Déclaration de M. Jean-Claude Sandrier, président du Groupe la gauche démocratique et républicaine à l'Assemblée nationale, demandant le renvoi en commission du projet de loi réformant la procédure législative dont notamment les dispositions encadrant le droit d'amendement lui paraissent contraires aux droits de l'opposition, à Paris le 14 janvier 2009.

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Circonstance : Débat en première lecture à l'Assemblée nationale sur le projet de loi organique relatif à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution, à Paris le 14 janvier 2009

Texte intégral

Le premier et le seul mérite du projet de loi organique dont nous abordons l'examen est de lever toute ambiguïté sur les intentions initiales du Gouvernement et de sa majorité, à tel point que l'éminent professeur Carcassonne, membre de la commission Balladur, a pris quelque distance avec ce qu'il appelle leurs « bévues » - bévues qui sont en fait des choix politiques, déjà inscrits dans le texte même de la révision de la Constitution.
Nous étions donc fondés, dès l'origine, à dénoncer le véritable leurre que constituait la réforme constitutionnelle au regard de son objectif affiché : donner davantage de pouvoir au Parlement. Nous affirmions - et ce projet de loi organique nous le confirme - que, loin de revaloriser les droits du Parlement, votre réforme allait accentuer un peu plus les déséquilibres de notre régime politique au profit du Président de la République. Au fond, le coeur de votre réforme a consisté à offrir au Président de la République, dans notre loi fondamentale, la possibilité nouvelle de dicter ses projets directement au Parlement, et de placer de facto ce dernier dans une situation de soumission institutionnelle. Tout le reste se résumait à une accumulation d'artifices cosmétiques visant à rendre moins apparente la dérive présidentialiste à l'oeuvre : une sorte de miroir aux alouettes.
À quoi se résumaient en effet les avancées en faveur du Parlement ? À quelques mesures favorables pour l'essentiel au parti majoritaire, et dont la portée reste mineure au regard de ce que devrait être une grande avancée démocratique en matière de droits du Parlement. De surcroît, ces mesures se paient de contreparties inacceptables en matière de respect du pluralisme démocratique et de reconnaissance des droits de l'opposition ; pire, ces mesures ignorent tout des questions essentielles auxquelles notre démocratie représentative se heurte - de la juste représentation de notre peuple aux pouvoirs réels reconnus aux députés en matière financière et budgétaire.
J'aborderai successivement les trois principaux chapitres du projet de loi organique, qui donnent la mesure des dangereuses dérives que ce texte propose de valider, dans le prolongement des dispositions constitutionnelles adoptées en juillet, par construction moins explicites.
Le chapitre 1er regroupe les dispositions de caractère organiques précisant les modalités d'application du nouvel article 34-1 de la Constitution, lequel prévoit que les assemblées « peuvent voter des résolutions ». Qu'en est-il exactement de ce soi-disant nouveau pouvoir accordé au Parlement ? La possibilité offerte aux parlementaires de débattre de propositions de résolutions honore la fonction tribunitienne qu'ont toujours exercée les assemblées représentatives dans les régimes démocratiques. Néanmoins, les conditions de mise en oeuvre de l'exercice de cette fonction sont telles que les chances de mise en débat des propositions de résolution présentées par les groupes d'opposition relèvent au mieux du jeu de hasard. Il s'agit en fait de reconnaître un droit formel à débattre, mais, de telle sorte que ce débat demeure sans conséquence législative. Vous qui êtes en apparence si soucieux de l'utilité du temps de débat, vous devriez vous interroger sur la pertinence d'un exercice totalement formel et improbable pour l'opposition.
À l'occasion de la réforme constitutionnelle, nous avions souligné le déséquilibre exorbitant des pouvoirs en faveur de l'exécutif, qui n'a cessé de s'aggraver au cours de ces dernières décennies - notamment à la faveur d'une dégradation de la condition juridique de la loi et de l'émergence de notions telles que la gouvernance, qui trahissent l'affirmation du primat du droit sur la loi et du primat de l'approche proprement technicienne du travail politique sur les exigences du débat et de l'expression démocratique.
En séparant la notion de débat parlementaire de celle de délibération à caractère législatif, vous entérinez cette dangereuse évolution en accompagnant désormais la dégradation de la condition juridique de la loi d'une dégradation de la condition normative du débat parlementaire. Chacun est donc conduit à s'interroger sur la portée qu'auront réellement les résolutions adoptées, sachant que le Gouvernement ne sera entendu, en l'espèce, qu'à sa propre demande et surtout qu'il pourra s'opposer à tout moment, conformément au second alinéa de l'article 34-1 de la Constitution, à l'examen d'une proposition de résolution qu'il estimerait mettre en cause sa responsabilité ou contenir une injonction à son égard.
Autant dire que, dans les faits, notre Assemblée n'aura à connaître et à débattre que des seules propositions de résolutions agréées par le Gouvernement, ou de celles qu'il juge assez inoffensives pour ne pas contrarier ses propres objectifs - y compris en termes de communication - ou troubler l'opinion publique. Est-ce oeuvrer dans le sens du renforcement des pouvoirs du Parlement, et singulièrement des pouvoirs de l'opposition ? Il est permis d'en douter ; disons même qu'il faudrait être bien naïf pour le croire !
Quid de la possibilité pour les parlementaires de l'opposition de disposer d'un véritable droit d'initiative, tant au plan législatif que sur les procédures de contrôle telles que la création de commission d'enquête, l'audition des ministres ou la saisine de la Cour des comptes ? Cela supposerait un tel renforcement des moyens des commissions et des groupes, afin qu'ils puissent exercer un contrôle parlementaire effectif, que ces droits risquent de rester bien théoriques.
J'en viens au second chapitre de votre projet de loi organique qui, cette fois, rassemble les mesures visant les nouvelles dispositions des troisième et quatrième alinéas de l'article 39, c'est-à-dire les nouvelles règles régissant la présentation des projets de loi. Ce chapitre est le moins polémique de tous et comporte quelques améliorations et précisions, essentiellement de nature technique. Qui pourrait bien s'opposer, en effet, à ce que les projets de loi soient précédés de l'exposé de leurs motifs, ou à ce qu'ils soient désormais accompagnés des documents rendant compte des travaux d'évaluation préalablement réalisés ? Certes, nous aurions souhaité que le texte du projet de loi organique soit plus rigoureux et plus précis, s'agissant de la teneur des évaluations en question. Reste que ces mesures vont dans le bon sens : celui d'une meilleure information du Parlement sur la portée des réformes envisagées par l'exécutif.
En revanche, nous sommes beaucoup plus circonspects quant à l'article 10, qui dresse l'inventaire des catégories de projets de loi pour lesquels le dépôt de documents d'évaluation n'est pas obligatoire. En particulier, il nous est difficile d'accepter que tant les projets de loi de programmation que les projets de loi de ratification échappent à la règle.
En tout état de cause, nous pourrions estimer que cet article est de nature à inciter le Gouvernement à contourner la procédure législative par la voie du recours à l'ordonnance plus fréquemment encore qu'il ne le fait déjà. Le recours à l'ordonnance constitue l'une des anomalies issues de l'excessive rationalisation de l'activité parlementaire - une anomalie à laquelle la réforme constitutionnelle de juillet dernier n'a pas apporté de réponse, pas plus qu'elle n'a abordé les enjeux décisifs que sont la suppression de l'article 40, celle de la procédure du vote bloqué ou celle de l'article 49-3.
De façon plus générale, les dispositions de l'article 7 du projet de loi organique revêtent à nos yeux un caractère trop peu contraignant. Dans les faits, le pouvoir exécutif aura tout loisir d'échapper aux dispositions qui le contraignent à porter à la connaissance du Parlement les documents d'évaluation utiles, et ce soit en recourant à la procédure des ordonnances, qui demeure trop peu encadrée, soit par la voie des modifications apportées aux règles de fixation de l'ordre du jour, qui vont permettre à l'exécutif de « faire porter » un nombre croissant de projets de loi par les parlementaires issus de groupes appartenant à la majorité, chargés de les déposer sous forme de propositions de loi.
C'est pourquoi nous proposerons, entre autres, et si la présente demande de renvoi en commission n'est pas adoptée, de soumettre à l'avenir les propositions de loi déposées par des parlementaires appartenant aux groupes de la majorité aux règles d'évaluation prévues à l'article 7.
Abordons pour finir le chapitre sans doute le plus contesté de ce projet de loi : celui qui concerne les dispositions organiques relatives à l'application du premier alinéa de l'article 44 de la Constitution, à savoir les modalités d'exercice du droit d'amendement. Rappelons en effet que la réforme constitutionnelle est venue ajouter une phrase à ce premier alinéa, lequel ne se borne plus à disposer que « les membres du Parlement et le Gouvernement ont le droit d'amendement », mais précise désormais que « ce droit s'exerce en séance ou en commission selon les conditions fixées par les règlements des assemblées, dans le cadre déterminé par une loi organique ».
C'est ce fameux cadre que fixent les trois derniers articles de votre projet de loi. Qu'en dire, sinon que ces articles nous éclairent sur ce que nous avions déjà dénoncé lors de l'examen du projet de loi constitutionnelle : votre volonté, au prétexte d'un prétendu renforcement des droits du parlement, de museler l'opposition ?
En effet, le droit d'amendement est aujourd'hui la forme d'expression principale du droit d'initiative des députés : jusqu'à présent, plus de 20 000 amendements étaient ainsi déposés chaque année.
Partagé avec le Gouvernement, ce droit - déjà très encadré, rappelons-le - reste dans le principe libre et illimité. C'est un droit individuel, que chaque député peut exercer en son nom propre, en sa qualité de représentant de la nation.
Les plus importantes de ces restrictions portent actuellement sur la recevabilité financière - article 40 -, et législative : les amendements doivent relever du domaine de la loi. Cette dernière restriction a d'ailleurs été encore renforcée par l'article 41, alinéa 1, de la Constitution révisée.
Il existe bien entendu, d'autres restrictions, celles portant en particulier sur les délais de dépôt, qui ont considérablement évolué. Alors que les députés pouvaient déposer des amendements jusqu'au début de la discussion générale, ils doivent le faire désormais au plus tard la veille du débat à dix-sept heures. Le Gouvernement peut, quant à lui, déposer à tout moment des amendements, demander un nouveau vote sur un article si un amendement est adopté contre sa volonté. Le Gouvernement peut, dans le même esprit, s'opposer à la discussion des amendements qui n'ont pas été soumis à la commission saisie au fond.
Cette arme de procédure n'est généralement pas utilisée, mais, au total, cela témoigne du déséquilibre entre les droits consentis aux députés, notamment ceux qui appartiennent de fait à l'opposition, d'une part, et au pouvoir exécutif, d'autre part. Un déséquilibre que vous nous proposez d'abord de confirmer avec les dispositions de l'article 11, puis d'accentuer dans des proportions invraisemblables au moyen des articles 12 et 13.
Vous proposez en effet un dispositif inédit : un amendement pourra être mis aux voix sans discussion, au nom du respect des délais préalablement fixés pour l'examen d'un texte, ou purement et simplement déclaré irrecevable en séance publique, si devait être instituée la procédure d'examen simplifié.
Certes, nous sommes renvoyés ici à la future réforme des règlements de l'Assemblée et du Sénat. Il reste que votre texte pose clairement le principe de l'inscription des débats parlementaires dans un temps contraint, qui va de fait limiter, sinon vider de son contenu, le droit d'amendement, dans son exercice tant collectif qu'individuel. Or le droit d'amendement est la seule arme dont dispose l'opposition pour s'opposer, c'est-à-dire pour exercer le rôle de contre-pouvoir et de garant du pluralisme qui est le sien dans toute démocratie. Ce droit fondamental, démocratiquement vital, vous entendez le réduire à un droit formel.
Les députés pourront certes déposer des amendements, et même autant qu'ils le souhaitent, mais n'auront pas nécessairement la possibilité de les défendre individuellement en séance publique. Cette restriction a déjà commencé d'être appliquée avec l'examen de ce texte et ira beaucoup plus loin...
Pour contrer les objections de l'opposition, vous invoquez essentiellement deux arguments. Malheureusement, ni l'un ni l'autre ne sont recevables.
Le premier consiste à affirmer qu'il serait possible de limiter la durée des discussions, car le projet de loi discuté en séance publique serait celui amendé par la commission. Cela pose une question de fond, qui a déjà été évoquée : depuis quand le travail d'une commission remplace-t-il celui d'une assemblée plénière ? Quel pouvoir a une commission, de quelque assemblée que ce soit ? Aucun ! Le pouvoir appartient totalement à l'assemblée réunie en séance plénière, c'est-à-dire en présence de tous les députés qui souhaitent y assister, et publique, comme l'impose notre démocratie. Donc, le vrai débat doit avoir lieu dans l'hémicycle. Rien ni personne ne doit pouvoir l'édulcorer, le limiter ou le censurer. Que vous le vouliez ou non, même si vous contestez que ce soit votre objectif, procéder autrement qu'en laissant aux députés la liberté de parole dans l'hémicycle est une atteinte à la démocratie.
Le débat en commission peut être technique ; dans l'hémicycle, et conformément au mandat que chacun a reçu de ses électeurs, il doit être technique et politique.
Le second argument que vous avancez concerne l'obstruction. Il n'est pas plus recevable que le premier. Je n'ai pas besoin de multiplier les exemples démontrant le contraire, puisqu'ils ont été très nombreux depuis hier. Je veux simplement rappeler ce que vous disiez, monsieur le secrétaire d'État, dans le journal Les Échos du 23 décembre dernier. D'un côté, vous vous plaigniez de l'obstruction de l'opposition mais, deux colonnes plus haut, vous vous vantiez - à juste titre - d'avoir fait adopter en un an pas moins de cinquante-quatre projets et propositions de loi ce qui représente un texte et demi par semaine de session effective ! Je pense que vous avez même battu un record ! Et vous venez aujourd'hui nous parler d'obstruction : ce n'est pas sérieux ! Comment pouvez-vous affirmer que nous vivons sous le règne permanent de l'obstruction parlementaire ?
En vérité, au prétexte d'une lutte contre l'obstruction, nous assistons à un grave recul de nos institutions démocratiques. À l'heure où la majorité de nos concitoyens réclament davantage de démocratie et veulent être mieux associés aux décisions qui les concernent, où ils réclament avec toujours plus d'insistance que leurs représentants fassent leur travail, vous proposez, au nom d'un principe d'efficacité purement technocratique, qu'ils ne puissent plus, demain, délibérer et critiquer librement.
L'exigence démocratique requiert pourtant plus que jamais que soient levés les nombreux obstacles au débat et au travail parlementaire, qui ont contribué à faire du Parlement une simple chambre d'enregistrement. L'existence du débat parlementaire est une garantie constitutive de toute démocratie. Par-delà le renforcement des pouvoirs de contrôle du Parlement, qui doivent pouvoir être exercés par toutes les composantes des assemblées dans leur diversité, il est indispensable de permettre à chaque député, à chaque groupe de la majorité ou de l'opposition d'exercer pleinement la fonction législative qui est la sienne.
L'opposition ne peut remplir sa fonction que par la voie du droit d'amendement. Par-delà tous les clivages politiques, l'opposition d'aujourd'hui étant la majorité de demain et inversement, il importe au premier chef de garantir l'effectivité du droit d'amender et de la mise en discussion des amendements. Nous proposons donc qu'un travail collectif s'engage - vous avez semblé faire un premier geste à l'égard de l'UMP -, pour qu'ensemble nous puissions parvenir à un consensus large sur la rédaction des articles 12 et 13 du projet de loi, dont ni la lettre ni l'esprit ne sont actuellement acceptables. Nous sommes porteurs de propositions. Nous avons déposé un certain nombre d'amendements visant à mieux encadrer le recours aux procédures simplifiées en le soumettant à l'approbation de l'ensemble des présidents de groupes, et à préserver l'exercice du droit d'amendement sans faire droit à l'obstruction.
Nous souhaiterions que la commission se donne le temps du travail parlementaire, loin des pressions élyséennes : tel est le sens de notre demande de renvoi en commission. Nous savons que nous avons peu de chances d'être entendus, car vos propositions s'inscrivent, de fait, dans la logique voulue par le chef de l'État, celle d'une offensive du pouvoir exécutif et de la majorité pour contrôler tous les pouvoirs : judiciaire, médiatique et législatif.
Devant une situation marquée par la multiplication des reculs sociaux, par la volonté de faire payer à nos concitoyens la crise du système qui a creusé les inégalités d'une façon scandaleuse, le pouvoir cherche à contrer toute velléité de s'opposer à sa politique ; une politique qui accroît sa pression sur les salariés et les services publics, tout en accordant les plus grandes largesses au monde financier et aux actionnaires des entreprises du CAC 40.
Ce qui est en jeu derrière ce débat sur le pouvoir législatif, ce n'est pas un problème de règlement intérieur, mais un problème de démocratie. Et il concerne tous nos concitoyens. Une régression n'est pas plus justifiable en matière de démocratie et de liberté qu'en matière sociale.
Je vous propose en conséquence d'adopter la présente demande de renvoi en commission. Source http://www.groupe-communiste.assemblee-nationale.fr, le 21 janvier 2009