Déclaration de M. Eric Besson, secrétaire d'Etat chargé de la prospective, de l'évaluation des politiques publiques et de l'économie numérique, sur les défis à relever par l'"Internet du futur", les forces et les faiblesses des enjeux européens, la neutralité du réseau et la protection des libertés individuelles, Nice le 6 octobre 2008.

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Circonstance : Réunion ministérielle sur l'Internet du futur à Nice (Alpes-Maritimes) le 6 octobre 2008

Texte intégral

Madame la Commissaire, Mesdames et Messieurs les Ministres, chers collègues, Mesdames, Messieurs,
Je suis particulièrement heureux de vous accueillir ici à Nice pour cette réunion de travail consacrée au futur de l'Internet, et je me réjouis qu'autant de collègues ministres européens aient accepté d'y participer malgré un emploi du temps très chargé. Je remercie également Mme Reding d'être avec nous.
L'Internet et plus largement les technologies de l'information et de la communication constituent un secteur économique à part entière, qui jouit d'une vitalité particulièrement remarquable en cette période où l'activité économique de nos pays traverse des turbulences. Ces technologies constituent un puissant moteur d'innovation, de croissance et de productivité. Leur diffusion dans l'économie et dans la société constitue l'une des conditions de la performance économique, de l'amélioration du bien être social et du rayonnement culturel. Leurs évolutions vont donc façonner de manière déterminante l'avenir de nos économies et de nos sociétés. L'Europe doit jouer un rôle majeur dans l'ensemble de ces évolutions.
J'ai donc souhaité que la Présidence française nous permette de réaffirmer l'ambition européenne pour la société de l'information en mettant l'accent sur les questions issues des évolutions de l'Internet. C'est dans cet esprit que nous avons organisé cette conférence sur l'Internet du futur qui nourrira les conclusions qui seront débattues lors du Conseil Télécom de l'Union européenne du 27 novembre. Elle contribuera également à la préparation des travaux de la future présidence suédoise sur la stratégie communautaire après i2010.
Dans cette perspective, j'ai invité la Commissaire et les Ministres européens en charge de la société de l'information à participer à la première réunion ministérielle européenne sur les enjeux de l'Internet du futur. Bien sûr, toutes ces thématiques soulèvent des questions techniques et nécessitent des réflexions d'ordre technologique. Mais les enjeux sont d'abord et avant tout au coeur de nos sociétés, et les choix à opérer sont de nature politique. Il est donc légitime, sinon indispensable, que nous réfléchissions ensemble aux choix de l'Europe pour construire l'Internet de demain.
1. Evolutions d'Internet, vers l'Internet du futur : des défis à relever
Internet est devenu une infrastructure stratégique qui joue un rôle économique et sociétal majeur. Il transforme le quotidien de plus d'1,4 milliards d'individus dans le monde. Il révolutionne notre manière de communiquer, de nous informer, de nous cultiver, de nous divertir, de travailler, de consommer.
Depuis à peine 15 ans que son usage s'est répandu dans la société au-delà du seul domaine de la défense, Internet s'est profondément transformé. Il est passé d'un réseau de documents à un réseau de personnes et de services (web 2.0).
Les évolutions récentes sont cependant mineures au regard de celles qui sont annoncées pour les 10 à 20 prochaines années. Ainsi, il est indispensable que les choix technologiques qui seront faits soient compatibles avec les usages et les services que nous souhaitons développer à l'avenir en Europe. Si des débats existent pour savoir si les évolutions de l'Internet seront radicales ou non, il ne fait en tout cas aucun doute que des évolutions de fond vont se produire. J'en citerai deux pour ma part : celle de l'accès, et celle des objets.
D'une part, les évolutions de l'accès : Grâce au déploiement des technologies DSL, l'accès à Internet haut débit se déploie progressivement pour représenter plus des 2/3 des connexions Internet dans les pays de l'OCDE. Mais la prochaine étape, celle du très haut débit, se dessine déjà : avec des débits au moins 40 fois plus élevés que ceux actuellement disponibles, la fibre optique va entraîner une révolution dans les modes d'accès ainsi que dans les contenus et les services accessibles aux particuliers et aux entreprises. De nouveaux services à haute valeur ajoutée pourront se développer, notamment dans les secteurs de la santé et de l'éducation.
Parallèlement aux évolutions des accès terrestres, la montée en puissance de l'Internet mobile permettra de répondre aux demandes croissantes d'un accès ubiquitaire en tout lieu, à toute heure et sur n'importe quel terminal. Dans plusieurs pays européens, comme le Royaume-Uni, l'Italie, l'Espagne ou la France, l'accès mobile à l'Internet représente déjà plus de 10% des connexions à Internet, et le rythme de progression de ce mode d'accès - actuellement +33% / an - laisse entrevoir l'importance qu'il prendra rapidement.
La deuxième révolution sera celle des objets. Ainsi, après avoir connecté les ordinateurs, puis les personnes, Internet connectera des milliards d'objets équipés de puces à radio-fréquence (RFID). Les possibilités offertes en matière de développement de nouveaux services paraissent infinies. Ces services pourront se développer dans des domaines aussi divers que la logistique des entreprises, le suivi des patients dans le domaine médical, ou la maîtrise énergétique en offrant par exemple un meilleur contrôle des flux de trafic automobile. L'écosystème ainsi créé constituera un puissant levier pour stimuler la création de nouveaux emplois. Ces emplois reposeront sur une expertise culturelle et géographique locale. Ils seront donc beaucoup moins « délocalisables » que ne l'étaient jusqu'à présent les emplois des services sur Internet.
Grâce aux technologies liées à la RFID, l'Internet du futur se présente donc comme un puissant catalyseur d'innovation en particulier dans le domaine des processus industriels. L'un des principaux exemples de mise en oeuvre de l'Internet du futur est le réseau EPC qui permettra de suivre le mouvement de produits au sein d'entreprises partenaires. Ce réseau illustre la réalité de l'Internet des objets mais aussi certains risques liés à son architecture en raison de la gestion centralisée de ses infrastructures critiques (l'ONS). Afin de contribuer à promouvoir l'innovation au coeur de ces réseaux, l'un des enjeux sera bien de promouvoir les architectures ouvertes, qui limitent les risques de monopoles mondiaux ou la coexistence de systèmes propriétaires qui ne soient pas interopérables. A plus court terme, d'autres enjeux attendent l'Europe. En effet, le développement d'applications innovantes de l'Internet pourrait être ralenti ou menacé par l'épuisement annoncé des adresses Internet. L'un des enjeux pour tous les acteurs sera d'un part d'optimiser la gestion d'une ressource commune devenue rare et aussi de préparer la migration vers les nouveaux standards en particulier IPv6.
2. Des enjeux pour l'Europe, entre forces et faiblesses
Face à ces évolutions annoncées, l'Europe est à la croisée des chemins. Si elle ne manque pas d'atouts, certains obstacles devront être surmontés pour qu'elle occupe une place centrale dans les évolutions internationales de l'Internet.
En matière d'accès, l'Europe dispose de plusieurs atouts.
Le déploiement d'un Internet mobile à très haut débit sur la base des réseaux de téléphonie mobile est une opportunité majeure pour l'industrie européenne. La prédominance de notre industrie dans le GSM et l'UMTS ainsi que la force de son marché intérieur positionne idéalement l'Europe pour les prochaines évolutions de l'Internet mobile. Il faudra au préalable que l'Union européenne parvienne à se coordonner pour l'utilisation du dividende numérique et la sélection d'une norme commune pour le très haut débit.
Pour autant, l'Europe connaît un certain retard sur le Japon et la Corée du Sud en matière de déploiement du très haut débit fixe. Pour reprendre la formule récemment employée par la Commissaire Reding, l'Europe doit faire « sa révolution en matière de fibre », et elle en a les moyens avec 6 des 10 plus grands opérateurs télécom mondiaux et 3 des 10 premiers équipementiers.
C'est une nécessité, pour éviter que ne se creuse au sein de l'Europe une nouvelle fracture numérique, alors même que l'accès au haut débit est lui-même déjà inégalitaire entre les pays européens. L'Europe s'est dotée dès 2002 du concept juridique de service universel, qui ne couvre pour l'instant que l'accès « fonctionnel » à Internet. La réflexion sur l'accès universel au haut débit peut conduire à envisager l'extension du champ du service universel au haut débit. C'est le sens du débat que la Présidence française souhaite ouvrir.
En matière d'effort de recherche, là aussi l'Europe a commencé à s'organiser. Plusieurs Etats membres ont d'ores et déjà lancé des initiatives au plan national en la matière. Au niveau communautaire, c'est dans le cadre du 7ème programme cadre pour la recherche et le développement technologique (PCRDT) que le programme FIRE - Future Internet Research and Experimentation - a été lancé il y a quelques semaines à Paris. Il permettra de poursuivre les travaux sur l'Internet du futur en organisant des plateformes de tests européennes où seront validés les protocoles envisagés pour les futurs réseaux.
Mais nous devons aller plus loin si nous souhaitons placer l'Europe aux avant-postes de la recherche en la matière. Je veux ici souligner à cet égard l'importance de la déclaration de Bled, adoptée sous présidence slovène, dans laquelle plusieurs plateformes de recherche européenne s'engagent pour une plus grande coordination des efforts de recherche européens. Dans le même esprit, nous pourrions aussi regarder ensemble les démarches entreprises au Japon ou aux Etats-Unis, où de véritables « task forces » ont été mises en place pour organiser l'ensemble des efforts, principalement de recherche, entrepris au plan national. Ce type d'approche a été retenu en Finlande, et nous envisageons la possibilité d'une telle structure en France.
En matière industrielle, l'Europe dispose de groupes de taille mondiale dans le domaine des télécommunications, ou de l'électronique, ainsi que d'un tissu de PME innovantes qui ne demande qu'à grandir. L'effort de recherche, auquel les entreprises devront participer, garantira leur maîtrise des technologies de l'Internet du futur et trouvera un prolongement dans la commercialisation de produits et services. En exploitant les capacités de l'Internet du futur, de nouveaux secteurs (comme la distribution) participeront bientôt à l'élaboration des nouveaux services à valeur ajoutée pour les entreprises mais aussi pour les particuliers. L'Internet du futur sera aussi la clé de la compétitivité et de la création d'emplois pour l'économie européenne. L'Europe devra pour cela soutenir l'innovation au-delà de la R&D technologique et inciter au développement des usages les plus avancés, comme elle le fait à travers le réseau eBSN.
L'Europe doit aussi adopter avec célérité des normes correspondant aux nouveaux usages, pour que son économie profite pleinement d'un marché intérieur ouvert. Nous ne pouvons plus accepter d'être des mois, voire des années, en retard par rapport aux autres pionniers. Nous devrons réfléchir aux mécanismes qui permettront d'impliquer les organismes européens de normalisation dans la réflexion sur le futur de l'Internet, au côté de leurs partenaires internationaux.
Enfin, en matière de défense de valeurs et de protection des intérêts des citoyens et des consommateurs, l'Europe a su définir un modèle propre, qu'elle doit s'efforcer de faire valoir y compris dans le cadre des développements futurs de l'Internet.
Tout d'abord, la question de la neutralité de l'Internet est de plus en plus posée. Elle est cruciale pour l'avenir de l'Internet et pour l'avenir des innovations sociales et économiques qu'il permettra de créer. Ce débat n'a pas encore eu lieu en Europe. Il est nécessaire que l'Europe participe pleinement à l'élaboration des règles de l'Internet de demain. En encourageant la transparence des pratiques des opérateurs et en promouvant l'interopérabilité des technologies, l'Europe a les moyens de garantir qu'aucun opérateur ne s'arroge un droit de contrôle sur les contenus ou les services qu'il propose, au détriment de l'usager.
De même, le développement annoncé de l'Internet du futur fait naître de multiples interrogations légitimes, ayant trait à la vie privée des citoyens ainsi qu'à la confidentialité des données sensibles des entreprises. Là encore, l'Europe devra affirmer des positions claires sur la défense des libertés et sur la protection des citoyens. En élaborant un projet de recommandation relatif aux puces RFID, l'Union européenne a édicté un certain nombre de principes fondateurs du respect de la vie privée en la matière.
C'est dans cette double optique de neutralité du réseau et de protection des libertés individuelles que l'Union européenne devra contribuer à l'élaboration des principes de gouvernance de l'Internet du futur sur la scène internationale. A ce titre la gestion des infrastructures critiques de l'Internet du Futur constituera un enjeu majeur pour le développement de ce dernier.
3. Objectifs de la réunion
En prenant appui sur les forces et faiblesses actuelles de l'Union européenne que je viens d'évoquer, mon ambition est que cette réunion nous permette :
- de mieux identifier les sujets sur lesquels l'action publique est indispensable ;
- d'échanger sur nos pratiques nationales et d'en tirer des exemples de « bonnes pratiques » lorsque c'est approprié (il est certains domaines, par exemple le déploiement des réseaux très haut débit, où les approches varieront nécessairement d'un territoire à l'autre) ;
- de définir les domaines où davantage d'initiatives communes sont nécessaires, et de faire des propositions concrètes d'actions à envisager.
En conclusion, je rappellerai que le monde fait face à d'importants bouleversements annoncés : le vieillissement de la population, les risques environnementaux, la raréfaction de certaines matières premières, la mondialisation et la montée en puissance simultanée de zones régionales. La conférence ministérielle de Séoul sur le futur de l'économie de l'Internet a bien mis en évidence l'ensemble de ces défis en soulignant combien, l'Internet et les technologies de l'information constitueront un élément essentiel dans l'approche de ces grands enjeux de société. En travaillant en partenariat avec d'autres régions du monde et en apportant sa contribution à la définition, l'élaboration, l'organisation et la gouvernance de l'Internet du futur, l'Europe se donne à son tour les moyens de faire face aux défis sociétaux et économiques qui l'attendent.
Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 9 octobre 2008