Interview de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'Etat chargée de l'écologie, à RTL le 17 janvier 2008, sur la décision de justice concernant le naufrage de l'Erika.

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Texte intégral

C. Hondelatte.- On connaît donc depuis hier soir, et après sept mois de procès, la décision de la justice concernant la catastrophe de l'Erika : Total, l'armateur du bateau, l'exploitant, la société de contrôle italienne, devront payer 192 millions d'euros de dommages et intérêts à tous ceux qui avaient porté plainte, et notamment à la Ligue de protection des oiseaux, qui va toucher de l'argent au titre de ce que l'on appelle le "préjudice écologique", au nom en fait des oiseaux mazoutés. Et ça, c'est une grande première dont on voulait prendre toute la mesure politique avec la secrétaire d'Etat à l'Ecologie, N. Kosciusko-Morizet. Bonjour. On commence par un peu de pédagogie, parce que vous êtes douée pour ça et parce que c'est un peu compliqué : jusqu'ici, on ne reconnaissait que des préjudices économiques, pour les pêcheurs, pour les communes, etc. ; là, on dit pour la première fois qu'il faut indemniser la nature, les oiseaux, la mer. C'est ça ?
 
R.- Oui, c'est-à-dire qu'en fait, jusqu'ici, en cas de marée noire, c'est vrai pour les marées noires, mais c'est vrai aussi pour toutes les pollutions, on regardait qui avait perdu financièrement du fait de la pollution. Donc, on prenait les pêcheurs qui n'avaient pas pu pêcher, on prenait des hôteliers qui avaient perdu des nuitées, on multipliait le nombre de nuitées, et puis on en calculait un préjudice économique. Mais l'oiseau mazouté, le promeneur qui avait vu sa promenade le long de la côte détruite, l'association environnementale plutôt portée sur la contemplation de la nature ou tout simplement les collectivités territoriales qui avaient perdu en terme d'image - parce que vous savez que ces reportages qui passent à la télévision associés à des noms de communes, ce n'est évidemment pas bon pour elles -, tout ça, ce n'était pas pris en compte. Et donc, c'est véritablement quelque chose de très révolutionnaire dans le droit de l'environnement que l'émergence de cette notion de préjudice écologique. C'est révolutionnaire, mais c'était attendu depuis trente ans par les associations. Donc, c'est...
 
Q.- Mais l'oiseau mazouté, s'il a survécu, il ne va pas toucher d'argent, on est bien d'accord ?
 
R.- Ce n'est pas l'oiseau qui touche, ce sont tous ceux qui portent la valeur de l'écologie en quelque sorte ; en l'occurrence, c'est la Ligue de protection des oiseaux qui d'ailleurs s'était engagée pour sauver, pour démazouter un certain nombre d'oiseaux, qui demandait à ce titre, 70 euros par oiseau ; c'est la Ligue de protection des oiseaux qui va toucher.
 
Q.- Et le reste, c'est l'Etat ?
 
R.- Le reste, c'est l'Etat, ce sont les collectivités territoriales. Les collectivités territoriales ont aussi une part au titre du préjudice d'image.
 
Q.- Alors, manifestement, les juges de Paris ont trouvé dans le code de quoi formuler cette condamnation, alors qu'on disait qu'il faudrait une nouvelle loi. Il n'y a pas forcément besoin d'une nouvelle loi puisque l'arsenal est là ? Ils y sont arrivés.
 
R.- Il y a des bases juridiques, qui ont d'ailleurs été renforcées depuis la charte constitutionnelle de l'Environnement. Vous savez, il y avait ce fameux article 4 dont on s'est beaucoup demandé s'il était ou non le principe pollueur-payeur. Eh bien, l'article 4, il permettait surtout de faire référence à ce que l'on appelait le préjudice écologique pur. Ceci dit, cette nouvelle jurisprudence, elle ne veut pas dire que notre droit est encore parfait, et d'ailleurs dans la prochaine loi "Grenelle", au printemps, la loi qui fait suite au "Grenelle de l'environnement", on aura de nouveaux éléments sur la responsabilité en matière d'environnement, qui feront suite à la directive européenne sur la responsabilité environnementale. Le droit "responsabilité environnementale", c'est quelque chose qui se construit, parce que...
 
Q.- Mais le parti socialiste vous réclame une loi qui instaurerait vraiment nommément le préjudice écologique.
 
R.- Mais la loi sur le "Grenelle de l'environnement" du printemps, le parti socialiste d'ailleurs le sait bien, elle définit les responsabilités en la matière. Cela ne veut pas dire d'ailleurs qu'elle résout tous les problèmes. Pourquoi ? Parce que là, on est dans une situation de pollution internationale, qui est couverte par des conventions internationales, et donc, on progresse sur le droit français ; il progresse vite en matière de jurisprudence, on l'a vu avec l'Erika, prochainement avec la loi qui fait suite au "Grenelle de l'environnement". En matière de droit international, on a encore du travail. Mais cette jurisprudence, elle permet aussi d'envoyer un signal à tous ceux qui négocient les conventions maritimes internationales et qui, parfois, sont un peu moins allants que la France.
 
Q.- Mais ça ne vaut pas d'ailleurs que pour les choses maritimes, cette affaire-là. Cela peut aussi valoir pour une usine qui pollue l'air, non ?
 
R.- Ça ne vaut pas que pour les choses maritimes, mais pour une usine qui pollue l'air, c'est plus facile parce qu'on est en franco-français. La difficulté, pour les questions de marées noires, c'est que...
 
Q.- Qu'on est à l'international. Merci, N. Kosciusco-Morizet.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 17 janvier 2008