Texte intégral
Monsieur le président, Mesdames et messieurs les députés,
Le 9 février dernier, le Sénat a adopté en 2ème lecture le projet de loi portant réforme de l'ordonnance du 13 octobre 1945 relative aux spectacles.
Il y a ajouté deux amendements :
- l'un de pure coordination avec la loi de finances pour 1999 (exonération à hauteur de 100% de la taxe professionnelle au lieu de 50%) proposé par le gouvernement.
- l'autre, présenté par Monsieur Gouteyron, Président de la commission des affaires culturelles, précisant à l'alinéa 6 de l'article 4 du projet de loi la nature juridique des contrats conclus entre un entrepreneur de spectacle établi en France et un entrepreneur de spectacle qui n'y est pas établi. Cet amendement a été adopté malgré lavis défavorable du Gouvernement.
Les difficultés auxquelles il prétend remédier sont bien connues, et avaient d'ailleurs fait l'objet dune proposition d'amendement lors de la seconde lecture devant votre assemblée, proposition que votre rapporteur, et je l'en remercie, avait bien voulu retirer à la suite des précisions que je lui avais alors apportées.
Quel était le but poursuivi : déterminer clairement, lorsqu'un entrepreneur de spectacles accueille une troupe ou un orchestre étranger, à qui incombent les responsabilités qui sont celles de l'employeur, notamment en matière de droit du travail et de sécurité sociale.
J'ai eu l'occasion, au nom du Gouvernement, d'exprimer, aussi bien à l'Assemblée Nationale qu'au Sénat, mes réticences sur ces amendements. Mon analyse est que ces modifications rédactionnelles n'apportent pas de solutions aux questions quelles prétendent résoudre. L'article 1er de l'ordonnance, tel que les deux chambres l'ont adopté, précise en effet clairement les responsabilités respectives des producteurs, organisateurs de tournées et exploitants de lieu. Ce projet de loi, largement inspiré des travaux des partenaires sociaux, autorise sans ambiguïtés la prestation de service, il m'apparaît donc inutile d'y faire sans cesse référence.
Pour autant, aujourd'hui, je demande à votre assemblée d'adopter conforme le texte qui vous est soumis et ce, pour deux raisons :
Ce texte, amplement et justement enrichi par la représentation nationale, apporte un progrès décisif en matière de contrôle du respect de la législation sociale et je souhaite qu'il soit mis en oeuvre le plus rapidement possible.
L'amendement adopté par le Sénat, ne peut, selon les termes du Rapporteur, « être désapprouvé « . En effet, il n'aura pas d'incidence négative sur la protection sociale des artistes-interprètes et des techniciens du spectacle vivant.
Je souhaite, si vous le voulez bien, préciser et développer ce dernier point car il fonde ma détermination.
L'objet de l'article 4 est de préciser les obligations qui incombent aux entrepreneurs de spectacles non établis en France. Ceux-ci, lorsqu'ils viennent présenter un spectacle sur notre territoire sont placés devant l'alternative suivante : soit ils sollicitent une licence pour la durée des représentations envisagées, ils sont alors soumis à un régime d'autorisation dans les mêmes conditions que les entrepreneurs établis en France ; soit ils effectuent une simple déclaration préalable lorsque le spectacle qu'ils envisagent fait l'objet d'un contrat conclu avec un entrepreneur détenteur de la licence.
Le rapport de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales relève que l'ajout du Sénat est source d'ambiguïtés et formule deux observations. Je tiens à y répondre dès maintenant dans la mesure où elles rejoignent mes propres préoccupations ainsi que celles de certaines organisations syndicales et professionnelles.
1.Sur la première observation :
La commission indique en premier lieu que « la nature de contrat d'entreprise exclut toute présomption de salariat entre l'entrepreneur français et les artistes étrangers venus temporairement se produire en France à son invitation « .
Je pense qu'il convient de confronter cette analyse en fonction de deux types de situations concrètes.
1ère situation. Le contrat de prestation de services répond aux conditions fixées par l'article L.341-5 et suivants du code du travail : Le producteur établi hors de notre territoire est l'employeur du plateau artistique. Il est tenu de respecter les dispositions législatives, réglementaires et conventionnelles applicables aux salariés employés par les entreprises de la même branche d'activité, établies en France, en matière de sécurité sociale, de régimes complémentaires interprofessionnels ou professionnels, de rémunération, de durée du travail et de conditions de travail dans les limites et selon les modalités déterminées par les articles D.341-5 et suivants du code du travail.. L'amendement du Sénat n'apporte pas d'élément nouveau.
Pour autant, cela ne signifie pas que les autres contractants soient exonérés de toutes responsabilités au regard de l'emploi des salariés qui contribuent à la représentation publique du spectacle. En effet, les dispositions de l'article L. 324-14 du code du travail établit une responsabilité solidaire entre le donneur d'ordre et le prestataire de services lorsque le contrat porte sur une obligation d'un montant au moins égal à 20 000 F en vue de la fourniture dune prestation de services.
La solidarité financière du diffuseur qui achète un spectacle est engagée sil ne procède pas à un certain nombre de vérifications qui ont toutes pour objet de s'assurer qu'il contracte avec une entreprise, régulièrement établie dans un Etat étranger, et qui détache ses salariés temporairement en France dans des conditions de travail précisément définies.
2ème situation. Le contrat en cause ne répond pas aux conditions fixées par l'article L.341-5 du code du travail, il n'est donc pas un contrat de prestation de services et on peut se trouver en présence dune situation de fausse sous-traitance susceptible d'être qualifiée de travail dissimulé : travail illégal, prêt de main d'oeuvre ou marchandage. Devant une telle situation, le juge pourra procéder, comme il la toujours fait, à la requalification du contrat d'entreprise en contrat de travail en faisant peser la présomption de salariat sur le cocontractant établi en France. Les parties au conflit pourront clairement alléguer que la loi a été détourné.
Voici pour la première observation.
2.Sur la deuxième observation :
la commission estime que le « dispositif adopté par le Sénat systématise la qualification de prestation de services, alors que, dans certains cas, pour les solistes notamment, il est tout à fait envisageable que l'entrepreneur français salarie effectivement l'artiste produit par un entrepreneur étranger « .
Sur ce point, je souhaite rassurer votre assemblée :
l'entrepreneur de spectacles établi en France conserve toute liberté d'engager des artistes-interprètes de nationalité étrangère.
L'entrepreneur qui engage des artistes, directement ou par l'intermédiaire d'un imprésario ou d'un agent artistique, n'est absolument pas concerné par les dispositions de l'alinéa amendé. Pour conclure des contrats de travail, il devra remplir au moins deux conditions : être titulaire dune licence de producteur et obtenir, sil y a lieu, les autorisations de travail pour chacun des salariés qu'il se propose d'engager.
Ces précisions nécessaires sont pour moi l'occasion de revenir sur le fait que le maintien de la réglementation de la profession d'entrepreneur de spectacles vivants et sa réforme répond à un engagement pris par l'Etat pour mieux encadrer le régime d'indemnisation des intermittents du spectacle. Dans l'hypothèse où un entrepreneur tenteraient de s'abriter derrière la qualification juridique des contrats d'entreprise pour prétendre s'exonérer de toute responsabilité d'employeur en la transférant sur des tiers insolvables ou sur les salariés eux-mêmes, le projet de loi donne les moyens d'y remédier.
Je rappelle que c'est le respect du droit social et de la propriété littéraire et artistique qui conditionne l'octroi des licences et des subventions publiques.
Les administrations et organismes chargés du contrôle de l'application du droit du travail, de la sécurité sociale et de la propriété littéraire et artistique sont autorisées à communiquer aux directeurs régionaux des affaires culturelles, les éléments d'informations qui leur seront utiles pour instruire les procédures de retrait de la licence d'entrepreneur de spectacles vivants.
De plus, le projet de décret d'application de l'ordonnance, en préparation, précisera les mentions qui devront figurer obligatoirement dans les contrats visés à l'alinéa 6 de l'article 4 de l'ordonnance en vue de faciliter les contrôles de l'application des dispositions réglementaires prise en application de l'article L. 341-5 du code du travail (D.341-5 à D.341-5-14).
Enfin, comme je m'y étais engagée lors du précédent débat devant vous, une circulaire conjointe du ministère de la culture et de la communication et du ministère de l'emploi et de la solidarité apportera toutes les précisions utiles pour l'application de ces dispositions.
Puisque nous arrivons au terme du travail parlementaire, je voudrais profiter de ce débat pour remercier les organisations professionnelles et syndicales du spectacle vivant qui ont su faire preuve au cours de ces derniers mois de leur sens des responsabilités dans le domaine de la négociation collective.
Pour sa part, l'Etat s'est engagé à réformer la réglementation de la profession d'entrepreneur de spectacle pour préciser et encadrer les responsabilités de chacun des intervenants, et je mettrai en oeuvre toutes les mesures à ma disposition pour faire respecter la lettre et l'esprit de cette réforme.
Le débat parlementaire a été extrêmement riche et ce projet a recueilli la quasi unanimité de la représentation nationale.
Je vous pris d'excuser la longueur et le caractère un peu technique des précisions qui ont été apportées à propos de l'article 4, qui nest pas, loin sans faut, le coeur du débat. Cependant, ces explications me paraissaient tout à fait nécessaire pour écarter toute incompréhension sur la portée générale de ce texte qui apporte fondamentalement, une protection renforcée aux artistes de ce pays.
Je vous remercie vivement, Monsieur le Rapporteur, Mesdames et Messieurs. les Députés, pour le travail que vous avez accompli et le soutien que vous m'avez apportée et, par mon truchement, à l'ensemble dune profession essentielle à la vie culturelle de ce pays. Il est désormais temps de disposer dune législation rénovée, simplifiée, et surtout adaptée aux évolutions du spectacle vivant tout en conservant le caractère protecteur qui a permis, comme vous lavez souligné, Monsieur le Rapporteur le 5 mars 1998 lors de la première lecture de ce projet, de sauvegarder un grand nombre de salles précieuses pour le patrimoine architectural et la mémoire de ce secteur d'activité.
Je vous demande de bien vouloir adopter ce texte.
( Source http://www.culture.gouv.fr, le 12 mars 1999 )