Déclaration de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, sur l'importance de la ratification du Traité d'Amsterdam pour la poursuite de la construction de l'Union européenne et son élargissement, à l'Assemblée nationale le 2 mars1999.

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Circonstance : Présentation du projet de loi pour autoriser la ratification du Traité d'Amsterdam, à l'Assemblée nationale le 2 mars 1999

Texte intégral

RATIFICATION DU TRAITE D'AMSTERDAM DISCOURS DU MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES, M. HUBERT VEDRINE, DEVANT L'ASSEMBLEE NATIONALE (Paris, 2 mars 1999)
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Le présent projet de loi, que Pierre Moscovici et moi vous présentons cet après-midi, a pour objet dautoriser la ratification du Traité dAmsterdam modifiant le Traité sur lUnion européenne, les traités instituant les Communautés européennes et certains actes connexes.
Ce projet de loi vous est soumis après que le Parlement réuni en Congrès le 18 janvier à Versailles ait adopté la loi de révision constitutionnelle qui autorise à consentir les transferts de compétence nécessaires à la détermination des règles dans les domaines liés à la libre circulation des personnes. A ce jour, onze Etats membres de lUnion ont déposé leur instrument de ratification. Le Portugal, la Belgique et la Grèce ont achevé leur procédure parlementaire. La France est la dernière à le faire.
Lorigine du Traité dAmsterdam se trouve dans lArticle N du Traité de Maastricht qui prévoyait dès 1996 une convocation de la Conférence des représentants des gouvernements (lélaboration des Traités est en effet devenue si complexe que le travail prévu nest jamais complètement achevé et quil devient dusage de renvoyer la suite à un Traité ultérieur). Pour préparer cette Conférence intergouvernementale un groupe des représentants personnels (le groupe « Westendorp ») avait été installé, le 2 juin 1995. La CIG elle-même sétait ouverte le 29 mars 1996 à loccasion du Conseil européen de Turin. La négociation sest achevée lors du Conseil européen dAmsterdam dans la nuit du 17 au 18 juin. Enfin, jai signé le Traité pour la France, le 2 octobre 1997, à Amsterdam.
Pierre Moscovici vous présentera tout à lheure le Traité en tant que tel. Je voudrais en ce qui me concerne faire les observations suivantes :
Ce Traité ne constitue pas un bouleversement, mais une étape qui sinscrit dans une continuité et comporte plusieurs avancées utiles : ainsi le chapitre sur lemploi, mis en vigueur de façon anticipée lors du Sommet sur lemploi de Luxembourg en novembre 1997 ; ou des instruments nouveaux pour laction extérieure tels que le Haut représentant pour la PESC, les stratégies communes, les « coopération renforcées » ; ou encore une plus grande cohérence institutionnelle avec la communautarisation dune partie de lacquis des Accords de Schengen, le renforcement des pouvoirs du Parlement européen avec lextension de la procédure de co-décision ; lacceptation dune plus grande diversité dans la situation des Etats membres quexpriment la clause dérogatoire pour lacquis Schengen et le IIIème Pilier, les coopérations renforcées ; une affirmation plus marquée des réalités nationales, à travers le protocole sur le rôle des Parlements nationaux dans lUnion européenne, la clause de sauvegarde pour la PESC, ou encore le renforcement du principe de subsidiarité, « libératrice dénergie » selon le mot du président de la République.
Beaucoup de progrès, donc, mais aucune de ces dispositions ne remplace lindispensable réforme institutionnelle dampleur, les pays membres nayant pu, lors de la CIG, que constater leurs désaccords.
Néanmoins, Amsterdam est une étape utile pour lUnion, à un moment crucial où elle doit en même temps faire face à la négociation financière à quinze, à la négociation délargissement avec six nouveaux pays, au pilotage de leuro, à lélaboration de la PESC, et cela au moment même où la mondialisation malmène et défie cette Union tout en lui fournissant aussi, il est vrai, des opportunités et en lui conférant des responsabilités. Rarement notre Union aura eu à résoudre autant de problèmes et à relever autant de défis en même temps.
LAgenda 2000, tout dabord. Sur ce sujet très complexe dont vous connaissez les enjeux, financiers et politiques, il nest pas anormal que des tensions apparaissent, jusquà donner limpression dune crise ou, en tout cas, dun blocage : javais envisagé cette hypothèse ici même, lors dun débat sur lEurope, dès le 2 décembre 1997. Comment sen étonner dès lors que lAllemagne (avec dautres) veut réduire sa contribution nette, que les pays de la cohésion veulent recevoir toujours autant, que la Grande-Bretagne veut préserver son chèque et gagner toujours autant des fonds structurels, que la France et lItalie refusent à juste titre dêtre les variables dajustement du nouveau paquet, que chacun est prêt à sacrifier les politiques communes qui ne lintéressent mais entend conserver les autres ; que les exigences budgétaires nationales imposent une maîtrise des dépenses communautaires pour ne pas gonfler la contribution brute des Etats, et quil faut dans le même temps déjà penser à financer lélargissement futur ?
Quadrature du cercle apparemment insoluble, mais quil faudra bien résoudre, et que nous résoudrons.
Mais ne faisons pas pour autant des difficultés sur lAgenda 2000 un problème franco-allemand. Entre lAllemagne et nous, il ny a pas dharmonie automatiquement préétablie, tout simplement parce que nos intérêts sont souvent divergents, mais une volonté de réduire ces divergences et de travailler ensemble. Au jeu de la négociation entre les Quinze, il est normal que chacun défende dabord ses intérêts. Et malgré cela, plusieurs points de convergences ont quand même déjà été constatés au Sommet de Potsdam, comme par exemple : le plafonnement des ressources propres, au niveau de 1,27 % la stabilisation de la dépense à 15, la distinction entre les dépenses à 15 et les dépenses destinées à financer lélargissement. Mais nen doutez pas. Au bout du compte, il y aura bien un accord franco-allemand, et aussi entre les Quinze et je lespère dès mars. Il faudra, pour cela, que chacun ait fait preuve desprit de compromis. Cest dans cet esprit que nous avons fait des propositions, telles que la dégressivité des aides directes agricoles, et que nous attendons de nos partenaires des ouvertures comparables. A la réunion informelle de Petersberg, le chancelier Schröder a manifesté la volonté de la présidence allemande de poursuivre les discussions sur des bases et avec une méthode qui tiennent compte des enseignements de ces premières semaines.
Je noublie pas que bien dautres problèmes se posent encore dans le cadre de cette négociation qui concerne lEspagne et le fonds de cohésion, le Portugal et les zones de fonds structurels, lItalie avec la substitution de la TVA par le PNB pour le calcul des ressources propres, le Royaume-Uni avec son chèque.
Lautre grande tâche qui nous attend au cours des prochaines années est de réussir lélargissement, - actuellement négocié avec six pays en attendant les autres -. Réussir, cest à dire convaincre les pays candidats de la nécessité de se préparer très sérieusement à cette échéance et dutiliser le temps encore disponible pour cela. Cest le mettre à profit aussi pour préparer lUnion à ces rendez-vous, cest-à-dire la réformer, je vais y venir. Mais cest aussi éviter de laisser sur le bord de la route certains pays candidats, pour ne pas aggraver leurs problèmes. Je me réjouis que le réalisme et le sens des responsabilités lemportent maintenant en Europe sur ces sujets, car cest ainsi que nous pourrons faire aboutir mieux et plus vite ces négociations délargissement, sur des bases plus solides. La négociation doit être sérieuse jusquau bout et nocculter aucun problème. Ce sera bien sûr à la Commission danalyser et de donner son avis, mais au Conseil de garder la maîtrise politique du processus.
Cette perspective délargissement ne rend que plus nécessaire la réforme institutionnelle à laquelle votre assemblée est si justement attachée : nos idées à ce sujet ont gagné du terrain. Nos partenaires sont de plus en plus nombreux à reconnaître la réalité du problème et la nécessité de réformer avant délargir, si lon veut que lUnion puisse encore fonctionner demain. La déclaration franco-italo-belge est devenue la référence. Deux questions se posent : lune de contenu et lautre de méthode.
· Sur le contenu : faut-il sen tenir à la taille de la Commission, à la pondération des voix au Conseil, à la majorité qualifiée, questions non tranchées à Amsterdam ? ou au contraire aller plus loin ? Ma réponse est que la solution à ces trois questions ne pourra, à elle seule, régler tous les problèmes posés par le fonctionnement dune Europe à 25 ou à 30, mais que cest un préalable. Nécessaire, mais insuffisant. Commençons par en convaincre nos partenaires, sans exclure daller plus loin.
· Sur la méthode : quand nous lancerons, au Conseil européen de Cologne, en juin, ce processus de réforme, il faudra éviter les erreurs passées. Une CIG prématurée restituerait les clivages dAmsterdam presquinchangés. Pour préparer les bases dun accord, on peut imaginer de confier, dans un premier temps, à une personnalité ou un groupe de personnalités un travail de décantation. Pierre Moscovici y reviendra tout à lheure.
LUnion européenne a encore bien dautres tâches urgentes à accomplir, faire de leuro la monnaie de lespace de croissance et du « continent de linnovation » dont a parlé le Premier ministre, adopter le pacte européen pour lemploi, poursuivre lharmonisation fiscale et sociale, réaliser lespace de sécurité, de liberté et de justice, auquel sera dailleurs consacré le Conseil européen extraordinaire de Tempere sous présidence finlandaise.
Au-delà de ces tâches pressantes et sans attendre la conclusion des négociations actuelles, il nest pas prématuré de réfléchir à la suite et aux perspectives à plus long terme du processus européen, pour achever de bâtir cette Europe sûre, libre et créatrice, utile au monde, que nous avons à lesprit.
Il nous faudra concilier lélargissement de lUnion à un plus grand nombre dEtats, et donc sa diversification, et la nécessité que nous ressentons, nous Français, si intensément, de voir lEurope saffirmer encore davantage comme un acteur doté de tous les attributs de la puissance et de linfluence modernes, au service de nos intérêts et de nos convictions.
Cela nous impose de dire ce que nous voudrons, au bout du compte, mettre en commun dans cette « Europe humaine et puissante » quappelle de ses voeux le président de la République, dans cette « Union de Nations » dont parle le Premier ministre, desquisser ce que devra être, dans une Europe élargie, le socle de politiques communes engageant tous les Etats membres - en matière économique, agricole, sociale, de sécurité et de justice, de PESC - et ce qui relèvera de la libre coopération à géométrie variable entre Etats.
Car cest ma conviction : un recours accru à des géométries variables, sans carcan inutile, simposera. Faute de pouvoir être satisfait dans le cadre institutionnel de lUnion, ce besoin sexprimerait en dehors. Mieux vaudrait, pour lUnion, inventer à temps les arrangements institutionnels nécessaires, en sinspirant entre autres des précédents de Schengen ou de lUEM, et en donnant tout son sens au principe de subsidiarité.
Nous sentons bien quau stade où nous sommes parvenus, nous ne progresserons encore quavec ladhésion active des peuples cest-à-dire en créant un véritable espace commun, et je ne pense pas dabord à des mécanismes institutionnels ou juridiques mais à un vrai lien entre les sociétés de nos pays à travers léducation, la presse, la culture, les échanges et la mobilité. Et quassurer la vitalité, le rayonnement de nos cultures, afin quelles puissent par leur dialogue nourrir cette identité européenne, et quelle-même puisse être une des composantes de la diversité culturelle mondiale, est une de nos plus hautes tâches.
Jour après jour, nous allons aussi à donner corps à la PESC, sans nous contenter de prises de positions sur les grands principes. Une volonté politique, pédagogique, et méthodique sera jour après jour nécessaires pour rapprocher les mentalités, élargir le champ des références communes, monter de plus en plus dactions concrètes, mobiliser nos moyens au service des mêmes objectifs, mener des stratégies communes telles que celle à laquelle nous travaillons sur la Russie. Soyons patients. Depuis lapparition du sigle, il y a dix ans, la PESC a parfois été victime de limpatience sympathique ou des désillusions prématurées de ses propres partisans. Mais soyons tenaces.
Quant à lémergence dune défense européenne que nous appelons depuis longtemps de nos voeux et voulons hâter par nos actes, noublions pas quelle se heurte à une difficulté particulière : une organisation de défense commune satisfaisante existe déjà aux yeux de la plupart des pays européens : lOTAN. Comme si, toutes choses égales par ailleurs, en matière monétaire, il y avait déjà eu une face au projet de monnaie commune européenne, une autre monnaie commune, le dollar. Doù limportance du processus franco-britannique amorcé à Saint-Malo pour doter lUnion dune capacité autonome danalyse, dévaluation, de planification de décision, ainsi que de moyens propres, en harmonie avec lAlliance et en bonne entente avec les Etats-Unis. Dores et déjà cette démarche a frappé les esprits. A travers elle, notre but est de montrer quune initiative de défense européenne peut trouver sa place dans lAlliance atlantique, quun leadership européen est possible, notamment là où les intérêts des Européens sont en jeu et où les Etats-Unis ne veulent pas intervenir, que lAlliance et lEurope y gagneraient ensemble.
Sur tous ces points qui engagent lavenir de lEurope, un travail de réflexion approfondie est en cours avec nos partenaires, en particulier avec mon homologue allemand.
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
LUnion européenne traverse des négociations difficiles. Mais, il faut se garder de projeter sur lensemble la difficulté dun moment ou dun domaine.
Cest à lEurope nouvelle que nous travaillons, aujourdhui, celle dun leuro solidement lancé, du cadre financier fixé pour les années 2000-2006, dune réforme institutionnelle décidée, de lélargissement maîtrisé et réussi, dune PESC qui saffermit et saffirme. Voyons au delà des échéances immédiates.
Depuis lorigine la vocation de la France est dêtre au coeur de ce mouvement. Jusquà ces jours derniers, les idées françaises continuent dinspirer les grands projets européens : que ce soit leuro, lEurope de la connaissance lancée lan dernier à loccasion du 800ème anniversaire de la Sorbonne, lEurope de la croissance et de lemploi avec le Sommet extraordinaire de Luxembourg en novembre 1997, la défense européenne avec lexercice lancé à Saint-Malo.
Il ne tient quà nous que lEurope continue à se nourrir de nos réflexions et de nos projets. Cest affaire de vision, et aussi de confiance en nous-mêmes de respect et de dialogue avec nos partenaires. Cest la meilleure façon pour la France de promouvoir ses intérêts et ses valeurs, de contribuer à lémergence dun monde multipolaire dont lEurope, en tant que Fédération dEtats nations, sera lun des pivots.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 mars 1999)