Texte intégral
Je suis très heureuse dêtre présente parmi vous grâce à la vidéo conférence au moment où vous êtes réunis pour réfléchir et refonder les politiques de prévention de la délinquance. Jaurais préféré être présente physiquement, mais je dois défendre le Pacs au sénat cet après-midi et demain.
Linstitution judiciaire est fortement engagée dans lensemble des dispositifs de la politique de la ville depuis 1983, notamment par le biais des conseils départementaux et communaux de prévention de la délinquance, les cellules justice ville et plus récemment les contrats locaux de sécurité.
La justice est partenaire dune politique globale qui vise à réduire le volume de la délinquance.
En même temps, elle est un partenaire particulier :
elle est celle qui est chargée de sanctionner les actes de transgression de la loi pénale, cest à dire de prendre acte de léchec, au cas par cas des politiques de prévention (donc participer à leur évaluation).
elle est celle qui est chargée de prendre en charge les transgresseurs, ainsi cest elle qui reçoit à travers sa mission de protection judiciaire de la jeunesse les mineurs délinquants.
Elle est au bout de la chaîne et donc intéressée en premier chef à la réussite de la politique de prévention conduite en amont.
Sans une politique de prévention réussie, la justice dans son ensemble et la protection judiciaire de la jeunesse en particulier se trouvent encombrées et entravées dans leur action.
Il suffit de se rapporter à ce sujet à lévolution de la délinquance en regard des moyens dont dispose la justice pour y répondre.
Par exemple pour les mineurs :
1980 = 104 292 mineurs mis en cause pour crime ou délit 1997 = 154 437 (+ 48 %)
Soit 50 000 en plus en 17 ans.
Educateurs PJJ
1980 = 2 151
1997 = 2 468
Soit seulement 317 en plus sur la même période.
Ces rencontres ont pour objectif de retravailler, de réorganiser, de redéfinir les concepts qui président à la prévention de la délinquance. Je ne veux pas ici anticiper sur vos échanges et les propositions qui naîtront de vos débats. Mais je voudrais simplement vous faire part de quelques idées générales, tirées de lapproche judiciaire.
Ces réflexions tiennent dune part à la nécessité de renouveler nos approches (1), dautre part à la contribution spécifique de la Justice au travail de prévention (2) et, enfin, à la nécessité dintégrer la prévention dans une politique résolue daccès au droit et à la citoyenneté (3)
I. LA DÉLINQUANCE A CHANGÉ, LA PRÉVENTION DOIT NÉGOCIER UN TOURNANT
Sil faut refonder la prévention, lui donner un nouvel élan, cest parce que la situation a changé et parce que certains de nos dispositifs doivent sans aucun doute évoluer.
Quest ce qui a changé, depuis 15 ans ? La situation économique et sociale a évolué. Le chômage a explosé, la précarité sest étendue. Le lien social sest tout à la fois compliqué et fragmenté. Les repères se sont estompés. Lattente vis à vis de lEtat et des services publics est devenue plus exigeante. Le crédit de certaines institutions est mis en cause.
La délinquance aussi a changé. Non seulement dans sa nature, mais encore dans son ampleur.
Même si nous pouvons noter une diminution des PV reçus par la justice pénale ces 3 dernières années :
1995 : 5 191 255
1996 : 5 185 495
1997 : 4 941 334
Globalement depuis dix ans, le volume des infractions a augmenté.
De ce point de vue, il faut certainement en finir avec une mode qui consiste à réfléchir au phénomène de la criminalité en commençant par réfléchir sur la pertinence des outils de comptage dont nous disposons. Ceux - ci sont certainement imparfaits et ils doivent être perfectionnés. Ils ne reflètent quune partie de la réalité et peuvent être trompeurs sur les volumes - dailleurs parfois en minimisant plutôt quen aggravant lampleur de la criminalité, car trop de victimes, découragées, renoncent à toute plainte ! Mais les enquêtes sociologiques indiquent exactement les mêmes tendances que les statistiques : une stagnation des formes les plus graves de délinquance, une explosion de la petite délinquance, lenvol de la délinquance des mineurs...
En même temps apparaissent ou se renforcent des formes nouvelles de délinquance - la délinquance dexclusion - et de façon sensible la délinquance de profit liée aux trafics, aux fraudes et à léconomie illégale de certaines zones urbaines, augmente.
En parlant de prévention, nous ne pouvons pas perdre de vue la délinquance, la délinquance réelle, celle qui engendre, non seulement un trouble - évident - à lordre public, mais surtout des dizaines de milliers de victimes individuelles. Notre tournant à tous, ce doit être un tournant vers le principe de réalité. Tout nest pas de lordre du discours ou de la représentation. Ou du symbole.
La violence est un fait. Elle nest pas quun mode dexpression dun individu adressé à lensemble de la société : Elle oppose un violent et un violenté. Sil y a un message de la violence, il est dabord adressé à ses victimes. Elle cause des dégâts, physiques, psychologiques, objectivables, et inexcusables.
Nous ne devons pas non plus, me semble-t-il nous polariser sur des formes de délinquance plus visibles ou spectaculaires en négligeant certains comportements plus cachés qui en sont comme le socle. Je pense ici aux formes déconomies illégales et de trafics - autour des stupéfiants, des prédations et du recel - quon a vu se développer dans certaines zones urbaines, au détriment de limmense majorité de ceux qui y vivent. La délinquance a de multiples racines. Certaines se développent sur le terreau de ces comportements qui , même lorsquils ne sont pas spectaculaires, minent insidieusement le respect du droit.
Il me semble que cest de ces analyses et constats quil faut partir si lon veut redonner à la prévention une lisibilité et une efficacité quelle a, malgré les dévouements et les expériences locales très riches - un peu perdue.
Un diagnostic réaliste, et partagé (associant mieux les habitants et les citoyens - qui ont eu souvent raison contre les institutions et les professionnels -) me paraît donc la première condition dun nouveau départ des politiques de prévention.
Enfin, on oppose encore trop souvent prévention et sécurité.
La prévention ne peut pas être le refuge de ceux qui sarc-boutent contre la sanction. Car alors cest le sens même de la prévention qui est perdu de vue. Les auteurs sont des sujets, et pas seulement des objets passifs de forces qui les dépassent. Le passage à lacte nest pas une fatalité... Nous savons bien que la très grande majorité des jeunes qui vivent dans des quartiers difficiles, ne deviennent pas délinquants, et que les délinquants sont une minorité, certes active, mais une petite minorité.
Sur ce point, les jeunes des quartiers se mobilisent et montrent la voie, comme vous avez pu le rappeler ce matin, en évoquant, les jeunes qui se sont regroupés pour dire « Stop à la violence » que je veux ici féliciter pour les initiatives, exemplaires, de mobilisation citoyenne.
Cette action démontre la nécessité et la place de la réaction citoyenne. Les pouvoirs publics doivent relayer et soutenir de telles actions. Je propose quune « journée contre la violence » soit organisée, de manière à mobiliser plus largement les initiatives et les énergies autour de ce thème. Au cours de cette journée des actions diverses devront être organisées, dans les média mais aussi dans les quartiers, dans les villes. Elle sera loccasion, pour chacun, de sexprimer et déchanger sur toutes les formes de violence.
Cette idée, dont Monsieur GENTILINI, président de la Croix Rouge Française est à lorigine, doit mobiliser lensemble des acteurs publics, mais aussi et surtout tous nos concitoyens.
De même, la politique de sécurité serait une politique partielle, donc une politique inefficace si elle nintégrait pas de façon permanente le souci de prévenir, donc de comprendre, dexpliquer, de resocialiser, ainsi que bien sûr le souci du droit.
Qui ne voit que certaines méthodes de prévention entretiennent, parfois par inadvertance, une certaine culture de lindulgence qui déresponsabilise les individus ? Peut on construire lautonomie dun jeune, en lui concédant sans arrêt que ses infractions ont des causes sociologiques voire politiques - auxquelles bien souvent il naurait pas pensé tout seul - et alors quune masse de ses semblables, placés exactement dans les mêmes conditions sociales ne commettent aucun délit ?
Prévenir la délinquance, nest ce pas aussi , peut être même dabord, oser éduquer ?
Qui ne voit aussi que certaines formes maladroites et expéditives dinterpellation, dindifférence institutionnelle, de traitement pénal inadapté nourrissent la récidive , et décrédibilisent lensemble des institutions ?
Rien de tout cela nest fatal, pourtant. Jespère que ces rencontres seront aussi loccasion de certains « aggiornamentos », pour reprendre lexpression de Michel Wievorka, dont le livre « La violence en France » doit nous interpeller.
II. QUE PEUT LA JUSTICE EN MATIÈRE DE PRÉVENTION ?
Linstitution judiciaire a cette particularité sans doute unique, de pouvoir maintenir un équilibre entre deux pôles nécessaires à la paix sociale : la sanction des infractions, certes, mais aussi le traitement au cas par cas des individus, et le « sur mesure » inhérent à luvre de Justice.
La mission de linstitution judiciaire qui est de traiter des affaires individuelles, trancher des litiges, veiller à lexécution des sanctions, et prendre en charge publics majeurs ou mineurs placés sous main de justice, a considérablement évolué ces dernières années. La Justice doit continuer à se réformer pour être plus en prise avec à la fois la réalité concrète des conflits quelle traite, et les attentes légitimes des citoyens. Je my attache sans relâche.
Jai souhaité depuis mon arrivée au Ministère de la Justice, développer les dispositifs permettant une meilleure proximité de laction judiciaire.
Pourquoi ? Parce que les changements dans la société entraînent une mutation de la demande sociale et notamment une forte demande de reconnaissance et de présence.
La justice de proximité est à mon sens le recadrage nécessaire de lintervention de la justice face aux évolutions de la société : elle doit contribuer à réduire distances et délais.
Ainsi :
Nous développons la création de Maisons de Justice et du droit. 34 Maisons de Justice et du droit fonctionnent actuellement. 25 dentre elles ont été ouvertes depuis deux ans. 41 projets de création sont en cours dexamen. Nous entamons le changement de notre carte judiciaire. Il nous faut en effet encore mieux territorialiser laction de Justice et éviter que celle-ci, par une sorte de désajustement, se trouve décalée par rapport aux évolutions démographiques....
Nous favorisons le traitement plus diligent des infractions, par la voie du traitement en temps réel. Ce nest pas le temps de la réflexion judiciaire que nous cherchons à réduire par ce biais, mais certains « temps morts », à causes uniquement bureaucratiques, qui rendent les décisions, même les plus justes, parfaitement ineffectives et dépourvues de sens, parce que trop éloignées de linfraction et de lacte.
Ce traitement en temps réel prend la forme :
des convocations par OPJ
des comparutions immédiates
(la part prise par ces procédures représentait 57 % en 1985 et 65% en 1997).
Nous favorisons aussi ce traitement par de nouvelles formes de procédures pénales, plus adaptées aux petites infractions ou à certains auteurs, comme les jeunes délinquants : la médiation pénale, la réparation, le classement sous condition, le rappel à la Loi.
Aujourdhui, 5% des délits commis et poursuivables en France font lobjet de ce type de traitement.
Ces formes visent le souci deffectuer une réponse judiciaire (et donc la demande de reconnaissance).
Cest pourquoi nous améliorons en même temps les garanties des libertés et voulons donner plus de force à la présomption dinnocence. Le fil nest pas et ne doit jamais être rompu entre lauteur des faits incriminés et la société dont il continue dêtre un élément. Aucune insertion, resocialisation nest possible si le procès apparaît comme inhumain, déséquilibré au profit de laccusation, comme un dialogue de sourds. Aucun délinquant nest à exclure de façon radicale. Les décisions lorsquelles ont un sens, pour la personne concernée, protègent celle-ci dune récidive possible. Cest lutilité des peines alternatives que nous entendons développer ( TIG, jours amendes, sursis probatoire, ajournements de peines)...
Nous cherchons enfin à mieux intégrer la question des victimes à tout le déroulement des procédures. Jattends beaucoup, à ce sujet, des propositions que fera bientôt au gouvernement la mission détudes sur laide aux victimes que Monsieur le premier ministre à confié à Marie Noëlle LIENEMANN.
III GAGNER LE PARI DU DROIT
Mais je pense aussi que le développement dune politique civile de proximité et de réseaux daccès au droit participe aussi à la prévention de la délinquance.
Tout est lié.
Comment réduire le fossé qui sest creusé entre la prolifération des normes et des personnes souvent désorientées, parce que « désaffiliées » ?
Cest le défi de laccès au droit.
Il nest en rapport direct avec le sujet qui vous occupe à Montpellier, jen suis convaincue.
Réapprendre une aptitude à transiger, à gérer ses conflits, à trouver les arrangements nécessaires pour vivre en bonne entente, dans le respect des principes fondamentaux de la vie en société, mieux faire connaître les droits et les obligations de chacun ... qui ne voit le rapport de ces questions avec le problème de la délinquance ?
Dans un quartier, quand la délinquance explose, cest que tout se dérègle , y compris la vie sociale. Cest donc le tout qui doit être traité. La loi du 18 décembre 1998 sur laccès au droit, leffort de généralisation des Conseils Départementaux de lAccès au Droit (CDAD, ouverts désormais au monde associatif, et non plus seulement aux professionnels du droit) sont des outils dont jespère que lensemble des acteurs de la prévention saura semparer.
Bien entendu, dans cette entreprise complexe, nous ne pouvons agir seuls. Personne ne peut agir seul face à un phénomène aussi complexe et mouvant que la délinquance.
Le maître-mot de la prévention doit demeurer le partenariat. Et je voudrais terminer par là.
Coordonner, mettre en relation des acteurs différents, tous dépositaires de ressources, de savoir et de savoir-faire indispensables. Partager, décloisonner, dialoguer, y compris avec les citoyens qui ont leur mot à dire sur des politiques publiques qui les regardent, cest aussi ce que je demande aux magistrats du siège et du parquet, aux fonctionnaires de la protection judiciaire et de ladministration pénitentiaire.
Mais ce partenariat ne doit pas conduire aux chevauchements de compétences et aux erreurs dorientation. Les rôles de chacun doivent être, face aux publics, clairement repérés. Les dispositifs doivent être simplifiés de telle façon que chacun sache, à tout moment, à qui il a affaire et dans quel cadre. Le tournant quil nous faut prendre tous ensemble, cest aussi celui-là : un tournant vers la clarté.
La justice doit sadapter , perpétuellement, à un monde qui bouge. Notamment à ces villes modernes où tant de mal vivre sexprime. En développant structures nouvelles, procédures originales, toujours dans le respect et la défense du droit.
Mais je suis convaincue quaucun mieux vivre en ville nest possible sans la Justice, en faisant abstraction de ses ressources, de ses moyens, et des valeurs quelle protège.
(Source http://www.justice.gouv.fr/, le 24 mars 1999)
Linstitution judiciaire est fortement engagée dans lensemble des dispositifs de la politique de la ville depuis 1983, notamment par le biais des conseils départementaux et communaux de prévention de la délinquance, les cellules justice ville et plus récemment les contrats locaux de sécurité.
La justice est partenaire dune politique globale qui vise à réduire le volume de la délinquance.
En même temps, elle est un partenaire particulier :
elle est celle qui est chargée de sanctionner les actes de transgression de la loi pénale, cest à dire de prendre acte de léchec, au cas par cas des politiques de prévention (donc participer à leur évaluation).
elle est celle qui est chargée de prendre en charge les transgresseurs, ainsi cest elle qui reçoit à travers sa mission de protection judiciaire de la jeunesse les mineurs délinquants.
Elle est au bout de la chaîne et donc intéressée en premier chef à la réussite de la politique de prévention conduite en amont.
Sans une politique de prévention réussie, la justice dans son ensemble et la protection judiciaire de la jeunesse en particulier se trouvent encombrées et entravées dans leur action.
Il suffit de se rapporter à ce sujet à lévolution de la délinquance en regard des moyens dont dispose la justice pour y répondre.
Par exemple pour les mineurs :
1980 = 104 292 mineurs mis en cause pour crime ou délit 1997 = 154 437 (+ 48 %)
Soit 50 000 en plus en 17 ans.
Educateurs PJJ
1980 = 2 151
1997 = 2 468
Soit seulement 317 en plus sur la même période.
Ces rencontres ont pour objectif de retravailler, de réorganiser, de redéfinir les concepts qui président à la prévention de la délinquance. Je ne veux pas ici anticiper sur vos échanges et les propositions qui naîtront de vos débats. Mais je voudrais simplement vous faire part de quelques idées générales, tirées de lapproche judiciaire.
Ces réflexions tiennent dune part à la nécessité de renouveler nos approches (1), dautre part à la contribution spécifique de la Justice au travail de prévention (2) et, enfin, à la nécessité dintégrer la prévention dans une politique résolue daccès au droit et à la citoyenneté (3)
I. LA DÉLINQUANCE A CHANGÉ, LA PRÉVENTION DOIT NÉGOCIER UN TOURNANT
Sil faut refonder la prévention, lui donner un nouvel élan, cest parce que la situation a changé et parce que certains de nos dispositifs doivent sans aucun doute évoluer.
Quest ce qui a changé, depuis 15 ans ? La situation économique et sociale a évolué. Le chômage a explosé, la précarité sest étendue. Le lien social sest tout à la fois compliqué et fragmenté. Les repères se sont estompés. Lattente vis à vis de lEtat et des services publics est devenue plus exigeante. Le crédit de certaines institutions est mis en cause.
La délinquance aussi a changé. Non seulement dans sa nature, mais encore dans son ampleur.
Même si nous pouvons noter une diminution des PV reçus par la justice pénale ces 3 dernières années :
1995 : 5 191 255
1996 : 5 185 495
1997 : 4 941 334
Globalement depuis dix ans, le volume des infractions a augmenté.
De ce point de vue, il faut certainement en finir avec une mode qui consiste à réfléchir au phénomène de la criminalité en commençant par réfléchir sur la pertinence des outils de comptage dont nous disposons. Ceux - ci sont certainement imparfaits et ils doivent être perfectionnés. Ils ne reflètent quune partie de la réalité et peuvent être trompeurs sur les volumes - dailleurs parfois en minimisant plutôt quen aggravant lampleur de la criminalité, car trop de victimes, découragées, renoncent à toute plainte ! Mais les enquêtes sociologiques indiquent exactement les mêmes tendances que les statistiques : une stagnation des formes les plus graves de délinquance, une explosion de la petite délinquance, lenvol de la délinquance des mineurs...
En même temps apparaissent ou se renforcent des formes nouvelles de délinquance - la délinquance dexclusion - et de façon sensible la délinquance de profit liée aux trafics, aux fraudes et à léconomie illégale de certaines zones urbaines, augmente.
En parlant de prévention, nous ne pouvons pas perdre de vue la délinquance, la délinquance réelle, celle qui engendre, non seulement un trouble - évident - à lordre public, mais surtout des dizaines de milliers de victimes individuelles. Notre tournant à tous, ce doit être un tournant vers le principe de réalité. Tout nest pas de lordre du discours ou de la représentation. Ou du symbole.
La violence est un fait. Elle nest pas quun mode dexpression dun individu adressé à lensemble de la société : Elle oppose un violent et un violenté. Sil y a un message de la violence, il est dabord adressé à ses victimes. Elle cause des dégâts, physiques, psychologiques, objectivables, et inexcusables.
Nous ne devons pas non plus, me semble-t-il nous polariser sur des formes de délinquance plus visibles ou spectaculaires en négligeant certains comportements plus cachés qui en sont comme le socle. Je pense ici aux formes déconomies illégales et de trafics - autour des stupéfiants, des prédations et du recel - quon a vu se développer dans certaines zones urbaines, au détriment de limmense majorité de ceux qui y vivent. La délinquance a de multiples racines. Certaines se développent sur le terreau de ces comportements qui , même lorsquils ne sont pas spectaculaires, minent insidieusement le respect du droit.
Il me semble que cest de ces analyses et constats quil faut partir si lon veut redonner à la prévention une lisibilité et une efficacité quelle a, malgré les dévouements et les expériences locales très riches - un peu perdue.
Un diagnostic réaliste, et partagé (associant mieux les habitants et les citoyens - qui ont eu souvent raison contre les institutions et les professionnels -) me paraît donc la première condition dun nouveau départ des politiques de prévention.
Enfin, on oppose encore trop souvent prévention et sécurité.
La prévention ne peut pas être le refuge de ceux qui sarc-boutent contre la sanction. Car alors cest le sens même de la prévention qui est perdu de vue. Les auteurs sont des sujets, et pas seulement des objets passifs de forces qui les dépassent. Le passage à lacte nest pas une fatalité... Nous savons bien que la très grande majorité des jeunes qui vivent dans des quartiers difficiles, ne deviennent pas délinquants, et que les délinquants sont une minorité, certes active, mais une petite minorité.
Sur ce point, les jeunes des quartiers se mobilisent et montrent la voie, comme vous avez pu le rappeler ce matin, en évoquant, les jeunes qui se sont regroupés pour dire « Stop à la violence » que je veux ici féliciter pour les initiatives, exemplaires, de mobilisation citoyenne.
Cette action démontre la nécessité et la place de la réaction citoyenne. Les pouvoirs publics doivent relayer et soutenir de telles actions. Je propose quune « journée contre la violence » soit organisée, de manière à mobiliser plus largement les initiatives et les énergies autour de ce thème. Au cours de cette journée des actions diverses devront être organisées, dans les média mais aussi dans les quartiers, dans les villes. Elle sera loccasion, pour chacun, de sexprimer et déchanger sur toutes les formes de violence.
Cette idée, dont Monsieur GENTILINI, président de la Croix Rouge Française est à lorigine, doit mobiliser lensemble des acteurs publics, mais aussi et surtout tous nos concitoyens.
De même, la politique de sécurité serait une politique partielle, donc une politique inefficace si elle nintégrait pas de façon permanente le souci de prévenir, donc de comprendre, dexpliquer, de resocialiser, ainsi que bien sûr le souci du droit.
Qui ne voit que certaines méthodes de prévention entretiennent, parfois par inadvertance, une certaine culture de lindulgence qui déresponsabilise les individus ? Peut on construire lautonomie dun jeune, en lui concédant sans arrêt que ses infractions ont des causes sociologiques voire politiques - auxquelles bien souvent il naurait pas pensé tout seul - et alors quune masse de ses semblables, placés exactement dans les mêmes conditions sociales ne commettent aucun délit ?
Prévenir la délinquance, nest ce pas aussi , peut être même dabord, oser éduquer ?
Qui ne voit aussi que certaines formes maladroites et expéditives dinterpellation, dindifférence institutionnelle, de traitement pénal inadapté nourrissent la récidive , et décrédibilisent lensemble des institutions ?
Rien de tout cela nest fatal, pourtant. Jespère que ces rencontres seront aussi loccasion de certains « aggiornamentos », pour reprendre lexpression de Michel Wievorka, dont le livre « La violence en France » doit nous interpeller.
II. QUE PEUT LA JUSTICE EN MATIÈRE DE PRÉVENTION ?
Linstitution judiciaire a cette particularité sans doute unique, de pouvoir maintenir un équilibre entre deux pôles nécessaires à la paix sociale : la sanction des infractions, certes, mais aussi le traitement au cas par cas des individus, et le « sur mesure » inhérent à luvre de Justice.
La mission de linstitution judiciaire qui est de traiter des affaires individuelles, trancher des litiges, veiller à lexécution des sanctions, et prendre en charge publics majeurs ou mineurs placés sous main de justice, a considérablement évolué ces dernières années. La Justice doit continuer à se réformer pour être plus en prise avec à la fois la réalité concrète des conflits quelle traite, et les attentes légitimes des citoyens. Je my attache sans relâche.
Jai souhaité depuis mon arrivée au Ministère de la Justice, développer les dispositifs permettant une meilleure proximité de laction judiciaire.
Pourquoi ? Parce que les changements dans la société entraînent une mutation de la demande sociale et notamment une forte demande de reconnaissance et de présence.
La justice de proximité est à mon sens le recadrage nécessaire de lintervention de la justice face aux évolutions de la société : elle doit contribuer à réduire distances et délais.
Ainsi :
Nous développons la création de Maisons de Justice et du droit. 34 Maisons de Justice et du droit fonctionnent actuellement. 25 dentre elles ont été ouvertes depuis deux ans. 41 projets de création sont en cours dexamen. Nous entamons le changement de notre carte judiciaire. Il nous faut en effet encore mieux territorialiser laction de Justice et éviter que celle-ci, par une sorte de désajustement, se trouve décalée par rapport aux évolutions démographiques....
Nous favorisons le traitement plus diligent des infractions, par la voie du traitement en temps réel. Ce nest pas le temps de la réflexion judiciaire que nous cherchons à réduire par ce biais, mais certains « temps morts », à causes uniquement bureaucratiques, qui rendent les décisions, même les plus justes, parfaitement ineffectives et dépourvues de sens, parce que trop éloignées de linfraction et de lacte.
Ce traitement en temps réel prend la forme :
des convocations par OPJ
des comparutions immédiates
(la part prise par ces procédures représentait 57 % en 1985 et 65% en 1997).
Nous favorisons aussi ce traitement par de nouvelles formes de procédures pénales, plus adaptées aux petites infractions ou à certains auteurs, comme les jeunes délinquants : la médiation pénale, la réparation, le classement sous condition, le rappel à la Loi.
Aujourdhui, 5% des délits commis et poursuivables en France font lobjet de ce type de traitement.
Ces formes visent le souci deffectuer une réponse judiciaire (et donc la demande de reconnaissance).
Cest pourquoi nous améliorons en même temps les garanties des libertés et voulons donner plus de force à la présomption dinnocence. Le fil nest pas et ne doit jamais être rompu entre lauteur des faits incriminés et la société dont il continue dêtre un élément. Aucune insertion, resocialisation nest possible si le procès apparaît comme inhumain, déséquilibré au profit de laccusation, comme un dialogue de sourds. Aucun délinquant nest à exclure de façon radicale. Les décisions lorsquelles ont un sens, pour la personne concernée, protègent celle-ci dune récidive possible. Cest lutilité des peines alternatives que nous entendons développer ( TIG, jours amendes, sursis probatoire, ajournements de peines)...
Nous cherchons enfin à mieux intégrer la question des victimes à tout le déroulement des procédures. Jattends beaucoup, à ce sujet, des propositions que fera bientôt au gouvernement la mission détudes sur laide aux victimes que Monsieur le premier ministre à confié à Marie Noëlle LIENEMANN.
III GAGNER LE PARI DU DROIT
Mais je pense aussi que le développement dune politique civile de proximité et de réseaux daccès au droit participe aussi à la prévention de la délinquance.
Tout est lié.
Comment réduire le fossé qui sest creusé entre la prolifération des normes et des personnes souvent désorientées, parce que « désaffiliées » ?
Cest le défi de laccès au droit.
Il nest en rapport direct avec le sujet qui vous occupe à Montpellier, jen suis convaincue.
Réapprendre une aptitude à transiger, à gérer ses conflits, à trouver les arrangements nécessaires pour vivre en bonne entente, dans le respect des principes fondamentaux de la vie en société, mieux faire connaître les droits et les obligations de chacun ... qui ne voit le rapport de ces questions avec le problème de la délinquance ?
Dans un quartier, quand la délinquance explose, cest que tout se dérègle , y compris la vie sociale. Cest donc le tout qui doit être traité. La loi du 18 décembre 1998 sur laccès au droit, leffort de généralisation des Conseils Départementaux de lAccès au Droit (CDAD, ouverts désormais au monde associatif, et non plus seulement aux professionnels du droit) sont des outils dont jespère que lensemble des acteurs de la prévention saura semparer.
Bien entendu, dans cette entreprise complexe, nous ne pouvons agir seuls. Personne ne peut agir seul face à un phénomène aussi complexe et mouvant que la délinquance.
Le maître-mot de la prévention doit demeurer le partenariat. Et je voudrais terminer par là.
Coordonner, mettre en relation des acteurs différents, tous dépositaires de ressources, de savoir et de savoir-faire indispensables. Partager, décloisonner, dialoguer, y compris avec les citoyens qui ont leur mot à dire sur des politiques publiques qui les regardent, cest aussi ce que je demande aux magistrats du siège et du parquet, aux fonctionnaires de la protection judiciaire et de ladministration pénitentiaire.
Mais ce partenariat ne doit pas conduire aux chevauchements de compétences et aux erreurs dorientation. Les rôles de chacun doivent être, face aux publics, clairement repérés. Les dispositifs doivent être simplifiés de telle façon que chacun sache, à tout moment, à qui il a affaire et dans quel cadre. Le tournant quil nous faut prendre tous ensemble, cest aussi celui-là : un tournant vers la clarté.
La justice doit sadapter , perpétuellement, à un monde qui bouge. Notamment à ces villes modernes où tant de mal vivre sexprime. En développant structures nouvelles, procédures originales, toujours dans le respect et la défense du droit.
Mais je suis convaincue quaucun mieux vivre en ville nest possible sans la Justice, en faisant abstraction de ses ressources, de ses moyens, et des valeurs quelle protège.
(Source http://www.justice.gouv.fr/, le 24 mars 1999)