Texte intégral
Monsieur de Souza, Monsieur Chambas,
Je vous remercie pour ces exposés très intéressants.
Je dois vous avouer que si certains sujets abordés à l'occasion de cette réunion Zone Franc ne me sont pas particulièrement familiers, il n'en reste pas moins que le thème de cette session m'intéresse tout particulièrement étant moi-même maire d'une ville française. Vous comprendrez donc que ce sujet me tienne à coeur.
Certes, les éléments de contexte évoqués ici sont différents, ils appellent donc naturellement des solutions adaptées, mais sur le fond, les problématiques restent les mêmes, au Nord comme au Sud. Les besoins des collectivités sont là et la question du financement optimal pour y répondre se pose partout avec acuité. Les populations attendent un service qui ne peut être rendu qu'à partir du moment où celui-ci est financé. La démocratie locale ne peut exister qu'à travers le consentement à l'impôt local.
Vos pays connaissent depuis cette dernière décennie, à l'instar de l'ensemble des pays en voie de développement, une vague importante de décentralisation. Ces réformes, souvent initiées à la demande des bailleurs de fonds, il faut le reconnaître, reposent sur un pari : placer les collectivités locales décentralisées au coeur du développement.
En rapprochant les centres de décision du terrain, en impliquant la société civile, la décentralisation doit permettre de suppléer aux carences de l'Etat central dans la production de biens publics.
L'échelon local doit être considéré comme un enjeu essentiel de la réussite des politiques de développement et de lutte contre la pauvreté.
Mais pour que les collectivités locales puissent s'acquitter de cette mission, il faut qu'elles disposent de moyens financiers. On en distingue principalement trois :
- La dotation globale de fonctionnement. Elle suppose que l'Etat respecte ses engagements. Nous savons que bien souvent, des difficultés sont rencontrées à cet égard et depuis de longues années. En Afrique en particulier depuis les années 80 dites "de l'ajustement structurel".
- L'emprunt. Il peut s'avérer pertinent, notamment pour financer des investissements. Mais, en tout état de cause, la capacité à emprunter va être fortement dépendante de la solvabilité et donc de la capacité ultérieure à mobiliser des ressources.
- Enfin, la fiscalité locale avec les constats et les solutions qui viennent d'être esquissées. A cet égard, il y a probablement beaucoup à retirer de l'expérience béninoise que nous a présentée notre collègue, le ministre des Finances du Bénin.
Pour en revenir à la présentation de M. Chambas et résumer schématiquement la perception que j'en ai, je pense que les instruments fiscaux proposés ne sont pas fondamentalement nouveaux dans leur concept. Il s'agit d'instruments déjà existants dont on cherche à étendre l'application au vu des bonnes pratiques qu'on a pu constater dans certains pays.
En revanche, c'est dans l'administration de l'impôt que le rapport m'apparaît plus ambitieux, plus réformateur. C'est à ce niveau aussi probablement qu'il soulèvera le plus de remarques, d'interrogations, il ne faut pas s'en cacher.
Je comprends qu'il convient d'opérer un choix stratégique dans l'administration de l'impôt local :
- Une première option consiste à renforcer les moyens de l'administration fiscale pour qu'elle soit en mesure d'asseoir et de recouvrer l'ensemble des impôts locaux. Mais dans le contexte des Etats de la Zone Franc, a-t-on les moyens de le faire ? L'administration fiscale ne risque-t-elle pas de se disperser au détriment de la fiscalité d'Etat ?
- Un choix alternatif est de ne pas surcharger l'administration fiscale par des missions lourdes dans le domaine des impôts locaux. Dans ce cadre, pour les petites côtes uniquement, il conviendrait de prévoir une extension des compétences des collectivités décentralisées pour asseoir et recouvrer les différentes catégories de recettes locales avec le concours du réseau du Trésor.
Cette seconde option, certainement plus responsabilisante pour les collectivités locales, offre sûrement matière à débat ?
Je relève à cette occasion - et c'est un phénomène nouveau -, que le FMI qui ne s'était pas intéressé jusqu'à présent à la fiscalité locale - pire il ne voulait souvent pas en entendre parler -, s'y intéresse désormais. Le besoin, les évidences sont là. Le sujet est réel, ne rien faire ne serait pas la solution. Cet intérêt du FMI constitue d'une certaine manière la preuve de la pertinence de cette démarche.
Je ne saurais conclure mon exposé sans rappeler que le prélèvement fiscal est étroitement dépendant de la création de richesse par l'économie. A cet égard, vous connaissez l'engagement de la France pour l'accélération de la croissance économique en Afrique. Cet engagement a été illustré très récemment par le discours du président de la République au Cap : l'Initiative française pour la croissance économique en Afrique y a été annoncée.
La France est très consciente de l'urgence de cette accélération, tout particulièrement pour les jeunes africains : en cinq ans, leur vie peut soit s'orienter grâce aux créations d'emplois vers une intégration réussie dans la société, soit partir à la dérive, avec les risques que l'on sait.
Enfin, pour conclure, au-delà des questions de financement, la fiscalité locale constitue, comme je disais, un enjeu de démocratie :
- l'impôt local, plus que l'emprunt je crois, oblige l'élu local à justifier la manière dont il utilise l'argent public, à rendre des comptes avec la sanction du vote ;
- concernant l'action publique, la théorie économique veut qu'on l'arrête quand le dernier franc dépensé ne sert plus à rien. Mais dans la réalité nous savons tous que n'avons pas toujours la possibilité de mesurer aussi précisément l'efficacité de la dépense publique. Aussi, c'est le jeu de la démocratie locale que d'arbitrer et de décider jusqu'où l'action publique doit aller.
Je voudrais sur ces quelques réflexions, Mesdames et Messieurs, laisser la place au débat.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 avril 2008