Texte intégral
Monsieur le Président du Sénat,
Monsieur le Ministre des affaires étrangères,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Pour la troisième fois, jai le plaisir de vous rencontrer tous ensemble. En 1995, je vous avais présenté les grandes orientations de la politique étrangère que jentends conduire tout au long de mon mandat. Lan dernier, je vous avais exposé les initiatives de la France pour contribuer à façonner un monde en mutation. Je ny reviens pas car ces deux interventions ont conservé leur actualité.
Aujourdhui, je souhaite prolonger cette réflexion en abordant deux questions :
- Je voudrais dabord mettre laccent sur certaines de vos missions rendues encore plus nécessaires par les évolutions en cours.
- Je voudrais ensuite rappeler ce que doivent être nos priorités pour que soient assurés au mieux, au siècle prochain, la défense de nos intérêts et le rayonnement de notre Nation.
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
En vous recevant avant vos départs en poste, en vous rencontrant lors de mes visites à létranger, en lisant chaque jour votre correspondance, jai pu mesurer la qualité des femmes et des hommes qui animent le deuxième réseau diplomatique et consulaire du monde, le premier dans le domaine culturel, et qui forment ensemble cette grande maison quest le Ministère des affaires étrangères.
Servir lEtat, représenter la France est un honneur, une responsabilité exigeante que vous assumez avec compétence, en prenant des risques sil le faut. Je pense à toutes celles et à tous ceux qui servent dans des postes difficiles, dAlger à Brazzaville, de Phnom Penh à Sarajevo.
Votre premier devoir est de répondre à lattente qui existe à légard de la France. Une France qui porte une culture, des valeurs qui sont devenues des références universelles. Une France qui demeure au premier rang du combat pour la démocratie, pour les droits de lhomme, pour la paix, pour la solidarité. Je veillerai personnellement à ce que lannée 1998, année du cinquantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de lHomme, soit marquée par des initiatives françaises importantes, pour faire progresser concrètement une cause et des principes auxquels tous les Français sont attachés.
A vous de projeter, par votre exemple, par une action dynamique, imaginative, inlassable, limage dun pays généreux, ouvert au dialogue, respectueux de lidentité de chacune des nations. Bref, le contraire dun pays arrogant ou replié sur lui-même, mais un pays fort, dune grande ambition justifiée.
Je vous encourage vivement à apprendre la langue du pays qui vous accueille. Cest une marque de respect pour lautre. Cest aussi la meilleure preuve que votre plaidoyer pour la francophonie sinscrit dans la perspective dun monde pluri-culturel.
Jattends de vous, plus encore que dans le passé, un effort permanent de communication sur les écrans de télévision, sur les radios, dans les colonnes des journaux, dans les lieux où se forment les opinions : les universités, les syndicats, les partis politiques.
Mais je vous demande aussi de rendre compte, avec lucidité et sans fard, des critiques qui sexpriment à légard de notre pays. Prendre linitiative, cest inévitablement sexposer aux critiques. En comprendre les raisons est la condition dune réponse pertinente.
Jattends de vous un soutien résolu à laction des Français expatriés, quelle contribue au rayonnement culturel ou à la promotion des intérêts économiques de notre pays. Ces Français sont - en nombre encore insuffisant - les artisans irremplaçables de notre influence dans le monde. Ils sont le fer de lance de notre économie. Mobilisez tous votre expérience, votre talent, votre énergie, au service de nos entreprises, et vous contribuerez ainsi à lamélioration de lemploi dans notre pays.
Vous savez combien je me suis investi personnellement dans ce combat. Combat nécessaire car près du tiers de notre croissance résulte désormais des performances de nos entreprises sur les marchés étrangers. Combat victorieux car la France enregistre un excédent à la fois substantiel et croissant, notamment avec les pays émergents qui sont les moteurs de léconomie mondiale.
Je souhaite que vous corrigiez limage que projettent volontiers certains médias étrangers : celle dune France qui aurait du mal à sadapter aux contraintes de la mondialisation. Les faits et les chiffres prouvent le contraire. En lespace dune génération, la France nest pas seulement devenue le 4ème exportateur mondial de produits manufacturés, le 2ème pour les produits agricoles, le 2ème pour les services : aujourdhui, chaque Français exporte deux fois plus que chaque Américain, et 50 % de plus que chaque Japonais.
Mieux encore : depuis 25 ans, et malgré la montée régulière des pays émergents, la France a maintenu sa part du marché mondial, alors que celle des Etats-Unis, de lAllemagne ou de la Grande-Bretagne diminuait sensiblement. On ne le sait pas assez et il nous appartient aussi de le dire.
Enfin, et cest peut-être le meilleur signe de notre compétitivité : depuis 1991, la France a constamment compté parmi les trois premiers pays daccueil de linvestissement international.
Pour autant, nous ne devons pas relâcher nos efforts dans un monde où la concurrence internationale ne cesse de sexacerber.
Notre présence est encore trop concentrée sur lEurope et notamment lUnion européenne. Elle est trop faible dans les pays émergents. Nos petites et moyennes entreprises ne sont pas suffisamment actives dans les pays qui ont le plus fort potentiel de croissance. Il vous revient, depuis vos postes comme lors de vos séjours en France, à Paris ou en province, dalerter nos entreprises sur les possibilités que peuvent offrir vos pays. Il vous revient aussi de proposer toutes les initiatives susceptibles daccroître les chances de nos produits sur les marchés mondiaux. Vous pouvez compter sur mon soutien sans réserve comme sur celui du gouvernement.
Il est une dernière mission à laquelle jattache la plus grande importance : votre mission danalyse et de proposition.
Les succès de notre pays dépendront de plus en plus de notre capacité dadaptation, et dabord danticipation. Ensemble, vous représentez un potentiel inégalable dobservation, de réflexion, de suggestion. Il doit être un atout décisif pour tous les décideurs français.
La mondialisation nen est quà ses débuts. Elle demeure encore mal maîtrisée. Elle est souvent mal comprise par les opinions. Les Etats, qui ont fixé les nouvelles règles du jeu dune concurrence globale sur les marchés des capitaux et de lemploi, ont accepté dy sacrifier une partie de leurs marges de manoeuvre, quil sagisse de la monnaie, de la fiscalité, du budget.
Collectivement, et cest notamment la mission du G7-G8, ils doivent corriger les excès et limiter les risques dune ouverture par ailleurs bénéfique. A linitiative de la France, le Sommet de Lyon a engagé des travaux dune grande importance pour mieux assurer la stabilité financière mondiale, dont les crises mexicaine et thaïlandaise notamment ont souligné la fragilité. Lyon a également lancé, à l'initiative du Premier ministre japonais, une réflexion fondamentale sur lensemble des conséquences du vieillissement de nos sociétés. Des progrès ont été enregistrés à Denver dans ces deux domaines ; dautres seront nécessaires lan prochain, au Sommet de Birmingham.
Bien comprendre le monde qui se dessine nous permettra de tirer pleinement parti des avantages de la globalisation sans avoir à renoncer à des valeurs, un mode de vie conjuguant liberté et solidarité auxquels les Français demeurent, à juste titre, profondément attachés.
Cest pourquoi vos analyses sur les grands choix économiques et sociaux des gouvernements, sur lévolution des monnaies et celle des investissements, sur les orientations de la recherche scientifique et le financement des systèmes sociaux sont aussi nécessaires, et parfois plus, que vos commentaires sur la situation politique.
Parmi les atouts qui nous maintiendront au premier rang de cette compétition globale, il en est un sur lequel j'appelle régulièrement l'attention : les technologies de linformation. Elles recèlent les principaux gisements demploi de demain. Elles détermineront la compétitivité des entreprises sur les marchés mondiaux. Or lEurope -et la France notamment- prennent semble-t-il du retard. Je souhaite que le gouvernement, qui en est parfaitement conscient, agisse au sein de lUnion, comme au plan national pour remettre à niveau notre pays et lEurope. Il y sera sans aucun doute aidé par les informations que vous lui apporterez.
Je demande donc à nos Ambassadeurs en Amérique du Nord, en Europe, au Japon et dans certains pays émergents dêtre particulièrement attentifs aux évolutions de ces industries de pointe, aux innovations et aux réformes structurelles qu'elles entraînent.
Dernier dossier sur lequel vous devez vous mobiliser : celui de la formation des jeunes élites des pays où vous représentez la France.
Mieux que dautres, vous mesurez ce que représente, en termes dinfluence durable, une formation « à la française ». Plus que dautres, vous savez que le rayonnement de la France dépend aussi de sa capacité de former une partie des élites du monde.
Notre réseau sans équivalent de lycées nous permet de conduire jusquau niveau du baccalauréat des dizaines de milliers de jeunes du monde entier. Mais nous ne prolongeons pas assez cet effort au niveau décisif, celui des universités. Dès lors, ces jeunes, sortis de nos lycées, se dirigent vers les Etats-Unis qui sont devenus le principal centre de formation des élites du monde, notamment de ses régions les plus dynamiques, lAsie orientale et lAmérique latine. Et je suis frappé de constater que les Etats-Unis, mais aussi la Grande-Bretagne ou lAustralie, ont su faire de cette activité de formation une source de revenus considérable. Ce que nous avons absolument pas apprécié ou compris.
Les contraintes budgétaires, je le sais, ne permettent pas, dans limmédiat, une relance massive de notre politique de bourses, relance pourtant nécessaire. Je demande donc à chacune et à chacun dentre vous de réfléchir aux formules imaginatives, aux partenariats qui peuvent se développer entre universités, ou avec nos grandes entreprises. Je souhaite quune réflexion soit lancée sur la création en France de structures souples capables dorganiser, moyennant rétribution, laccueil détudiants étrangers dans nos écoles et nos universités.
Le deuxième poste de rapport financier de lAustralie, en ce qui concerne lactivité avec létranger, est celui de la Formation. Sans prétendre aller jusque-là, cela mérite quand même que nous réfléchissons sérieusement à la possibilité de nous adapter, nous aussi, aux exigences du monde moderne et de nos intérêts nationaux.
Dans le même esprit, jai demandé il y a plusieurs mois que soit accélérée la mise en place dune politique plus souple de visas pour les étudiants, les chercheurs et les professeurs étrangers qui désirent se former en France.
*
Vous le voyez, votre mission va bien au-delà de la gestion des dossiers diplomatiques. Vous êtes la France dans le monde, son visage, sa voix. Vous êtes les acteurs de son rayonnement. Vous êtes, aux avant-postes, les indispensables éclaireurs des changements en cours, et je vous fais confiance.
Dans le monde d'aujourd'hui, quelles doivent être les priorités de notre politique étrangère ?
La France doit saffirmer, sans arrogance mais sans complexe. Elle doit prendre, me semble-t-il, linitiative dans trois directions complémentaires, au-delà naturellement de ce que jai eu loccasion dévoquer en 1995 et en 1996.
La France doit renforcer ses solidarités traditionnelles en adaptant sa politique aux réalités nouvelles :
- elle doit, avec ses partenaires, achever la construction de lEurope puissance, mais aussi de lEurope des hommes ;
- elle doit, enfin, contribuer à lémergence dun monde multipolaire harmonieux.
Renforcer nos solidarités, cest dabord édifier un espace francophone politique. En novembre, au Sommet de Hanoï, les quarante-neuf pays membres éliront pour la première fois un Secrétaire général, véritable fédérateur et animateur de notre communauté. Celle-ci pourra ainsi saffirmer progressivement comme un acteur à part entière des relations internationales.
Jattache une extrême importance à la préparation du Sommet de Hanoï. Au-delà de la réforme institutionnelle, je souhaite quil adopte des projets concrets. Il y a deux ans, à Cotonou, j'avais demandé que soient multipliés les sites et les programmes en français sur les autoroutes de l'information. En mai, à Montréal, la création dun « fonds pour le développement des inforoutes » a été décidée. Dautres grands projets de coopération sont à létude. Ils doivent exprimer la solidarité qui unit les membres dune communauté de près de cinq cents millions de femmes et dhommes, présents sur tous les continents.
Renforcer nos solidarités traditionnelles, cest aussi adapter notre politique africaine.
Et dabord, prendre la mesure des changements en cours sur ce continent. Bien sûr, les facteurs de tension et de déstabilisation demeurent puissants : une démographie galopante, une urbanisation incontrôlée, une jeunesse oubliée. Et les crises dAfrique centrale sont là pour nous rappeler le poids du facteur ethnique.
Pourtant, lAfrique avance. Les économies sont encore fragiles et déséquilibrées, mais dans une majorité de pays, la croissance paraît durablement établie et ceci sur une pente de lordre de 5 %. Pour la première fois, elle connaît, le Fond monétaire international la souligné, une évolution positive en terme de croissance par tête dhabitant. Par ailleurs, la gestion des affaires publiques et létat de droit saméliorent. La démocratie senracine. Lintégration régionale se développe. Enfin, et cest un point très positif, les crises récentes ont accéléré une vraie prise de conscience de la nécessité, pour les Africains, de prendre en mains le règlement de leurs difficultés.
Ces évolutions encouragent la France à accentuer ladaptation de sa politique africaine, sur la base des principes que jai affirmés, vous vous en souvenez, dès mon premier voyage sur ce continent, en juillet 1995, et qui sont mis progressivement en oeuvre depuis :
- rester engagés auprès de nos partenaires les plus proches, en modernisant le cadre de nos rapports ;
- renforcer nos liens avec les autres pays africains, dès lors quils le souhaitent ;
- rénover nos dispositifs dintervention économique et de coopération ;
- encourager nos entreprises et nos investisseurs à accroître leur présence en Afrique, tout en maintenant lindispensable flux daide publique à un niveau suffisant ;
- développer, enfin, avec les organisations internationales comme avec les Etats, ceux de lUnion européenne et le Japon notamment, des concertations nouvelles, en réponse aux demandes des pays africains eux-mêmes.
A ces principes sajoutent deux règles de comportement auxquelles la France doit se tenir strictement, au risque dêtre parfois mal comprise dans un premier temps.
Première règle : sinterdire toute ingérence, de quelque nature quelle soit, politique, militaire ou autre. La France ne laccepterait pas chez elle. Elle na pas à la pratiquer chez les autres.
Deuxième règle : encourager nos partenaires africains, selon les modalités et le rythme de leur choix, à renforcer létat de droit et la bonne gouvernance, éléments essentiels de la confiance, confiance intérieure des opinions ou extérieure des investisseurs, confiance essentielle pour le développement, condition même du développement.
La France est et restera le premier partenaire de lAfrique sub-saharienne. Elle doit aujourdhui mieux cerner les axes prioritaires de sa coopération. A ma demande, plusieurs chantiers ont été ouverts, parmi lesquels : lappui à lintégration régionale, lassistance dans le domaine institutionnel, en particulier judiciaire, la réévaluation de notre politique en matière déducation, de stages, de bourses. Je souhaite que cet effort de modernisation de notre coopération soit accentué et étendu. Je souhaite de nouvelles modalités de mise en oeuvre pour mieux marquer notre volonté dagir en vrai partenariat et de tenir compte des besoins exprimés par la population.
La détermination des Africains à assurer eux-mêmes la stabilité et la paix sur le continent, les efforts de médiation courageux qui ont été entrepris, les concertations en cours pour nouer des pactes de sécurité mutuelle, tout cela appelle une adaptation progressive de nos accords de défense, de nos implantations et de notre coopération militaire. Nous devons apporter tout notre soutien aux efforts africains de prévention et de gestion des conflits. Nous devons développer résolument nos missions de formation et dassistance.
Enfin, nos relations avec lAfrique, et cest ce qui les rendent uniques, reposent sur des rapports humains dune extraordinaire densité sans équivalent. Il faut les préserver et en transmettre le goût et la richesse aux générations montantes. Cest pourquoi nous devons éviter de donner à nos amis africains le sentiment que nous leur fermons nos portes. A ma demande, de nouvelles dispositions ont été prises en matière de visas, je lai dit. La responsabilité de leur application attentive vous incombe, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs. Je vous demande dy veiller personnellement, je fais toute confiance à votre jugement.
Vous laurez compris : la France entend, plus que jamais, être présente et active en Afrique, dans la fidélité, louverture et la modernité. Je ne verrais dailleurs que des avantages à ce que notre Parlement puisse en débattre.
Renforcer nos solidarités traditionnelles, cest enfin construire en Méditerranée un espace de paix, de stabilité et de développement.
La France est une grande puissance méditerranéenne. Elle doit dabord entretenir avec les pays du Maghreb une relation exemplaire. Cest le cas avec le Maroc et la Tunisie. Ce doit être le cas -et cest mon souhait- avec lAlgérie. Les récentes visites du Ministre des affaires étrangères, M. Védrine, dans ces trois pays ont confirmé leur volonté de relations privilégiées avec la France.
Au Proche-Orient, ensuite, où le processus de paix est en danger de mort, où le désespoir engendre la violence et le terrorisme, la France doit prendre linitiative, en liaison avec les Etats-Unis. Elle doit inlassablement entraîner lEurope, la convaincre dassumer, dans cette région, le rôle politique majeur que justifient une histoire partagée, des intérêts communs, son poids économique prépondérant. Ne sous-estimons pas notre capacité daction, notre influence, les possibilités de trouver des solutions.
Enfin, la France, avec notamment lItalie et lEspagne, doit poursuivre, avec ténacité, le processus de Barcelone. Lui seul ouvre la perspective dun monde méditerranéen rassemblé autour des mêmes ambitions : le dialogue politique et culturel, le partenariat économique, la paix.
Assurer la présence de la France, défendre nos intérêts, cest aussi achever la construction de lEurope.
LEurope des hommes dabord, qui a été trop négligée dans le passé et qui constitue une priorité essentielle pour la France. Nos conceptions progressent. Le Mémorandum pour un modèle social européen, dont nous avions pris linitiative en mars 1996, est devenu aujourdhui une référence pour les Quinze. Le Sommet pour lemploi en novembre prochain, demandé et obtenu à Amsterdam par la France, devra montrer, par des décisions concrètes, notre détermination commune à tout mettre en oeuvre pour lutter contre la principale cause de désaffection à légard de la construction européenne : le chômage, qui frappe dix-huit millions dEuropéens.
Achever la construction de lEurope, cest aussi conclure, avant tout élargissement, la réforme institutionnelle engagée à Amsterdam. Nous avons obtenu des progrès en recherchant avec pragmatisme des solutions appropriées à la nature originale de notre Union, quil sagisse des pouvoirs du Président de la Commission, du vote à la majorité qualifiée, du développement du rôle des parlements nationaux, du protocole sur la subsidiarité, et enfin de la clause sur les coopérations renforcées qui permettra aux Etats qui le souhaitent daller plus vite et plus loin dans lexercice en commun de certaines responsabilités.
Il reste à obtenir un accord satisfaisant sur la composition de la Commission et la repondération des voix au Conseil. Sur ce dossier, qui conditionne le bon fonctionnement dune Union élargie, la France nacceptera aucune formule qui porterait atteinte à lefficacité du processus de décision.
Lélargissement, qui s'engagera dès l'an prochain, est un impératif moral, cest aussi une nécessité historique. Il répond enfin à lintérêt bien compris de tous nos pays en ouvrant la perspective dun ensemble cohérent de 450 millions dhabitants.
Pour éviter tout sentiment dexclusion dans les pays qui nappartiendront pas à la première vague dadhésion, lélargissement doit sadresser de façon égale aux onze candidats. Ils doivent tous bénéficier dune stratégie de pré-adhésion mobilisant des crédits qui sont dune ampleur inégalée dans lhistoire du monde : deux fois ceux du plan Marshall !
La France a également proposé la création dune conférence européenne. Elle souhaite, dans ce contexte, que la question des relations avec la Turquie soit traitée avec imagination et pragmatisme, en mesurant toute limportance de ce grand partenaire pour notre Union.
Lautre avancée historique du début de 1998 sera, naturellement, la décision des Chefs dEtat et de Gouvernement concernant les pays qui entreront dans la monnaie unique le 1er janvier 1999. Vous traiterez longuement demain de ce dossier crucial. Avec lAllemagne, son partenaire fondamental, la France entend être présente au rendez-vous selon les conditions du Traité, selon sa parole. Elle est persuadée que ce progrès sans précédent permettra la mise en place dun vrai pôle économique de puissance. Amsterdam a fixé un programme de travail ambitieux. Le Conseil européen de Luxembourg devra traduire ces objectifs en décisions.
Enfin, lUnion européenne doit progressivement saffirmer comme un pôle majeur de puissance. LEuro y contribuera de façon décisive. Je souhaite que lEurope fasse preuve de la même détermination dans le domaine de la politique étrangère et de la politique de défense.
LHistoire nous enseigne quune civilisation, pour garder la maîtrise de son destin, doit se donner les moyens de sa sécurité. Il n'y a jamais eu de plus grandes fautes historiques qui sont pourtant répétées à l'infini que de négliger la sécurité.
Bâtir une défense européenne, cest dabord construire une industrie de larmement forte et compétitive. Face aux regroupements mondiaux, les Européens doivent rassembler leurs forces. La mise en place dune Agence européenne de larmement, mais aussi la définition dune planification conjointe des besoins, à limage de ce quont entrepris la France et lAllemagne, sinscrivent dans cette perspective. Nous devons aller beaucoup plus loin. Et nous devons aller vite.
Bâtir notre défense, cest aussi renforcer la coopération militaire entre nos pays. Le Corps européen, les Euroforces et le Groupe Aérien Européen montrent la voie. Le rôle joué en Bosnie, hier par la Force de Réaction Rapide, aujourdhui par la Brigade franco-allemande, lopération réussie en Albanie, illustrent la capacité daction des Européens dès lors quils en ont la volonté. Je souhaite que cette volonté sexprime lan prochain en Bosnie, au moment des décisions que nous devrons prendre en partenariat avec les Américains.
Bâtir une défense européenne, cest enfin nous doter dinstitutions adaptées. Avec le traité dAmsterdam, les Chefs dEtat et de Gouvernement de lUnion pourront, en cas de crise, décider dune intervention européenne et charger lUnion de l'Europe Occidentale, qui se renforce utilement, den assurer la conduite effective.
Mais la construction dune défense européenne doit sexprimer aussi à travers la réforme de lAlliance Atlantique. La raison en est simple : nos partenaires européens y ont concentré lessentiel de leurs moyens militaires et sont déterminés à les y maintenir.
La rénovation de lAlliance a franchi, lors du Sommet de Madrid, une étape importante vers laffirmation de lIdentité Européenne de Défense. Désormais, les Européens pourront mener des opérations, je l'ai dit, sous la conduite de lUEO, en faisant appel aux moyens de lOTAN. Désormais, ils pourront sappuyer pour cela sur un dispositif de commandement européen cohérent. C'est un grand progrès qui n'a peut être pas été suffisament souligné par les observateurs.
Ces résultats, obtenus pour une large part sous limpulsion de notre pays, sans quil en résulte une modification de son statut dans lOTAN, représentent la plus grande réforme de lAlliance depuis sa création.
Mais cette affirmation de lidentité européenne doit encore se traduire par un meilleur partage des responsabilités entre Européens et Américains dans la structure militaire de lorganisation. Comme je lai souligné depuis un an, cela signifie notamment que le Commandement Sud doit être, à lavenir, confié à un Européen.
Cest en fonction des progrès qui seront réalisés dans cette direction, et sans se laisser enfermer dans un calendrier quelconque, que la France déterminera sa relation future avec lOTAN.
Assurer la place de la France et celle de lEurope, défendre nos intérêts, cest enfin contribuer à lémergence dun monde multipolaire harmonieux.
Réponse souhaitable à leffondrement de lordre bi-polaire, la marche vers un monde multipolaire est inévitable. Mais elle ne doit pas se traduire par la montée de nouveaux antagonismes.
La France a pris et prendra linitiative pour quaucune nation ne vive lémergence de ce nouvel équilibre mondial dans la frustration, le repli ou le refus.
Cest ce que jai fait en proposant, ici même, devant vous, il y a un an, que lélargissement de lAlliance atlantique soit précédé dun accord avec la Russie et soit décidé lors dun sommet réunissant lensemble des Etats européens.
En effaçant définitivement la ligne de fracture de Yalta, lActe fondateur signé le 27 mai à Paris entre lOTAN et la Russie a ouvert la voie au rassemblement dune grande famille européenne enfin réconciliée, unie par une communauté de destin et de valeurs. Lélargissement de lUnion européenne, celui de lAlliance atlantique, la Charte entre lOTAN et lUkraine et la création du Conseil du partenariat euro-atlantique sinscrivent dans la même perspective.
La France ne ménagera aucun effort pour donner toute son ampleur à ce partenariat avec cette très grande nation qu'est la Russie, qui doit devenir un élément essentiel de la stabilité et de léquilibre du monde.
La même démarche doit inspirer notre relation avec la Chine. La fin de la guerre froide a mis lEurope et la Chine face à leurs responsabilités. Cette nouvelle marge de manoeuvre doit les encourager à intensifier leur dialogue dans le domaine de la sécurité, à contribuer ensemble à la construction dun monde pluriel, stable et pacifique, et à réussir la complète insertion de ce très grand pays dans léconomie mondiale. Ce fut le sens de ma visite dEtat en Chine récemment.
Cest dans le même esprit que je me rendrai prochainement en Inde et que la France contribuera à la pleine réussite des sommets entre lEurope et lAsie orientale, entre lEurope et lAmérique latine, les deux nouvelles frontières de notre diplomatie. Lentement, mais sûrement, lUnion européenne saffirme sur la scène mondiale comme un facteur déquilibre et de paix.
Contribuer à un monde multipolaire harmonieux, cest enfin défendre, rénover, renforcer des organisations internationales qui sont le meilleur rempart, celui du droit, face aux tentations de lunilatéralisme. Cest continuer à promouvoir le désarmement et la lutte contre la prolifération sous toutes ses formes.
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Vivre un changement dépoque, cest voir sestomper les références, changer les règles du jeu, surgir de nouveaux acteurs, contester les positions acquises.
Dans ces temps dincertitude, où le monde cherche à tâtons le chemin dune globalisation maîtrisée, les voies dun nouvel équilibre accepté, notre Nation na pas le droit à lerreur. Elle occupe sur la scène internationale une position éminente mais fragile : 4ème économie du monde, de monde où saffirment de nouvelles puissances, membre permanent dun Conseil de Sécurité qui doit sélargir, elle veut à la fois assurer son progrès économique et social et maintenir son rang. Elle ny parviendra que par une gestion avisée et moderne, par un effort permanent de volonté, dimagination, de réforme et dadaptation.
Pour préserver ce rang et défendre au mieux ses intérêts, la France doit sengager. En affirmant une vision claire des objectifs à atteindre, la France entraîne. En proposant des solutions aux problèmes de notre temps, dans la fidélité à ses valeurs de liberté, de paix et de solidarité, la France convainc. Là réside une grande part de votre belle mission.
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, je vous remercie.
Monsieur le Ministre des affaires étrangères,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Pour la troisième fois, jai le plaisir de vous rencontrer tous ensemble. En 1995, je vous avais présenté les grandes orientations de la politique étrangère que jentends conduire tout au long de mon mandat. Lan dernier, je vous avais exposé les initiatives de la France pour contribuer à façonner un monde en mutation. Je ny reviens pas car ces deux interventions ont conservé leur actualité.
Aujourdhui, je souhaite prolonger cette réflexion en abordant deux questions :
- Je voudrais dabord mettre laccent sur certaines de vos missions rendues encore plus nécessaires par les évolutions en cours.
- Je voudrais ensuite rappeler ce que doivent être nos priorités pour que soient assurés au mieux, au siècle prochain, la défense de nos intérêts et le rayonnement de notre Nation.
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
En vous recevant avant vos départs en poste, en vous rencontrant lors de mes visites à létranger, en lisant chaque jour votre correspondance, jai pu mesurer la qualité des femmes et des hommes qui animent le deuxième réseau diplomatique et consulaire du monde, le premier dans le domaine culturel, et qui forment ensemble cette grande maison quest le Ministère des affaires étrangères.
Servir lEtat, représenter la France est un honneur, une responsabilité exigeante que vous assumez avec compétence, en prenant des risques sil le faut. Je pense à toutes celles et à tous ceux qui servent dans des postes difficiles, dAlger à Brazzaville, de Phnom Penh à Sarajevo.
Votre premier devoir est de répondre à lattente qui existe à légard de la France. Une France qui porte une culture, des valeurs qui sont devenues des références universelles. Une France qui demeure au premier rang du combat pour la démocratie, pour les droits de lhomme, pour la paix, pour la solidarité. Je veillerai personnellement à ce que lannée 1998, année du cinquantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de lHomme, soit marquée par des initiatives françaises importantes, pour faire progresser concrètement une cause et des principes auxquels tous les Français sont attachés.
A vous de projeter, par votre exemple, par une action dynamique, imaginative, inlassable, limage dun pays généreux, ouvert au dialogue, respectueux de lidentité de chacune des nations. Bref, le contraire dun pays arrogant ou replié sur lui-même, mais un pays fort, dune grande ambition justifiée.
Je vous encourage vivement à apprendre la langue du pays qui vous accueille. Cest une marque de respect pour lautre. Cest aussi la meilleure preuve que votre plaidoyer pour la francophonie sinscrit dans la perspective dun monde pluri-culturel.
Jattends de vous, plus encore que dans le passé, un effort permanent de communication sur les écrans de télévision, sur les radios, dans les colonnes des journaux, dans les lieux où se forment les opinions : les universités, les syndicats, les partis politiques.
Mais je vous demande aussi de rendre compte, avec lucidité et sans fard, des critiques qui sexpriment à légard de notre pays. Prendre linitiative, cest inévitablement sexposer aux critiques. En comprendre les raisons est la condition dune réponse pertinente.
Jattends de vous un soutien résolu à laction des Français expatriés, quelle contribue au rayonnement culturel ou à la promotion des intérêts économiques de notre pays. Ces Français sont - en nombre encore insuffisant - les artisans irremplaçables de notre influence dans le monde. Ils sont le fer de lance de notre économie. Mobilisez tous votre expérience, votre talent, votre énergie, au service de nos entreprises, et vous contribuerez ainsi à lamélioration de lemploi dans notre pays.
Vous savez combien je me suis investi personnellement dans ce combat. Combat nécessaire car près du tiers de notre croissance résulte désormais des performances de nos entreprises sur les marchés étrangers. Combat victorieux car la France enregistre un excédent à la fois substantiel et croissant, notamment avec les pays émergents qui sont les moteurs de léconomie mondiale.
Je souhaite que vous corrigiez limage que projettent volontiers certains médias étrangers : celle dune France qui aurait du mal à sadapter aux contraintes de la mondialisation. Les faits et les chiffres prouvent le contraire. En lespace dune génération, la France nest pas seulement devenue le 4ème exportateur mondial de produits manufacturés, le 2ème pour les produits agricoles, le 2ème pour les services : aujourdhui, chaque Français exporte deux fois plus que chaque Américain, et 50 % de plus que chaque Japonais.
Mieux encore : depuis 25 ans, et malgré la montée régulière des pays émergents, la France a maintenu sa part du marché mondial, alors que celle des Etats-Unis, de lAllemagne ou de la Grande-Bretagne diminuait sensiblement. On ne le sait pas assez et il nous appartient aussi de le dire.
Enfin, et cest peut-être le meilleur signe de notre compétitivité : depuis 1991, la France a constamment compté parmi les trois premiers pays daccueil de linvestissement international.
Pour autant, nous ne devons pas relâcher nos efforts dans un monde où la concurrence internationale ne cesse de sexacerber.
Notre présence est encore trop concentrée sur lEurope et notamment lUnion européenne. Elle est trop faible dans les pays émergents. Nos petites et moyennes entreprises ne sont pas suffisamment actives dans les pays qui ont le plus fort potentiel de croissance. Il vous revient, depuis vos postes comme lors de vos séjours en France, à Paris ou en province, dalerter nos entreprises sur les possibilités que peuvent offrir vos pays. Il vous revient aussi de proposer toutes les initiatives susceptibles daccroître les chances de nos produits sur les marchés mondiaux. Vous pouvez compter sur mon soutien sans réserve comme sur celui du gouvernement.
Il est une dernière mission à laquelle jattache la plus grande importance : votre mission danalyse et de proposition.
Les succès de notre pays dépendront de plus en plus de notre capacité dadaptation, et dabord danticipation. Ensemble, vous représentez un potentiel inégalable dobservation, de réflexion, de suggestion. Il doit être un atout décisif pour tous les décideurs français.
La mondialisation nen est quà ses débuts. Elle demeure encore mal maîtrisée. Elle est souvent mal comprise par les opinions. Les Etats, qui ont fixé les nouvelles règles du jeu dune concurrence globale sur les marchés des capitaux et de lemploi, ont accepté dy sacrifier une partie de leurs marges de manoeuvre, quil sagisse de la monnaie, de la fiscalité, du budget.
Collectivement, et cest notamment la mission du G7-G8, ils doivent corriger les excès et limiter les risques dune ouverture par ailleurs bénéfique. A linitiative de la France, le Sommet de Lyon a engagé des travaux dune grande importance pour mieux assurer la stabilité financière mondiale, dont les crises mexicaine et thaïlandaise notamment ont souligné la fragilité. Lyon a également lancé, à l'initiative du Premier ministre japonais, une réflexion fondamentale sur lensemble des conséquences du vieillissement de nos sociétés. Des progrès ont été enregistrés à Denver dans ces deux domaines ; dautres seront nécessaires lan prochain, au Sommet de Birmingham.
Bien comprendre le monde qui se dessine nous permettra de tirer pleinement parti des avantages de la globalisation sans avoir à renoncer à des valeurs, un mode de vie conjuguant liberté et solidarité auxquels les Français demeurent, à juste titre, profondément attachés.
Cest pourquoi vos analyses sur les grands choix économiques et sociaux des gouvernements, sur lévolution des monnaies et celle des investissements, sur les orientations de la recherche scientifique et le financement des systèmes sociaux sont aussi nécessaires, et parfois plus, que vos commentaires sur la situation politique.
Parmi les atouts qui nous maintiendront au premier rang de cette compétition globale, il en est un sur lequel j'appelle régulièrement l'attention : les technologies de linformation. Elles recèlent les principaux gisements demploi de demain. Elles détermineront la compétitivité des entreprises sur les marchés mondiaux. Or lEurope -et la France notamment- prennent semble-t-il du retard. Je souhaite que le gouvernement, qui en est parfaitement conscient, agisse au sein de lUnion, comme au plan national pour remettre à niveau notre pays et lEurope. Il y sera sans aucun doute aidé par les informations que vous lui apporterez.
Je demande donc à nos Ambassadeurs en Amérique du Nord, en Europe, au Japon et dans certains pays émergents dêtre particulièrement attentifs aux évolutions de ces industries de pointe, aux innovations et aux réformes structurelles qu'elles entraînent.
Dernier dossier sur lequel vous devez vous mobiliser : celui de la formation des jeunes élites des pays où vous représentez la France.
Mieux que dautres, vous mesurez ce que représente, en termes dinfluence durable, une formation « à la française ». Plus que dautres, vous savez que le rayonnement de la France dépend aussi de sa capacité de former une partie des élites du monde.
Notre réseau sans équivalent de lycées nous permet de conduire jusquau niveau du baccalauréat des dizaines de milliers de jeunes du monde entier. Mais nous ne prolongeons pas assez cet effort au niveau décisif, celui des universités. Dès lors, ces jeunes, sortis de nos lycées, se dirigent vers les Etats-Unis qui sont devenus le principal centre de formation des élites du monde, notamment de ses régions les plus dynamiques, lAsie orientale et lAmérique latine. Et je suis frappé de constater que les Etats-Unis, mais aussi la Grande-Bretagne ou lAustralie, ont su faire de cette activité de formation une source de revenus considérable. Ce que nous avons absolument pas apprécié ou compris.
Les contraintes budgétaires, je le sais, ne permettent pas, dans limmédiat, une relance massive de notre politique de bourses, relance pourtant nécessaire. Je demande donc à chacune et à chacun dentre vous de réfléchir aux formules imaginatives, aux partenariats qui peuvent se développer entre universités, ou avec nos grandes entreprises. Je souhaite quune réflexion soit lancée sur la création en France de structures souples capables dorganiser, moyennant rétribution, laccueil détudiants étrangers dans nos écoles et nos universités.
Le deuxième poste de rapport financier de lAustralie, en ce qui concerne lactivité avec létranger, est celui de la Formation. Sans prétendre aller jusque-là, cela mérite quand même que nous réfléchissons sérieusement à la possibilité de nous adapter, nous aussi, aux exigences du monde moderne et de nos intérêts nationaux.
Dans le même esprit, jai demandé il y a plusieurs mois que soit accélérée la mise en place dune politique plus souple de visas pour les étudiants, les chercheurs et les professeurs étrangers qui désirent se former en France.
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Vous le voyez, votre mission va bien au-delà de la gestion des dossiers diplomatiques. Vous êtes la France dans le monde, son visage, sa voix. Vous êtes les acteurs de son rayonnement. Vous êtes, aux avant-postes, les indispensables éclaireurs des changements en cours, et je vous fais confiance.
Dans le monde d'aujourd'hui, quelles doivent être les priorités de notre politique étrangère ?
La France doit saffirmer, sans arrogance mais sans complexe. Elle doit prendre, me semble-t-il, linitiative dans trois directions complémentaires, au-delà naturellement de ce que jai eu loccasion dévoquer en 1995 et en 1996.
La France doit renforcer ses solidarités traditionnelles en adaptant sa politique aux réalités nouvelles :
- elle doit, avec ses partenaires, achever la construction de lEurope puissance, mais aussi de lEurope des hommes ;
- elle doit, enfin, contribuer à lémergence dun monde multipolaire harmonieux.
Renforcer nos solidarités, cest dabord édifier un espace francophone politique. En novembre, au Sommet de Hanoï, les quarante-neuf pays membres éliront pour la première fois un Secrétaire général, véritable fédérateur et animateur de notre communauté. Celle-ci pourra ainsi saffirmer progressivement comme un acteur à part entière des relations internationales.
Jattache une extrême importance à la préparation du Sommet de Hanoï. Au-delà de la réforme institutionnelle, je souhaite quil adopte des projets concrets. Il y a deux ans, à Cotonou, j'avais demandé que soient multipliés les sites et les programmes en français sur les autoroutes de l'information. En mai, à Montréal, la création dun « fonds pour le développement des inforoutes » a été décidée. Dautres grands projets de coopération sont à létude. Ils doivent exprimer la solidarité qui unit les membres dune communauté de près de cinq cents millions de femmes et dhommes, présents sur tous les continents.
Renforcer nos solidarités traditionnelles, cest aussi adapter notre politique africaine.
Et dabord, prendre la mesure des changements en cours sur ce continent. Bien sûr, les facteurs de tension et de déstabilisation demeurent puissants : une démographie galopante, une urbanisation incontrôlée, une jeunesse oubliée. Et les crises dAfrique centrale sont là pour nous rappeler le poids du facteur ethnique.
Pourtant, lAfrique avance. Les économies sont encore fragiles et déséquilibrées, mais dans une majorité de pays, la croissance paraît durablement établie et ceci sur une pente de lordre de 5 %. Pour la première fois, elle connaît, le Fond monétaire international la souligné, une évolution positive en terme de croissance par tête dhabitant. Par ailleurs, la gestion des affaires publiques et létat de droit saméliorent. La démocratie senracine. Lintégration régionale se développe. Enfin, et cest un point très positif, les crises récentes ont accéléré une vraie prise de conscience de la nécessité, pour les Africains, de prendre en mains le règlement de leurs difficultés.
Ces évolutions encouragent la France à accentuer ladaptation de sa politique africaine, sur la base des principes que jai affirmés, vous vous en souvenez, dès mon premier voyage sur ce continent, en juillet 1995, et qui sont mis progressivement en oeuvre depuis :
- rester engagés auprès de nos partenaires les plus proches, en modernisant le cadre de nos rapports ;
- renforcer nos liens avec les autres pays africains, dès lors quils le souhaitent ;
- rénover nos dispositifs dintervention économique et de coopération ;
- encourager nos entreprises et nos investisseurs à accroître leur présence en Afrique, tout en maintenant lindispensable flux daide publique à un niveau suffisant ;
- développer, enfin, avec les organisations internationales comme avec les Etats, ceux de lUnion européenne et le Japon notamment, des concertations nouvelles, en réponse aux demandes des pays africains eux-mêmes.
A ces principes sajoutent deux règles de comportement auxquelles la France doit se tenir strictement, au risque dêtre parfois mal comprise dans un premier temps.
Première règle : sinterdire toute ingérence, de quelque nature quelle soit, politique, militaire ou autre. La France ne laccepterait pas chez elle. Elle na pas à la pratiquer chez les autres.
Deuxième règle : encourager nos partenaires africains, selon les modalités et le rythme de leur choix, à renforcer létat de droit et la bonne gouvernance, éléments essentiels de la confiance, confiance intérieure des opinions ou extérieure des investisseurs, confiance essentielle pour le développement, condition même du développement.
La France est et restera le premier partenaire de lAfrique sub-saharienne. Elle doit aujourdhui mieux cerner les axes prioritaires de sa coopération. A ma demande, plusieurs chantiers ont été ouverts, parmi lesquels : lappui à lintégration régionale, lassistance dans le domaine institutionnel, en particulier judiciaire, la réévaluation de notre politique en matière déducation, de stages, de bourses. Je souhaite que cet effort de modernisation de notre coopération soit accentué et étendu. Je souhaite de nouvelles modalités de mise en oeuvre pour mieux marquer notre volonté dagir en vrai partenariat et de tenir compte des besoins exprimés par la population.
La détermination des Africains à assurer eux-mêmes la stabilité et la paix sur le continent, les efforts de médiation courageux qui ont été entrepris, les concertations en cours pour nouer des pactes de sécurité mutuelle, tout cela appelle une adaptation progressive de nos accords de défense, de nos implantations et de notre coopération militaire. Nous devons apporter tout notre soutien aux efforts africains de prévention et de gestion des conflits. Nous devons développer résolument nos missions de formation et dassistance.
Enfin, nos relations avec lAfrique, et cest ce qui les rendent uniques, reposent sur des rapports humains dune extraordinaire densité sans équivalent. Il faut les préserver et en transmettre le goût et la richesse aux générations montantes. Cest pourquoi nous devons éviter de donner à nos amis africains le sentiment que nous leur fermons nos portes. A ma demande, de nouvelles dispositions ont été prises en matière de visas, je lai dit. La responsabilité de leur application attentive vous incombe, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs. Je vous demande dy veiller personnellement, je fais toute confiance à votre jugement.
Vous laurez compris : la France entend, plus que jamais, être présente et active en Afrique, dans la fidélité, louverture et la modernité. Je ne verrais dailleurs que des avantages à ce que notre Parlement puisse en débattre.
Renforcer nos solidarités traditionnelles, cest enfin construire en Méditerranée un espace de paix, de stabilité et de développement.
La France est une grande puissance méditerranéenne. Elle doit dabord entretenir avec les pays du Maghreb une relation exemplaire. Cest le cas avec le Maroc et la Tunisie. Ce doit être le cas -et cest mon souhait- avec lAlgérie. Les récentes visites du Ministre des affaires étrangères, M. Védrine, dans ces trois pays ont confirmé leur volonté de relations privilégiées avec la France.
Au Proche-Orient, ensuite, où le processus de paix est en danger de mort, où le désespoir engendre la violence et le terrorisme, la France doit prendre linitiative, en liaison avec les Etats-Unis. Elle doit inlassablement entraîner lEurope, la convaincre dassumer, dans cette région, le rôle politique majeur que justifient une histoire partagée, des intérêts communs, son poids économique prépondérant. Ne sous-estimons pas notre capacité daction, notre influence, les possibilités de trouver des solutions.
Enfin, la France, avec notamment lItalie et lEspagne, doit poursuivre, avec ténacité, le processus de Barcelone. Lui seul ouvre la perspective dun monde méditerranéen rassemblé autour des mêmes ambitions : le dialogue politique et culturel, le partenariat économique, la paix.
Assurer la présence de la France, défendre nos intérêts, cest aussi achever la construction de lEurope.
LEurope des hommes dabord, qui a été trop négligée dans le passé et qui constitue une priorité essentielle pour la France. Nos conceptions progressent. Le Mémorandum pour un modèle social européen, dont nous avions pris linitiative en mars 1996, est devenu aujourdhui une référence pour les Quinze. Le Sommet pour lemploi en novembre prochain, demandé et obtenu à Amsterdam par la France, devra montrer, par des décisions concrètes, notre détermination commune à tout mettre en oeuvre pour lutter contre la principale cause de désaffection à légard de la construction européenne : le chômage, qui frappe dix-huit millions dEuropéens.
Achever la construction de lEurope, cest aussi conclure, avant tout élargissement, la réforme institutionnelle engagée à Amsterdam. Nous avons obtenu des progrès en recherchant avec pragmatisme des solutions appropriées à la nature originale de notre Union, quil sagisse des pouvoirs du Président de la Commission, du vote à la majorité qualifiée, du développement du rôle des parlements nationaux, du protocole sur la subsidiarité, et enfin de la clause sur les coopérations renforcées qui permettra aux Etats qui le souhaitent daller plus vite et plus loin dans lexercice en commun de certaines responsabilités.
Il reste à obtenir un accord satisfaisant sur la composition de la Commission et la repondération des voix au Conseil. Sur ce dossier, qui conditionne le bon fonctionnement dune Union élargie, la France nacceptera aucune formule qui porterait atteinte à lefficacité du processus de décision.
Lélargissement, qui s'engagera dès l'an prochain, est un impératif moral, cest aussi une nécessité historique. Il répond enfin à lintérêt bien compris de tous nos pays en ouvrant la perspective dun ensemble cohérent de 450 millions dhabitants.
Pour éviter tout sentiment dexclusion dans les pays qui nappartiendront pas à la première vague dadhésion, lélargissement doit sadresser de façon égale aux onze candidats. Ils doivent tous bénéficier dune stratégie de pré-adhésion mobilisant des crédits qui sont dune ampleur inégalée dans lhistoire du monde : deux fois ceux du plan Marshall !
La France a également proposé la création dune conférence européenne. Elle souhaite, dans ce contexte, que la question des relations avec la Turquie soit traitée avec imagination et pragmatisme, en mesurant toute limportance de ce grand partenaire pour notre Union.
Lautre avancée historique du début de 1998 sera, naturellement, la décision des Chefs dEtat et de Gouvernement concernant les pays qui entreront dans la monnaie unique le 1er janvier 1999. Vous traiterez longuement demain de ce dossier crucial. Avec lAllemagne, son partenaire fondamental, la France entend être présente au rendez-vous selon les conditions du Traité, selon sa parole. Elle est persuadée que ce progrès sans précédent permettra la mise en place dun vrai pôle économique de puissance. Amsterdam a fixé un programme de travail ambitieux. Le Conseil européen de Luxembourg devra traduire ces objectifs en décisions.
Enfin, lUnion européenne doit progressivement saffirmer comme un pôle majeur de puissance. LEuro y contribuera de façon décisive. Je souhaite que lEurope fasse preuve de la même détermination dans le domaine de la politique étrangère et de la politique de défense.
LHistoire nous enseigne quune civilisation, pour garder la maîtrise de son destin, doit se donner les moyens de sa sécurité. Il n'y a jamais eu de plus grandes fautes historiques qui sont pourtant répétées à l'infini que de négliger la sécurité.
Bâtir une défense européenne, cest dabord construire une industrie de larmement forte et compétitive. Face aux regroupements mondiaux, les Européens doivent rassembler leurs forces. La mise en place dune Agence européenne de larmement, mais aussi la définition dune planification conjointe des besoins, à limage de ce quont entrepris la France et lAllemagne, sinscrivent dans cette perspective. Nous devons aller beaucoup plus loin. Et nous devons aller vite.
Bâtir notre défense, cest aussi renforcer la coopération militaire entre nos pays. Le Corps européen, les Euroforces et le Groupe Aérien Européen montrent la voie. Le rôle joué en Bosnie, hier par la Force de Réaction Rapide, aujourdhui par la Brigade franco-allemande, lopération réussie en Albanie, illustrent la capacité daction des Européens dès lors quils en ont la volonté. Je souhaite que cette volonté sexprime lan prochain en Bosnie, au moment des décisions que nous devrons prendre en partenariat avec les Américains.
Bâtir une défense européenne, cest enfin nous doter dinstitutions adaptées. Avec le traité dAmsterdam, les Chefs dEtat et de Gouvernement de lUnion pourront, en cas de crise, décider dune intervention européenne et charger lUnion de l'Europe Occidentale, qui se renforce utilement, den assurer la conduite effective.
Mais la construction dune défense européenne doit sexprimer aussi à travers la réforme de lAlliance Atlantique. La raison en est simple : nos partenaires européens y ont concentré lessentiel de leurs moyens militaires et sont déterminés à les y maintenir.
La rénovation de lAlliance a franchi, lors du Sommet de Madrid, une étape importante vers laffirmation de lIdentité Européenne de Défense. Désormais, les Européens pourront mener des opérations, je l'ai dit, sous la conduite de lUEO, en faisant appel aux moyens de lOTAN. Désormais, ils pourront sappuyer pour cela sur un dispositif de commandement européen cohérent. C'est un grand progrès qui n'a peut être pas été suffisament souligné par les observateurs.
Ces résultats, obtenus pour une large part sous limpulsion de notre pays, sans quil en résulte une modification de son statut dans lOTAN, représentent la plus grande réforme de lAlliance depuis sa création.
Mais cette affirmation de lidentité européenne doit encore se traduire par un meilleur partage des responsabilités entre Européens et Américains dans la structure militaire de lorganisation. Comme je lai souligné depuis un an, cela signifie notamment que le Commandement Sud doit être, à lavenir, confié à un Européen.
Cest en fonction des progrès qui seront réalisés dans cette direction, et sans se laisser enfermer dans un calendrier quelconque, que la France déterminera sa relation future avec lOTAN.
Assurer la place de la France et celle de lEurope, défendre nos intérêts, cest enfin contribuer à lémergence dun monde multipolaire harmonieux.
Réponse souhaitable à leffondrement de lordre bi-polaire, la marche vers un monde multipolaire est inévitable. Mais elle ne doit pas se traduire par la montée de nouveaux antagonismes.
La France a pris et prendra linitiative pour quaucune nation ne vive lémergence de ce nouvel équilibre mondial dans la frustration, le repli ou le refus.
Cest ce que jai fait en proposant, ici même, devant vous, il y a un an, que lélargissement de lAlliance atlantique soit précédé dun accord avec la Russie et soit décidé lors dun sommet réunissant lensemble des Etats européens.
En effaçant définitivement la ligne de fracture de Yalta, lActe fondateur signé le 27 mai à Paris entre lOTAN et la Russie a ouvert la voie au rassemblement dune grande famille européenne enfin réconciliée, unie par une communauté de destin et de valeurs. Lélargissement de lUnion européenne, celui de lAlliance atlantique, la Charte entre lOTAN et lUkraine et la création du Conseil du partenariat euro-atlantique sinscrivent dans la même perspective.
La France ne ménagera aucun effort pour donner toute son ampleur à ce partenariat avec cette très grande nation qu'est la Russie, qui doit devenir un élément essentiel de la stabilité et de léquilibre du monde.
La même démarche doit inspirer notre relation avec la Chine. La fin de la guerre froide a mis lEurope et la Chine face à leurs responsabilités. Cette nouvelle marge de manoeuvre doit les encourager à intensifier leur dialogue dans le domaine de la sécurité, à contribuer ensemble à la construction dun monde pluriel, stable et pacifique, et à réussir la complète insertion de ce très grand pays dans léconomie mondiale. Ce fut le sens de ma visite dEtat en Chine récemment.
Cest dans le même esprit que je me rendrai prochainement en Inde et que la France contribuera à la pleine réussite des sommets entre lEurope et lAsie orientale, entre lEurope et lAmérique latine, les deux nouvelles frontières de notre diplomatie. Lentement, mais sûrement, lUnion européenne saffirme sur la scène mondiale comme un facteur déquilibre et de paix.
Contribuer à un monde multipolaire harmonieux, cest enfin défendre, rénover, renforcer des organisations internationales qui sont le meilleur rempart, celui du droit, face aux tentations de lunilatéralisme. Cest continuer à promouvoir le désarmement et la lutte contre la prolifération sous toutes ses formes.
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Vivre un changement dépoque, cest voir sestomper les références, changer les règles du jeu, surgir de nouveaux acteurs, contester les positions acquises.
Dans ces temps dincertitude, où le monde cherche à tâtons le chemin dune globalisation maîtrisée, les voies dun nouvel équilibre accepté, notre Nation na pas le droit à lerreur. Elle occupe sur la scène internationale une position éminente mais fragile : 4ème économie du monde, de monde où saffirment de nouvelles puissances, membre permanent dun Conseil de Sécurité qui doit sélargir, elle veut à la fois assurer son progrès économique et social et maintenir son rang. Elle ny parviendra que par une gestion avisée et moderne, par un effort permanent de volonté, dimagination, de réforme et dadaptation.
Pour préserver ce rang et défendre au mieux ses intérêts, la France doit sengager. En affirmant une vision claire des objectifs à atteindre, la France entraîne. En proposant des solutions aux problèmes de notre temps, dans la fidélité à ses valeurs de liberté, de paix et de solidarité, la France convainc. Là réside une grande part de votre belle mission.
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, je vous remercie.