Déclaration de M. François Fillon, Premier ministre, sur les politiques communes et les propositions de l'Union européenne en réponse à la crise financière internationale, en vue du sommet de Washington, au Sénat le 3 novembre 2008.

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Circonstance : Réunion de la 40e COSAC (Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires) au Sénat, Paris le 3 novembre 2008

Texte intégral

Monsieur le président du Sénat,
Monsieur le président de l'Assemblée nationale,
Mesdames et messieurs les parlementaires,
Je veux vous dire d'abord que c'est un grand honneur pour la Présidence française de recevoir dans cette enceinte prestigieuse du Sénat les représentants des parlements nationaux des 27 Etats membres et du Parlement européen.
Les parlements nationaux constituent un élément vital de la construction européenne.
Ils sont les garants de la démocratie et des droits des citoyens européens.
Ils sont les interprètes de nos identités nationales. Ces identités doivent être respectées parce que l'Europe ne peut pas ignorer l'âme des nations. Mais ces identités doivent aussi être transcendées parce que nos nations déclineraient si elles en venaient à ignorer l'Europe.
J'ai toujours milité pour ce que je qualifie de "patriotisme éclairé", hissé au niveau européen parce que devant les grands défis que nous lance la mondialisation, notre union doit être portée par une passion partagée, autant que par la raison.
L'association des parlements au processus européen de décision a été un long combat, un long combat que la COSAC incarne plus que tout autre.
Un combat où se sont opposées deux thèses : celle de l'Europe fédérale et celle de l'Europe des nations. Aujourd'hui, nous savons bien que la réponse se situe dans l'articulation de ces deux visions, cette articulation à laquelle vous avez tellement contribué. Du traité de Maastricht au traité de Lisbonne, que de chemin avons-nous parcouru !
Le nouveau traité reconnaît désormais aux parlements nationaux un véritable pouvoir de contrôle de l'application du principe de subsidiarité pour tout projet européen d'acte législatif. C'est la reconnaissance du lien vital entre les institutions européennes et les assemblées élues des Etats membres.
Encore faut-il pour cela que le traité de Lisbonne soit ratifié par tous !
Au cours des derniers mois, l'Union européenne a été confrontée à plusieurs crises. Devant chacune d'entre elles, la Présidence française a proposé des solutions, a obtenu des décisions, démontrant ainsi, s'il en était nécessaire, que l'Europe est d'abord l'expression d'une volonté politique.
Mais il ne fait cependant aucun doute que notre système institutionnel reste mal adapté à des défis aussi graves.
Et au regard des épreuves que nous venons de traverser ou que nous traversons, je crois qu'il y a des leçons à tirer :
D'abord, il me semble qu'il est urgent de renforcer l'organisation du Conseil européen, qui a été ces dernières semaines le lieu essentiel des décisions les plus lourdes et les plus urgentes ;
il faut renforcer notre gouvernance en matière de politique étrangère, et en particulier la coordination entre l'action communautaire et celle des Etats membres ;
il faut améliorer le mode de prise de décision au Conseil, étendre le champ de la codécision avec le Parlement européen, et renforcer notablement l'implication des parlements nationaux dans le processus européen de décision.
Tout ceci, le traité de Lisbonne permet de le faire ; il est donc nécessaire de le mettre en oeuvre.
Avec Bernard Kouchner et Jean-Pierre Jouyet, la Présidence française travaille pour adopter, au Conseil européen de décembre, une feuille de route détaillée pour que tous les Etats membres puissent enfin, à leur rythme, ratifier ce nouveau traité.
Je ne sous-estime pas les difficultés politiques, et en particulier en Irlande. Comment le pourrai-je en tant que chef du Gouvernement d'un Etat membre qui, lui-même, a dit "non" en 2005 ?
Je sais que trouver la solution ne sera pas facile, mais je sais aussi que ne pas la trouver est tout simplement impossible.
Lorsque la guerre éclate sur notre continent, lorsque les institutions financières sont en crise profonde, lorsque la croissance économique ralentit partout, lorsque le réchauffement climatique met en péril les équilibres naturels, il est impératif que l'Europe réponde d'une seule voix et avec force.
Si l'Union européenne ne devait pas être à la hauteur de ces évènements, alors quand le serait-elle ?
Si elle se limitait au rôle de spectateur, alors comment convaincre nos concitoyens de la légitimité de la construction européenne ?
Si nos 27 nations ont décidé d'unir leur destin, ce n'est pas pour regarder le monde se faire, c'est pour agir !
Ensemble, nous avons stoppé le conflit dans le Caucase ; nous avons obtenu un premier retrait des forces russes ; nous avons relancé les négociations internationales sur l'avenir de la région. Je crois que l'on peut dire qu'ils étaient peu nombreux, ceux qui auraient parié un euro sur une telle possibilité au début du mois d'août ! Et pourtant, c'est bien l'Europe qui a obtenu les conditions du cessez-le-feu, c'est bien l'Europe qui a négocié puis qui a surveillé la mise en oeuvre des accords qui ont permis le retrait partiel des troupes russes.
Ensemble, dans la foulée du sommet historique de l'Eurogroupe du 12 octobre, nous avons arrêté les mesures pour rétablir la confiance des citoyens européens dans leur système financier, qui était au bord de l'écroulement.
Certes, la crise financière n'a pas pris son origine sur notre territoire mais aux Etats-Unis, mais c'est bien l'Europe qui y a répondu de façon efficace, influençant ensuite le reste du monde, y compris d'ailleurs les Etats-Unis.
Ensemble, nous sommes en train de définir une position européenne commune pour le sommet de Washington du 15 novembre prochain, dont l'ambition est de définir les bases d'une nouvelle architecture financière internationale.
Ce sommet, je veux rappeler que c'est d'abord l'Europe qui l'a d'abord voulu.
C'est l'Europe qui souhaite, depuis des années, plus de régulation, plus de transparence dans le système financier international. Plus de moyens d'action pour le Fonds monétaire international. Plus d'équité, plus de moralité dans le système économique mondial. Vous allez me dire : vaste sujet dont il sera difficile de faire le tour en un sommet ! C'est vrai, mais si ce sujet n'est pas porté et s'il n'est pas tranché par nous-mêmes maintenant, il sera porté et dévoyé par d'autres demain. Et alors, ce sera l'Europe qui sera discréditée et ce sera la mondialisation qui sera rejetée par nos concitoyens.
Enfin, c'est aussi ensemble que nous devons répondre à la crise économique, qui, maintenant, atteint durement notre continent.
L'Union européenne ne peut pas rester sans réagir. Que proposons-nous ?
Une intervention beaucoup plus ambitieuse de la Banque européenne d'investissement, une coordination beaucoup plus étroite des politiques nationales, une meilleure prise en compte des circonstances exceptionnelles actuelles dans l'application de certaines règles européennes, et en particulier du Pacte de stabilité.
Le président de la République française a évoqué plusieurs pistes supplémentaires, qui sont sur la table du débat : celui d'une coordination européenne face aux risques qui pourraient être causés par certains fonds souverains non-européens - est-ce que nous pouvons accepter, au moment où beaucoup d'entreprises européennes, du fait de la crise financière, ont vu leur valeur diminuer par deux ou par trois, que des fonds souverains viennent tout d'un coup se saisir de la propriété de ces entreprises ? Est-ce que c'est une question que nous pouvons, au nom de la liberté des échanges, laisser complètement de côté ? Nous avons le devoir d'y réfléchir ensemble. Nous avons proposé aussi celle d'une réponse européenne pour maintenir la compétitivité de nos industries stratégiques, et peut-être que l'urgence la plus absolue concerne l'industrie automobile européenne au moment même où les Etats-Unis viennent de décider d'un plan massif de 25 milliards de dollars d'aide à l'industrie automobile américaine.
Je veux, devant vous, tirer les leçons de ces quatre mois de Présidence française. Je pense d'abord qu'on peut dire que, en période de crise, l'Europe a beaucoup plus de moyens d'action qu'elle ne le croit, et elle a beaucoup plus de forces qu'elle ne le pense.
Ce qui lui a manqué par le passé, ce fut trop souvent la volonté politique d'agir. Et ce fut aussi ce doute étouffant sur ses capacités à peser sur le cours des évènements.
Eh bien, c'est cette volonté et cette confiance en nous mêmes que nos concitoyens nous réclament. Et cette attente populaire, nous n'avons pas le droit de la décevoir !
Nous ne devons pas décevoir sur la crise financière et économique, mais nous ne devons pas décevoir non plus sur les autres grands sujets qui sont sur la table des débats européens.
D'abord, la lutte contre le réchauffement climatique.
L'Europe doit impérativement arriver à un accord à la fin de cette année car si elle n'y arrive pas, elle n'a aucune chance de peser sur la conférence de Copenhague et donc sur un accord mondial sur le climat. Et si l'Europe ne montre pas le chemin sur un accord mondial sur le climat, personne d'autre ne le montrera à sa place, en tout cas pas avec le niveau d'exigence qui est le nôtre. Si l'Europe n'est pas au rendez-vous, il n'y a aucune chance que la communauté internationale le soit. Et si elle n'est pas au rendez-vous, alors il faudra rendre des comptes aux prochaines générations ! Bien entendu, la crise économique ne favorise pas un accord entre les 27 Etats membres.
Mais le Conseil européen des 15 et 16 octobre a pris, je crois, les bonnes décisions.
Il a d'abord confirmé, même si c'est difficile, les objectifs ambitieux en matière de réduction de CO2 et d'énergies renouvelables ; il a confirmé le calendrier, c'est-à-dire la nécessité d'arriver à un accord avant la fin de l'année.
En vue du Conseil européen de décembre, il faut maintenant intensifier les consultations, ce que nous sommes en train de faire, avec l'aide de la Commission et en association étroite avec le Parlement européen, qui est co-décideur en la matière.
Dans les semaines qui viennent, nous trouverons, je l'espère, je le crois, les solutions qui répondent aux inquiétudes légitimes de l'industrie européenne mais aussi à celles des Etats membres qui, en raison de leur situation historique, ont besoin de mesures d'accompagnement et de soutien. Et nous le ferons sans renoncer à l'ambition des propositions de la Commission.
Il existe un lien direct entre la lutte contre le réchauffement climatique et la sécurité énergétique. Je sais que vous partagez cette préoccupation, et je serai très attentif aux résultats de vos travaux dans ce domaine.
Le Conseil européen des 15 et 16 octobre a décidé d'orientations importantes dans ce domaine : plus d'efficacité énergétique, plus de diversification des sources d'énergie, la création de mécanismes de crise, un plan d'action pour accélérer les interconnexions dans la région baltique, dont on sait combien elle en a besoin... Tous ces sujets sont vitaux pour l'Europe, qui n'a que trop tardé à prendre les décisions qui s'imposent.
Ensuite, il y a le dossier de l'immigration.
Le Conseil européen des 15 et 16 octobre a formellement approuvé le Pacte européen sur l'immigration et l'asile. C'est un résultat majeur, pour un défi qui est un défi majeur !
Un défi qui vous concerne directement, puisque l'un des grands objectifs du Pacte, c'est de faire avancer dans la même direction l'Union européenne et les Etats membres, qui conservent de réelles compétences en la matière.
Et puis, il y la politique agricole.
La politique agricole commune est confrontée à trois défis majeurs : le défi alimentaire, le défi environnemental et le défi des territoires.
L'objectif de la Présidence française est de conclure, avant la fin de cette année, le « bilan de santé de la "politique agricole commune", c'est-à-dire au fond l'adaptation de la politique agricole commune dans le respect des principes qui ont été décidés et des budgets qui ont été votés à la réalité de la situation économique, environnementale, de notre agriculture. Nous souhaitons aussi qu'au-delà de l'adoption de ce bilan de santé de la politique agricole commune, les ministres de l'Agriculture puissent réfléchir ensemble, librement, et suffisamment en amont par rapport aux décisions qui doivent être prises en 2013, aux orientations de la politique agricole commune du futur, parce qu'il faut en finir avec ces politiques agricoles décidées dans l'urgence, la nuit, après des débats qui n'en finissent pas, et où les décisions sont prises dans des conditions qui ne sont pas des conditions dignes du fonctionnement d'un grand ensemble économique comme l'est l'Union européenne.
Enfin, il y a la politique européenne de défense. Dans un monde qui reste, et on l'a vu, oh combien ces derniers mois, instable et dangereux, l'Europe ne peut pas, d'un côté, vouloir être un grand acteur politique, et puis, de l'autre côté, rester un nain sur le plan de la sécurité, de la défense et des forces militaires. Il nous faut des moyens civils et militaires. Or, ces moyens, nous en manquons.
Globalement, vous le savez, nos Etats dépensent l'équivalent de 40% du budget militaire américain. Est-ce que, pour autant, nous avons 40% des capacités américaines en matière de défense ? Vous savez que nous en sommes très très loin.
Il faut mieux dépenser, il faut mieux programmer, il faut mieux se coordonner, il faut mieux produire ensemble, il faut mieux s'organiser. C'est tout le sens de l'initiative que la Présidence française a prise sur la question des capacités de défense. Et sur ce sujet, je crois maintenant que tous les Etats membres ont bien compris nos intentions, qui sont pragmatiques, et nous voyons aujourd'hui que l'ensemble des Etats membres travaille de concert pour essayer d'obtenir, à la fin de l'année, un résultat, qui soit digne des responsabilités de l'Union européenne en matière de sécurité et de défense.
On ne peut plus continuer, comme c'est le cas aujourd'hui. Chaque fois que notre intervention est nécessaire, en général pour concourir au maintien de la paix, à chercher en catastrophe ; dans des conditions de bricolage invraisemblable, comment constituer une force dans l'urgence.
Il faut que nous soyons capables de mettre en oeuvre une stratégie commune, que nous ayons des procédures communes, que nous ayons des engagements en matière de mise en oeuvre de forces.
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Dans cette période de crise, je crois que jamais l'Europe n'a paru aussi indispensable et aussi évidente. Malgré le scepticisme des experts, malgré le doute des analystes, l'Europe a tenu le choc. Elle s'est rassemblée, elle s'est mobilisée pour trouver des solutions.
Cette Europe volontariste, elle ne peut reposer que sur des Etats qui, eux mêmes, sont engagés.
Il n'y a pas d'Europe forte qui puisse être fondée sur des nations faibles, comme il ne peut pas y avoir de nations puissantes reposant sur une Europe impuissante. Le destin des uns et des autres est désormais définitivement lié.
Dans cet esprit, les parlements nationaux ont un rôle essentiel à jouer. C'est dans leur enceinte que se dessine une bonne part de l'idéal européen.
Si le Parlement européen incarne la démocratie européenne, les parlements nationaux ont, eux, la charge de bâtir cette si nécessaire convergence entre les intérêts nationaux et les intérêts européens. C'est une haute et délicate responsabilité qui vous place en réalité en première ligne devant les peuples européens.
L'Europe est certes compliquée, elle n'est pas parfaite, mais elle demeure, plus que jamais, l'une des plus audacieuses entreprises politiques de tous les temps ! Malgré tous les obstacles, l'Europe fait la démonstration qu'elle fonctionne, qu'elle avance, qu'elle peut surprendre, qu'elle fascine une bonne partie du monde qui n'osait plus croire à notre "vieux Continent". Eh bien, si nous le voulons, le XXIe siècle peut être européen ! Nous en avons les moyens économiques, nous en avons les moyens culturels, nous en avons les moyens technologiques, scientifiques.
C'est une affaire de conviction et de volonté.
Voilà, Mesdames et Messieurs, le message volontariste et confiant que la Présidence française vous encourage à partager et à relayer partout où votre voix est entendue et respectée.
Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 4 novembre 2008