Interview de Mme Rachida Dati, ministre de la justice, à RMC le 28 juillet 2008, sur les dispositions du projet de loi pénitentiaire, notamment celles concernant la lutte contre la surpopulation carcérale, les conditions de vie des détenus et les aménagements de peine.

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Circonstance : Présentation en Conseil des ministres du projet de loi pénitentiaire, Paris le 28 juillet 2008

Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

G. Cahour.- Le dernier Conseil des ministres de la saison, dernière interview, je suppose aussi aujourd'hui, avec nous. Nous parlons ce matin de la loi pénitentiaire que vous allez présenter en Conseil des ministres ce matin, dernier Conseil des ministres de la saison, avec un contexte qui, à dire vrai, est assez tendu puisqu'on a eu il y a quelques jours ces chiffres au 1er juillet : on a atteint un pic historique en nombre de détenus, presque 65.000 détenus pour 50.000 places, taux d'occupation 126 %. En clair, cela veut dire que certains dorment sur des matelas par terre. Comment votre loi va-t-elle répondre à cette crise de la surpopulation carcérale ?
 
La surpopulation carcérale est une réalité. Nous souhaitons ne plus rien cacher ni à l'opinion publique, ni de manière générale aux Français. Pourquoi ? Parce qu'il est important de savoir, les personnes que nous privons de liberté, dans quelles conditions elles sont détenues. Donc, ce texte, cette loi pénitentiaire qui sera la deuxième loi en soixante ans, cette loi pénitentiaire s'inscrit dans un programme global de modernisation du système pénitentiaire. Cela veut dire quoi ? C'est une autre vision de la prison, c'est une autre définition de la privation de liberté. Une autre vision de la prison : il faut construire des places de prison, vous avez raison. La surpopulation : on peut lutter contre la surpopulation en aménageant les peines, mais également en construisant des places de prison plus dignes, avec des douches dans les cellules...
 
Cela veut dire que vous allez construire des prisons ? C'est ce qui est prévu dans cette loi ?
 
Mais c'est en cours.
 
Parce que je précise juste, cette crise de la surpopulation ce n'est pas la vôtre. Cela fait des années que ça dure, tous les gardes des Sceaux la récupèrent.
 
Parce qu'on ne l'a jamais anticipée...
 
...Et à chaque fois, il y a des constructions de prisons.
 
Non, pas à chaque fois. Le dernier grand programme, c'est le programme 13.000 d'A. Chalandon, 1987. Le programme est relancé en 2002 et le président de la République, N. Sarkozy, a souhaité conforter ce programme de construction en finançant un programme de construction d'ampleur, puisque d'ici 2012, nous aurons 13.200 places de plus en France.
 
13.200 places de plus, donc cela veut dire à peu près la différence qui manque aujourd'hui puisque 64.000 détenus, 50.000 places.
 
50.500 places. Encore une fois, c'est ce que je vous disais, cette loi s'inscrit dans un programme vraiment de modernisation du système pénitentiaire : programme de construction de places de prison plus dignes, des unités de vie familiale, des douches dans toutes les cellules, des prisons plus adaptée...
 
Est-ce que les prisons actuelles seront rénovées ?
 
Pour terminer : donc construction de places de prison, également, nous avons instauré le contrôleur général de tous les lieux de privation de liberté. C'est une personnalité indépendante qui vient d'être nommée, et dont la nomination a été saluée unanimement, d'ailleurs dans le milieu associatif et aussi bien dans tous les rangs politiques.
 
Sauf que pour le contrôle des prisons, les critiques c'était plutôt de dire qu'on était largement en dessous de ce qui se fait ailleurs en Europe, en matière de contrôle des prisons, en termes de moyens.
 
Mais ça ne s'est jamais fait !
 
En France, oui, mais par exemple, comparé au cas britannique, c'était nettement en dessous du cas britannique.
 
Non, on va au-delà parce qu'en Angleterre c'est uniquement un contrôleur des prisons. Nous, nous avons souhaité un contrôleur général indépendant de tous les lieux de privation de liberté.
 
Sauf qu'il y aura moins de monde et ils contrôleront plus de lieux de privation de liberté.
 
Il n'y aura pas moins de monde, qu'est-ce que vous en savez ?
 
C'était les chiffres qui avaient été annoncés.
 
Non, le contrôleur vient d'être instauré, il aura une équipe d'une vingtaine de personnes, il a un budget autonome, donc on ne peut pas comparer, ça n'existait pas avant. C'est une avancée démocratique majeure pour justement humaniser et veiller au respect des droits fondamentaux des personnes détenues. Donc il y a construction de places de prison, instauration du contrôle général des lieux de privation de liberté, et loi pénitentiaire. La loi pénitentiaire, aujourd'hui, consacre des droits reconnus aux détenus...
 
On va parler de ces droits, c'est promis, mais juste un dernier mot...
 
... et ça sera une nouvelle conception de la prison avec les alternatives à l'incarcération...
 
On va parler de ces droits, c'est promis !...
 
... et les aménagements de peine.
 
C'est promis, on va en parler beaucoup. Juste pour finir...
 
Mais vous me demandez le contenu du texte, je vous donne le contenu du texte.
 
Non, je vous demandais le contenu par rapport à la surpopulation. Promis, on va parler, évidemment, de ces droits, c'est important. Mais sur la surpopulation, donc il y aura des nouvelles places de prison, 13.000 d'ici 2012. Est-ce que les prisons actuelles qui ont, pour certaines, vieillies seront rénovées ?
 
Celles qui doivent être réhabilitées le seront ; celles qui doivent être démolies et reconstruites, le seront. Je vous donne le cas des Baumettes. Les Baumettes, il y avait une étude qui avait été faite pour réhabiliter. On a regardé, il vaut mieux démolir et reconstruire. Donc Les Baumettes seront démolies et reconstruites d'ici 2013. 2013, établissement pour femmes ; 2015, la totalité de l'établissement pénitentiaire avec la prison pour hommes. Je vais à Lyon cet aprèsmidi, justement poser la première pierre d'un nouvel établissement pénitentiaire. Les prisons qui sont totalement vétustes, indignes et dégradés, nous les fermerons et nous en ouvriront d'autres. D'ici la fin de l'année, il y aura 3.000 places nouvelles, nouvelles, c'est-à-dire constructions nouvelles en France.
 
Et il y a un décret qui est passé il y a quelques semaines, qui autorise les détenus à demander une cellule individuelle. Est-ce qu'il y a eu beaucoup de demandes ?
 
Ce décret s'inspire d'une loi... Enfin, a été pris sur le fondement d'une loi de 2003, sur laquelle il y avait eu une demande de moratoire. C'est-à-dire que pour les personnes prévenues, c'est uniquement pour les personnes prévenues, c'est-à-dire en attente de jugement, il est recommandé que les personnes prévenues en attente de jugement puissent être dans des cellules individuelles.
 
Ce n'est pas toujours le cas donc ?
 
Ce n'est pas toujours le cas compte tenu, encore, des contraintes immobilières. Donc j'ai pris un décret au mois de juin pour organiser les demandes d'encellulement individuel. Pourquoi ? Parce que je respecte la loi qui a été votée par le Parlement et d'autre part je respecte aussi les demandes des détenus. Il faut savoir que souvent les détenus ne souhaitent pas être seuls dans des cellules. Et puis, il y a aussi d'autres prescriptions, de nature par exemple médicale où l'administration pénitentiaire, des recommandations disant qu'il vaut mieux que de détenu ne soit pas seul pour des raisons prévention du suicide".
 
Et depuis le mois de juin, depuis ce décret, il n'y a pas eu de demande ?
 
Aujourd'hui, il y a très peu de demandes.
 
C'est marginal ?
 
Très peu de demandes. Parce que, encore une fois, je le rappelle, ce n'est pas du tout... Moi, j'ai pris ce décret pour qu'on puisse voir comment on peut affecter dans les cellules individuelles ceux qui le souhaitent. Nous n'avons pas énormément de demandes.
 
A cette réponse à la surpopulation carcérale, il y a aussi également - peut-être que ça va d'ailleurs en faire partie cette r??ponse - dans votre loi pénitentiaire des aménagements. Des aménagements de peine, c'est-à-dire la prison hors prison, c'est ça ? Ca veut dire quoi "prison hors prison" ?
 
Dans ce texte, c'est la modernisation du service public pénitentiaire. Il y aura évidemment l'exercice, la possibilité pour les détenus d'exercer leurs droits parce qu'ils sont privés de leur liberté mais ils ne sont pas privés de leurs droits fondamentaux. Et dans ce texte, nous allons développer, favoriser, donner des outils aux magistrats pour favoriser les alternatives à l'incarcération. Alternatives à l'incarcération, c'est-à-dire quelqu'un qui est condamné à la prison ferme et au lieu d'aller en prison, pourra être assigné à résidence avec un bracelet électronique - bracelet électronique fixe ou mobile. Ca va être le cas, par exemple, pour les détenus...
 
Fixe ou mobile, ça veut dire "fixe" il reste chez eux, ils n'ont pas le droit de sortir ?
 
Si, ils peuvent sortir mais il faut un téléphone fixe. On les appelle le matin, on les appelle à midi, on les appelle à heure fixe.
 
D'accord.
 
Et mobile, ils sont surveillés, il y a un écran de surveillance...
 
Il y a un peu plus de souplesse, quoi.
 
Ah non, parce qu'il y a une surveillance 24 heures sur 24 de tous leurs mouvements. C'est en fonction des faits et en fonction de la condamnation. Ca c'est le magistrat qui décide de placer sous surveillance électronique mobile ou pas.
 
C'est ce qu'on appelle le bracelet électronique ?
 
C'est le bracelet électronique.
 
Mais aujourd'hui il y a 70 bracelets électroniques, d'après l'OIP, il y en a 70...
 
Non, il y a 3.200 détenus qui sont placés sous surveillance électronique à ce jour. Il y aura 12.000 bracelets électroniques d'ici 2012. C'est à peu près un rythme de 2.500-3.000 bracelets électroniques par an. J'en aurai 4.000 de plus d'ici la fin de l'année. C'est une vraie alternative à l'incarcération, parce qu'il y a deux choses : il y a l'alternative à l'incarcération, et ses modalités d'assignation à résidence et de placement sous surveillance électronique, seront adaptée notamment pour ce qui est aujourd'hui la détention provisoire. La détention provisoire c'est pour une personne encore présumée innocente, pas en examen, ou en attente de jugement quand l'instruction est terminée. Donc ce sont des modalités pour justement éviter l'incarcération. Et vous avez les aménagements de peine, c'est-à-dire que la peine est aménagée, elle peut l'être dès le départ. Aujourd'hui, pour quelqu'un qui est condamné à un an de prison, la peine peut être aménagée dès le départ. Cela veut dire quoi ? Si la personne a un contrat de travail, si elle a des garanties d'insertion et des garanties de lutte contre la récidive, que la personne ne récidive pas, nous allons dans ce texte passer de un an à deux ans. Pour une personne qui est condamnée à deux ans fermes, la peine pourra être aménagée dès le départ pour quelqu'un qui aura été condamnée à deux ans d'emprisonnement. Et, par exemple, pour quelqu'un qui a un reliquat de peine de six mois, automatiquement nous pourrons le placer sous bracelet électronique. Nous allons également assouplir la libération conditionnelle, pour qui ? Parce que nous avons une population carcérale vieillissante ou malade, donc par exemple pour les détenus âgés de plus de 75 ans, aujourd'hui pour obtenir une libération conditionnelle, c'est-à-dire une libération sous condition, il faut attendre d'avoir effectué la moitié de sa peine. Pour les personnes de plus de 75 ans ou malades, nous n'attendrons pas la moitié de la peine. Nous pourrons aménager sous libération conditionnelle avant.
 
Et l'option pour ceux qui ont un travail et qui sont condamnés à de la prison, l'option qui consiste à effectuer son travail, son métier pendant la journée, et d'aller à la prison le soir ?
 
C'est la semi-liberté.
 
Oui, la semi-liberté, est-ce que ça c'est une option intéressante ?
 
Aujourd'hui, il y a environ 2.000 personnes qui sont en semi-liberté. Nous n'avons pas de surpopulation s'agissant de la semi-liberté, mais nous allons la développer, notamment pour ceux qui ont une activité professionnelle. Mais je rappelle quand même...
 
Mais ça, ça ne répond pas à la problématique de la surpopulation carcérale puisque vous avez toujours besoin de cellules.
 
Vous avez sans doute des personnes qui pourraient être placées en semi-liberté si nous anticipons, nous préparons leur projet de sortie. Cette loi, contrairement à des modalités qui ont été faites avant, ce n'est plus un outil de régulation de la population carcérale parce qu'un outil de régulation de la population carcérale c'est de dire, "il y a trop de détenus, comment on fait pour les faire sortir ?". Nous, on dit, nous avons des détenus parce que le premier principe...
 
...On ne va pas les faire rentrer ?
 
Non, le premier principe, c'est la sécurité des Français. Nous avons des personnes qui ont commis des infractions, elles sont condamnés, la justice est là pour faire exécuter les condamnations et en fonction, nous pouvons aménager les modalités de la condamnation.
 
Oui, mais c'est ça, le principe c'est face à la surpopulation carcérale, ce n'est pas forcément de vider les prisons, c'est d'éviter qu'on y aille, c'est d'éviter le réflexe prison.
 
Monsieur, je voudrais rappeler quand même, parce que vous avez des auditeurs, je veux rappeler que nous ne sommes pas là pour lutter... L'objectif ce n'est pas de lutter contre la surpopulation, l'objectif c'est de dire que les délinquants sont condamnés et qu'ils exécutent leur condamnation, premier principe. La deuxième chose, c'est de dire que...
 
...Reste que vous avez des contraintes.
 
Non mais quand ils vont en prison, c'est de dire "comment on fait pour qu'ils ne recommence pas ?". Voilà l'objectif.
 
Mais est-ce que les juges n'ont pas un peu trop le réflexe prison ? La semaine dernière, sur cette antenne, nous avons reçu l'appel d'un auditeur de RMC qui a été arrêté trois fois en état d'ivresse avec 0,8 ou 1 g d'alcool par litre de sang. Première fois, retrait de permis, deuxième fois prison avec sursis et troisième fois, prison ferme, six mois. Il nous appelé 30 minutes avant d'aller en prison. Et là, on se posait la question, est-ce que vraiment c'était la meilleure peine, la peine adaptée ? Est-ce que les juges n'ont pas un peu trop le réflexe prison ?
 
Vous le dites vous-mêmes, trois fois, trois condamnations, il est en état de récidive. Au bout d'un moment, vous avez des personnes qui n'ont pas compris la chance que leur a donnée la justice. La justice donne une deuxième chance, elle peut donner éventuellement une troisième chance, mais au bout d'un moment...
 
Mais est-ce que pour quelqu'un comme ça, le bracelet électronique... ?
 
Ça peut être une modalité...
 
...Ou l'antidémarrage avec l'éthylotest, c'est...
 
Ça peut être une modalité d'exécution de la peine, vous avez raison. Mais moi je fais confiance à la justice. Si le magistrat a considéré qu'il fallait l'incarcérer, c'est qu'il y avait des raisons pour cela. Je vous rappelle quand même que la conduite en état alcoolique tue énormément de monde sur les routes, et notamment les jeunes. Donc au bout d'un moment les personnes qui n'ont pas compris que de boire, de conduire sous l'emprise de l'état alcoolique tue des gens, au bout d'un moment l'incarcération, est peut-être la meilleure solution. Mais moi, je respecte la décision des juges qui sont indépendants dans notre pays.
 
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 28 juillet 2008