Interview de M. Eric Besson, secrétaire d'Etat à la prospective, à l'évaluation des politiques publiques et au développement de l'économie numérique, à Europe 1 le 9 octobre 2008, sur la "révolution numérique", les services sur internet et les PME, le projet de loi sur l'audiovisuel et la crise financière.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach.- Bonjour, E. Besson.
 
Bonjour, J.-P. Elkabbach.
 
Quand la réalité change aussi vite, E. Besson, et à l'échelle planétaire, on doit avoir des cauchemars pour prévoir dans quel état nous serons dans 20 ans. Est-ce que vous savez ?
 
Pas de cauchemar, se préparer au rebond de l'économie mondiale, et ne pas louper les tournants de l'avenir. Le numérique, les nanotechnologies, les sciences du vivant, tout cela, ça se prépare aujourd'hui, parfois on a réussi des choses, le nucléaire civil, parfois on a loupé des virages. Je pense aux biotechnologies. Il faut se préparer...
 
Et là, on va le louper le virage ?
 
Ah non !
 
On a du retard.
 
Celui du numérique, on ne va pas le louper, je vous l'assure.
 
Lundi, le président de la République va présenter un plan, son Plan pour une République numérique. En pleine crise, est-ce que ce plan va apporter la moindre des solutions, aujourd'hui ?
 
Oui, je crois parce qu'il va parler de l'enchaînement vertueux que nous devons mettre en place pour le numérique. Ca veut dire qu'il nous faut des infrastructures. Vous savez en matière de numérique, le haut débit c'est les routes, le très haut débit ce sont des autoroutes. Et si vous voulez qu'il y ait des voitures qui circulent, des services qui soient offerts, il faut des infrastructures de qualité...
 
On est bon en...
 
On est bon, on peut être encore meilleur, d'autant qu'on a une chance historique. Vous savez, on va passer à la télévision numérique terrestre sur tout le territoire français, avant la fin de l'année 2011. Pour les Français, ça veut dire 18 chaînes gratuites, une meilleure qualité d'image. Et ça va libérer des fréquences en or, c'est-à-dire des fréquences...
 
Oui, on en parle tout à l'heure, parce qu'on est en plein dans la crise. Parce que la crise que nous vivons, c'est la crise des spéculateurs, des requins de la finance, qui a fini par se propager et gagner le monde entier. Personne et rien n'a semblé arrêter jusqu'ici la série de vagues, est-ce que vous croyez que les Etats vont commencer ou commencent à trouver les premiers remèdes ?
 
Ils ont déjà trouvé des premiers remèdes. Les Etats doivent d'abord agir sur l'économie réelle. Ils doivent empêcher la chute des banques, c'est ce qui est en train d'être fait là. Et la France est fer de lance, de ce point de vue-là. Dès Toulon, le président de la République a dit clairement : je n'accepterai aucune faillite, et je n'accepterai pas donc que les dépôts des épargnants, des Français soient mis en cause.
 
Et il a laissé entendre également, s'il le fallait le moment venu, il y aurait quelque chose qui ressemblerait à une relance de l'économie ?
 
Il peut y avoir une relance par l'investissement, mais le point clé, c'est la confiance des épargnants, dans le fait que leurs finances personnelles, leur épargne ne sera pas mise en cause. Et ça, c'est acté. La deuxième chose, c'est que le président de la République, l'Europe et bientôt maintenant le G8, sont en train de tirer les leçons de ce qui s'est passé en proposant ce que N. Sarkozy appelait « un nouveau Bretton Wood » autrement dit un nouveau système financier international. Les gouvernements font actuellement ce qu'il faut, les Banques Centrales se sont coordonnées, c'est la deuxième fois en huit ans, c'est très, très important. Maintenant, les marchés ont leur part d'irrationalité, vous le savez.
 
Vous avez noté que les citoyens européens, en tout cas, eux, ils gardent leur sang-froid, ils ne se sont pas précipités aux guichets pour retirer leurs avoirs. Heureusement, jusqu'ici la banque n'est pas la pompe à essence ?
 
C'est exactement ça, il n'y a pas de panique, et les Français, comme les Européens, ont compris que leurs épargnes n'étaient pas mises en cause, c'est fondamental.
 
Alors E. Besson, vous étiez à Evian, on l'a dit tout à l'heure, et vous avez assisté à l'échange Sarkozy-Medvedev. Il paraît qu'il était cordial, vif et rugueux. Est-ce que le numéro un russe est lui aussi inquiet de la contagion de la crise et de ses effets sur l'économie et l'avenir russe ?
 
Oui, il a dit très clairement qu'il soutenait l'initiative française d'organisation d'un G8 spécial sur ces questions. Et qu'il soutenait le fait qu'il y ait la définition de nouvelles règles du jeu, d'un système financier international. Pour le reste, vous avez bien résumé, le ton était très direct entre deux chefs d'Etat qui visiblement parlent directement et s'apprécient à la fois. Mais ça a quand même débouché sur des choses très concrètes : le respect de la parole qui avait été donné, sur le retrait des troupes russes de Géorgie et, deuxièmement, un accord pour relancer la coopération entre la Russie et l'Union européenne.
 
Il paraît que Medvedev a beaucoup tapé sur les Etats-Unis, et l'administration Bush ?
 
Oui, il a eu une phrase assez drôle, il l'a dit très pince-sans-rire et très rudement, mais elle était assez drôle, sur le fait que certains confondaient les époques, et qu'ils restaient expert en « soviétologie, » - pour reprendre son expression - alors qu'on était passé à l'ère de la Russie. Il disait : la « soviétologie » c'est la forme moderne de la paranoïa. C'était assez drôle dans sa bouche.
 
Mais la « Kreminologie » - Kremlinologie - reste d'actualité, hein E. Besson. Alors monsieur l'expert en prospective, vous nous promettez une France en bonne santé en 2025. Est-ce que la crise, ses effets, peut-être ses drames, ne vous obligent pas à corriger vos prévisions ?
 
Plus exactement, j'essaye avec les 350 personnes qui travaillent sur cet exercice de diagnostic « France 2025 » - j'indique d'ailleurs à vos auditeurs qu'ils peuvent participer sur le site france2025.fr à cet exercice - nous essayons de définir une voie pour que notre pays soit en 2025 à la fois compétitif et solidaire. Et vous avez raison, ça se prépare. Il faut aider les PME, il faut de l'innovation et de la recherche. Il faut, comme je le disais en début d'émission, ne pas louper le tournant majeur des nouvelles technologies. Tout ça est à notre portée.
 
Pardon, vous dites « il faut, il faut » et vous me regardez, c'est à vous ?
 
Je vous regarde parce que vous m'interrogez, mais...
 
Non, mais c'est à vous de faire, d'agir pour les PME, pour aider, pour penser à l'avenir ?
 
Nous le faisons, le crédit impôt recherche, ça relève de ça. Ce que fait V. Pécresse, en réformant l'université et en rapprochant les universités de la recherche, c'est ce que font les pays qui réussissent bien.
 
Et en attendant, E. Besson, est-ce que vous êtes prêt à répondre équitablement aux effets sociaux que va entraîner la crise ?
 
C'est déjà fait par anticipation. Le RSA a été voté hier, c'est l'une des plus belles réponses que l'on puisse faire à un monde où la précarité peut s'accentuer.
 
Mais elle est insuffisante.
 
Pardon !
 
Elle est insuffisante.
 
Elle est insuffisante parce qu'après, ce qu'il faut le plus, c'est aller vers le plein emploi, et aller vers ce que les grandes sociales démocraties européennes ont bien réussi, c'est-à-dire ce monde dit de « flex-sécurité. »
 
Alors avec N. Sarkozy, vous voulez placer tous les Français au régime numérique. Les PME, les particuliers, l'administration au tout numérique ou numérique de très haut débit.
 
Nous vivons déjà à l'ère du numérique. Vos auditeurs, s'ils loupent une émission ou s'ils veulent regarder vos programmes, peuvent aller sur votre site, ils sont déjà dans le numérique. Votre téléphone portable est probablement un téléphone portable 3G. Ce qui va changer, c'est que vous allez être dans un monde ubiquitaire, comme on dit. Ca veut dire qu'avec votre terminal, vous allez vouloir accéder à l'Internet mobile, partout à tout moment, comme vous le souhaitez. Ca, ça va être une évolution très importante et il faut de bons réseaux pour ça. Des réseaux de haut débit et des réseaux de très haut débit, c'est-à-dire qui transmettent des données rapidement. Il va y avoir d'autres évolutions, vous allez devenir plus exigeant, vous allez vouloir que votre télévision soit de haute définition. Vous allez vouloir commencer à regarder une émission chez vous, et puis dans un taxi ou dans un transport en commun, vous allez vouloir regarder la suite du programme sur un récepteur, c'est la télévision mobile personnelle. Et puis il y a la préparation de ce qu'on appelle l'Internet du futur, les spécialistes disent : le Web 3.0. Ca veut dire quoi ? Que les objets vont être connectés entre eux ; vous, à partir de votre portable, par un SMS ou ici à votre bureau à Europe 1, sur Internet, vous allez donner des ordres à votre maison. Vous allez augmenter ou baisser votre chauffage, vous allez vous faire couler un bain, parce que vous allez arriver, vous allez ouvrir la porte de votre...
 
Vous en savez des choses !
 
Si vous avez des enfants, vous allez bientôt pouvoir surveiller à partir de votre écran d'ordinateur ce qui se passe à votre domicile.
 
Vous avez dit tout à l'heure que des fréquences allaient être libérées. Comment elles seront réparties, entre l'audiovisuel, les télécoms et l'aménagement du territoire ?
 
 Ça c'est ce que le président de la République va décider et annoncer lundi matin. Il va le faire en tenant compte du fait, qu'effectivement, on a besoin de plus de fréquences pour la télévision, pour ses nouveaux services.
 
Alors comment vous répartissez ?
 
Ca, c'est lui qui l'annoncera lundi matin.
 
Mais vous ne le savez pas ! ?
 
J'ai une petite idée, mais la tradition c'est que quand le président de la République annonce quelque chose et s'exprime, on ne le fait pas avant lui.
 
Est-ce que l'Etat va vendre les fréquences ? J'ai lu que l'Etat pourrait obtenir de ces ventes près de 2 milliards d'euros. C'est vrai ?
 
Vous lisez bien la presse spécialisée, c'est vrai que ces fréquences dites en or, ont une valeur importante. Là, vous vous situez probablement dans le haut de la fourchette, mais pour vous répondre sans langue de bois, oui, ça peut être entre 1 milliard, 1 milliard et demi, peut-être plus.
 
Qu'est-ce que vous en ferez ?
 
Ça c'est le Président que le décidera. Mais on connaît ses priorités. Il a dit - et c'est ce que me donne ma lettre de mission, signé par le Premier ministre - ils disent très clairement : il faut non seulement préparer les réseaux et les services de l'avenir, je viens de l'évoquer. Mais il faut que le numérique soit le numérique pour tous. D'un mot excusez-moi, le « pour tous » ça veut dire tous les territoires, partout en France et tous les Français. Nous avons un problème spécifique : les PME et les TPE n'utilisent pas assez Internet en France, c'est un retard ; et deuxièmement, nos enfants n'utilisent et notamment dans les écoles n'utilisent pas assez Internet. Dans les comparaisons internationales, nous sommes en retard.
 
Donc on voit tout le champ d'actions possibles de cette révolution numérique, elle va obliger à changer la nature de milliers et de milliers d'emplois. Elle va en tuer, est-ce qu'au moins, elle va en créer ?
 
Elle ne va pas en tuer, elle va en créer. Tous les pays qui aujourd'hui sont plus avancés que nous en matière de numérique, je pense au Danemark, à la Finlande, à la Corée du Sud, je pourrais en citer d'autres, ont au contraire créé beaucoup d'emplois. Et j'ajoute des emplois peu délocalisables, ça veut dire que les réseaux ou les nouveaux services d'Internet, ce qu'on appelle les services liés à la géolocalisation... je peux vous dire d'un mot ce que c'est la géolocalisation ? Vous, vous baladez dans ce quartier....
 
Et je suis surveillé.
 
Vous voulez manger une pizza, sur votre portable, instantanément, vous savez, où vous pouvez aller manger une pizza.
 
Les équipes d'Orange, dans la Silicon Valley travaillaient là-dessus et avec beaucoup de succès. La couleur la plus répandue, c'est ma dernière question E. Besson, c'est le gris souris ou le noir. Est-ce que pour nous redonner confiance, vous ne cherchez pas avec tous vos projets à nous enfumer, comme dit F. Chérèque ou en tout cas nous endormir ?
 
Non, je ne crois pas. Je crois qu'Internet est un instrument d'émancipation. Émancipation collective, développement des peuples, émancipation individuelle. Que vous soyez riche ou pauvre, vous pouvez avoir par Internet accès au meilleur de la culture, au meilleur de l'information, au meilleur du divertissement. C'est un monde libéral et solidaire qui est en train de se dessiner grâce à Internet. C'est celui que je soutiens.
 
Merci, d'être venu, E. Besson.
 
Merci à vous.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 10 octobre 2008