Texte intégral
Je souhaite ouvrir notre échange en vous exposant, le cadre, l'état d'esprit, et les propositions qui fondent la démarche du groupe socialiste, radical et citoyen. Elle s'ordonne autour de trois idées force. Une réforme de la Constitution est souhaitable. Le dialogue républicain pour la mener à bien est nécessaire. Le projet de loi qui nous est proposé est insuffisant. Il n'est pas acceptable en l'état.
* Une réforme institutionnelle souhaitable
La réforme de la Constitution est souhaitable parce que la Vè République est un régime inachevé et déséquilibré. D'un côté de réelles qualités de stabilité, de souplesse qui lui ont permis de surmonter les crises et d'assurer des alternances solides. De l'autre, une architecture verticale qui s'est appuyée sur la toute puissance présidentielle et l'hégémonie majoritaire et qui a engendré la soumission du Parlement, la marginalisation de l'opposition, la sujétion des corps intermédiaires, la faiblesse des contrepouvoirs. Pour paraphraser la célèbre formule de Malraux, on serait tenté de dire qu'entre « le pouvoir et la société, il n'y a rien ». Ou trop peu. Trop peu de démocratie représentative, trop peu de démocratie sociale, trop peu de démocratie participative.
* Un dialogue républicain nécessaire
La gauche a longtemps été seule à dénoncer cette République hémiplégique qui centralise tout et déresponsabilise les citoyens. Je me félicite qu'aujourd'hui la majorité reconnaisse à son tour ces dérèglements et propose de les corriger. Il y a dans ce diagnostic enfin partagé, la première pierre du dialogue républicain.
Je l'ai dit dans mon introduction, ce dialogue est nécessaire. Arithmétiquement parce que vous êtes contraints au compromis. Politiquement parce qu'il touche à ce qui est notre bien commun: la démocratie, ses valeurs, les règles de son vivre ensemble. C'est ce dialogue qui a permis à la loi de 2004 sur les signes religieux à l'école d'être admise par l'ensemble de la communauté nationale. C'est ce dialogue qui a manqué à tant de nos constitutions nées dans la discorde et mortes dans l'affrontement.
Il y a suffisamment de motifs de clivages entre la gauche et la droite, pour que nous sachions saisir l'occasion de les dépasser quand l'intérêt général est en jeu. Et l'intérêt général aujourd'hui est de reconstruire la confiance des Français en leurs institutions et en leurs représentants. Il est de retisser un lien civique puissant qui permette à chaque citoyen, à chaque élu de se sentir acteur du destin de la Nation.
Le dialogue que nous avons engagé avec le Gouvernement et le groupe UMP s'inscrit dans cette démarche. Il ne s'agit ni d'un petit arrangement entre élus, ni de je ne sais quel Yalta politique. Le débat se fera au grand jour dans l'hémicycle et nous souhaitons que toutes les grandes forces démocratiques en soient parties prenantes. Il ne peut pas non plus se réduire à quelques retouches constitutionnelles, fussent-elles importantes.
Ce que nous voulons, c'est améliorer tout ce qui concourt à un meilleur équilibre de notre démocratie : les droits du Parlement et du citoyen, l'indépendance de la justice, les modes de scrutin, le pluralisme des médias.
Ce que nous vous proposons, c'est un pacte démocratique signé entre la majorité et l'opposition qui englobe toutes ces dimensions : la constitution, les lois organiques ou ordinaires, les règlements des Assemblées.
Ce que nous vous demandons, ce sont des preuves tangibles d'une volonté de compromis.
* Une pratique gouvernementale inacceptable
Pour être tout à fait honnêtes, la confiance reste à construire tant la distance est flagrante entre le discours officiel de la réforme visant à renforcer les droits du Parlement et la pratique autoritaire du Président et du Gouvernement. Refus du Premier ministre de répondre à nos propositions de débat. Urgence imposée sur tous les textes. Propositions de loi de l'opposition systématiquement écartées sans examen au fond. Amendements jamais retenus. Comme l'écrivait Montesquieu, la bonne Constitution est d'abord ce qu'en font les gouvernements.
Dans le même esprit, comment admettre la désinvolture avec laquelle le gouvernement a rejeté notre demande de report du projet à l'automne. Cette réforme était-elle si urgente qu'il faille l'examiner et la voter en un mois ? Quelle cohérence y-a-t-il à nous faire voter la révision de la Constitution à l'été alors même que les travaux de la commission Veil sur son préambule n'ont pas encore commencé.
Je rappelle que la Constitution et son préambule forment un « bloc »sur lequel s'appuient les décisions du Conseil constitutionnel. Mais au-delà des arguments juridiques, je crois surtout qu'un compromis républicain ne se fait pas en un jour, sur le coin d'une table. Il demande du temps, de la ténacité. La loi sur les signes religieux à l'école a demandé un an pour aboutir après un très gros travail de rapprochement au sein de la commission parlementaire.
* Un projet de loi insuffisant
Pour cette réforme constitutionnelle, nous en sommes encore loin. Le texte qui nous est soumis par le gouvernement est clairement insuffisant. Son ambition se limite pour l'essentiel à la rationalisation des institutions existantes et à quelques améliorations concernant les droits du Parlement et du citoyen. Ce n'est pas rien, mais on peut faire plus et mieux.
Pour la clarté de nos échanges, je construirai mon propos en trois points. Les dispositions que nous refusons. Les améliorations que nous demandons. Les oublis que nous voulons combler.
* Les dispositions que nous refusons
Nous l'avons souligné à maintes reprises, nous ne voterons jamais un texte qui accroît les pouvoirs du Président de la République. C'est une question de principe, tant actuellement dans les textes comme dans la pratique, les prérogatives du Chef de l'Etat écrasent les autres institutions.
On s'est focalisé à juste titre sur notre refus de l'article 18 qui permet au Président de s'exprimer devant le Parlement. Nous le maintenons. Derrière un apparent bon sens, c'est une disposition complètement baroque. Le Président viendrait discourir en majesté devant une Assemblée qu'il peut renvoyer à tout moment grâce au droit de dissolution sans que les députés puissent débattre avec lui et encore moins voter puisqu'il n'est pas responsable devant eux. Mirabeau doit se retourner dans sa tombe. Et si les députés sont en désaccord avec ce qu'aura dit le Président, ils ne pourront l'exprimer qu'au Premier ministre en le censurant le cas échéant. Le bon sens ressemble à une impasse. Comme personne ne propose de remettre en cause le droit de dissolution ou de rendre le Président responsable devant le Parlement, le mieux est de maintenir l'actuelle séparation des pouvoirs.
Mais cette disposition est l'arbre qui cache la forêt d'un article passé inaperçu et qui a des conséquences encore plus graves : la concentration des pouvoirs de défense dans les mains du chef de l'Etat. Soyons clair : cet article 21 revient à institutionnaliser un domaine réservé à l'Elysée. Plus personne n'en serait responsable devant le Parlement. On se retrouverait ainsi dans une situation à l'américaine où le seul moyen pour les parlementaires d'influencer les choix stratégiques est de refuser de voter les crédits militaires. Une telle disposition serait lourde de crise en cas de cohabitation. Un gouvernement et une majorité opposés au Président pourraient être mis devant le fait accompli. Et bien moi, je ne souhaite pas, par exemple, que la France revienne dans le commandement de l'OTAN sans avoir mon mot à dire...
La troisième disposition que nous récusons est l'encadrement du droit d'amendement. La Constitution actuelle et les règlements des Assemblées ont déjà fortement limité ce droit : vote bloqué, irrecevabilité...Aller plus loin comme le proposent les nouveaux articles 41 et 44, définir par avance un crédit de temps de parole comme le préconise l'exposé des motifs du projet de loi, c'est aliéner un peu plus la liberté déjà contrainte du Parlement. C'est assujettir davantage le droit d'expression et de propositions de l'opposition que l'on prétend par ailleurs réhabiliter. Mes fonctions de président de groupe, dans la majorité puis dans l'opposition, m'ont appris que le temps d'examen du Parlement conditionne souvent la qualité de la loi et la pédagogie de l'opinion.
* Les améliorations que nous voulons
C'est dans le domaine des droits et du rôle du Parlement que nous souhaitons améliorer substantiellement le texte.
La plus importante concerne le contrôle des nominations. S'en tenir à un simple avis d'une commission parlementaire n'est pas sérieux. Combien de fois le gouvernement s'est exonéré des avis du CSM sur les nominations de magistrats. Nous demandons que les nominations fassent l'objet d'un vote du Parlement à la majorité des 3/5è et qu'elles concernent l'ensemble des instances régaliennes ou régulatrices comme le Conseil constitutionnel, le CSA ou le CSM. C'est pour nous un point déterminant.
Nous souhaitons également que l'article 65 sur la composition du CSM soit revu. Dans sa forme actuelle, il revient à accroître la tutelle politique sur la magistrature. Nous voulons enfin que le découpage électoral ne soit plus du ressort du ministère de l'Intérieur mais soit de la responsabilité d'une commission indépendante dont les membres seraient nommés après un vote au Parlement.
En second lieu, nous demandons que la Constitution reconnaisse au Parlement le pouvoir d'évaluation des politiques publiques comme le préconisait la Commission Balladur. Une telle disposition donnerait un coup d'arrêt à l'inflation législative et contraindrait l'exécutif à rendre compte publiquement de la bonne marche de l'Etat. La proposition du groupe UMP d'une commission parlementaire d'évaluation est une première avancée. Nous la renforçons en proposant qu'une semaine de l'ordre du jour parlementaire soit consacré aux fonctions de contrôle et d'évaluation.
En troisième lieu il nous paraît anormal que les engagements militaires de la France attendent six mois pour faire l'objet d'un vote de la représentation nationale. Le Parlement doit se prononcer dans les meilleurs délais qui suivent la décision d'engagement.
En quatrième lieu nous souhaitons que les droits de l'opposition dans l'ordre du jour partagé soient plus nettement affirmés. Si la pratique empêchant la discussion au fond de ses propositions de loi perdure, son droit d'initiative demeurera une fiction. Dans le même ordre d'idée je ne comprends pas pourquoi l'on donne au gouvernement la possibilité d'utiliser le 49/3 une fois par an en dehors du projet de la loi de finances et du PLFSS. Cela ne changera rien à la pratique actuelle.
Dans tous les cas de figure beaucoup des articles de ce projet de loi renvoient à des lois organiques ou ordinaires. Nous souhaitons que des garanties précises soient apportées afin qu'un certain nombre des progrès du texte ne soient pas oubliés ou dénaturés.
* Les oublis que nous voulons combler
Et c'est le dernier terme de mon propos. Oui cette réforme comporte des oublis qui posent problème. Comment ignorer l'affirmation du pluralisme et de l'indépendance des médias quand on connaît leur importance dans la formation de l'opinion publique et dans l'équilibre de la démocratie. Nous exigeons également que le temps de parole présidentiel soit intégré à celui du gouvernement afin que l'équité entre majorité et opposition soit enfin respectée. Nous avons déposé une proposition de loi en ce sens que nous soumettrons à votre examen.
De la même manière j'ai aujourd'hui la conviction qu'un consensus est possible pour la reconnaissance du droit de vote des étrangers aux élections locales. Le Président de la République lui-même n'y voit pas d'opposition de principe mais seulement de faisabilité. Je crois au contraire qu'il existe désormais une majorité pour le réaliser. Ce serait un puissant facteur d'intégration et la reconnaissance de l'apport de l'immigration à notre pays.
Et puis il y a la question des modes de scrutin. Ils ne relèvent certes pas de la Constitution mais participent à l'évidence de l'équilibre et de la représentativité de notre démocratie. Lors de la campagne présidentielle, M. Sarkozy s'était dit favorable à l'instillation d'une part de proportionnelle aux élections législatives. Cet engagement a disparu comme ne figure pas l'indispensable réforme du scrutin et du collège sénatorial. La France ne peut pas rester la seule démocratie au monde où l'alternance est impossible dans une assemblée. Là encore nous vous demanderons de vous prononcer sur une proposition de loi que nous avons inscrite à l'ordre du jour.
Je constate enfin que le projet de loi a oublié des préconisations intéressantes de la Commission Balladur : je pense par exemple au référendum d'initiative populaire qui serait un facteur puissant de participation civique ou au mandat parlementaire unique.
Je conclue en m'adressant à vous Mesdames et Messieurs de la majorité. Je crois possible une réforme institutionnelle qui transcende nos différences. Nos propositions ont une seule volonté : faire progresser notre démocratie, l'adapter à son temps. Tout ce que nous proposons n'est pas à prendre ou à laisser. C'est une plateforme pour avancer. Il y a sur cette question la place pour un travail en commun. Nous avons fait le premier pas. Nous attendons le vôtre.
Source http://www.deputessocialistes.fr, le 14 mai 2008
* Une réforme institutionnelle souhaitable
La réforme de la Constitution est souhaitable parce que la Vè République est un régime inachevé et déséquilibré. D'un côté de réelles qualités de stabilité, de souplesse qui lui ont permis de surmonter les crises et d'assurer des alternances solides. De l'autre, une architecture verticale qui s'est appuyée sur la toute puissance présidentielle et l'hégémonie majoritaire et qui a engendré la soumission du Parlement, la marginalisation de l'opposition, la sujétion des corps intermédiaires, la faiblesse des contrepouvoirs. Pour paraphraser la célèbre formule de Malraux, on serait tenté de dire qu'entre « le pouvoir et la société, il n'y a rien ». Ou trop peu. Trop peu de démocratie représentative, trop peu de démocratie sociale, trop peu de démocratie participative.
* Un dialogue républicain nécessaire
La gauche a longtemps été seule à dénoncer cette République hémiplégique qui centralise tout et déresponsabilise les citoyens. Je me félicite qu'aujourd'hui la majorité reconnaisse à son tour ces dérèglements et propose de les corriger. Il y a dans ce diagnostic enfin partagé, la première pierre du dialogue républicain.
Je l'ai dit dans mon introduction, ce dialogue est nécessaire. Arithmétiquement parce que vous êtes contraints au compromis. Politiquement parce qu'il touche à ce qui est notre bien commun: la démocratie, ses valeurs, les règles de son vivre ensemble. C'est ce dialogue qui a permis à la loi de 2004 sur les signes religieux à l'école d'être admise par l'ensemble de la communauté nationale. C'est ce dialogue qui a manqué à tant de nos constitutions nées dans la discorde et mortes dans l'affrontement.
Il y a suffisamment de motifs de clivages entre la gauche et la droite, pour que nous sachions saisir l'occasion de les dépasser quand l'intérêt général est en jeu. Et l'intérêt général aujourd'hui est de reconstruire la confiance des Français en leurs institutions et en leurs représentants. Il est de retisser un lien civique puissant qui permette à chaque citoyen, à chaque élu de se sentir acteur du destin de la Nation.
Le dialogue que nous avons engagé avec le Gouvernement et le groupe UMP s'inscrit dans cette démarche. Il ne s'agit ni d'un petit arrangement entre élus, ni de je ne sais quel Yalta politique. Le débat se fera au grand jour dans l'hémicycle et nous souhaitons que toutes les grandes forces démocratiques en soient parties prenantes. Il ne peut pas non plus se réduire à quelques retouches constitutionnelles, fussent-elles importantes.
Ce que nous voulons, c'est améliorer tout ce qui concourt à un meilleur équilibre de notre démocratie : les droits du Parlement et du citoyen, l'indépendance de la justice, les modes de scrutin, le pluralisme des médias.
Ce que nous vous proposons, c'est un pacte démocratique signé entre la majorité et l'opposition qui englobe toutes ces dimensions : la constitution, les lois organiques ou ordinaires, les règlements des Assemblées.
Ce que nous vous demandons, ce sont des preuves tangibles d'une volonté de compromis.
* Une pratique gouvernementale inacceptable
Pour être tout à fait honnêtes, la confiance reste à construire tant la distance est flagrante entre le discours officiel de la réforme visant à renforcer les droits du Parlement et la pratique autoritaire du Président et du Gouvernement. Refus du Premier ministre de répondre à nos propositions de débat. Urgence imposée sur tous les textes. Propositions de loi de l'opposition systématiquement écartées sans examen au fond. Amendements jamais retenus. Comme l'écrivait Montesquieu, la bonne Constitution est d'abord ce qu'en font les gouvernements.
Dans le même esprit, comment admettre la désinvolture avec laquelle le gouvernement a rejeté notre demande de report du projet à l'automne. Cette réforme était-elle si urgente qu'il faille l'examiner et la voter en un mois ? Quelle cohérence y-a-t-il à nous faire voter la révision de la Constitution à l'été alors même que les travaux de la commission Veil sur son préambule n'ont pas encore commencé.
Je rappelle que la Constitution et son préambule forment un « bloc »sur lequel s'appuient les décisions du Conseil constitutionnel. Mais au-delà des arguments juridiques, je crois surtout qu'un compromis républicain ne se fait pas en un jour, sur le coin d'une table. Il demande du temps, de la ténacité. La loi sur les signes religieux à l'école a demandé un an pour aboutir après un très gros travail de rapprochement au sein de la commission parlementaire.
* Un projet de loi insuffisant
Pour cette réforme constitutionnelle, nous en sommes encore loin. Le texte qui nous est soumis par le gouvernement est clairement insuffisant. Son ambition se limite pour l'essentiel à la rationalisation des institutions existantes et à quelques améliorations concernant les droits du Parlement et du citoyen. Ce n'est pas rien, mais on peut faire plus et mieux.
Pour la clarté de nos échanges, je construirai mon propos en trois points. Les dispositions que nous refusons. Les améliorations que nous demandons. Les oublis que nous voulons combler.
* Les dispositions que nous refusons
Nous l'avons souligné à maintes reprises, nous ne voterons jamais un texte qui accroît les pouvoirs du Président de la République. C'est une question de principe, tant actuellement dans les textes comme dans la pratique, les prérogatives du Chef de l'Etat écrasent les autres institutions.
On s'est focalisé à juste titre sur notre refus de l'article 18 qui permet au Président de s'exprimer devant le Parlement. Nous le maintenons. Derrière un apparent bon sens, c'est une disposition complètement baroque. Le Président viendrait discourir en majesté devant une Assemblée qu'il peut renvoyer à tout moment grâce au droit de dissolution sans que les députés puissent débattre avec lui et encore moins voter puisqu'il n'est pas responsable devant eux. Mirabeau doit se retourner dans sa tombe. Et si les députés sont en désaccord avec ce qu'aura dit le Président, ils ne pourront l'exprimer qu'au Premier ministre en le censurant le cas échéant. Le bon sens ressemble à une impasse. Comme personne ne propose de remettre en cause le droit de dissolution ou de rendre le Président responsable devant le Parlement, le mieux est de maintenir l'actuelle séparation des pouvoirs.
Mais cette disposition est l'arbre qui cache la forêt d'un article passé inaperçu et qui a des conséquences encore plus graves : la concentration des pouvoirs de défense dans les mains du chef de l'Etat. Soyons clair : cet article 21 revient à institutionnaliser un domaine réservé à l'Elysée. Plus personne n'en serait responsable devant le Parlement. On se retrouverait ainsi dans une situation à l'américaine où le seul moyen pour les parlementaires d'influencer les choix stratégiques est de refuser de voter les crédits militaires. Une telle disposition serait lourde de crise en cas de cohabitation. Un gouvernement et une majorité opposés au Président pourraient être mis devant le fait accompli. Et bien moi, je ne souhaite pas, par exemple, que la France revienne dans le commandement de l'OTAN sans avoir mon mot à dire...
La troisième disposition que nous récusons est l'encadrement du droit d'amendement. La Constitution actuelle et les règlements des Assemblées ont déjà fortement limité ce droit : vote bloqué, irrecevabilité...Aller plus loin comme le proposent les nouveaux articles 41 et 44, définir par avance un crédit de temps de parole comme le préconise l'exposé des motifs du projet de loi, c'est aliéner un peu plus la liberté déjà contrainte du Parlement. C'est assujettir davantage le droit d'expression et de propositions de l'opposition que l'on prétend par ailleurs réhabiliter. Mes fonctions de président de groupe, dans la majorité puis dans l'opposition, m'ont appris que le temps d'examen du Parlement conditionne souvent la qualité de la loi et la pédagogie de l'opinion.
* Les améliorations que nous voulons
C'est dans le domaine des droits et du rôle du Parlement que nous souhaitons améliorer substantiellement le texte.
La plus importante concerne le contrôle des nominations. S'en tenir à un simple avis d'une commission parlementaire n'est pas sérieux. Combien de fois le gouvernement s'est exonéré des avis du CSM sur les nominations de magistrats. Nous demandons que les nominations fassent l'objet d'un vote du Parlement à la majorité des 3/5è et qu'elles concernent l'ensemble des instances régaliennes ou régulatrices comme le Conseil constitutionnel, le CSA ou le CSM. C'est pour nous un point déterminant.
Nous souhaitons également que l'article 65 sur la composition du CSM soit revu. Dans sa forme actuelle, il revient à accroître la tutelle politique sur la magistrature. Nous voulons enfin que le découpage électoral ne soit plus du ressort du ministère de l'Intérieur mais soit de la responsabilité d'une commission indépendante dont les membres seraient nommés après un vote au Parlement.
En second lieu, nous demandons que la Constitution reconnaisse au Parlement le pouvoir d'évaluation des politiques publiques comme le préconisait la Commission Balladur. Une telle disposition donnerait un coup d'arrêt à l'inflation législative et contraindrait l'exécutif à rendre compte publiquement de la bonne marche de l'Etat. La proposition du groupe UMP d'une commission parlementaire d'évaluation est une première avancée. Nous la renforçons en proposant qu'une semaine de l'ordre du jour parlementaire soit consacré aux fonctions de contrôle et d'évaluation.
En troisième lieu il nous paraît anormal que les engagements militaires de la France attendent six mois pour faire l'objet d'un vote de la représentation nationale. Le Parlement doit se prononcer dans les meilleurs délais qui suivent la décision d'engagement.
En quatrième lieu nous souhaitons que les droits de l'opposition dans l'ordre du jour partagé soient plus nettement affirmés. Si la pratique empêchant la discussion au fond de ses propositions de loi perdure, son droit d'initiative demeurera une fiction. Dans le même ordre d'idée je ne comprends pas pourquoi l'on donne au gouvernement la possibilité d'utiliser le 49/3 une fois par an en dehors du projet de la loi de finances et du PLFSS. Cela ne changera rien à la pratique actuelle.
Dans tous les cas de figure beaucoup des articles de ce projet de loi renvoient à des lois organiques ou ordinaires. Nous souhaitons que des garanties précises soient apportées afin qu'un certain nombre des progrès du texte ne soient pas oubliés ou dénaturés.
* Les oublis que nous voulons combler
Et c'est le dernier terme de mon propos. Oui cette réforme comporte des oublis qui posent problème. Comment ignorer l'affirmation du pluralisme et de l'indépendance des médias quand on connaît leur importance dans la formation de l'opinion publique et dans l'équilibre de la démocratie. Nous exigeons également que le temps de parole présidentiel soit intégré à celui du gouvernement afin que l'équité entre majorité et opposition soit enfin respectée. Nous avons déposé une proposition de loi en ce sens que nous soumettrons à votre examen.
De la même manière j'ai aujourd'hui la conviction qu'un consensus est possible pour la reconnaissance du droit de vote des étrangers aux élections locales. Le Président de la République lui-même n'y voit pas d'opposition de principe mais seulement de faisabilité. Je crois au contraire qu'il existe désormais une majorité pour le réaliser. Ce serait un puissant facteur d'intégration et la reconnaissance de l'apport de l'immigration à notre pays.
Et puis il y a la question des modes de scrutin. Ils ne relèvent certes pas de la Constitution mais participent à l'évidence de l'équilibre et de la représentativité de notre démocratie. Lors de la campagne présidentielle, M. Sarkozy s'était dit favorable à l'instillation d'une part de proportionnelle aux élections législatives. Cet engagement a disparu comme ne figure pas l'indispensable réforme du scrutin et du collège sénatorial. La France ne peut pas rester la seule démocratie au monde où l'alternance est impossible dans une assemblée. Là encore nous vous demanderons de vous prononcer sur une proposition de loi que nous avons inscrite à l'ordre du jour.
Je constate enfin que le projet de loi a oublié des préconisations intéressantes de la Commission Balladur : je pense par exemple au référendum d'initiative populaire qui serait un facteur puissant de participation civique ou au mandat parlementaire unique.
Je conclue en m'adressant à vous Mesdames et Messieurs de la majorité. Je crois possible une réforme institutionnelle qui transcende nos différences. Nos propositions ont une seule volonté : faire progresser notre démocratie, l'adapter à son temps. Tout ce que nous proposons n'est pas à prendre ou à laisser. C'est une plateforme pour avancer. Il y a sur cette question la place pour un travail en commun. Nous avons fait le premier pas. Nous attendons le vôtre.
Source http://www.deputessocialistes.fr, le 14 mai 2008