Déclaration de Mme Christine Boutin, ministre du logement et de la ville, sur la problématique des centres-villes et sur les thèmes de réflexions à envisager pour donner un nouveau souffle à la politique de la ville, Paris le 19 novembre 2007.

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Circonstance : Colloque intitulé : "comment vivre ensemble le temps des villes" à Paris le 29 novembre 2007

Texte intégral

Monsieur le Secrétaire d'Etat, (cher Jean-Marie BOCKEL),
Messieurs les Ministres, (Jean-François COPE, présent au début du colloque mais qui a dû repartir, et Jacques GODFRAIN),
Monsieur le président de La Poste, (Jean-Paul BAILLY),
Monsieur le président de l'Institut des villes, (Bruno BOURG-BROC),
Mesdames, Messieurs les Députés,
Mesdames, Messieurs les Sénateurs,
Mesdames, Messieurs les Maires,
Messieurs les Préfets et sous préfets,
Monsieur le Président du groupe Eiffage (Monsieur Jean-François ROVERATO),
Monsieur le Président de la Fondation Le Temps des Villes, (cher François RIVIERE),
Monsieur le Président de l'Institut du Monde Arabe, (Cher Dominique BAUDIS),
Mesdames, Messieurs,
Je suis particulièrement heureuse de me retrouver aujourd'hui parmi vous à l'occasion de ce premier colloque de la Fondation « Le Temps des villes », nouvellement créée, qui se consacre aux problématiques des centres-villes. Ceux-ci m'intéressent tout particulièrement, de même que le thème du « vivre ensemble » au coeur des villes que vous avez choisi de traiter aujourd'hui.
L'actualité rappelle d'ailleurs dramatiquement l'urgence d'une telle démarche. Suite au tragique décès de deux adolescents à Villiers-le-Bel dimanche dernier, nous avons été confrontés à une résurgence de la violence dans certains de nos quartiers fragiles. Sommes-nous condamnés à assister à ces accès de violence sporadiques ? Bien évidemment non ; mais alors il nous faut reprendre les choses tout autrement.
La cité antique a accompagné les premiers développements de grandes civilisations. Si « les hommes se rassemblent dans les villes pour vivre » nous dit ARISTOTE, « ils y restent ensemble pour bien vivre ». La ville n'était pas dans l'idée des Anciens qu'une simple question de nombre d'habitants ou d'étendue géographique mais bien un projet politique, l'organisation sociale d'une communauté d'hommes animés par le désir de bien vivre ensemble. Et cette vie commune était assurée et consolidée par la référence à des rites et des lois intégrées et partagées.
La ville est le lieu de l'énergie, du commerce, de la création et du progrès. Elle est pour toutes ces raisons le rendez-vous des ambitieux et de l'ascension sociale. « A nous deux ! Maintenant ! », lance RASTIGNAC à Paris en contemplant, nous dit BALZAC, « cette ruche bourdonnante d'un regard qui semblait par avance en pomper le miel ». Un garçon pauvre mais intelligent pouvait alors espérer entrer de plein pied dans la bourgeoisie triomphante de la capitale. La possibilité ou l'illusion de pouvoir s'élever en ville au dessus de sa condition, exerça d'ailleurs sur les individus un infaillible effet d'attraction et joua beaucoup dans l'exode rural. A Paris, poursuit BALZAC, « un énorme brassage d'énergies se produit dans une nature sociale toujours en fusion ».
Les villes grossirent. Les siècles concoururent à leur croissance harmonieuse. Autour de noyaux s'agglutinèrent des éléments nouveaux par agrégation de territoires ou par cercles concentriques à la manière d'une tache d'huile. Les nouveaux habitants s'amalgamèrent aux anciens dans une organisation unique faisant la population dans son ensemble, un seul et même corps. Les citadins intra-muros, puis ceux des anciens faubourgs, puis ceux des secteurs péri-urbains s'identifiaient au coeur de leur Ville. Charles PEGUY illustre ce processus dans un poème de 1912 sur les quartiers enserrant la capitale au début du XXeme siècle. Auteuil, Grenelle, Bercy, Montmartre, Passy, Vaugirard, la Villette se « vantaient d'avoir cerné Paris » et chacun avait la prétention « d'assujettir les tours de Notre Dame », mais c'est bien l'Ile de la Cité qui eut le dernier mot. Le coeur de la ville rayonnait donc sur l'ensemble des nouveaux quartiers et conviait tous les citadins sous sa bannière, dans une seule et même « citoyenneté métropolitaine ».
Depuis lors, nos villes se sont développées dans des proportions auparavant inconnues, étendant indéfiniment leurs quartiers suburbains. La misère qui au XIXe siècle était souvent verticale (les déménagements successifs du père GORIOT en attestent), devint horizontale, chassant les pauvres vers les faubourgs et la banlieue. Au lendemain de la guerre et pour résoudre la pénurie de logements, la France se convertit aux « grands ensembles » en utilisant les terrains immédiatement disponibles, en expérimentant les plans et les techniques qui permettaient de livrer des logements modernes, dotés d'un confort nouvellement accessible à tous, dans les moindres délais et aux moindres coûts. Ces banlieues poussèrent néanmoins comme des électrons, sans continuité spatiale avec elle à tel point que l'idée même de «ville» parut déjà remise en cause.
La crise aidant, ces poches sont devenues des sociétés et des espaces bloqués et fermés, affectés par des handicaps en chaîne. Les familles qui y vivent y sont assignées à résidence. Nombre d'entre elles, souvent immigrées de fraîche date, auraient vu leur intégration facilitée si elles avaient été plongées au coeur de la ville, un peu à la manière des bretons, à Montparnasse ; au lieu de quoi, elles ont été reléguées dans des lieux souvent excentrés, sans mémoire, ni message.
Des pans entiers de villes ont bientôt été livrés à l'anomie, c'est-à-dire à la jungle, aux trafics et puis, aux émeutes urbaines. Mais par une dérision cruelle, ces véritables pandémoniums vont être appelés des « cités » alors que dans les cas les plus graves, ils représentent le degré zéro de la ville.
Mesdames, Messieurs,
Nos villes se sont désagrégées avec d'un côté des quartiers périphériques pauvres dans lesquels les habitants vivent leur localisation comme un objet d'opprobre et de l'autre, un coeur de plus en plus prospère, tenté de mettre une croix sur une jeunesse des quartiers considérée comme irrécupérable. Des frontières invisibles alourdissent les difficultés des habitants de ces territoires, en quête d'intégration et de promotion sociale. Dans les quartiers fragiles, si certains parviennent à conjurer le sort, beaucoup de « Rastignac » sont plus tentés par la rébellion qu'autre chose : ils ont baissé les bras. Ils ont la conviction plus ou moins claire que pour eux, le combat de toutes façons est sans issue. Les émeutes parties de Clichy-sous-Bois en 2005 comme l'embrasement de dimanche dernier, ne s'inscrivent à aucun moment dans la tradition des insurrections populaires de la Bastille, de Juillet, des canuts et autres communards. Les soulèvements des faubouriens visaient à revendiquer une meilleure place dans la société existante. La flambée des banlieues ne porte aucune espérance, aucune volonté d'affranchissement et de progrès. Elle s'apparente à un geste de sécession de jeunes qui n'ont plus rien à perdre.
Sous couvert d'une urbanisation généralisée, nos villes qui faisaient « corps » autrefois ont éclaté. Même si je répugne à tomber dans la facilité rétrospective des discours tenus aujourd'hui sur le discernement d'hier, cette fragmentation urbaine montre que nous avons mésestimé un certain nombre de paramètres : l'absence de réflexion sur l'implantation des cités et des logements sociaux ; la coupure avec les centres urbains ; la négligence des moyens de transport, des équipements collectifs, de la fonction commerciale et des réseaux ; le vieillissement prématuré du bâti...
C'est ainsi que voici une vingtaine d'années, la politique de la ville a vu le jour sous la forme de ce que l'on pourrait appeler une « politique de la banlieue parisienne », puis avec le temps, une « politique des banlieues françaises ». Mais cette politique, fondée sur le zonage, n'a pas eu les effets escomptés en dépit de l'engagement de professionnels de qualité, d'investissements considérables et surtout du dévouement de maires particulièrement exemplaires. Loin d'avoir su enrayer un processus de ghettoïsation, le zonage a même contribué au renforcement de la stigmatisation. Il a certes constitué un ballon d'oxygène pour ces territoires, mais il est resté impuissant contre la logique de séparation à l'oeuvre dans nos villes et la déqualification attachée aux lieux habités par les plus pauvres.
Conçues dans l'urgence, nos intervention s auraient-elles manqué de profondeur et de vision ?
Sans doute ont-elles été construites sur un postulat incomplet. Il fallait certes « renflouer » ces territoires, leur offrir les moyens matériels et humains de l'égalité des chances. Mais il fallait consentir des efforts équivalents pour les arrimer à la ville. La ville en effet est une source de forces pour ceux qui s'en approchent. Il fallait donc que soient remplies une condition essentielle : la connaissance réciproque, qu'engendrent la facilité des rapports, la fréquence des communications et la possibilité de la rencontre.
La capacité à être « nomade» au sein de la ville a constitué de tout temps un capital. Or les habitants des quartiers fragiles sont enferrés dans quelques centaines de mètres carrés.
Les échanges enrichissants entre personnes différentes, créent le véritable citadin. Ils sont, dans certaines de nos banlieues, encore aujourd'hui, réduits à leur plus simple expression.
Notre politique de la ville est donc en crise au moment même où elle doit intégrer des mutations d'ampleur
La révolution numérique aura inévitablement des conséquences sur la ville comme en eurent avant elle, la révolution industrielle avec HAUSSMANN ou les « Trente Glorieuses » avec les « grands ensembles ». Les nouvelles technologies posent surtout la question de l'espace public dans sa matérialité tel que nous le connaissons. Que deviendront par exemple les centres historiques, constitués depuis plusieurs siècles ? Sauront-ils être autre chose que les conservatoires piétonnisés d'une civilisation révolue - celle des villes ? Quant à l'espace public, en général, certains partent du principe qu'il n'a plus vraiment de raison d'être à l'heure des flux communicationnels engendrés par les nouvelles technologies. En clair, l'espace public n'aurait plus qu'une vocation : celui d'être l'espace fumeur... D'autres dont je suis, pensent au contraire que ces lieux, parce qu'ils participent de l'urbanité et du lien social, doivent être retravaillés et repensés. Les villes sont donc fortement questionnées.
Elles le sont d'autant plus que 75 % de nos concitoyens sont des citadins et que, dans les grandes agglomérations, sous la double influence de l'allongement du célibat et de la durée de vie d'une côté, de l'augmentation des séparations et des divorces de l'autre, jusqu'à 40 % des logements sont occupés par une personne seule. Alors que la cité est destinée à faciliter l'échange et la rencontre et, nous dit ARISTOTE, à vivre mieux, la ville moderne est perçue comme synonyme de solitude et de stress. Elle serait déshumanisante. Je ne saurai m'y résoudre.
Vus sous cet angle, nos quartiers fragiles ne sont au bout du compte que la « plaque sensible » ou la « partie émergée de l'iceberg » des difficultés de la société urbaine.
- Aujourd'hui, les grandes villes souffrent et leurs habitants avec... Nos villes sont en mal de chaleur humaine et de convivialité.
- Par ailleurs, les relations entre générations sont devenues le « trou noir » de nos sociétés individualistes. Les coeurs de villes, où vivent les adultes, sont désarmés face à la révolte juvénile des quartiers. Sans parler des destructurations familiales et de la disparition symbolique des pères qui atteignent tous les milieux mais affectent beaucoup plus gravement certaines familles de banlieue matériellement défavorisées et culturellement habituées au primat masculin.
- Quant aux moyennes et petites agglomérations, qui représentent l'immense majorité de nos villes, elles s'interrogent pour leur part sur leur avenir dans ce monde rapide et globalisé.
Je crois qu'est venu le temps, si nous voulons « refaire société », d'être plus ambitieux et de penser la ville dans son entier tout en nous préoccupant des personnes plus encore que du bâti.
Ma priorité est de lutter contre une division entre ceux qui vont jouir de la centralité urbaine et ceux qui vont se retrouver, volontairement ou pas, dans le péri-urbain. Ma priorité est de repenser la ville, toute la ville, à la mesure de l'homme.
Je suis consciente de l'immensité de la tâche qui reste à accomplir et de la mobilisation des énergies désormais nécessaires. Cette oeuvre commune, il faut s'y atteler dès aujourd'hui.
Je veux construire la Ville avec les citoyens, en misant sur les gens avant de miser sur le bâti.
Dans les quartiers fragiles, l'enjeu de la politique que j'entends mener repose sur ce que j'appelle le « désenclavement », ou si vous le préférez, « l'ouverture » du reste de la ville aux habitants des quartiers fragiles. Je veux privilégier l'échange, la circulation et la relation ; combattre le repli sur soi qui biaise les esprits. Je veux donc sortir d'une politique des quartiers pour refonder la politique de la ville.
C'est le seul moyen à mon sens, de lutter contre la logique d'apartheid social et culturel qui prévaut aujourd'hui. Une observation fine des conclusions du rapport de l'Observatoire national des zones urbaines sensibles montre d'ailleurs la pertinence de cette approche.
. Les zones Franches Urbaines, qui font venir dans les quartiers des personnes extérieures pour y développer une activité économique, sont un succès.
. Les lycées qui accueillent une population venant de plusieurs quartiers sont plus performants que les collèges envahis par la culture locale.
Dès qu'on favorise la rencontre et qu'on lutte contre l'entre soi, c'est un succès.
Je souhaite donner clairement la priorité aux initiatives menées hors quartier accueillant des habitants des quartiers et inversement. La politique des Zones Franches Urbaines doit être poursuivie. La modification de la carte scolaire doit permettre aux enfants et adolescents de sortir de leur quartiers, ...
Comment des enfants, scolarisés de 2 à 16 ans en bas des tours, partant en vacances entre eux, peuvent-ils devenir autre chose que ces jeunes scotchés à leur cage d'escalier, incapables d'accéder à l'emploi, s'il ne leur est offert à proximité immédiate ?
Qu'il n'y ait pas de malentendu : je ne propose pas l'abandon des moyens supplémentaires en faveur des quartiers défavorisés. Je suggère simplement un recentrage de nos efforts, non plus sur les territoires, mais sur les personnes afin de leur offrir l'ouverture aux autres réalités de la ville.
Je veux refonder une citoyenneté métropolitaine et faire en sorte que le sentiment collectif d'appartenance à un même ensemble renaisse de ses cendres. C'est ainsi et ainsi seulement que nos villes pourront non seulement retrouver leur dynamisme mais venir également à bout de la ségrégation urbaine.
Les émeutes urbaines attestent qu'une partie de la jeunesse des quartiers fragiles vit son altérité comme une cause de bannissement et par réaction rejette à son tour tout ce qui est « autre », considéré par principe comme hostile. Boris CYRULNIK, reprenant l'idée du bouc émissaire de René GIRARD, a bien expliqué comment un groupe humain se socialise en se choisissant une figure repoussoir, chargée de tous les maux. Et il considère que si on laisse prospérer dans nos sociétés des communautés fermées et autarciques, on récoltera de fil en aiguille, la guerre de tous contre tous.
La résolution de ce problème majeur ne se fera pas sans un effort conséquent destiné à favoriser la rencontre entre le coeur de ville et ses quartiers.
La rencontre c'est aussi celle d'un employeur et d'une personne en recherche d'emploi.
La question de l'emploi, sera un des piliers du plan « respect et égalité des chances » dont j'ai confié la préparation à Madame AMARA, Secrétaire d'Etat chargée de la politique de la ville. Je rappelle que si la France, notamment la France masculine des villes, hors quartiers sensibles, connaît une amélioration sensible de l'emploi, allant dans plusieurs secteurs jusqu'à des situations de tension, la situation reste difficile dans les "ZUS" où le taux de chômage peut dépasser parfois les 40 % pour certaines catégories de la population.
Nous devons compléter les secours de l'Etat-providence par ce que j'appelle une société d'opportunité. Nous ne devons plus seulement nous limiter au seul traitement social des quartiers populaires mais considérer enfin leurs habitants et les familles qui y vivent, comme des personnes prêtes à mettre leurs capacités au service de l'économie de notre pays. Les habitants des zones sensibles n'ont pas besoin qu'on les plaigne. Ils ont juste besoin qu'on leur donne leur chance. Il faut apporter aux habitants des quartiers ce qui leur manque le plus : le réseau et les relations. Je crois là encore au pouvoir de la relation et de la rencontre.
Beaucoup de choses se font en ce sens et contribuent au fait que le fatalisme ne s'installe pas dans les quartiers. Les choses bougent. Les choses avancent. Beaucoup d'entreprises sont désormais « partantes » pour mobiliser l'extraordinaire potentiel humain des habitants des quartiers qui fait l'objet, aujourd'hui encore, d'un gâchis patent. Je tiens pour une évidence qu'il y aura une percée des enfants des cités dans l'élite de la société française de demain, une élite brillante dont notre pays a toutes les raisons de s'enorgueillir. Rien d'étonnant à cela d'ailleurs car ces territoires ont pour eux leur jeunesse, c'est à dire l'énergie, l'enthousiasme et l'imagination.
L'avenir d'un pays et son dynamisme économique, j'en suis convaincue, dépendent de sa capacité à fédérer tous ses talents. Pour cela, j'ai plusieurs propositions à faire.
Je veux redynamiser nos villes, faire en sorte qu'elles redeviennent cet « énorme brassage d'énergies », cette « nature sociale toujours en fusion » qu'évoquait BALZAC.
a) Nos coeurs de ville ont pour fonction d'irriguer l'ensemble de la ville. Il convient de les préserver et de les dynamiser.
Il existe de trop nombreuses villes, dont les centres anciens sont terriblement dégradés. Outre le fait qu'ils représentent un vivier de logements, la restauration de ces centres améliorera le quotidien de leurs habitants, qui y vivent parfois dans des conditions déplorables. J'ai donc demandé donc à l'Agence nationale de la rénovation urbaine ainsi qu'à l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat de conjuguer leur savoir faire et coordonner leurs actions pour élaborer ensemble un programme de restauration de ces centres. Ce programme contiendra un volet important de construction d'habitat social, afin de diversifier les modes d'habitat en centre ville, de permettre aux familles les plus modestes d'y accéder et de créer les conditions de la rencontre des populations au coeur de nos villes.
Je souhaite, par ailleurs, confier à M. François RIVIERE une mission de préfiguration pour mettre en place, dans notre pays, un grand plan national de valorisation des centres-villes dans un souci d'équilibre territorial, d'équilibre interne au centre-ville, d'équilibre entre les centres et leur périphérie et pour encourager le rôle du coeur de ville comme un laboratoire de nouvelles pratiques du bien-vivre ensemble pour demain.
Ce grand plan national pourrait en effet s'appuyer, comme me l'a suggéré la Fondation Le Temps des villes, sur les expériences réussies des pôles de compétitivité, qui ont donné un coup de fouet économique et un maillage plus cohérent à nos territoires. Ce que ces pôles de compétitivité ont fait en faveur de l'économie, un grand plan national peut le faire pour les coeurs de ville et pour tous les habitants de la ville.
a) Par ailleurs , je veux redonner toute sa place au commerce à travers ses trois fonctions ; c'est à dire comme lieu de rencontre et d'échanges, comme lieu créateur d'emploi et de richesse et enfin, comme source d'attractivité pour la ville. En conséquence, j'ai décidé de confier une mission en ce sens à Robert ROCHEFORT, directeur du CREDOC et vice-Président de la Commission nationale des comptes du commerce, afin qu'il étudie la meilleure place à donner au commerce, petit et moyen, dans nos villes, et quels outils mettre en place pour le développer. Ce travail devra se mener dans la perspective de l'intégration des quartiers fragiles à l'ensemble de la ville. Je crois qu'il est utile en effet de se demander :
* comment le commerce peut-il être le lieu privilégié qui favorise la rencontre entre populations d'origines territoriales et de milieux sociaux différents?
* comment le commerce peut-il répondre aux ambitions présentes chez de nombreux jeunes des quartiers fragiles de créer leur entreprise et de devenir des acteurs économiques à part entière ?
* comment enfin, peut-il contribuer à mettre en valeur une ville, son patrimoine, son histoire et ses habitants ?
Après vous avoir fait part de mon souhait de privilégier les habitants sur le bâti, je souhaite néanmoins vous dire trois mots sur la construction.
a) Dans les quartiers fragiles, Jean-Louis BORLOO a obtenu la création de l'A.N.R.U. que l'on a dotée d'un budget de 34 milliards d'euros. On a dynamité des barres vétustes, pour bien montrer qu'il y avait volonté de rupture autant que de constructions nouvelles. Je suis venue vous dire aujourd'hui que j'assume pleinement cet héritage, et ce dispositif, qui nous permet aujourd'hui de réaliser une politique de rénovation urbaine, avec des efforts encore jamais fournis dans ce pays.
b) Nicolas SARKOZY a proposé depuis longtemps que, dans le cadre du plan de rénovation urbaine, notre pays engage un effort profond de renouvellement architectural, pour rendre nos villes à la fois plus belles et plus habitables. Il a plaidé lors de sa visite de la Cité de l'architecture et du patrimoine, en septembre dernier, pour « une nouvelle ambition » et « un nouveau souffle créatif » de l'architecture en France, appelant les architectes - je cite - à « relever ce défi fantastique ».
Le défi qui se trouve devant nous c'est l'invention d'une nouvelle ville, une ville qui doit être bénéfique à l'Homme, à tous les hommes dans leur diversité. A notre tour, comme le disait LE CORBUSIER, nous allons devoir « rendre l'espace heureux ».
Le temps aidant, beaucoup de nos quartiers sont tout simplement devenus laids ; laids, sous toutes les coutures, pauvres de forme, lourds de lignes et médiocres d'apparence. Moi qui ai désormais en charge la construction des logements et particulièrement des logements sociaux, j'affirme qu'il est nécessaire de proposer la beauté à tous. Le cadre de vie a un impact considérable sur la vie des habitants. Nous constatons aujourd'hui un manque évident de qualité architecturale « ordinaire » dans nos villes. La plupart des nouveaux immeubles sont « aseptisés ». Dans les espaces périurbains, la banalisation des styles, notamment dans les lotissements, et l'appauvrissement du travail sur les matériaux se sont généralisés pour raisons financières mais aussi par manque de recours à des professionnels qualifiés. L'inflation des règlements et des normes a favorisé l'émergence d'une architecture dictée par les bureaux d'étude technique et de contrôle (surtout les financiers). Et si quelques grands projets, quelques grands noms marquent l'architecture contemporaine, leurs interventions ne participent que de manière marginale à l'édification de nos villes. Nous sommes par ailleurs confrontés à un énorme défi de réhabilitation de nombreux centres-villes où nous devons apporter une qualité architecturale tout en respectant le passé. Notre patrimoine architectural en effet doit être valorisé et rendu accessible aux générations futures car pour prospérer, un peuple a besoin de connaître et de respecter son passé pour mieux sentir son âme et son unité.
Comme vous le savez, le gouvernement est porteur d'une grande ambition en faveur du logement. Il s'agit de la construction de 500.000 logements nouveaux par an, dont 120.000 sociaux.
Dans cette perspective, les architectes comme les urbanistes vont avoir plus que leur mot à dire : ils seront les maîtres d'oeuvre de ce grand chantier. Les architectes travaillent sur les lieux, les urbanistes sur les flux et les sociologues sur les populations. Tous ensemble, avec l'appui d'autres disciplines et professions, il leur revient dès aujourd'hui d'aménager la France et ses espaces urbains dans le nouveau contexte de l'environnement durable et du bien-être d'une population qui change sous l'effet de puissantes lignes de fond : démographie, mobilité, communications électroniques, services et notamment services à la personne, en particulier aux personnes âgées,... Enfin, comme vous le savez, créer de beaux édifices ne doit pas nous faire perdre de vue qu'ils doivent être durables, respectueux de l'environnement et pratiques : des êtres humains y vivent quotidiennement.
Je souhaite que nous puissions réfléchir à une nouvelle charte, à un véritable projet politique pour l'architecture, qui proposerait quelques grands principes en écho aux attentes la société. D'ici là, je compte profiter du programme national de rénovation urbaine, pour engager une expérimentation dans quelques quartiers fragilisés parce que je crois que dans ces zones plus qu'ailleurs, les habitants ont besoin de beauté. Qui qu'on soit, riche ou pauvre, la laideur se vit mal ! Mais, plus on vit dans des conditions difficiles et modestes, plus la laideur, à mon sens, vous accable.
c) Enfin, en matière d'environnement, la commission pour la libération de la croissance française, présidée par Jacques ATTALI, a préconisé dans son rapport d'étape de créer dix Ecopolis, ces villes d'au moins 50.000 habitants intégrant haute qualité environnementale et nouvelles technologies de communication. Sur la base de cette proposition, j'engage avec Jean-Louis BORLOO, Ministre de l'écologie, du développement et de l'aménagement durable, une étude visant à en définir la faisabilité et les modalités. Nos compétences respectives sont en effet appelées à se conjuguer dans la conception de ces territoires qui devront être aménagés dans un souci permanent d'équilibre entre les volets écologique et social. Nous lancerons donc un appel à projets au cours du premier trimestre 2008.
Mesdames, Messieurs, je ne perds pas de vue que pour donner un nouveau souffle à la politique de la ville, il y aura un acteur central. Et cet acteur, ce sera le Maire !
Dominique PERBEN a été chargé par le Président de la République d'une mission sur la gouvernance métropolitaine, qui est un enjeu capital pour l'avenir des Villes. Il s'agit cependant d'une réflexion qui concerne surtout les très grandes villes. Je n'oublie pas que 95 % des villes françaises sont de petites ou de moyennes villes. Je crois que ce sont les élus de ces villes petites et moyennes qui sont en train de faire émerger une nouvelle forme de gouvernance locale. Je les en félicite et les y encourage. Ils ont réussi à créer des synergies formidables avec toutes les parties prenantes de la ville, à commencer par les habitants et les familles, auxquels la ville est d'abord destinée. Les citadins ne s'y trompent pas d'ailleurs quand ils affirment, comme le relève l'enquête menée par le CSA pour l'Association des Maires de France, que l'élu local le plus à l'écoute des préoccupations du citoyen est - et de loin - le maire. Pour avoir été maire, je sais ce que cela réclame de présence, de disponibilité de tous les instants et d'inventivité.
Dans le prolongement de cette enquête, celle que la Fondation Le Temps des villes a menée avec Opinion Way, et qui vous a été présentée ce matin, précise d'ailleurs cette attente : les français veulent un maire plutôt jeune, déjà rompu à la vie politique, porteur d'un véritable projet et totalement consacré à sa ville. Le message est clair : les français veulent que l'on s'occupe d'eux et ils comptent d'abord pour cela sur leur maire.
De plus en plus, la gouvernance locale s'étend, de manière organisée, aux entreprises aménageuses, où qu'elles se trouvent. Je souhaite rendre hommage à Epolia et à Eiffage, dont je salue ici la présence de son Président, Jean-François ROVERATO, pour leur volonté de s'impliquer dans cette gouvernance locale dans les villes où elles sont présentes.
Nous arrivons en effet à un moment très important : c'est celui qui consiste à impliquer de manière plus systématique les entreprises et les associations de citadins et d'usagers de la ville et des transports dans les processus de définition des projets d'aménagement urbain. Comme le disait François BLOCH-LAINE, il y a 20 ans, « la technocratie des promoteurs est infirme sans la démocratie des habitants ».
Prenons l'exemple du problème de l'accessibilité des centres-villes. Je suis persuadée que cette question ne pourra être traitée sans la consultation et l'implication des associations de personnes handicapées, de seniors, d'usagers, qui vivent la ville au quotidien.
J'ai relevé avec grand intérêt la proposition qu'a émise François RIVIERE, au nom de la Fondation, de participer à la mise en place du plan national d'accessibilité que doivent rendre très rapidement les Maires, dans toutes les villes où Epolia est présente. Cette initiative constituerait une avancée considérable, non seulement parce qu'elle permettra aux Maires d'établir, dans les délais impartis, leur plan d'accessibilité au centre-ville, mais aussi parce que ce plan d'accessibilité aura une pertinence et une légitimité encore plus grandes. Car il s'appuiera sur les recommandations et les témoignages de toutes les associations qui oeuvrent localement dans chaque ville.
Je suis également tout à fait en phase avec l'idée de faire participer les associations à l'élaboration d'aménagements urbains, en amont de ceux-ci. Je crois d'ailleurs, comme vous, François RIVIERE, Messieurs les Administrateurs de la Fondation, que les entreprises aménageuses pourraient aussi s'engager à soutenir et développer davantage de partenariats avec les associations. Car elles oeuvrent localement pour l'amélioration de la qualité de vie en centre-ville, pour la cohésion sociale, pour la solidarité. En effet, ces associations ne peuvent travailler efficacement en comptant sur le seul appui des municipalités et des conseils généraux, dont les ressources sont toujours insuffisantes par rapport aux besoins. Il nous faut trouver de nouveaux moyens de coopération entre les acteurs économiques et sociaux, au bénéfice de tous et d'abord de nos concitoyens les plus fragiles.
En conclusion Mesdames, Messieurs, nous avons un programme de travail bien chargé.
Je soumettrai naturellement toutes ces nouvelles orientations au Conseil National des Villes afin de recueillir son avis et ses préconisations.
Je demanderai par ailleurs à Messieurs RIVIERE et ROCHEFORT de me remettre pour le 15 février 2008 un rapport d'étape sur leurs travaux respectifs. Mon souhait est de pouvoir organiser dès le mois de mai 2008 un « Printemps des Villes » afin de rassembler l'ensemble des contributions et d'acter résolument l'entrée de notre pays dans une nouvelle étape de sa politique de la ville.
Notre ambition doit également dépasser le cadre de nos frontières. Au deuxième semestre 2008, la France en effet prendra la succession de la Slovénie pour la présidence de l'Union européenne.
Lors de sa dernière présidence, en 2000, notre pays avait orienté de façon décisive les réflexions menées sur la politique de la ville à l'échelle européenne. Un forum avait débouché en 2002 sur la genèse du programme URBACT. La France dispose donc d'une réelle capacité d'entraînement des autres Etats membres sur ce sujet.
J'ai donc souhaité qu'au cours de la présidence française de l'Union européenne, nous réunissions à l'automne prochain tous nos voisins et amis pour un forum européen, intitulé « Forum des villes - Lieux de vie, lieux de respect ».
Je crois que nous avons tous les atouts pour devenir l'élément moteur d'une nouvelle conception de la ville à l'échelle européenne. Ne ratons pas cette opportunité extraordinaire de la présidence française !
Mesdames, Messieurs,
MACHIAVEL disait bien que la cité était avant tout un corps vivant qui exigeait des soins réguliers, notamment en période de croissance.
L'éclatement de nos villes est le reflet de l'éclatement de notre société. Leurs destins sont intimement liés. Aux efforts qu'il nous faut désormais déployer, au lendemain du Grenelle de l'environnement, pour vivre en harmonie avec la nature physique, doivent s'ajouter des efforts tout aussi urgents pour repenser la cité en harmonie avec notre nature sociale.
Gardons à l'esprit que sommes issus de deux traditions qui nous prédisent un destin apparemment contradictoire :
La tradition judéo-chrétienne a souvent fait de la ville le symbole de la perdition et du mal. Comme l'explique le philosophe Jacques ELLUL, « la ville est par excellence le monde de l'homme créé par lui et pour lui, mesure de sa grandeur, (...) mais en même temps le témoin de la démesure humaine, oeuvre de l'avidité d'argent et d'ambition, dont les hommes deviennent esclaves. » La cité, dans ces conditions, est vouée à devenir le lieu de la non communication. Elle porte en elle la cause sa propre perte...
L'antiquité classique a au contraire fait de la ville l'outil de la civilisation, le lieu par excellence de l'exercice de la démocratie et un objet d'espérance.
Ces deux traditions ont forgé notre civilisation dans une tension vivifiante et créatrice. Sachons nous en nourrir pour préparer la ville dans laquelle vivront nos enfants. C'est un chantier majeur : l'heure est venue de porter très haut nos ambitions.
Je vous remercie.
source http://www.ville.gouv.fr, le 30 novembre 2007