Déclaration de Mme Christine Boutin, ministre du logement et de la ville, sur les nécessaires transformations des villes pour les rendre plus habitables par une prise en compte de l'esthétique, de la qualité architecturale, Paris le 3 juillet 2008.

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Circonstance : Remise du rapport de Roland Castro "Le logement de tous au service de l'urbanité : loger tout le monde dignement", à Paris le 3 juillet 2008

Texte intégral

Monsieur le Maire, [Michel BEAUMAL],
Cher Roland CASTRO,
Mesdames, Messieurs,
Merci à tous d'être venus nous retrouver, ici à Stains pour la remise officielle du rapport de Roland CASTRO.
D'après l'ONU, d'ici dix ans, le monde comptera plus d'urbains que de ruraux. Un milliard d'entre eux s'entassent déjà dans des bidonvilles. Bien sûr, la situation de nos villes est très éloignée de la plupart des grandes métropoles mondiales sous embolie.
Reste que ...chez nous, comme ailleurs, la ville est devenue un lieu emblématique de la modernité, de ses ruptures, de ses tensions, de son attrait également et que le chantier de la ville est en passe d'être considéré comme l'un des plus stratégiques pour l'avenir.
Ces dernières décennies, n'était-ce le génial sursaut de la politique de rénovation urbaine, le développement de nos villes n'a pas été suffisamment réfléchi : en particulier, les principaux efforts en matière de cadre de vie ont été fournis dans les quartiers traditionnellement aisés. En somme, on a considéré que le beau était vital là où tout allait bien, mais pas prioritaire dans les quartiers populaires, là où tous les problèmes se cumulaient.
A bien des égards, on peut même avancer que le dépérissement esthétique auquel nous avons assisté dans nos villes a été la conséquence du dépérissement de la ville comme projet collectif.
C'est ce que je veux changer.
Je considère que la beauté ne doit pas être un luxe réservé aux riches.
Et je crois que l'affichage de cette volonté est important au moment où la France s'est fixé comme objectif de bâtir chaque année, quelques 500 000 logements, dont 120 000 sociaux. Notre immense besoin de logements ne doit pas nous conduire à brader la beauté et la qualité. C'est en tout cas l'engagement que je veux prendre devant vous.
De Limoges à Cuba, de Mao à l'Ecole d'architecture de Paris, de la « La légende du siècle » (1) à « l'utopie concrète » (2), vous vous êtes acquis, cher Roland CASTRO, une réputation d'homme d'avant garde. Vous avez été l'un des premiers à sensibiliser l'opinion sur la ghettoïsation de nos cités. Vous avez très tôt soulevé la question particulière de la ségrégation urbaine de Paris à l'encontre de sa banlieue et développé un projet de « Grand Paris » à visées sociales, économiques et environnementales. J'ai été heureuse de vous retrouver parmi les dix équipes sélectionnées pour réfléchir au Grand Paris, au terme d'une consultation internationale de très haute qualité. Vous qui portez cette idée depuis si longtemps, vous allez enfin pouvoir contribuer activement à sa concrétisation. J'ai hâte de découvrir les fruits de cette consultation commanditée par le Président de la République en personne et à laquelle il attache, vous le savez, cher Roland, le plus grand prix.
Toutes ces raisons font que j'ai souhaité vous solliciter vous, plutôt qu'un autre, pour réfléchir au beau et à la qualité dans le logement populaire.
J'ai souhaité vous exploiter vous, grand avant-gardiste devant l'éternel, quitte à former avec vous ce que d'aucuns regarderont comme un duo improbable, parce que je sais que vous êtes un homme qui a suffisamment de distance et de liberté pour être capable de porter aux nues les idées les plus variées jusque et y compris les idées les plus vieillottes quand vous les croyez pertinentes. Vous êtes un créateur mais surtout un homme pragmatique et sans a priori.
Stains, par exemple, présente la particularité d'offrir, ce que j'appellerai, toutes les « strates géologiques » du logement social : du modèle de l'entre deux guerres aux habitations plus récentes en passant par les grands ensembles des Trente Glorieuses. Et dans ce panel, vos suffrages vont assez volontiers - je crois - à cette utopie centenaire qu'est la cité jardin.
C'est un certain Howard, un anglais, qui a couché ce nouveau concept sur le papier à l'aube du XXème siècle. L'idée était de décongestionner les grandes villes et de fournir des logements agréables et décents aux familles modestes qui s'entassaient jusque-là dans des immeubles de rapport.
Ce projet a été concrétisé,
- Outre Manche, par Raymond UNWIN, l'architecte qui allait inspirer par la suite la politique urbaine du New-Deal de Roosevelt.
- Et en France, par le génial Henri SELLIER, le patron de l'Office Public d'Habitations à Bon Marché de la Seine durant l'entre deux guerres et surtout, la grande figure en France des cités jardins.
Si je me livre à cette rétrospective, c'est parce que l'un des postulats de ces philanthropes du siècle dernier, c'était l'esthétisme . L'esthétisme qui avait également été le parti pris, avant eux, de
- Godin pour son Palais de Guise,
- celui d'Henri De Gorge pour le Grand-Hornu en Belgique,
-celui de Ledoux pour les logements ouvriers des Salines royales d'Arc et Senans,
- celui de Bruant et Louvois à l'Hôtel des Invalides pour les pauvres soldats de Louis XIV,...
Avec un grand bon sens, toutes ces illustres personnalités ont estimé qu'on vivait mieux dans du beau que dans du laid. Et de fait, je crois que la beauté architecturale et paysagère est un puissant facteur de bien être et d'harmonie sociale. La beauté c'est une potion magique. Alors pourquoi s'en priver ? !
Surtout, ces grands précurseurs et en particulier ceux du début de l'histoire du logement social du tournant du XXème siècle, ont prouvé que faire beau et faire bien, c'était techniquement et financièrement possible.
Si nos aïeux ont su faire cette démonstration, je ne vois pas, au nom de quoi, 100 ans plus tard, nous ne serions pas capables d'en faire autant.
Tel est en tout cas notre credo commun, avec Roland CASTRO.
Dans votre rapport intitulé « Le logement de tous au service de l'urbanité, loger tout le monde dignement », après avoir écouté nombre d'acteurs, vous nous livrez une analyse tout en nuance et des propositions ouvertes et diversifiées qui mettent en avant la capacité d'innovation des acteurs.
Nos points de vue sont parfaitement convergents :
Là où vous esquivez l'idée de beauté, pour lui préférer celle de « dignité bâtie », j'évoquerai pour ma part, à la manière Malraux, le fait que l'homme doit désormais se donner « des formes dignes de lui ».
Là où vous parlez d'urbanité, c'est-à-dire du lien entretenu par un individu avec son environnement urbain, et partant avec les siens ; je parlerai de ces qualités qui font que la ville est ville ; comme lieu d'émancipation des individus et comme lieu de brassage et de rencontre.
Quoi qu'il en soit, nous nous retrouvons dans l'envie de développer l'urbanité, cette qualité qui fait qu'une ville est apaisée, que les rapports entre les hommes ne sont pas agressifs mais plutôt empreints de convivialité.
Vous et moi appelons de nos voeux une prise de conscience collective et une mobilisation pour embellir nos villes et les rendre plus habitables. C'est bien en ce sens que je conçois la politique urbaine que je mène, en plaçant au coeur des débats et des enjeux la nécessité - pour tous ! - d'un cadre de vie digne de l'homme.
Venons-en à vos propositions.
Vous suggérez que la culture architecturale soit plus communément partagée.
C'est en effet une nécessité majeure si nous voulons inscrire notre action dans la durée. C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles j'attache tant d'importance aux initiatives qui ont pour but de sensibiliser nos concitoyens à ces enjeux. L'opération Vivre les Villes, qui se déroulait le week-end dernier a d'ailleurs pris une nouvelle dimension avec plus de 400 rencontres proposées sur tout le territoire, permettant à chacun de découvrir sa ville sous un jour nouveau. Votre idée d'éduquer les jeunes générations à la ville est également excellente et je vais saisir mon collègue Xavier DARCOS afin d'envisager ensemble quelles actions nous pourrions mener en ce sens.
Vous affirmez que « la norme assèche la création architecturale ».
Je suis moins radicale : je dirai que les normes appellent encore plus d'architecture. Sans architecture, l'empilement des normes mène en effet à une construction standardisée. Or tout le mérite des architectes est précisément de concevoir, dans un cadre donné, des bâtiments beaux, solides et utiles. C'est ici que la mission des architectes prend tout son sens.
Je suis néanmoins prête à poursuivre avec vous le débat, ce qui m'amène à une autre proposition que vous me faites.
Vous suggérez une rencontre annuelle pour susciter le débat et faire coaguler les bonnes intentions arguant du fait qu'il n'existe aucun espace actuellement où les acteurs qui font la ville puissent se rencontrer pour échanger sur leurs expériences et leurs pratiques.
L'échange d'expérience existe dans 1000 autres secteurs d'activités. Pourquoi pas dans celui-là ? Nous savons combien les croisements des regards sont prolifiques.
Je souscris donc pleinement à cette proposition.
Mais je manquerai à tous mes devoirs de ministre si je ne vous disais pas que nous devons impérativement associer à ce travail les élus et notamment les maires, parce qu'en France, ce sont eux qui détiennent les clefs de la construction. C'est eux que nous devons convaincre et mobiliser. Je valide donc votre proposition en vous disant : faisons-en un grand « happening » pour mobiliser les maires bâtisseurs.
Je vous donne rendez-vous à l'automne prochain pour une première rencontre nationale consacrée au logement, à la ville et à l'architecture.
Enfin concernant les architectes-conseils : vous leur avez accordé une place notable dans votre rapport. J'ai déjà eu l'occasion de constater la qualité de leur travail, notamment lors de leur assemblée générale en mars dernier. J'ai aussi participé à une rencontre particulièrement intéressante dans la Loire où DDE et architectes-conseils ont développé ensemble des méthodes de travail participatives au sein des ateliers de qualité urbaine. Votre propos me confirme donc dans mes intuitions et je serai amené à faire des propositions à ce sujet dans le courant de l'automne.
Avec ce rapport vous jetez les bases d'une action coordonnée, qui va permettre d'embellir les habitations populaires et de réenchanter nos villes
Encore une fois, un grand merci, cher Roland CASTRO pour la qualité de votre travail
Il est heureux qu'un architecte de renom s'intéresse à ce point à ce que j'appellerai l'architecture de l'ordinaire, l'architecture du tous les jours quand tant de vos collègues, de notoriété équivalente, privilégient les constructions de prestige. Je ne nie bien évidemment pas leur intérêt ni leur apport pour une ville renouvelée. Mais sans opposer les uns et les autres, je suis heureuse de voir qu'un architecte de votre carrure s'engage personnellement et ouvre des voies pour que les hommes, les femmes et les enfants de notre pays vivent au quotidien dans des conditions conformes à leur dignité.
Vous avez l'âme politique et aurez sans doute mieux compris que d'autres que ce chantier de la beauté dans nos villes et de la beauté de nos habitations populaires, n'est pas un chantier mineur : il conditionnera, j'en suis sûre, le rayonnement futur de la France, le bien-être des hommes et des femmes de ce pays, et partant, la concorde nationale.
Je tiens donc à vous remercier publiquement, vous l'homme si sollicité, qui avez accepté de consacrer votre temps si précieux à ce sujet essentiel.
Je vous remercie.
(1) l'hebdomadaire qu'il fonde en 1987 (2) parti qu'il fonde en 2002 avec quelques amis à l'arrivée de Le Pen au second tour des élections présidentielles
source http://www.logement.gouv.fr, le 8 juillet 2008