Déclaration de M. Michel Barnier, ministre de l'agriculture et de la pêche, sur le projet de loi d'encadrement de l'utilisation des OGM et des biotechnologies, au Sénat le 5 février 2008.

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Circonstance : Présentation du projet de loi OGM au Sénat, à Paris le 5 février 2008

Texte intégral

C'est une question majeure pour notre société que traite le projet de loi soumis à votre examen.
Les décisions qui seront prises auront des conséquences importantes pour le secteur économique dont j'ai la responsabilité.
Dans le prolongement de tous les travaux et débats de l'Assemblée Nationale et du Sénat sur les OGM, c'est bien à la représentation nationale de définir les principes qui doivent encadrer la question des OGM et des biotechnologies. Ce débat, ce temps du débat parlementaire doit être respecté. Il doit avoir lieu dans des conditions les plus objectives et je souhaite qu'il permette à la raison de prendre le pas sur la passion dans ce dossier sensible et difficile.
Prendre le pas sur la passion,
C'est se fonder sur une expertise scientifique légitime et acceptée par tous,
C'est faire usage du principe de précaution au seul regard de la connaissance scientifique et de son évolution,
C'est prendre en compte de nouveaux critères, tels que les risques économiques, sociaux ou éthiques,
C'est enfin redonner au débat public sa dimension pédagogique, sa dimension démocratique.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
En 2050, il faudra nourrir 9 milliards de personnes sur la planète.
La tension sur les marchés sera très forte. Elle l'est déjà aujourd'hui. Nous ne pourrons pas indéfiniment augmenter les surfaces cultivables et utiliser indéfiniment davantage d'eau. Nous ne pourrons pas non plus ignorer le réchauffement de la planète et toutes ses conséquences sur les systèmes agricoles. Nous ne pourrons pas enfin sous-estimer les risques de pollution face à une agriculture qui a été trop intensive.

Il nous faut donc intégrer les contraintes croissantes liées à la gestion des ressources naturelles, et en particulier de l'eau, mais aussi répondre aux enjeux d'autonomie alimentaire, de pouvoir d'achat et d'indépendance économique.
Produire plus pour nourrir et produire mieux : voilà le grand défi agricole d'une agriculture durable pour aujourd'hui et pour demain !
C'est un véritable défi qui ne peut être relevé qu'avec la recherche, les biotechnologies et l'innovation.
Nous devons impérativement rester dans la course de l'innovation, y compris concernant la recherche sur les OGM de demain, qui touchent en particulier le blé ou le colza, productions végétales clés pour l'Europe et pour la France.
Nous devons rester dans la course pour participer au développement des nouvelles variétés qui intégreront les contraintes climatiques et les enjeux écologiques nouveaux, et je ne parle pas seulement des OGM. Il nous faut être capables de produire au niveau européen des plantes résistantes à la sécheresse, il nous faut être capables de produire des plantes moins consommatrices d'engrais.
Abandonner ces développements nous rendrait dépendants, dans un avenir très proche, des puissances économiques qui, elles, ont fait sans ambiguïté le choix du développement biotechnologique et qui investissement massivement dans la recherche. A titre d'exemple, les Etats Unis réalisent 100 fois plus d'essais que l'Europe toute entière ! Nul part il n'est écrit - et personnellement je ne m'y résoudrai jamais - que la recherche soit indienne, l'agriculture brésilienne et la facture européenne ! Refuser ces évolutions nous isolerait du reste du monde et rendrait notre agriculture moins compétitive. Déjà l'écart de prix du maïs entre les Etats-Unis et l'Europe est marqué par un écart de compétitivité de plus de 100 euros par tonne.
La compétitivité de notre agriculture dépasse largement la seule économie agricole. Elle est un enjeu majeur pour notre économie nationale. Je rappelle qu'elle génère plus de 9 milliards d'euros d'excédents commerciaux et qu'elle représente, avec l'agro-alimentaire, près de 1,5 millions d'emplois dans des territoires parfois difficiles.

Face à ce défi, le plan de 45 Meuros en faveur des biotechnologies végétales est un signal fort voulu par le Gouvernement.
Avec Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, dont je salue l'engagement résolu sur ce dossier, nous partageons cette même volonté pour la recherche française d'accélérer son développement dans le domaine des biotechnologies.
La recherche n'est pas une option. C'est une nécessité, et elle ne se fait pas uniquement dans les laboratoires. La recherche, c'est aussi l'expérimentation en milieu ouvert.
Il nous faut donc rendre possible la recherche en plein champ, et dès 2008, comme il faut des essais en vol pour l'aéronautique !
Voilà pourquoi, j'ai demandé et nous avons obtenu du Premier Ministre que, par décret, soit mise en place une commission d'évaluation des demandes d'autorisation d'essais en plein champ, en attendant la future instance prévue par la loi sur les OGM. Cette commission nous permettra d'autoriser dès 2008 des essais en champ dans des conditions naturellement sécurisées.
Au-delà même de la recherche - qui est indispensable - nous devons également répondre à la perte de confiance de la société vis-à-vis de la science et du développement.
Nous devons impérativement sur ces questions de biotechnologies et d'OGM restaurer la confiance. C'est notre responsabilité commune en tant qu'acteurs de la vie politique de notre pays, quels que soient les bancs sur lesquels nous sommes assis.
Le projet de loi dont vous allez débattre en est une étape et un moment essentiels pour restaurer la confiance.
Il propose d'encadrer l'utilisation des OGM sur la base des principes affichés lors du Grenelle de l'environnement : responsabilité, précaution, transparence et libre choix.
Comme vous le savez, la directive 2001/18 a été transposée par décret dans toutes ses dispositions obligatoires. Cette même directive laissait aux Etats membres la possibilité de fixer des garanties de coexistence entre les cultures OGM et l'agriculture conventionnelle. La loi est nécessaire pour les définir de même que pour réformer l'instance d'évaluation.
Sans revenir dans le détail du texte, je souhaiterais maintenant évoquer avec vous trois points, auxquels je suis attaché en tant que ministre de l'agriculture et de la pêche.
L'instance d'évaluation (article 2)
L'instance d'évaluation doit répondre à trois objectifs :
- regrouper des expertises qui étaient jusque-ici éclatées entre plusieurs instances, en particulier au sein de la commission du génie biomoléculaire et de la commission du génie génétique ;
- renforcer l'expertise dans certaines disciplines et développer l'analyse socio-économique ;
- élargir sa composition à des représentants de la société civile.
Ces évolutions s'effectueront en complément des missions également dévolues à d'autres structures autonomes :
- L'AFSSA gardera son mandat d'évaluation du risque sanitaire et travaillera avec la haute autorité lorsque son expertise sera nécessaire.
- Il nous faut par ailleurs, d'une manière ou d'une autre, instituer le comité national de la biovigilance, dont le mandat dépassera les seules questions relatives aux OGM. Je pense en particulier à la biovigilance liée aux phytosanitaires pour lesquels, à la demande du président de la République, j'ai engagé un plan de réduction sur 10 ans baptisé Plan Ecophyto 2018. S'agissant des OGM, ce comité travaillera en concertation avec l'instance d'évaluation.
Il nous faut enfin tirer les leçons de l'évaluation qui a été conduite par le comité de préfiguration de la haute autorité sur le maïs MON 810.
Il vous appartiendra de préciser le fonctionnement de la future instance d'évaluation. Celle-ci devra permettre au politique de décider sur la base d'un avis scientifique clair tout en prenant en compte, par ailleurs, des considérations d'ordre socio-économiques.
Responsabilité (article 5)
La coexistence entre cultures OGM et cultures conventionnelles exige un partage clair des responsabilités. Nous avons besoin d'un régime de responsabilité de plein droit pour le préjudice économique qui pourrait résulter de la présence accidentelle d'OGM.
Le système d'indemnisation ne pourra fonctionner que si l'on précise suffisamment le champ d'application de la responsabilité de plein droit de l'agriculteur qui a fait le choix des OGM :
- à la fois dans le temps, sur une même campagne de production ;
- et naturellement dans l'espace, ce qui pose la question difficile de la distance de dissémination par type de culture sur laquelle il faudra fixer, par la voie réglementaire, des règles claires.
Enfin l'obligation de souscrire une garantie financière pourra permettre de se prémunir contre un tel risque.
Toutefois cette obligation ne doit pas devenir une interdiction cachée en cas d'absence de produit assurantiel mis sur le marché.
La transparence (article 6)
Restaurer la confiance, c'est aussi montrer que nous n'avons rien à cacher. Nous devons être extrêmement rigoureux sur la transparence.
L'absence d'informations suscite l'inquiétude et sert de prétexte à des actions illégales et inacceptables à l'encontre des producteurs. C'est souvent le silence qui nourrit les peurs.
Chaque citoyen a des droits, entre autres celui d'être informé, mais aussi des devoirs, et en particulier celui de respecter le bien d'autrui et de ne pas utiliser une information publique à des fins de harcèlement.
Sur ce point, le message du gouvernement doit être très clair. Il n'y aura aucune tolérance vis-à-vis de ceux qui voudraient s'exonérer de la loi. Il faudra en particulier rappeler les sanctions encourues par qui enfreint cette règle.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
La loi permettra de fournir un cadre rigoureux à l'utilisation des OGM en France. Cette loi aboutira en particulier à la mise en place d'une instance d'évaluation qui tient compte des demandes exprimées au cours du Grenelle de l'environnement, animé avec détermination par Jean-Louis Borloo et Nathalie Kosciusko-Morizet.
Après ce grand moment qu'a été le Grenelle, et dans le prolongement de votre débat parlementaire, je reste convaincu qu'il faudra poursuivre l'information et le dialogue, sous toutes les formes possibles.
Chacun de nos concitoyens doit être en mesure de prendre la mesure des enjeux technologiques et de se faire une opinion sur la question des OGM.
Il faut que cette pédagogie se décline davantage dans notre pays en y associant les élus locaux, les agriculteurs, les associations, les consommateurs et les chercheurs. Il faut qu'elle enrichisse la réflexion européenne qui se poursuit et pour laquelle la France, compte tenu de ses potentiels agricole et de recherche, doit rester fortement engagée.
C'est encore une dernière raison pour laquelle le Gouvernement attache une grande importance à ce débat parlementaire qui doit poser les principes d'une gestion rigoureuse et plus sereine de la question des OGM dans notre pays.
Je vous remercie.
Source http://www.agriculture.gouv.fr, le 12 février 2008