Déclaration de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, des finances et de l'emploi, sur les mesures déjà prises et les nouvelles mesures à envisager pour augmenter le pouvoir d'achat des revenus salariés, réduire les coûts du travail et favoriser le retour à l'emploi des salariés fragiles, Paris le 23 octobre 2007.

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Circonstance : Conférence sur l'emploi et le pouvoir d'achat au Centre de conférences de Bercy à Paris le 23 octobre 2007

Texte intégral

Messieurs les Ministres, Cher Xavier, cher Luc, cher Martin
Messieurs les Présidents
Mesdames et Messieurs les Secrétaires généraux,
Mesdames et Messieurs les Secrétaires nationaux,
Mesdames et Messieurs les Secrétaires confédéraux,
Mesdames et Messieurs,

Je tiens à vous remercier pour votre participation, et pour la qualité des contributions des uns et des autres tout au long de cette journée qui a vraiment été, comme nous le souhaitions tous autour de cette table, une journée de travail et d'échanges sur les enjeux centraux pour notre pays que sont l'amélioration de la situation de l'emploi et le retour à une croissance partagée par tous.
Conformément à l'objectif que nous nous étions donnés ce matin en ouvrant nos travaux, il me semble que nous sommes désormais en mesure de nous fixer, sur les différents sujets que nous avons décidés d'inscrire à l'ordre du jour de cette séance inaugurale de notre cycle de travail, une feuille de route pour les mois à venir et d'en fixer, dans l'esprit de la loi du 31 janvier 2007 sur la modernisation du dialogue social, les lignes forces, les principales étapes et les points d'aboutissement.
C'est en tout cas ce que je vais m'essayer à de faire en conclusion. Je laisserai ensuite Martin Hirsch revenir sur les sujets que nous portons ensemble dans cette conférence, sachant que nous essaierons de nous en tenir scrupuleusement au temps imparti, car la journée a d'ores et déjà été longue et riche et je sais que, pour nombre d'entre vous, d'entre nous, elle est loin d'être finie !

1) Je ne m'attarderai pas sur le constat d'ensemble tel qu'il est ressorti de nos travaux de la matinée.
S'il y a un problème de pouvoir d'achat dans notre pays, c'est d'abord et avant tout parce que nous avons un problème d'emploi, sachant que les revenus d'activité, Philippe Bouyoux l'a rappelé ce matin, constituent une large part du revenu des ménages.
Autrement dit, la faible progression des revenus d'activité salariée tient largement à une dynamique insuffisante de l'emploi dans notre pays et aux dysfonctionnements de notre marché du travail.

2) Comment expliquer cette situation ? Les travaux du Conseil d'Orientation pour l'Emploi sur les causes du chômage fournissent plusieurs explications ; nos piètres performances en matière d'emploi tiennent à la conjugaison de plusieurs facteurs :

  • un coût global du travail relativement élevé par rapport à la productivité, notamment pour les emplois les moins qualifiés ;
  • des investissements productifs et de R&D trop faible,
  • et des handicaps structurels qui tiennent à un niveau de qualification insuffisant, ou inadapté ou à un marché du travail trop peu fluide, qui rend les transitions professionnelles hasardeuses plus qu'il ne les facilite.

Le Gouvernement s'est attelé à la tâche dès cet été en engageant des réformes de fond.
Vous faites également votre part du chemin, à travers les négociations sur la sécurisation des parcours professionnels qui vous permettront, je l'espère, de faire émerger des standards en matière de contrat de travail, de droit à la formation et de prise en charge des périodes d'inactivité plus en phase avec les besoins de notre économie ouverte et tertiarisée, comme l'ont fait ceux de nos voisins les plus performants.
Nous aurons par ailleurs à ouvrir ensemble dans les prochaines semaines, comme le Président de la République l'a rappelé le 18 septembre dernier, le chantier de la formation professionnelle continue qui constitue la clé de la compétitivité de notre économie.

3) Reste la question du coût global du travail et du niveau des revenus d'activité, domaine de responsabilité partagée entre l'État et les partenaires sociaux. Responsable partagée, parce que, si l'État ne fait pas la politique salariale dans les branches et les entreprises - prérogative qui revient aux chefs d'entreprises et aux partenaires sociaux - il intervient néanmoins à travers la fixation du niveau du Smic et, plus largement, en veillant au financement des dépenses de protection sociale, qui restent assurées, à hauteur de 60%, par des prélèvements assis sur les salaires.
Nous nous trouvons aujourd'hui dans une situation pour le moins paradoxale : à l'échelle européenne, le coût global du travail se situe à un niveau relativement élevé dans notre pays, notamment pour les moins qualifiés. Depuis l'an 2000, date du passage aux 35 heures, dans le secteur marchand, les coûts salariaux unitaires ont augmenté en moyenne de 14% en France alors qu'ils ont baisse de plus de 5% en Allemagne. Et le coût du travail au niveau du salaire minimum est l'un de plus élevés parmi les pays de l'OCDE.
Pourtant, nous nous sommes engagés dans une politique d'allégement des charges sociales depuis 1993 et plus encore depuis 2002, destinée à atténuer les effets de cette progression, notamment pour les emplois les moins qualifiés, les plus menacés par cette hausse. Ceci représente un effort croissant pour nos finances publiques, de l'ordre de 20 Mdeuros en 2007, pour ne s'en tenir qu'aux seuls allègements généraux.
S'il a sans aucun doute permis de sauvegarder et de créer plusieurs centaines de milliers d'emplois, cet effort n'a porté que peu de fruits en termes de revenus nets pour les salariés, notamment au milieu de la grille.
Ainsi, le pouvoir d'achat du Smic a progressé de plus de 20% depuis 1999, mais la hausse a été plus limitée pour nombre d'employés et de cadres, et quasi-nulle pour les professions intermédiaires. Résultat : beaucoup de personnes ont été rattrapées par le Smic. Entre 1994 et 2006, la part des salariés au Smic a presque doublé passant de 8% à 15%. Cette évolution a profondément déséquilibré la structure des salaires dans nombre de branches et d'entreprises. Elle risque à terme de dévaloriser les trajectoires professionnelles et de décourager les efforts de formation et de qualification, pourtant indispensables à la compétitivité de nos entreprises comme à l'épanouissement des salariés.
L'action engagée en 2005 sous l'égide de Gérard Larcher au sein de la commission nationale de la négociation collective et poursuivie depuis lors avec vigueur par Xavier Bertrand a d'ores et déjà permis de débloquer les situations les plus critiques.
Mais cet effort reste fragile et peine à faire sentir ses effets au-delà des premiers niveaux de rémunérations.

4) Nous considérons donc, c'est le premier axe de travail, qu'il faut revoir le cadre même dans lequel ce dialogue sur le niveau des rémunérations a lieu et mettre en place un mécanisme permettant d'assurer que la question de la redistribution soit régulièrement posée dans les entreprises et dans les branches et que les fruits des efforts de productivité demandés à l'ensemble de la communauté de travail bénéficient à tous.
Autrement dit, en échange de l'effort que la collectivité consent pour modérer le coût global du travail, il faut qu'il y ait, comme le prévoit le code du travail, au sein des branches et des entreprises un dialogue régulier pour évaluer les marges de manoeuvre financières et décider de l'affectation de celles-ci (salaires, investissement, rémunération des actionnaires). Il ne peut y avoir de confiance et donc de croissance que dans un pacte d'ensemble dans lequel chaque partenaire -État, entreprises, salariés - joue franc jeu et respecte ses engagements.
Pour atteindre cet objectif de dynamisation des négociations salariales, le Gouvernement entend, comme je l'ai dit ce matin, que puisse s'instituer une forme de conditionnalité des allègements généraux de charges , tenant notamment au respect effectif, par les branches ou les entreprises, de l'obligation de négocier annuellement sur les salaires ou encore à la suppression, dans les accords et conventions, des coefficients de rémunération inférieur au Smic, voire, mais il faut y réfléchir, au respect de l'obligation de négocier sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences.
Bien entendu, pour être efficace et équitable, ce nouveau mécanisme devra éviter de verser dans un formalisme inutile et devra tenir pleinement compte des contraintes des différents secteurs d'activité. Il faudra également qu'il intègre les marges de manoeuvre dont disposent réellement les acteurs sur le terrain pour s'acquitter de leurs obligations.
Concrètement comment allons nous procéder pour faire avancer ce dossier ?
Nous allons, d'ici le 15 décembre prochain, mettre sur la table, avec Xavier Bertrand, un certain nombre de scénarios qui permettraient de mettre en oeuvre le principe de conditionnalité tel que je viens de le rappeler. Il reviendra au Conseil d'orientation d'émettre un avis sur ces scénarios, à la lumière des recommandations qu'il avait d'ores et déjà formulées, dans son rapport sur les aides publiques aux entreprises .
Dans le même temps, le Gouvernement doit faire sa part du chemin en s'engageant sur une modération durable du coût global du travail, ce qui implique de poursuivre le transfert du financement des dépenses de solidarité vers une assiette non salariale, comme les allègements de charges ont permis de le faire. J'ai bien entendu les prises de position des organisations représentant les employeurs ce matin.
Les travaux du Conseil économique et social sur le financement de la protection sociale, attendus d'ici la fin de l'année, contribueront, je le souhaite, à tracer une perspective d'ensemble sur ce sujet majeur, pour notre pacte social comme pour la compétitivité de notre économie.
Au-delà de la négociation sur les salaires, il me semble qu'il nous faut également réfléchir aux moyens de faire jouer cette même logique de donnant-donnant pour les modes de rémunération non salariaux. En particulier, je souhaite qu'elle s'applique aux stocks options. Ainsi je suis favorable à ce que la distribution de stock-options soit à l'avenir subordonnée à l'engagement pour l'entreprise d'associer davantage ses salariés à ses performances. Autrement dit il faudra qu'elle mette sur la table un accord de participation ou d'intéressement, s'il n'y en a pas encore, ou propose un supplément d'intéressement ou de participation ou encore une distribution d'actions gratuites.
Revisiter le pacte salarial au sein des branches et des entreprises passe aussi par une évolution des modes d'évolution du Smic, dans un souci de transparence et de prévisibilité. Xavier Bertrand a été très explicite ce matin.
Sur tous ces sujets - dynamisation des négociations salariales, réforme du Smic, conditionnalité des stocks options, - je présenterai, avec Xavier Bertrand, sur la base de l'avis du Conseil d'orientation pour l'emploi, un projet de réforme devant la commission nationale de la négociation collective en avril prochain, de telle sorte qu'elle puisse être effective, notamment en ce qui concerne le Smic, avant le 1er juillet 2008.

5) Deuxième axe de travail que je vous propose : Favoriser le retour à l'emploi des salariés fragiles
Nos échanges l'ont montré, le retour à l'emploi des personnes les plus en difficulté se heurte à des obstacles multiples et de nature différente.
Les mécanismes existants n'apportent pas de solution globale satisfaisante à ces problèmes. C'est pourquoi le Gouvernement s'est récemment engagé à titre expérimental, dans une démarche nouvelle que porte Martin Hirsch : le Revenu de Solidarité Active (RSA) qui doit permettre d'effacer les effets de seuil en cas de retour à l'emploi des bénéficiaires de minima sociaux ou de revenus de remplacement.
Dans la perspective de la généralisation du RSA, prévue pour fin 2008, un groupe administratif va s'atteler à la construction de différents scénarios et en chiffrer les impacts potentiels. Martin Hirsch y reviendra dans un instant. Ces scénarios seront ensuite soumis au Conseil d'Orientation pour l'Emploi d'ici la fin janvier pour permettre un large débat et aider à la construction d'une réforme de nature à rendre effectivement notre marché du travail plus « inclusif », pour reprendre un vocable européen qui dit bien ce qu'il veut dire.

6) Troisième axe de travail : cette réflexion sur les grands équilibres du marché du travail, nous devrons l'inscrire dans une perspective européenne.
L'année 2008 sera la dernière étape de la stratégie de Lisbonne pour la croissance et l'emploi. A partir d'un diagnostic dont personne ne met en cause la pertinence, cet outil de pilotage et de mise en cohérence des politiques économiques et sociales à l'échelle européenne n'a pas tenu toutes ses promesses.
Cela tient en partie au fait que nous ne le sommes pas suffisamment appropriés au plan national. Cela tient sans doute au fait que les moyens mobilisés pour sa mise en oeuvre au niveau communautaire ont été insuffisants.
C'est pourquoi je souhaite que nous puissions réfléchir ensemble aux évolutions souhaitables et possibles pour cette dernière étape, dans la perspective de la présidence de l'Union que notre pays exercera au deuxième trimestre 2008.
J'ai donc décidé , conjointement avec Xavier Bertrand , de confier à M. Laurent Cohen Tanugi une mission en ce sens, en liaison avec le Comité du dialogue social sur les questions européennes et internationales. J'attends les premières conclusions avant le Conseil Européen de mars 2008, lors duquel les lignes directrices seront révisées, mais je souhaite également que ce travail puisse nourrir très amont notre réflexion sur l'après-Lisbonne en identifiant des initiatives que la France pourrait porter avec ses partenaires et en traçant les voies d'une stratégie pour l'Europe dans la mondialisation.

7) Quatrième axe de travail : si la problématique des revenus est donc intimement liée à celle de l'emploi, celle du pouvoir d'achat des ménages dans leur ensemble a également à voir avec les pratiques de consommation et l'évolution du coût de la vie.
La table ronde présidée par Luc Chatel cet après-midi a fait apparaître la nécessité, pour renforcer le pouvoir d'achat des ménages, d'une plus grande transparence et de conditions de concurrence plus claires
Plus de transparence, cela passe par de meilleurs outils de mesure du pouvoir d'achat des ménages. Comme les travaux de Robert Rochefort et de Philippe Moati pour le Conseil d'analyse économique l'ont montré, l'élaboration d'indicateurs complémentaires s'impose pour rendre compte de la diversité des trajectoires de revenus et de consommation et ajuster nos politiques publiques en conséquence. Sur la base de ces travaux, nous avons demandé à un groupe d'experts , qui travaillera avec l'ensemble des forces vives, notamment les représentants d'associations de consommateurs , de mettre au point ces nouveaux indicateurs. Je souhaite en particulier que soit abordé le thème des dépenses contraintes et que l'évolution du pouvoir d'achat soit mesurée en tenant compte de la situation des ménages au regard du logement. Le Conseil National de l'Information Statistique (CNIS) sera saisi de propositions précises dès le début de l'année prochaine.
Des conditions de concurrence plus claires, c'est l'objectif que poursuit le projet de loi Consommation auquel nous mettons, Luc Chatel et moi, la dernière main, en particulier dans le secteur de la grande distribution. L'intégration de la totalité des marges arrière dans le prix de vente rétablira des conditions de concurrence plus favorables au consommateur. D'autres mesures, qui ont été évoquées cet après-midi, viendront compléter cet arsenal dans le champ des services, en particulier l'instauration de relevés annuels de frais bancaires ou encore la remise à plat des conditions d'abonnements en matière de téléphonie.

Voilà donc, Mesdames et Messieurs, les 4 principaux chantiers sur lesquels je souhaite avancer avec vous dans les semaines à venir. Ces chantiers, ce sont je le rappelle :

  • la dynamisation des négociations salariales,
  • la généralisation du RSA,
  • la réflexion sur la stratégie européenne,
  • la construction de nouveaux indicateurs de consommation.

Ce que nous souhaitons, à travers cette démarche, c'est accompagner et démultiplier les engagements d'ores et déjà pris par le Gouvernement en faveur de la croissance et faire progresser des réformes structurantes pour notre économie autour d'un triple objectif :

  • Dynamiser les conditions d'emploi et de salaires.
  • Remettre en emploi les personnes les plus en difficulté sur le marché du travail.
  • Améliorer les conditions de concurrence et s'assurer de la transparence des prix dans le marché des biens et services.

Je vous propose un point de rendez-vous au mois de janvier prochain pour apprécier l'avancée des différents chantiers que nous avons ouverts aujourd'hui.
C'est par un dialogue responsable, dans la clarté et le respect des engagements pris, que nous parviendrons à jeter les bases d'un nouveau pacte social et à établir une confiance durable sans laquelle il ne saurait y avoir de croissance. Je sais pouvoir compter sur vous, sur votre responsabilité de partenaires sociaux. Vous pouvez compter sur moi.
Je vous remercie.

source http://www.minefe.gouv.fr, le 24 octobre 2007