Interview de Mme Christine Boutin, ministre du logement et de la ville, à "RMC" le 13 mars 2008, sur la demande de droit à la mort déposée en justice par Chantal Sébire, sur les raisons de son opposition à l'euthanasie, sur le projet de loi de mobilisation pour le logement, et notamment l'accession à l'appartement à 15 euros.

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Texte intégral

J.-J. Bourdin.- Notre invitée ce matin, C. Boutin, ministre du Logement et de la Ville. C. Boutin, bonjour.
R.- Bonjour.
Q.- Vous avez entendu l'appel de C. Sebire qui confie sa vie à la Justice. Qu'en pensez-vous ?
Vous savez, tous ces sujets-là sont effectivement très dramatiques. Je comprends l'interrogation de cette femme. Cela dit, je suis quand même très étonnée parce qu'aujourd'hui... vous voyez, j'ai vu la photo de cette femme et naturellement...
Q.- ... vous l'avez vue à la télévision ?
R.- Non, je ne l'ai pas vue à la télévision.
Q.- Vous l'avez vue en photo.
R.- Je l'ai vue dans un journal, et naturellement ce visage, la première réflexion c'est un petit peu un geste d'effroi.
Q.- Derrière le visage, les souffrances aussi, C. Boutin.
R.- Attendez, attendez, il y a d'abord l'esthétique et l'esthétique est importante, et quand on regarde une deuxième fois ce visage, eh bien moi je me suis mise à l'aimer parce que je crois vraiment... il faut aussi qu'on dise à cette dame qui a ce visage abîmé qu'elle peut être aimée et que sa dignité dépasse cela et qu'elle peut apporter autre chose. En ce qui concerne la souffrance, je vais vous dire, aujourd'hui, nous avons les moyens, les médicaments, qui peuvent permettre d'atténuer cette souffrance et de la supprimer. Donc, moi, j'en appelle, alors qu'il y a des médecins, un médecin qui se met volontaire pour participer à cet acte, eh bien moi je souhaite qu'il y ait des médecins qui accompagnent la souffrance, qu'ils se manifestent.
Q.- Mais, ça existe, c'est déjà le cas, C. Boutin !
R.- Mais bien sûr, mais aujourd'hui vous voyez bien qu'il y a un effet médiatique dans cette affaire. Vous savez très bien que dans l'affaire Imbert, ça été la même chose. Là, on est en train d'instrumentaliser la détresse légitime de cette femme pour pouvoir arriver à légaliser l'euthanasie.
Q.- Vous ne lui reconnaissez pas le droit de mourir, le droit d'attenter à sa vie parce qu'elle ne peut plus ?
R.- Non, mais pourquoi elle ne peut plus...
Q.- ... parce qu'elle ne veut plus vivre ?
R.- Pourquoi elle ne peut plus ? Parce qu'elle dit qu'elle souffre ? Eh bien, il y a des médicaments qui peuvent empêcher ses souffrances. Parce qu'elle est difforme ? Eh bien, moi je pense que l'esthétique, la dignité d'une personne va au-delà de l'esthétique de cette personne. Et quand elle parle de ses petits-enfants, moi je suis absolument convaincue que cette ancienne institutrice peut aider encore ses petits-enfants à aller de l'avant. Et du reste, ses enfants l'aiment aussi. Donc, je veux dire... comment voulez-vous...
Q.- Ses enfants l'aiment mais ses enfants sont prêts à l'accompagner, comprennent sa demande.
R.- Vous croyez vraiment que donner la mort c'est un geste d'amour ? Non, ce n'est pas un geste d'amour, c'est un non respect de la dignité de toute personne. Ce qui est en cause dans cette affaire c'est la souffrance de cette femme.
Q.- Vous pensez qu'elle est instrumentalisée ?
R.- Oui, je le crois.
Q.- Vous pensez que...
R.- Oui, je le pense, je le pense, je le pense. Elle n'est pas suffisamment entourée. Je crois qu'il faut qu'il y ait des médecins qui soient autour d'elle, qui l'aident à ne pas souffrir, car aujourd'hui je suis convaincue qu'il peut y avoir un accompagnement. Apparemment, vous la voyez dans Le Parisien assise, cette femme mise à part son visage qui est bouleversant, elle semble en parfait état physique. Enfin vraiment, non, on ne peut pas... c'est un échec total que de laisser penser que c'est un geste d'amour ou un progrès que de conduire une femme...
Q.- Quel serait le danger si la justice... il faudrait changer la loi parce qu'aujourd'hui, le juge ne peut pas... il y a une loi, la dernière loi c'est la loi Leonetti.
R.- Oui, bien sûr, j'ai participé à cette loi Leonetti, absolument, mais absolument.
Q.- Il y a une loi aujourd'hui, donc la justice ne peut pas lui donner le droit de mourir.
R.- Mais, heureusement ! Est-ce que vous vous rendez compte...
Q.- ... mais est-ce qu'il faut changer la loi ? Non, absolument pas, surtout pas. Mais quel est le danger, quel est le danger à vos yeux, C. Boutin ?
R.- Le danger c'est que d'abord si l'on fait sauter le verrou qui est de donner à un homme ou une femme le droit de donner la mort à un autre homme ou à une autre femme, eh bien je vous dis que nous allons vers une société barbare, car là il y a des justifications, apparentes du reste, parce que les fondamentaux de la dignité de l'homme ou de la femme, elle les a cette femme, c'est-à-dire les fondamentaux : elle est abîmée et elle souffre ; eh bien, il faut lui donner les médicaments pour qu'elle ne souffre plus. Et en ce qui concerne l'esthétique, je ne pense pas que ça puisse justifier de donner la mort. Mais, il peut y avoir des dérapages naturellement qui justifieront de donner la mort. Là, je suis scandalisée que l'on puisse envisager de donner la mort à cette femme parce qu'elle souffre, alors qu'on peut lui donner des médicaments pour qu'elle ne souffre pas ; et deuxièmement, parce qu'elle est difforme. Ca, c'est inacceptable. Vous vous rendez compte ! Est-ce que vous voyez ce que ça veut dire de pouvoir envisager, parce que l'on n'est pas belle - et qu'est-ce que c'est que la beauté ? - on puisse justifier de donner la mort et de mettre une piqûre ? Mais, ça rappelle des époques qu'on ne voudrait plus voir.
Q.- Oui, mais l,à elle met en avant sa souffrance avant les problèmes d'esthétique, C. Boutin.
R.- Mais sa souffrance, je vous dis, Monsieur Bourdin, je vous dis...
Q.- Vous vous mettez à sa place là, vous prenez ça place, vous la...
R.- Non, je ne me mets pas à sa place, je prends en considération sa souffrance et dans sa demande, je vois un cri à la société tout entière : « mais qu'est-ce que vous faites ? Pourquoi est-ce que vous ne me donnez pas les médicaments pour que je ne souffre plus ? », parce que je suis convaincue que si elle ne souffrait plus cette femme, elle ne ferait pas cette demande, en tous les cas ce n'est pas envisageable autrement.
Q.- Elle ne peut pas prendre de morphine parce qu'elle est allergique.
R.- Mais il y a d'autres médicaments que la morphine !
Q.- Bon, C. Boutin, je voudrais que nous parlions de logement et d'immobilier maintenant parce qu'il y a urgence. Vous vous battez, je le sais, sur ce terrain, mais il y a urgence. Et vous préparez un projet de loi de mobilisation pour le logement.
R.- Je dirais même mobilisation générale.
Q.- Mobilisation générale autour du logement. On sait, les loyers sont encore trop chers ; on sait que l'accession à la propriété... on nous avait dit, moi je me souviens du discours du président de la République : « je veux une France de propriétaires ». Quand vous vous adressez à une banque aujourd'hui pour souscrire un prêt immobilier, vous avez de plus en plus de difficultés, la crise des subprimes est passée par là ; les banques sont très raisonnables en France. Que faire ?
R.- Vous savez, avec le recul de cette responsabilité ministérielle, j'ai pris toute la mesure de la problématique du logement. La problématique du logement c'est que c'est un ensemble qui est excessivement fragile et tout est imbriqué. C'est une espèce de très grand meccano et dès que vous touchez à une rondelle, c'est tout l'ensemble qui peut s'écrouler. Vous me parlez des locataires, des propriétaires, etc. Quand vous donnez une mesure en faveur des locataires, immédiatement les propriétaires disent : « Et moi, et moi ? ». Or, si on donne un mauvais signal aux propriétaires, les locataires ne trouveront pas de logement. Quand vous donnez un signal vis-à-vis du logement social, c'est l'investissement privé qui dit : « Et moi, et moi ? ». Tout est ainsi. Alors, par rapport ?? la question que vous posez, bien sûr, j'ai eu la chance depuis ces mois de pouvoir créer une confiance avec tous les professionnels et les partenaires du logement, et en particulier les banquiers, puisque vous me posez la question. Les banquiers me disent très clairement qu'ils ne refusent pas davantage mais ils sont davantage exigeants.
Q.- Le taux de refus a progressé, a été multiplié par trois en quelques mois.
R.- Non, non, non, c'est pas un refus, c'est une exigence plus... c'est-à-dire que maintenant ils appliquent plus strictement les textes pour donner un prêt qu'ils ne le faisaient auparavant. C'est bien qu'il y ait une espèce de garantie aussi par rapport à cela, mais il n'y a pas...c'est une, comment dire...
Q.- Donc, il est plus difficile aujourd'hui d'être propriétaire qu'il y a un an ou deux ans.
R.- Oui, mais vous savez très bien que j'ai lancé la maison, "Ma maison pour 15 euros."
Q.- Vous avez lancé votre maison à 15 euros, il paraît que vous voulez lancer un appartement à 15 euros/jour.
R.- Absolument, absolument !
Q.- Alors, parlez-moi de cet appartement à 15 euros/jour.
R.- Ecoutez, malheureusement, le Parlement au mois de décembre, parce que pour arriver à faire cette maison pour 15 euros, il a fallu mettre autour de la table les constructeurs, les financeurs, etc., et modifier la loi. Et lorsque j'ai demandé la modification de la loi, les parlementaires, députés et sénateurs, m'ont accordé le nouveau mécanisme sur la maison individuelle mais pas sur le collectif, ce qui est, à mon avis, une erreur. C'est bien de l'avoir fait pour la maison individuelle, j'en suis ravie, et j'ai fait la maison...
Q.- ... alors, qu'est-ce que vous allez proposer sur les appartements ?
R.- Ce que je souhaite, c'est que le même mécanisme qui dissocie l'acquisition du bâti du foncier soit possible pour le collectif, pour les appartements. Mais aujourd'hui la loi ne me le permet pas, les députés et sénateurs m'ont refusé pour le collectif.
Q.- Alors, vous allez donc préparer, vous préparez un projet de loi.
R.- Oui, absolument.
Q.- Donc, l'appartement à 15 euros ça va se passer... concrètement ?
R.- Concrètement, ça va se passer comme pour la maison individuelle, quand je vais avoir l'autorisation législative, c'est-à-dire que, là, les constructeurs sont prêts à le faire, sur des collectifs...
Q.- ... c'est-à-dire qu'il y aura les lots d'appartements à 15 euros/jour ?
R.- Mais bien sûr, mais bien sûr, mais bien sûr, oui !
Q.- Dans de la construction privée ou dans du logement social ?
R.- Absolument !
Q.- Les deux ?
R.- Mais oui, ceux qui voudront le faire, bien sûr.
Q.- Ceux qui voudront le faire !
R.- Ceux qui voudront le faire.
Q.- Et quel est l'avantage pour le constructeur ?
R.- Le constructeur, lui, il n'a pas de problème. Lui, il est payé pour l'habitat, il n'y a pas de problème. Et, justement, le foncier, l'intérêt de cette opération, c'est que le foncier est porté financièrement, c'est peut-être un peu technique, mais par le 1 %.
Q.- Alors, on va parler du 1 % logement.
R.- Donc, le 1 % porte financièrement le terrain pendant la durée de l'emprunt pour le bâti, pour la maison ou l'appartement.
Q.- Alors, concrètement, si je veux accéder à cet appartement à 15 euros/jour, je fais quoi ?
R.- C'est très simple, ça va être lancé le 15 avril, là j'ai signé la charte avec tous les partenaires. Le 15 avril, celui qui répond aux conditions, puisque c'est l'accession populaire à la propriété, c'est ouvert...
Q.- ... alors, quelles conditions, les conditions de ressources ?
R.- Il faut entre 1.500 et 2 000 euros/mois pour une famille de trois personnes minimum, primo accédant, [elle] va voir soit la Caisse d'épargne, soit un constructeur qui a signé la charte, soit le 1 %, il dit voilà : « je suis intéressé par cette maison pour 15 euros ».
Q.- Ou cet appartement pour 15 euros.
R.- Quand la loi sera votée pour le logement.
Q.- Quand la loi sera votée, oui.
R.- Et à ce moment-là, son interlocuteur doit lui monter son plan de financement, lui proposer la liste de constructeurs qui, lui, vient avec le terrain. C'est la grande différence avec la maison de Borloo qui n'a pas marché du tout.
Q.- Qui n'a pas marché du tout d'ailleurs, oui.
R.- Mais parce qu'il n'y avait pas le foncier. Moi, j'ai réfléchi, j'ai d'abord travaillé avec tous les partenaires, et c'est un produit global. Et je pense que si des signatures sont faites fin avril, mi-mai, eh bien nous aurons la possibilité de mettre les premières clés dans les maisons pour 15 euros pour Noël.
Q.- Oui, la maison à 100 000 euros c'était de la poudre aux yeux, ça, franchement. Non ?
R.- Joker !
Q.- Joker, ah bon joker ! Ah bon d'accord. Il est 08 h 43, C. Boutin. Vous voulez lancer l'idée aussi, vous avez lancé l'idée d'un label des maires bâtisseurs.
R.- Oui.
Q.- On va en parler dans deux minutes. A tout de suite.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 13 mars 2008