Déclaration de Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État chargée de l'Écologie, sur les enjeux de la gestion des déchets ménagers en France, Paris le 22 avril 2008 (principaux passages).

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Circonstance : Débat sur l'avis du Conseil économique et social portant sur les enjeux de la gestion des déchets ménagers et assimilés en France en 2006, Paris, Palais d'Iéna, le 22 avril 2008

Texte intégral

« Permettez-moi de vous féliciter, Madame la rapporteure, pour ce travail considérable sur un thème ô combien délicat, puisqu'il fut un des deux sujets sur lesquels nous avons dû prolonger les travaux du Grenelle de l'environnement. En effet, au soir du Grenelle, fin octobre, compte tenu de la complexité du problème, mais aussi du manque d'ambition dans ce qui nous était proposé, il a été décidé de poursuivre les travaux jusqu'en décembre.
Le moment est bien choisi pour rendre public ce projet d'avis, puisque nous sommes au début d'un cycle législatif qui fait suite au Grenelle de l'environnement, avec une loi de programmation qui devrait très prochainement vous être soumise, mais aussi, par la suite, une loi Grenelle 2 et peut-être une loi Grenelle 3, le Grenelle devant avoir une programmation pluriannuelle, sachant que des mesures fiscales sont à prévoir dans la loi de finances. On envisage donc la répartition suivante : dans la loi Grenelle 1, des objectifs en matière de prévention, de recyclage, de baisse de mise en décharge, d'incinération, ainsi que des principes comme la responsabilité élargie du producteur, sur laquelle vous avez beaucoup insisté, ou encore le dimensionnement des installations de traitement ; dans la loi Grenelle 2, des actions plus ciblées, des dispositifs fiscaux comme la réforme sur la taxe d'enlèvement des ordures ménagères, la redevance d'enlèvement des ordures ménagères et d'éventuelles augmentations de la TGAP. Sur certaines de ces mesures, les comités opérationnels continuent leurs travaux, que vos réflexions vont permettre de nourrir, sachant que d'ores et déjà, je peux donner un écho à certaines des propositions que vous faites aujourd'hui.
En matière de déchets, le Grenelle de l'environnement a déployé des propositions dans plusieurs directions. Je ne détaillerai pas tous les objectifs fixés, mais deux d'entre eux au moins rejoignent les problèmes que vous avez soulevés. Le premier est de réduire de cinq kilos par habitant et par an la production de déchets ménagers pendant cinq ans, donc d'engager une dynamique de diminution du volume de déchets. Le second est d'orienter davantage les déchets vers la valorisation matière ou organique, en passant de 24 à 35 % d'ici à 2012.
Vous avez articulé votre projet d'avis en trois parties : le développement d'une économie de circularité ; la coresponsabilité entre acteurs ; la régulation et le rôle de l'État. Je vous propose d'éclairer quelques-unes de nos convergences, quelques-unes de nos idées pour mettre en oeuvre vos propositions, et, sur certains points, de développer des propositions d'approches complémentaires.
L'économie de circularité est une priorité forte du Grenelle de l'environnement, fondée sur l'idée qu'il faut reconsidérer en profondeur nos modes de production et de consommation et réfléchir autour de nouveaux concepts. De fait, un comité opérationnel ad hoc a été mis en place pour travailler sur le développement d'une économie de circularité et en particulier sur la généralisation de la responsabilité élargie des producteurs, sur laquelle vous appuyez une partie importante de votre argumentaire.
Ce principe, déjà inscrit dans la loi, monte actuellement en puissance. Il fonctionne bien et un certain nombre de filières sont déjà en place : les déchets d'équipements électriques et électroniques, les textiles, les imprimés non sollicités. Des extensions ont été ajoutées, comme par exemple ce qui a été voté fin 2007 sur les diverses formes d'imprimés et de papiers. Le Grenelle de l'environnement, outre cette idée d'extension des dispositifs de responsabilités élargies du producteur, a d'ores et déjà retenu le principe de la création d'un nouveau dispositif fondé sur la responsabilité élargie des producteurs pour les déchets d'activité et de soins à risques, pour les déchets dangereux diffus des ménages et, sous réserve d'études complémentaires, pour les meubles. Pour les déchets d'activité et de soins à risques, les textes sont prêts et pour les déchets dangereux diffus, nous espérons déboucher début 2009 sur des propositions opérationnelles, le chantier avançant assez rapidement.
Le Grenelle de l'environnement a aussi beaucoup discuté des déchets du bâtiment, sans citer nécessairement le principe d'une responsabilité élargie des producteurs, qui ne serait pas forcément la meilleure solution compte tenu de la durée de vie des bâtiments, mais en réfléchissant à des instruments similaires, car si nous sommes très favorables au développement de la REP, nous n'en faisons pas une panacée. Selon nous, il faut prévoir une extension rapide et volontariste, mais sans doute au cas par cas. Car il ne s'agit pas simplement d'un instrument financier, puisqu'elle suppose à chaque fois la mise en place d'une filière de valorisation sur un produit particulier. Il faut donc avancer filière par filière. Ensuite, d'autres instruments peuvent être pertinents, notamment le bonus malus sur lequel je reviendrai. Enfin, ces filières mettent du temps à trouver leur équilibre et si nous avançons trop vite, nous craignons d'en déstabiliser certaines. En tout cas, la REP est un instrument que nous voulons promouvoir en gardant l'esprit dans lequel il a été développé jusqu'à présent, à savoir beaucoup de concertation et de travail partenarial en amont pour avancer rapidement ensuite.
Votre deuxième proposition consiste à favoriser le recyclage de la matière organique. Là aussi, vous rejoignez les conclusions du Grenelle de l'environnement. En France, nos résultats sur cet enjeu stratégique sont très médiocres par rapport à des pays voisins comparables et le comité opérationnel déchets du Grenelle s'est saisi du problème. Nous croyons beaucoup au développement des collectes sélectives, du compostage et/ou de la méthanisation dite de masse dans les agglomérations. Nous réfléchissons à des soutiens à la méthanisation via des tarifs incitatifs, en lien avec les comités opérationnels qui travaillent sur les énergies renouvelables et sur l'agriculture, mais aussi à la question des nombreux freins réglementaires à son développement. On constate ainsi certaines convergences entre les uns et les autres et c'est d'ailleurs l'intérêt du Grenelle de l'environnement que de rechercher des solutions globales et transversales et des synergies entre les sujets.
Enfin, nous étudions la question des soutiens financiers, en lien avec le problème de la taxation sur la mise en décharge et l'incinération. Je suis convaincue en effet qu'il faudra des soutiens financiers renforcés, et c'est pourquoi devons nous organiser pour qu'ils soient concentrés sur les secteurs et les politiques à forte valeur ajoutée, c'est-à-dire à forte efficacité en termes de tonnes de déchets non enfouies ou non incinérées. Il ne faut en tout cas pas retomber dans le piège du guichet finançant le tout-venant, c'est-à-dire la mise aux normes de vieilles installations peu performantes, avec une politique de financement peu efficace.
Concernant la coresponsabilité entre acteurs, vous proposez d'introduire des critères incitatifs dans les barèmes des producteurs. Cela a été beaucoup discuté dans le Grenelle de l'environnement : une première application pourrait intervenir dès la prochaine revalorisation du barème d'éco-Emballage, dont chacun s'accorde à dire qu'il pourrait être plus satisfaisant. Vous proposez également un taux de prise en charge des coûts à 80 % par la responsabilité élargie du producteur, ce à quoi nous souhaitons travailler dans la révision de l'agrément éco-Emballage. Les calculs sont complexes, mais les producteurs d'emballage appliqueront cette mesure qui a été décidée et validée par tous, à l'unanimité, dans le Grenelle de l'environnement. Pour les autres filières, le débat reste entier et se poursuit.
Votre proposition sur l'harmonisation des responsabilités élargies du producteur et la mise en place d'un seul éco-organisme par filière est plus complexe, surtout pour le deuxième point. Les producteurs ne sont en effet pas forcément d'accord, même si l'objectif de simplicité pour les collectivités locales est un argument très fort. Nous avons besoin, sur cet outil de responsabilité élargie du producteur, d'avancer de manière conjointe et consensuelle, et si nous créons, comme vous l'appelez de vos voeux, une instance de régulation des filières de responsabilités élargies du producteur, elle devrait pouvoir contribuer fortement aux réflexions en ce sens.
Votre proposition sur la consigne, que l'on peut regarder sous l'angle de l'économie de circularité et de fonctionnalité ou sous celui des déchets, me semble très pertinente. Elle a été peu étudiée dans le Grenelle de l'environnement, mais pour autant elle n'est pas écartée, car elle nous semble utile. Faut-il l'encadrer par la loi ou faire appel à l'initiative des acteurs ? Je crois savoir que des initiatives spontanées sur des produits générant des déchets dangereux pourraient déboucher d'ici peu et peut-être entraîner à leur tour d'autres initiatives.
Vous avez évoqué également la question des consommateurs. Je me retrouve totalement dans vos propositions sur l'étiquetage, avec un marquage de la fin de vie et une information sur l'éco-consommation. Nous prévoyons de traduire ces points rapidement dans la loi de programmation et dans les dispositions normatives, car nous souhaitons généraliser un étiquetage environnemental qui ne se limite pas aux impacts en termes d'émissions de gaz à effet de serre, mais porte aussi sur d'autres critères environnementaux, et ce dès l'année 2010. D'ici là, un certain nombre d'initiatives expérimentales vont être développées.
Dans notre esprit, ce ne seront pas les seules mesures pour favoriser l'éco-consommation : compte tenu de son succès, le principe du bonus-malus en fonction de l'empreinte écologique des produits sera inscrit dans la loi et nous proposerons au Parlement de le créer pour d'autres catégories de produits que l'automobile, en réfléchissant par exemple aux lampes ou à certains équipements électroménagers.
Concernant les collectivités locales, la question de la tarification et de son incitativité a été beaucoup débattue au Grenelle. Un groupe de travail est en place qui présentera des propositions pour la loi de finances 2009. Ce travail n'est pas encore complètement abouti, les débats restant assez vifs.
Je note avec intérêt votre proposition sur le traitement équitable de l'habitat collectif. Nous nous rejoignons totalement sur la recherche de transparence, de débat citoyen et de prise en compte des associations dans les programmes locaux de prévention de la production des déchets
Vos propositions portant sur les contrats d'objectifs et les critères incitatifs de performance dans les contrats des prestataires me semblent pertinentes. Je ne sais pas s'il faut légiférer sur ce point : peut-être pourrait-on commencer par proposer des guides, diffuser des bonnes pratiques. L'État, via l'ADEME, peut contribuer à ces réflexions au niveau national comme dans les régions, au plus près des collectivités locales et des entreprises, pour faire émerger des initiatives locales.
Enfin, la troisième partie du projet d'avis concerne la régulation et le rôle de l'État. Je ne peux que me sentir interpellée au sens positif du terme. Concernant la définition du déchet ultime, cela fait déjà quinze ans qu'elle pose problème, jusque dans les tribunaux ! Les connaisseurs du dossier, dont vous faites partie, savent que c'est un sujet très épineux et même conflictuel. Par le passé, certains ont beaucoup fait pour amoindrir la portée de l'interdiction, en donnant à la notion de déchet ultime une acception très générale. Il faut donc certainement garder une part d'appréciation permettant de faire face de manière intelligente aux situations locales, mais il y a lieu d'être plus directif, plus clair sur ce qu'est un déchet ultime. Cela n'a pas été discuté de manière approfondie au Grenelle de l'environnement, mais nous ne voyons que des avantages à pouvoir préciser les choses en disant clairement, pour commencer, ce qui n'est pas un déchet ultime, par exemple en fonction du taux de matière organique, du tri préalable, etc. Ces déchets-là ne pourraient plus, dans un calendrier à définir, être mis en décharge.
Vous appelez aussi de vos voeux une optimisation du fonctionnement des éco-organismes, qui est l'un des engagements forts pris lors du Grenelle de l'environnement. Des propositions et des éléments d'appréciation s'échangent actuellement au Comité opérationnel déchets et une première synthèse, de socle commun comme de divergences, devrait être établie fin mai sur cette question. Faut-il converger vers une autorité indépendante de type CSA ou CRE ? Si oui, avec quel type de pouvoir décisionnaire ? Comment s'articule-t-on avec les représentants des parties prenantes ? Le débat est ouvert et je ne préempte aucune solution.
Enfin votre position d'une écotaxe étendue, fortement incitative et affectée aux actions dans le domaine des déchets fait, là aussi, l'objet de travaux dans la suite du Grenelle de l'environnement. Nous souhaitons pouvoir faire une proposition claire et forte sur ce point dans le projet de loi de finances 2009.
Il faudra d'ailleurs articuler cette question avec celle d'un soutien à différentes actions de prévention et aussi, dans certains cas, à différentes actions de valorisation, soutien qui devra aller aux collectivités locales et aux entreprises et éviter le piège d'un guichet de financements multiples et peu discriminants. Il conviendra de rechercher aussi les opérations les plus efficaces tournées vers l'avenir et ne visant pas seulement au rattrapage du passé, à travers la mise aux normes d'installation existantes.
Enfin, vous concluez en demandant la clarification du cadre politico-institutionnel. Le Conseil national des déchets, par exemple, doit en effet jouer un rôle plus actif et cette proposition ne nous fait pas peur, bien au contraire.
En conclusion, je crois que votre analyse, celle du gouvernement et celle de nombreux acteurs se rejoignent. Nous devons avoir des ambitions pour les déchets et leur gestion, ambitions qui dépassent d'ailleurs le seul champ actuel de votre étude sur les déchets ménagers ou assimilés. Pour atteindre les objectifs ambitieux fixés, il faut de nouveaux moyens d'action, dont certains ont été testés dans d'autres secteurs, tandis que ceux qui ont été testés avec bonheur dans le secteur des déchets demandent à être étendus. Vos idées seront utilisées, mises en oeuvre et débattues, notamment dans le Comité opérationnel déchets. Nous avons les objectifs, nous devons maintenant les concrétiser et les mois qui viennent en seront, je le souhaite, une illustration. Source http://www.ces.fr, le 25 avril 2008