Intervention de M. Michel Barnier, ministre de l'agriculture et de la pêche, sur le poids de la filière coopérative dans le tissu industriel français, la présentation du plan d'urgence pour l'agriculture et la nécessité d'une régulation, Paris le 13 novembre 2008.

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Circonstance : 1er Congrès de COOP de France à Paris le 13 novembre 2008

Texte intégral

Monsieur le Président, cher Philippe,
Messieurs les Présidents,
Mesdames, Messieurs
Merci, Philippe MANGIN de me donner l'occasion de m'exprimer une nouvelle fois devant des entreprises d'un secteur stratégique pour notre économie. Des entreprises qui représentent 40% de l'agroalimentaire français.
Il y un an,
- je vous disais que vous étiez au coeur des défis de nos sociétés: le défi alimentaire, le défi de la croissance, le défi du développement durable, le défi de la cohésion territoriale,
- je vous présentais ma vision sur notre agriculture en pleine discussion sur le Grenelle de l'environnement et mes objectifs sur la politique agricole commune,
Aujourd'hui, où en sommes-nous ?
- tout d'abord, le secteur agroalimentaire, pilier de notre économie réelle, est, en pleine crise financière, essentiel à la croissance et à l'emploi dans notre pays. Votre statut coopératif vous donne des atouts. Vous êtes au coeur de ma stratégie. Ce sera le premier point de mon propos.
- deuxièmement, nous sommes à une semaine d'un accord sur le bilan de santé, dans un contexte où la régulation, pierre angulaire de notre politique agricole commune est revenue sur la scène internationale. Ce sera le deuxième point de mon intervention.
- enfin, les conditions d'exercice de vos activités ont été marquées par le vote de la loi de modernisation de l'économie et le Grenelle de l'environnement. Je connais vos interrogations, vous avez eu l'occasion de me les exprimer. Ce sera le dernier point de mon propos.
Et je n'oublie pas qu'il y a un an, vous bâtissiez votre maison commune. Aujourd'hui, elle est terminée. Elle a belle allure. Elle vous doit beaucoup, monsieur le Président, je sais la détermination qui a été la vôtre. Rendez-vous pour la pendaison de crémaillère.
Dans tous les débats, vous avez été des acteurs majeurs. Je voulais témoigner de la qualité de nos échanges, Monsieur le Président. Avec René BUISSON, nous avons pris l'habitude de nous retrouver régulièrement pour aborder les questions propres au secteur agroalimentaire. Ces rencontres n'existaient pas. J'avais pris devant vous, il y a un an, l'engagement de les mettre en place. Et c'est cette concertation étroite qui nous a permis, ensemble, d'être réactifs dans un contexte de crise.
Premier point de mon intervention : vos entreprises sont au coeur de ma stratégie
- avec 80 milliards de chiffre d'affaires, vous créez de la valeur,
- avec plus de 3000 entreprises, sans parler des CUMA et de vos filiales vous êtes l'ossature de notre tissu industriel et vous localisez les bassins de production agricoles,
- avec vos 150 000 salariés, vous êtes un vivier d'emplois dans nos territoires.
Dans la tourmente financière, cette économie réelle, nous devons la consolider. C'est le sens de la communication que j'ai faite en Conseil des Ministres le 29 octobre dernier sur les IAA.
Mon ambition : que les entreprises de ce secteur, vos entreprises, ne soient pas les oubliées du plan de soutien au financement des PME. Au total, ce sont 200 millions d'euros de moyens budgétaires et 1 milliard d'euros en garantie de financement qui bénéficieront aux IAA. Et nous allons, ensemble, suivre de près sa mise en oeuvre.
C'est avec le même objectif que nous sommes, avec vous, très proactifs dans la réflexion que la Commission a ouverte en juin dernier sur la compétitivité des IAA européennes. Le plan prévu pour le printemps prochain devrait nous permettre d'amplifier nos moyens d'action.
Le plan d'urgence pour l'agriculture, doté de plus de 250 millions d'euros, que j'ai présenté hier participe de cette même démarche : consolider notre économie réelle. Son objectif : permettre aux entreprises agricoles, dans une période difficile, et je pense notamment à l'élevage de ne pas décapitaliser.
- 50 millions d'euros viendront renflouer la trésorerie exsangue des éleveurs ovins,
- nous avons triplé les moyens pour prendre en charge les cotisations sociales des entreprises en difficulté grâce au concours de la Mutualité sociale agricole. Nous apportons chacun 15 millions d'euros,
- 60 millions d'euros viendront alléger les charges financières des entreprises. Avec le concours des banques, c'est près de 90 millions d'euros qui seront dans les départements pour permettre aux entreprises de faire face à leurs échéances.
L'agriculture française a investi, s'est modernisée. Elle doit continuer, les moyens que je vais dégager pour changer le modèle énergétique de notre agriculture s'inscrit dans le défi de la compétitivité. Nous n'avons pas le choix. Nous devons investir : c'est une obligation.
Notre agriculture est le socle de l'activité économique dans un grand nombre de nos territoires. La soutenir, c'est investir pour l'avenir. Les banques et la Mutualité Sociale agricole l'ont compris en accompagnant l'effort de l'Etat.
Je vous ai bien entendu, Monsieur le Président, sur le régime fiscal de vos entreprises. Je vous redis ce que je vous disais, il y a un an. Ce sont les contraintes spécifiques applicables aux seules coopératives qui ont justifié et justifient un régime fiscal dérogatoire. Je n'ai aucun état d'âme sur ce sujet.
Je continuerai à y apporter mon soutien le plus déterminé La France s'est, d'ailleurs, portée partie prenante sur le dossier italien, examiné par la Cour de justice des communautés européennes et nous serons prochainement entendus.
Nos nombreuses interventions semblent produire leurs effets. Et la Commission semble infléchir sa position. Restons, vous et nous, vigilants.
Mais, le Ministre de l'agriculture ne décide pas de votre performance. Votre performance, c'est vous. C'est le résultat de vos stratégies, des compétences de vos équipes. Chacun sait que les marchés bougent très vite. Et vous savez que la recherche de la taille critique, les stratégies d'alliance, de rachat d'entreprises et d'économie d'échelle sont essentielles pour vos entreprises. Les réflexions que vous conduisez sous la houlette du Haut Conseil de la Coopération sont à cet égard exemplaires. Et Philippe VASSEUR en témoignera tout à l'heure.
Et puis, Monsieur le Président, vous me l'avez dit hier : il faut créer de la valeur ajoutée. Aujourd'hui, vous me faites une offre : travailler ensemble sur une politique de l'engraissement. Oui, à une condition : que les entreprises s'engagent, que les éleveurs s'engagent. Sinon, ce sera un plan de plus.
Deuxième point de mon propos : notre agriculture a besoin de régulation.
Vos entreprises, notre économie, notre monde ont besoin de régulation. C'est ma conviction. Je l'ai depuis longtemps bien avant que le terme soit à la mode.
Mes responsabilités aujourd'hui en tant que Ministre de l'agriculture n'ont fait que la conforter.
Et je viens de l'écrire, vous y avez fait allusion, Monsieur le Président.
Cette régulation, ce fut le fil rouge de mes priorités pour le bilan de santé de la PAC. Le coeur du débat est là. La France n'est pas la seule à le dire en Europe et les institutions internationales le reconnaissent. L'agriculture a besoin de régulation :
- de régulation, pour faire face aux à-coups des marchés,
- de régulation, pour compenser les surcoûts que nos exigences collectives imposent à nos agriculteurs en Europe,
- de régulation, pour éviter la concentration des productions dans les zones les plus compétitives et l'abandon des territoires les plus fragiles,
- de régulation, pour enclencher le développement des agricultures dans les pays pauvres. Erik ORSENNA vous le dira sûrement tout à l'heure.
Qui pourrait soutenir que l'alimentation, besoin vital de chaque être humain, peut être laissée, sans filet de sécurité, sans garde fou, sans gouvernance, à la main invisible du marché ? C'est au contraire à la main visible de l'Europe qu'il faut en appeler et à une gouvernance mondiale nouvelle pour notre agriculture. Je partage sans réserve vos propos.
Cette incapacité des marchés à gouverner seuls l'agriculture nous a amenés à marteler 3 priorités :
- défendre, sans état d'âme, la préférence européenne, notre préférence collective pour notre modèle alimentaire et pour notre modèle de développement territorial. Ce furent les discussions de cet été à Genève. Notre position n'a pas changé, malgré les velléités de certains de profiter du prochain rendez-vous à WASHINGTON
- préserver les mécanismes de stabilisation des marchés. Il n'y a pas de fatalité à tous les démanteler. Et il y a, au contraire, de la raison à les conserver dans un contexte d'extrême volatilité des prix,
- troisième priorité, mettre nos soutiens en phase avec les évolutions des marchés, avec la montée des risques et avec l'impératif d'un développement durable.
Nous avons avancé depuis la communication de la Commission, il y a un an, sur le bilan de santé de la PAC. Si je vous ai bien compris, pas suffisamment.
Mais, rappelez-vous: c'est d'un côté, le découplage total et de l'autre la transformation de la PAC en développement rural qui nous étaient proposés. Nous sommes, aujourd'hui, dans la dernière ligne droite.
Depuis septembre, les discussions s'intensifient entre la Présidence, la Commission, les Etats-membres et avec le Parlement européen. Nous allons, si tout se passe bien conclure le 19 novembre, plus vraisemblablement le 20. Le Parlement européen se sera exprimé le matin même du 19.
Il reste des points durs en discussion. Ils ne vous surprendront pas :
- le niveau et les modalités de la modulation. Je vous ai bien entendu « nous allons modérer la modulation »,
- les mécanismes d'intervention, notamment en céréales et pour les produits laitiers,
- les conditions de sortie des quotas laitiers.
Je n'oublie pas le tabac, que vous avez cité, monsieur le Président. La Grèce, l'Italie nous rejoignent pour faire bouger les lignes, mais la position de la Commission reste très ferme : ce sujet n'est pas à l'ordre du jour.
Mais nous avons, aussi, engrangé des avancées : le maintien des aides couplées dans les secteurs tels que les fourrages séchés, le lin, les protéagineux ..., la couverture des risques climatiques et sanitaires dans le premier pilier, des souplesses pour utiliser les mécanismes de réorientation.
Je suis raisonnablement optimiste: nous aurons la semaine prochaine une boîte à outils. Elle nous permettra de mettre en oeuvre nos priorités : une politique agricole préventive, équitable et durable. Il nous restera à prendre les décisions. Ces décisions sont simples, elles nous appartiennent collectivement. Comment mieux répartir les quelques 8 milliards d'euros d'aides directes que reçoit la ferme France ?
L'autre chantier que la présidence française a ouvert à Annecy en septembre dans le cadre du Conseil informel, c'est la PAC de l'après 2013. Le débat a été riche, même s'il a surpris. Aucun Etat-membre ne l'a esquivé. Ce qui nous a rapprochés, ce sont les défis que doit relever notre agriculture dans un monde incertain.
Pour notre continent, c'est notre alimentation, notre mode de développement territorialisé, notre environnement. Mais il ne faut pas être naïf : nous ne sommes pas d'accord sur tout.
Mon objectif, lors d'un Conseil supplémentaire que j'ai fixé au 28 novembre prochain, c'est de parvenir à des conclusions partagées. Mais elles devront être adoptées à l'unanimité...Nous y travaillons.
Dernier point de mon intervention : vos craintes pour la compétitivité de vos entreprises.
J'ai bien entendu votre analyse. Si je la résume : d'un côté les acheteurs font pression sur vos prix et de l'autre, les consommateurs-citoyens par leurs exigences sur les modes de production agricoles grèvent vos coûts.
Je connais vos inquiétudes pour les négociations commerciales dans lesquelles vous êtes engagé. Elles démarrent dans un contexte nouveau avec la loi de modernisation.de l'économie. Ma préoccupation n'a pas changé: la baisse des prix au consommateur ne peut être un dogme. Elle ne doit pas conduire à détruire de la richesse, des emplois et donc du pouvoir d'achat. J'ai annoncé, hier, dans le cadre de la conférence sur la situation de l'agriculture que nous allions faire fonctionner l'observatoire des prix et des marges. Je n'ai pas peur de la transpatrence.J'ai proposé, et Luc CHATEL l'a accepté, que nous mettions en place un comité de pilotage de cet observatoire qui existe. Il sera copiloté par nos deux ministères. Avec vous, les distributeurs, les consommateurs, les agriculteurs nous allons décider de son contenu, de la publicité de ses résultats. Mon objectif est que cet observatoire ne se limite pas à observer. J'ai donc demandé que la Commission d'examen des pratiques commerciales soit destinataire de ses travaux.
J'ai également entendu vos craintes sur les distorsions de concurrence.
Je sais que vous êtes inquiets des positions du Parlement européen sur le « paquet pesticides ». Vous savez qu'il constitue une des priorités de la présidence française. Le travail de négociation entre le Parlement, la Commission et le Conseil vient de démarrer. Nous mènerons ces négociations avec 3 objectifs :
- harmoniser les règles entre les Etats membres,
- renforcer la protection des applicateurs, de l'environnement et des consommateurs,
- maintenir la capacité de l'Europe à produire.
Nous devons maintenir cet équilibre entre ces 3 objectifs comme nous l'avons fait dans le cadre du plan Ecophyto 2018. J'y veillerai.
Vous parlez d'impasses techniques : nous trouverons ensemble, avec la recherche, des solutions. Je sais que vous y travaillez avec mes services dans le cadre du comité des usages mineurs que j'ai mis en place. En ce domaine là aussi, il n'y a pas de fatalité. Notre mode de développement n'est pas figé. Et je crois à l'alliance possible et heureuse de l'écologie et de l'économie.
Sur la dérogation aux 40 tonnes, j'ai fait la proposition hier. Et nous discutons d'un projet de décret avec le Ministère de l'Ecologie, de l'Energie et du développement durable.
Enfin, un mot sur les Sociétés d'exercice libéral. Je connais votre position. Au-delà de l'ouverture du capital de ces sociétés, je souhaite que nous prenions en compte l'évolution de la profession vétérinaire face aux nouveaux enjeux sanitaires et économiques. J'ai donc confié, vous le savez, au sénateur Charles GUENE une mission sur l'exercice libéral de la médecine vétérinaire. Il vous a déjà rencontré. Les résultats sont attendus en décembre .Et nous nous reverrons avant de prendre les décisions.
Vos entreprises sont au coeur des mutations de notre agriculture et des enjeux de notre société.
Vous êtes des entreprises sur les marchés.
Mais vous êtes aussi des entreprises coopératives. Les valeurs que vous portez de responsabilité, de solidarité et de proximité, je les partage. Elles sont moins que jamais marquées du sceau du passé. Dans la tourmente financière, vous êtes un des atouts de notre appareil industriel.
Le gouvernement le sait. Le secteur agroalimentaire est un secteur stratégique pour l'Europe. Vous pouvez compter sur ma détermination ici et à Bruxelles. C'est l'intérêt de notre continent et des européens.
Source http://www.agriculture.gouv.fr, le 24 novembre 2008