Texte intégral
Messieurs les ministres,
Madame la secrétaire d'État,
Messieurs les parlementaires,
Mesdames, Messieurs,
Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation, Dominique GILLOT et moi-même, à cette rencontre qui a pour objet de débattre de la situation du système de soins libéral et de rechercher ensemble les voies d'un renouveau du dialogue.
Pour cela, j'ai souhaité réunir les principaux partenaires concernés par les soins de ville, leur avenir, leur qualité, leur évaluation et leur régulation :
la représentation nationale, avec les Présidents des commissions des affaires sociales de l'Assemblée Nationale et du Sénat et les parlementaires les plus concernés, car c'est le Parlement qui définit les orientations ;
les professionnels médicaux et para médicaux ;
les caisses, la mutualité, mais aussi
les représentants d'établissements du fait de l'importance de la question de l'articulation ville/hôpital et car les établissements sont aussi un lieu d'exercice libéral.
Le malaise des professionnels libéraux est manifeste. J'ai reçu nombre d'entre vous, et je recevrai ceux que je n'ai pas encore pu voir, et vous m'avez tous fait part ce malaise. Il provient, d'abord, du dispositif de régulation des dépenses. Mais il me semble plus profond et lié à des interrogations fondamentales sur la place du professionnel libéral dans le système de soins. Il faut que nous discutions ensemble de ces sujets afin de nous mettre d'accord sur des objectifs communs. Nous aurons aujourd'hui une phase d'écoute de vos attentes, je serai attentive à vos propositions et cette phase me paraît fondamentale.
Les premiers résultats des dépenses d'assurance maladie en 2000 traduisent une augmentation soutenue : alors que l'objectif était fixé à 2,5 %, les dépenses devraient augmenter deux fois plus vite d'après les premiers chiffres disponibles. Pourtant, cette même année 2000, a été marquée par un mouvement de protestation et de mécontentement de certains professionnels.
Une clarification est donc indispensable. J'espère qu'elle est possible. En parcourant vos propositions, j'ai vu des inquiétudes souvent légitimes, qui ne me laissent pas indifférente, j'ai vu des idées qui étaient quelquefois plus éloignées entre elles sur la forme que sur le fond des préoccupations qu'elles expriment.
Nous ne devons pas oublier nos concitoyens qui sont attachés en même temps à la qualité des soins et à la sécurité sociale : pour eux, le système forme un tout et ils ne distinguent pas les professionnels de santé, l'État et les caisses. Les Français attendent de nous qu'ensemble nous garantissions la pérennité du système de soins. Personne n'a intérêt à donner le sentiment à nos compatriotes d'un renoncement à l'effort commun en vue d'assurer des soins de qualité dans des conditions acceptables pour tous.
Si les Français sont si attachés à notre système de soins ce n'est pas sans raison. Le rapport de l'organisation mondiale de la santé de juin 2000 a classé le système français au premier rang mondial au vu de nombreux critères comme la solidarité, l'espérance de vie et le degré de satisfaction des usagers. Je crois que ce classement n'est pas étranger au caractère très lié dans notre système, de la politique de santé et de la politique d'assurance maladie. C'est pourquoi nous devons défendre notre système de soins mixte qui permet à la fois la liberté de choix des patients, l'indépendance professionnelle des médecins, et aussi un haut niveau de solidarité nationale face à l'assurance maladie. L'assurance maladie, c'est le pilier de notre médecine pour tous qui est une des moins inégalitaires du monde. La médecine libérale, c'est l'un des piliers de notre médecine de qualité, qui est une des plus performantes du monde.
L'objectif du Gouvernement est de moderniser notre système pour faire face aux nouveaux enjeux, notamment l'apparition de nouvelles pathologies, le vieillissement de la population, les inégalités régionales et sociales. Toutes ces questions nous amènent à vouloir renforcer la qualité du système de soins.
Cette modernisation passe par :
- le développement d'une politique de santé publique,
- l'amélioration de notre système de soins.
La politique de santé publique, que nous développons avec D. GILLOT, vise à améliorer les conditions de vie et de travail, à préserver l'environnement et à assurer la protection de nos concitoyens contre les nouveaux risques sanitaires, en un mot, à développer une réelle politique de prévention.
Je veux insister sur le plan cancer présenté par D. GILLOT qui me semble une réalisation exemplaire de ce que nous devons faire. Ce programme a été élaboré en concertation avec l'ensemble des professionnels concernés. Ce programme définit 5 priorités nationales qui s'appuient sur l'action des professions de santé :
- réduire les risques de cancer par une prévention adaptée ;
- généraliser les programmes de dépistage performants ;
- favoriser la qualité de la prise en charge ;
- améliorer les conditions de vie et garantir les droits des malades ;
- rationaliser l'effort de recherche et de veille épidémiologique.
Cet exemple montre le rôle essentiel que les professionnels libéraux jouent comme acteur d'une politique de santé. De leur côté, les dentistes ont depuis longtemps développés des actions de prévention en matière d'hygiène bucco-dentaire. Elles méritent d'être soulignées car leurs résultats sont aujourd'hui indéniables, en particulier pour les enfants de moins de 12 ans.
C'est dans l'esprit d'accentuer une politique de prévention que D. GILLOT présentera prochainement un plan sur la nutrition qui comportera des objectifs concrets d'évolution des comportements alimentaires, notamment ceux des femmes enceintes et des personnes âgées.
Je voudrais aussi rappeler, en matière de qualité des soins de ville, quelques-unes des mesures prises par les pouvoirs publics dans le cadre soit de mesures de tarification soit de la vie conventionnelle. Je sais qu'elles sont discutées entre vous que vous les trouviez soit insuffisantes soit déconnectés de la vie conventionnelle. Néanmoins, il s'agit de mesures qui ont apporté depuis 1997 une amélioration dans les conditions d'exercice ou de rémunérations des professionnels :
- Nous avons pris de nombreuses mesures portant sur la tarification des actes en faveur des spécialistes (chirurgie digestive et obstétriciens), des généralistes (majoration d'urgence en 1998 et de maintien à domicile en 2000), des infirmières (actes complexes en 1999), des orthoptistes (rééducation de la basse vision en 2000) ;
- en matière de soins dentaires, l'arrêté permettant la prise en charge de deux actes de soins dentaires (le scellement des sillons et l'inlay core) vient d'être publié au Journal officiel. Il s'agit d'une première étape de la réforme de la tarification des soins dentaires et je vais demander à Michel YAHIEL de prolonger sa mission d'appui sur cette question parallèlement à la poursuite des discussions entre les partenaires conventionnels ;
- en ce qui concerne la biologie, je viens de saisir la CNAM de trois modifications des règles de prise en charge dont deux permettront une meilleure prise en charge de certains actes, actes importants en matière de santé publique : dosages sanguins pour la prévention de certains cas de rejet du greffon au cours de transplantations, certaines analyses dans le cadre du traitement de l'hépatite C ;
- la marge des pharmaciens a été modernisée en contrepartie d'engagements de cette profession en faveur des génériques ;
- plusieurs mesures ont été prises en faveur des professions para médicales à la suite du rapport BROCAS notamment la responsabilité de déterminer le mode de traitement et le nombre de séances, la modernisation du décret de compétence et de la nomenclature des masseurs kinésithérapeutes. La loi de modernisation de la santé prévoit la création de l'Office des professions paramédicales. Enfin, le PSI après la phase de concertation qui est en cours constituera un instrument de modernisation de l'activité de soins infirmiers.
Je rappelle, enfin, que le gouvernement d'Alain JUPPE avait mis en place un mécanisme de reversement qui portait non seulement sur les honoraires mais aussi sur les prescriptions. Depuis la suppression de ce mécanisme, aucun objectif limitatif sur les prescriptions n'est plus opposable aux médecins et ceux-ci ne sont plus redevables d'un reversement sur leurs honoraires. Ce dispositif de 1996 a été particulièrement mal accepté. Il s'est d'ailleurs révélé inefficace et contre-productif. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 lui a substitué des dispositifs incitatifs, les accords de bon usage des soins et les contrats de bonne pratique. Ces dispositifs ne sont toujours pas mis en uvre. Il sera intéressant de voir ensemble pourquoi.
La création de la loi de financement de la sécurité sociale a quelque fois pû donner l'impression d'un débat uniquement budgétaire. Ce n'est pas le cas. L'article sur l'ONDAM n'est qu'un des articles de la loi de financement qui est l'occasion d'un débat sur la politique de santé et qui permet d'adopter des mesures de santé publique importantes. Je veux rappeler dans les dernières lois la mise en place des programmes de dépistage des cancers, la création du dispositif d'évaluation des pratiques médicales, le développement des réseaux de soins ou encore la mise en place d'une véritable politique des soins palliatifs. La loi de modernisation de la santé, lorsqu'elle sera votée par le Parlement, permettra de renforcer cette dimension en instaurant un débat annuel spécifique sur les orientations de la politique de santé, qui sera ainsi mieux articulé avec les travaux de la conférence nationale de santé, avant le débat sur la loi de financement de la sécurité sociale.
Les comparaisons internationales montrent que le niveau de dépenses de santé est très élevé en France ; la France est ainsi le 4ème pays de l'OCDE et le deuxième pays de l'Union européenne en terme de dépense nationale de santé rapportée au PIB derrière les USA, l'Allemagne et la Suisse.
Depuis 1997, la collectivité a consacré près de 100 milliards de francs supplémentaires au système de soins. L'idée selon laquelle il existerait un rationnement des soins dans notre pays est absurde : aucun mécanisme de rationnement des soins n'existe aujourd'hui et l'assurance maladie rembourse sans limitation les soins qui sont dispensés et prescrits par les professionnels.
Je crois qu'il faut se fixer un objectif. Car notre système de soins est financé par la contribution de chacun d'entre nous. Il est de notre responsabilité vis-à-vis de la collectivité de garantir l'utilisation optimale de ces financements ; il est de ma responsabilité d'en rendre compte devant le Parlement. La régulation est nécessaire car il faut démontrer que chaque franc dépensé l'est à bon escient.
Le CREDES a par exemple montré que dans le domaine du médicament, la France était dans la quasi-totalité des grandes classes thérapeutiques le plus gros consommateur en volume, certaines catégories de médicaments ne se retrouvant d'ailleurs que dans notre pays ; l'étude du CREDES (qui porte sur l'année 1992) montre que les Français consomment une fois et demi plus d'anti-inflammatoires, deux fois plus d'analgésiques, deux fois et demi plus d'antibiotiques et d'antidépresseurs, trois fois et demi plus de psycholeptiques, que les Allemands.
Ces analyses ont été confirmées par les rapports de l'observatoire national des prescriptions sur les veinotoniques, les antibiotiques ou les antidépresseurs qui ont montré par ailleurs que la surconsommation générale pouvait cacher des sous consommations dans certaines parties de la population. Ces " surconsommations " ne sont pas sans impact sur la santé publique. Le développement excessif des antibiotiques développe les résistances et compromet la pérennité de ces traitements.
Les études de santé publique de la CNAMTS, telles que celles qui ont été réalisées sur le diabète de type 2 ou l'hypertension artérielle, de même que les contrôles du service médical de l'assurance maladie montrent que des progrès peuvent être faits dans la prise en charge thérapeutique des malades.
Le niveau trois à quatre fois plus bas de développement des médicaments génériques dans notre pays par rapport aux autres grands pays européens donne également un exemple des surcoûts que l'assurance maladie doit supporter.
Si la régulation est nécessaire c'est bien pour répondre à de nouvelles priorités, par exemple :
- prendre en charge les innovations thérapeutiques dans le domaine du médicament ;
- répondre aux exigences de la sécurité sanitaire ;
- financer nos politiques de santé publique en matière de dépistage et de traitement des cancers, du Sida, de l'hépatite C.
Une partie des ressources nécessaires pour faire face à ces dépenses nouvelles doit venir d'un effort de rationalisation du système de soins.
Les professionnels de santé ont aussi une responsabilité économique. Il ne s'agit pas de remettre en cause leurs pratiques mais de rappeler tout simplement les règles du code de déontologie médicale. Ces règles requièrent la plus stricte économie compatible avec la qualité des soins. Il ne faut donc pas opposer économie et médecine. Je sais que beaucoup de professionnels en sont conscients. Le président du conseil national de l'ordre des médecins l'a dit en son temps.
Pour moi, l'équilibre de notre système de soins mixte repose sur un ensemble de données essentielles. Je souhaite donner trois exemples que vous aurez, j'en suis sûre, a cur de compléter :
- la démographie des professions : il faut répondre aux besoins de la population et assurer un équilibre dans l'évolution des rémunérations ;
- la prise en charge de l'urgence qui suppose une réflexion sur les missions des professionnels libéraux et leur articulation avec le rôle des établissements ;
- la formation continue ou l'évaluation qui constitue également des enjeux décisifs.
Il y a certainement d'autres sujets mais ceux-ci revenaient dans toutes les conversations que j'ai eues avec les professionnels.
Ces exemples montrent bien que la question du rôle et des missions du professionnel, de la place des professionnels libéraux de santé dans le système de soins suscitent de nombreuses interrogations.
Les mesures de régulation financière prises l'an dernier ont cristallisé des mécontentements. Mais je pense qu'elles ont révélé également un malaise plus profond. Elles renforcent le sentiment d'insécurité, l'absence de visibilité et de perspectives que certains professionnels éprouvent. La difficulté du dialogue avec les caisses et leur service médical tient sans doute, en partie, à cette incompréhension.
Or les questions relatives aux missions des professionnels sont pour l'instant insuffisamment débattues car elles débordent le cadre conventionnel actuel. C'est pourquoi je veux reprendre un dialogue approfondi avec vous qui dépasse les préoccupations d'ordre purement économique, même si celles-ci ont aussi toute leur place.
Il faut poser les vraies questions, sur la place des professionnels libéraux dans le système de soins, sur les responsabilités propres des pouvoirs publics et des professionnels, sur le mode de rémunération des médecins, sur le niveau de contribution collective que la Nation est prête à consacrer à la santé, sur le partage des tâches entre médecine libérale et médecine hospitalière...
A ce titre, je souhaite souligner le rôle que jouent les caisses de sécurité sociale qui ont la responsabilité de gérer les risques sociaux. Depuis 1945, les partenaires sociaux se sont engagés ensemble pour fonder la solidarité nationale vis-à-vis de la population face aux risques de la vie. Depuis cette date, la politique conventionnelle entre les caisses et les professionnels de santé s'est développée et a accompagné la création d'un système de soins moderne, performant et ouvert à tous.
Mais aujourd'hui chacun s'accorde pour reconnaître le blocage du dialogue conventionnel. Je crois qu'en la matière chacun doit balayer devant sa porte. Tout d'abord le partage des rôles entre l'État et les caisses qui est probablement loin d'être parfait. Peut-être convient-il de mieux distinguer la définition des orientations politiques et la gestion mais cela suppose que, des deux côtés, chacun y mette un peu du sien. Quant aux professionnels, il faut bien reconnaître qu'à ce jour tous n'ont pas choisi la voie du dialogue.
J'ai donc la volonté de rechercher les conditions d'une régulation qui implique tous les acteurs de notre système de soins. C'est à partir de vos suggestions que nous pourrons bâtir cette nouvelle régulation, bien sûr avec le concours des parlementaires ici présents.
Je suis prête à examiner avec vous toutes les propositions sans a priori. Des évolutions du système actuel sont possibles mais elles supposent que puisse être mise en place une régulation effective et recueillant l'adhésion des professionnels. Je n'ai pas l'intention de renoncer à ce qui existe tant que nous ne nous sommes pas mis d'accord sur un système alternatif.
La volonté de réunir tous les partenaires a une contrepartie : nous sommes nombreuses et nombreux autour de cette table. J'ai souhaité que nous disposions de suffisamment de temps pour avoir un réel échange. Je souhaiterais que vous puissiez limiter votre intervention à cinq minutes. Si vous en êtes d'accord, nous pourrions entendre d'abord les représentants des professionnels, puis ceux des établissements, les caisses et la mutualité et enfin les représentants de la Nation.
J'espère que nous pourrons avancer ensemble dans la voie d'un contrat voulu et assumé par tous les acteurs autour de cette table.
(Source http://www.sante.gouv.fr, le 15 février 2001)