit cela. Il faudra leur demander. Je souhaite que sur ces sujets il y ait l'ouverture la plus large possible et le rassemblement le plus large possible. Parce qu'il y va également de l'influence de la France en Europe, plus nous serons nombreux, plus nous serons là, plus nous serons influents dans le cadre européen c'est-à-dire dans un cadre international.

Q - Mais sur un plan intérieur, lorsque vous réfléchissez à ce que sera la politique de demain, est-ce que vous imaginez que le clivage sur l'Europe pourrait l'emporter sur le clivage droite-gauche ?
R - Je crois que le clivage sur l'Europe est de plus en plus réduit. Quand vous regardez les grands enjeux, sur ce plan là, on va trouver des majorités élargies au regard de la construction européenne. Le Traité a été signé par des gouvernements socialistes, libéraux, conservateurs. Il a été signé par un ensemble de pays de sensibilités différentes. En France, vous aurez la même chose. Je crois qu'effectivement il y a plus de chances de rassemblement sur l'Europe et que cela va au-delà du clivage droite-gauche.

Q - Si, par hypothèse, il y avait un référendum, pas seulement en France mais dans tous les pays de l'Union européenne, on sait déjà que le Traité ne serait pas ratifié. Ça, est ce que ce n'est pas le vrai problème de l'Europe de reposer sur des textes mais pas sur l'opinion publique ?
R - Mais c'est comme dans un certain nombre de domaines, c'est vrai que ces textes par nature sont difficiles. Ce qui est très difficile, c'est que quand vous utilisez le référendum, ce qui est à usage interne l'emporte sur la vraie question qui est soulevée dans le cadre de ce référendum. C'est pour cela que j'ai dit qu'il ne fallait pas qu'il y ait de référendum systématique. Notamment, sur les élargissements futurs. Quand vous êtes européens et que vous croyez à cette cause, vous ne pouvez pas faire dépendre l'Europe d'enjeux intérieurs ou de petits calculs partisans.

Q - La France va l'an prochain assurer la présidence de l'Europe, cela se prépare longtemps à l'avance. Sur quels sujets avez-vous envie dès maintenant de mettre le paquet ?
R - Il faut mettre le paquet sur l'énergie, sur la lutte contre le changement climatique qui est extrêmement importante. Puis il y a un sujet, moi, qui me tient à coeur, qui est très concret c'est de faire en sorte que l'on développe tout ce qui est échange pour les jeunes au niveau européen, ce qu'on appelle les projets Erasmus et les élargir. Aujourd'hui c'est réservé à une élite universitaire. Moi, ce que je souhaite, c'est que les jeunes puissent accomplir des stages professionnels, puissent, quel que soit leur niveau de qualification, quel que soit leur niveau de vie, passer quelque temps dans tous les pays européens et là on aura une nouvelle génération européenne et cela changera.

Q - Juste un dernier mot sur les tests ADN, vous aviez dit : "Que penseraient les Français, si pour leurs visas on les contraint aux même obligations ? Cela a fait moins de bruits que l'adjectif de Fadela Amara, cela s'est révélé aussi inefficace, c'est un échec. Vous le ressentez comme un échec ?
R - On verra ce que sera la suite du processus en ce qui concerne les tests ADN. Moi je maintiens ma position...

Q - Vous pensez au Conseil constitutionnel, là ?
R - Moi je maintiens ma position sur les tests ADN, je ne l'ai pas modifiée.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 octobre 2007