Déclaration de M. Jean-Marc Ayrault, président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale, sur le Pacte démocratique, ensemble des propositions faites par le Parti socialiste dans le cadre du débat parlementaire en vue de la révision de la Constitution, à l'Assemblée nationale, le 21 mai 2008.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Débat à l'Assemblée nationale sur le projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Vème République, à Paris le 21 mai

Texte intégral

Monsieur le Président,
Madame, Monsieur les Ministres,
Mesdames, Messieurs,
La rénovation de nos institutions est une nécessité depuis trop longtemps différée. La Vè République a démontré d'indéniables qualités de stabilité et de souplesse qui lui ont permis de surmonter les crises et d'assurer des alternances solides. Mais les abus de sa naissance, sa conception autoritaire, son architecture verticale l'ont affectée de graves déséquilibres démocratiques. Entre la surpuissance de l'exécutif et l'assujettissement du Parlement, entre l'hégémonie majoritaire et la faiblesse des contrepouvoirs, il y a trop peu de démocratie représentative, trop peu de démocratie sociale, trop peu de démocratie participative. C'est dans ces manques qu'a grandi la crise civique qui affecte notre pays depuis plusieurs années. Faute de pouvoir trouver des relais institutionnels qui puissent peser sur l'évolution du pays, nos concitoyens se détournent du politique et du bulletin de vote.
La gauche a été longtemps seule à vouloir réformer cette République hémiplégique qui centralise tout et déresponsabilise les citoyens. Avec la suppression des juridictions d'exception, les lois de décentralisation, la création d'instances de régulation, le respect de l'indépendance des juges, les majorités socialistes ont contribué à décorseter nos institutions. Nous aurions voulu aller plus loin, promouvoir un nouvel équilibre démocratique notamment au moment de l'instauration du quinquennat. Les verrous imposés par le président Chirac et le Sénat nous l'ont empêché.
En reconnaissant les dérèglements de notre système institutionnel, en proposant ce projet de loi pour les corriger, votre gouvernement, Madame, Monsieur les Ministres, a légitimé les combats de la gauche. Peut-on aller au-delà de ce diagnostic enfin partagé ? Peut-on, selon la formule d'un de vos amis, « coproduire » une réforme qui donne une assise durable à notre Nation ? Nous le souhaitons sincèrement.
L'histoire nous a enseigné le prix des constitutions nées dans la discorde et mortes dans l'affrontement. Elle nous rappelle que la démocratie est notre bien commun et que nous sommes redevables de sa pérennité devant les Français. C'est le sens du pacte démocratique que vous proposent les députés socialistes et que j'ai présenté lors de mon audition devant la commission des lois.
* Un pacte démocratique à concevoir
Ce pacte démocratique est fondé sur une conviction : la loi fondamentale nous concerne tous, elle est l'affaire de tous ; elle mérite que les intérêts partisans s'effacent derrière l'intérêt général comme nous l'avons réussi pour la loi sur les signes religieux à l'école en 2004.
Ce pacte démocratique s'appuie sur une méthode : un dialogue loyal et au grand jour avec le gouvernement, sa majorité et toutes les grandes forces démocratiques représentées dans notre Assemblée.
Ce pacte démocratique propose une vision globale. Améliorer tout ce qui concourt à l'équilibre de notre démocratie : les droits du Parlement et du citoyen, les modes de scrutin, l'indépendance de la justice, le pluralisme des médias. Tout doit être sur la table : la Constitution comme les lois organiques ou ordinaires.
Au regard de ces critères, force est de constater que vos réponses depuis le début du processus de révision nous laissent sur notre faim. Parlons clair : il manque à notre dialogue républicain sa principale matrice, la confiance.
* Comparatif des intentions et des actes du pouvoir
Comment ignorer la contradiction flagrante entre votre discours officiel, renforcer les droits du Parlement, et votre pratique autoritaire qui vise à le soumettre. Depuis un an, nous avons eu droit à toutes les avanies : l'urgence imposée à tous les textes, le refus de débattre nos propositions, le rejet systématique de nos amendements, l'humiliation du discours présidentiel de Westminster.
Ce qui s'est passé depuis une semaine lors de l'examen du projet de loi sur les OGM n'a fait qu'appesantir le carcan.
Où sont les droits du Parlement dans l'arbitraire d'un gouvernement qui s'assoit sur un vote de l'Assemblée nationale et impose son texte envers et contre tous.
Et que dire des droits de l'opposition ? Vous avez refusé de débattre au fond de nos propositions de loi sur le mode de scrutin sénatorial. Vous avez réservé le même sort en commission à notre seconde proposition sur l'égalité du temps de parole dans les médias. Nous tendons la main. Vous nous tordez le bras.
Comment dès lors établir la confiance quand vous préférez l'épreuve de force à l'épreuve de vérité ? Je vous renvoie à l'esprit des lois de Montesquieu : « la bonne Constitution est d'abord ce qu'en font les gouvernements ». Ce premier exercice comparatif entre la promesse et l'acte est à cet égard inquiétant. Rien n'a vraiment changé.
Qu'en est-il maintenant du projet de loi lui-même ? Là encore je me livrerai à cet exercice très simple de la comparaison entre votre texte amendé par la Commission des lois et les grandes propositions du groupe socialiste. Je le ferai à travers les trois points que j'avais exposés en Commission: les dispositions que nous refusons; les améliorations que nous demandons; les oublis que nous voulons combler.
* Evaluation des dispositions que nous refusons
Je le répète une nouvelle fois devant vous. Les socialistes ne voteront jamais un texte qui accroît les pouvoirs du Président de la République. Parce que ses prérogatives écrasent depuis cinquante ans les autres institutions. Parce qu'on a pu mesurer depuis un an les errances du pouvoir personnel.
Vous avez reconnu le bien fondé de notre analyse en renonçant à la concentration des pouvoirs de défense à l'Elysée. C'est une des avancées positives de nos travaux. L'institutionnalisation d'un domaine réservé du président aurait été facteur de crise en cas de cohabitation et aurait gravement porté atteinte au consensus national en matière stratégique et militaire.
En revanche nous maintenons notre opposition de fond à la venue du Président devant le Parlement. « L'arrangement versaillais » que vous avez conçu ne change rien au caractère baroque et incongru d'une telle novation. Tant que le président conservera son droit de dissolution, tant que les parlementaires n'auront pas la possibilité de débattre avec lui et encore moins de voter puisqu'il n'est pas responsable devant les Assemblées, cette remise en cause de la séparation des pouvoirs n'aura aucun sens. Encore un effort Madame et Monsieur les Ministres ! Si cette mesure est purement symbolique, il ne vous coûtera pas de la supprimer. Si elle a une portée politique, elle est inacceptable.
Sortons le président de cette réforme. Travaillons aux vraies carences de notre Constitution que sont les marginalisations du Parlement et du citoyen.
* Evaluation des améliorations que nous demandons
En ces domaines, votre texte demeure beaucoup trop contraint. Chaque fois qu'il ouvre un droit nouveau au Parlement, il s'emploie immédiatement à le restreindre ou à le vider de sa substance. L'ordre du jour partagé se trouve ainsi flanqué d'une restriction du droit d'amendement. Le statut de l'opposition ne comporte par aucune traduction concrète. La réforme du 49/3 ne modifiera rien à la pratique actuelle. Le contrôle des opérations extérieures se réduit à un débat et renvoie le vote six mois plus tard quand l'engagement est devenu irréversible. Pis, vous supprimez le droit de résolution qui aurait permis au Parlement de s'exprimer en toute indépendance sur des sujets majeurs de politique étrangère ou d'éthique.
Malgré les efforts du Président Warsmann et des commissaires socialistes, à qui je veux rendre hommage pour leur qualité d'écoute et leur volonté de compromis, très peu des améliorations que nous demandons ont été prises en compte.
J'en citerai deux. Le progrès le plus significatif, qui demande à être confirmé, concerne l'instauration du référendum d'initiative populaire. C'était une de nos demandes importantes. Faire du citoyen un acteur du destin de la Nation. Lui permettre d'être, aux côtés des élus, à l'origine de grands choix politiques hors des rendez-vous électoraux. Nous attendons que cette annonce soit inscrite sans faux-fuyant dans le projet de loi.
Le deuxième progrès significatif concerne le rétablissement du pouvoir d'évaluation des politiques publiques au Parlement. La décision d'y consacrer une semaine par mois et l'obligation d'une étude d'impact pour chaque projet de loi contribueront à freiner l'inflation législative et à améliorer la qualité de nos lois.
Mais pour l'essentiel, les corrections demeurent à la marge ou en trompe l'oeil. Sur le mandat unique, vous avait fait le service minimum en le limitant aux ministres pour mieux en exonérer les élus.
Autre exemple de trompe l'oeil, la question du contrôle parlementaire des nominations. Nous demandons un vote aux 3/5è qui obligerait la majorité et l'opposition à s'entendre sur la composition des juridictions indépendantes. Une telle procédure garantirait leur neutralité politique. Vous concédez un simple droit de veto aux 3/5è qui dénature la proposition. Ce sera à l'opposition de convaincre la majorité. Elle n'y parviendra presque jamais sauf si vous nommez JM Le Pen au Conseil constitutionnel.
Même sort pour la commission du découpage électoral. Tant que ses membres seront nommés par le pouvoir, tant que son pouvoir sera réduit à un simple avis, un soupçon permanent pèsera sur son impartialité. Nous avons proposé que cette commission ait la responsabilité du découpage et que sa composition soit ratifiée à la majorité qualifiée du Parlement. Vous l'avez refusé.
Quant à la réécriture de l'article 65, relatif au Conseil supérieur de la magistrature, je demeure réservé. L'amendement qui permet au justiciable de saisir le CSM va dans le bon sens. Mais la vraie garantie de son indépendance et de sa neutralité vis-à-vis du pouvoir, c'est vous ne touchez ni à la tutelle de l'exécutif sur les procureurs, ni à la nomination de ses membres par le pouvoir.
* Evaluation des oublis que nous voulons combler
Sur trop de points, votre réforme comporte trop d'oublis, trop de promesses inachevées. Vous refusez de traiter les anomalies des modes de scrutin et de la représentation sénatoriale qui participent à l'évidence aux dérèglements de notre démocratie. Vous refusez d'admettre que le pluralisme et l'indépendance des médias ont besoin d'être garantis par la Constitution au regard de leur influence sur la formation de l'opinion. Vous refusez de discuter le droit de vote des étrangers qui serait un facteur puissant d'intégration civique. Toutes ces propositions ne sont pas à prendre ou à laisser mais j'ai la conviction que chacune d'entre elle serait pleinement acceptée par les Français dès lors qu'elles sont portées par un consensus républicain.
* Les ajouts inutiles
Or c'est ce consensus qui manque dans les deux ajouts auxquels vous avez procédé.
Le plus surréaliste est la réintroduction de ce désastreux article référendaire contre l'adhésion de la Turquie dans l'Union européenne. C'est la première fois au monde qu'une Constitution va consacrer l'opposition à un pays étranger. Je ne sais pas si la Turquie doit faire partie de l'Union européenne, mais je suis sûr qu'elle n'a rien à faire dans la Constitution française. Cette concession ridicule aux ultras de votre majorité mettra la France au ban de l'Europe.
Je suis également hostile à cette institutionnalisation de l'obligation d'équilibrer les finances publiques. Non la Constitution n'est pas un manuel de gestion. Non elle n'a pas le pouvoir de fixer les règles d'une stratégie économique. Cela relève de choix politiques ratifiés par les électeurs. Il y a trois ans, nos compatriotes ont rejeté le projet de constitution européenne parce qu'ils ne voulaient pas graver dans le marbre la politique économique de l'Union. Vous avez oublié la leçon.
* Ouverts jusqu'à la dernière minute
Mesdames, Messieurs,
Au-delà de chaque article, ce qui manque à votre réforme c'est l'audace. L'audace de casser les carcans, d'accepter des propositions fortes de l'opposition, de concevoir un grand pacte démocratique.
Rien n'est encore perdu. Nous reconnaissons les avancées de votre texte. Nous sommes prêts à trouver des compromis pour le faire progresser. Nous n'imposons aucun préalable. Notre vote dans cette première lecture demeure ouvert. Il ne préjugera en rien de notre position finale au Congrès de Versailles. Tout dépendra du débat ici à l'Assemblée, au Sénat, dans les navettes. Jusqu'à la dernière minute, nous ferons tout pour aboutir.
Ce que nous voulons, c'est reconstruire la confiance des Français en leurs institutions et en leurs représentants. C'est retisser un lien civique puissant qui permette à chaque citoyen, à chaque élu de se sentir acteur de destin de la Nation. Une Constitution ne se fait pas en un jour. Elle se construit pour un siècle !

source http://www.deputessocialistes.fr, le 23 mai 2008