Interview de Mme Christine Boutin, ministre du logement, à "Canal Plus" le 28 janvier 2009, sur le contenu du projet de loi sur le logement et l'abandon gouvernemental d'un amendement modifiant le calcul du quota de logements sociaux dans les communes.

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Média : Canal Plus

Texte intégral

C. Roux et M. Biraben C. Roux : Elle était encore il y a peu ministre de la Ville également, mais elle fait partie des ministres amputés du dernier remaniement ; c'est B. Hortefeux qui gère désormais F. Amara. C. Boutin, elle, défend un texte sur le logement à l'Assemblée nationale depuis hier. Elle s'était faite étriller par les sénateurs sur un amendement qui modifie le calcul du quota de logements sociaux. Deuxième round à l'Assemblée : elle recule. Bonjour.

Bonjour.

M. Biraben : Très bonne année à vous !

Merci, à vous aussi.

M. Biraben : C. Roux vient de l'expliquer de manière un peu sibylline : vous vouliez modifier le quota de 20 % de logements sociaux imposé aux communes. Hier soir, vous avez renoncé. Qu'est-ce qui vous a fait changer d'avis ?

Ce que je voulais surtout c'est développer l'accession sociale à la propriété et c'était un moyen de pouvoir le faire. Bon, j'ai entendu ce qu'a dit le Sénat, j'ai entendu aussi les questions qui étaient posées sur ce sujet. Vous savez, depuis le mois d'octobre est arrivé le plan de relance, beaucoup de mesures ont été prises en faveur de l'accession sociale à la propriété, ce n'est pas la peine de faire des polémiques inutiles. Donc on ne touche pas...

C. Roux : C'est une défaite politique ou pas ? C'est ce qu'on a envie de savoir ce matin ?

Non, non, non, moi je ne le vis pas du tout comme une défaite politique. Le moment n'est pas là. Ce qui est important c'est de construire, de construire encore, faire l'accession sociale à la priorité. Il y a eu beaucoup de mesures qui ont été prises depuis le mois d'octobre. Vous savez, on a changé d'époque, et il y a eu la crise et le plan de relance.

C. Roux : L'accession sociale à la propriété c'était une volonté...

...du Président.

C. Roux : ...portée par le président de la République.

Absolument !

C. Roux : Est-ce que vous avez pris la décision de reculer sur ce texte...

Ah, pas du tout !

C. Roux : ...Avec lui ?

Ah non, mais pas du tout, on n'a pas du tout reculé ! L'accession sociale à la propriété est toujours au coeur de notre préoccupation et du texte de loi. Simplement, il y avait une technique qui était l'article 55, en incluant l'accession sociale à la propriété dans cet article. Bon, au mois d'octobre, c'était d'actualité, aujourd'hui ça l'est beaucoup moins.

C. Roux : Pourquoi ça l'est beaucoup moins ?

Parce que il y a eu le plan de relance, il y a eu des mesures qui ont été prises en faveur de l'accession à la propriété, par exemple le prêt à taux zéro, par exemple le développement de la TVA à 5,5, etc.

C. Roux : Vous en voulez aux sénateurs ?

Non.

C. Roux : A votre majorité qui ne vous a pas soutenue...

Non, vous savez, moi je suis une femme qui sait pardonner, vous le savez ça ?

C. Roux : Vous avez pardonné, là ?

Bien sûr !

C. Roux : Vous avez eu besoin de pardonner parce que ça été difficile à encaisser ou pas ?

Bien sûr, bien sûr, ce n'est pas toujours facile. Donc, en plus, ça c'est fait dans des situations un peu rocambolesques.

C. Roux : Est-ce que pour une ministre c'est compliqué de ne pas être soutenue par sa majorité sur un texte auquel on croit ? Parce que vous y croyez quand même à ce texte ?

Bien sûr ! Mais je suis très soutenue par l'Assemblée nationale et ce texte, il a plusieurs dizaines d'articles dans ce texte de loi.

C. Roux : On va y venir, bien sûr...

Il y a un article qui a posé problème au Sénat, mais le Sénat a voté le texte de mobilisation pour le logement. Il ne faut pas laisser entendre que la majorité ne m'a pas soutenue, c'est faux.

C. Roux : Alors, on est dans une situation de crise, ça n'aura échappé à personne. Le logement fait partie du plan de relance, vous l'avez dit. Est-ce que c'est suffisant ? Il y a des chiffres qui ont été annoncés, des chiffres de l'immobilier assez inquiétants, notamment sur une chute des mises en chantier de logements neufs en France. Est-ce que ce sont des chiffres qui inquiètent la ministre et est-ce qu'il faut une rallonge sur le logement ?

Ce sont des chiffres qui inquiètent non seulement le ministre et les professionnels, mais surtout qui inquiètent les Français qui ont besoin de construction de logements. La crise aujourd'hui, en ce qui concerne le logement, vient bien davantage de la restriction de l'octroi de prêt que de l'incapacité à construire ou des manques de financement. Le plan de relance a rallongé de 1,8 milliard les capacités de financement de la construction, j'ai tous les moyens financiers aujourd'hui pour construire. Le problème est de savoir si des prêts vont être accordés aux professionnels et aux particuliers.

C. Roux : Ce sont les banques qui ne jouent pas le jeu ?

Pour moi, ministre du Logement, j'estime qu'elles ne jouent pas suffisamment le jeu, non.

C. Roux : Qu'est-ce que vous pouvez faire, vous, en tant que ministre justement ? Parce que le Président les a montrées du doigt déjà à plusieurs reprises, les banques.

Bien sûr ! Mais moi je continue à dire qu'il faut que les banques après que l'Etat les a aidées, aidées à passer un moment difficile, il faut que les banques accordent des prêts aux particuliers et aux professionnels.

M. Biraben : On l'évoquait hier avec monsieur Ricol que l'on recevait, donc le médiateur pour les entreprises ; l'idée d'un médiateur pour les particuliers par rapport aux banques, qu'est-ce que vous en pensez ?

Peut-être. Si cela peut faciliter les choses tant mieux, mais enfin, j'espère que les banques n'ont pas besoin d'avoir encore quelqu'un en plus. Maintenant, si...

M. Biraben : Visiblement, vous dites qu'il y a un problème.

Oui, il y a un problème, oui, absolument. Je crois que la grande difficulté vient de là. En tous les cas, moi, ministre du Logement, je n'ai pas de problème de financement, ce qui était un peu le cas avant, lors de la discussion du budget, c'est-à-dire avant le mois d'octobre, vous savez il y avait eu un certain nombre de critiques à ce niveau-là.

C. Roux : Le budget était en baisse...

Mais aujourd'hui, avec le plan de relance et les mesures qui ont été prises par le président de la République, je n'ai plus aucun problème. Ce qu'il faut, c'est consommer ces crédits. C'est la raison pour laquelle toutes les semaines, j'ai une évaluation des projets qui se développent. Par exemple, les ventes en état futur d'achèvement - vous savez, le Président avait lancé ça au mois d'octobre -, 30.000, aujourd'hui on en est à 23.000.

C. Roux : Cela veut dire que le message présidentiel n'est pas entendu par les banquiers ?

Ah, les banquiers, ça ne je sais pas. Les banquiers, en tous le cas, sous cet angle-là, moi j'estime que les banquiers ne font pas suffisamment...

M. Biraben : ...Leur travail.

...Leur travail, oui.

M. Biraben : Une question de spectateur avec L. Mercadet tout de suite. L. Mercadet : "Qu'attendez-vous pour réquisitionner les logements et les bureaux vides pour les SDF, pour répondre à la plus grave crise depuis un siècle, comme l'a dit à juste titre F. Fillon, hier, à l'Assemblée ?".

C'est la crise, ce n'est pas la crise immobilière qui est la plus grave aujourd'hui. Alors, ces personnes posent la question de réquisition. Il faut arrêter avec ça, je veux dire la réquisition, moi, j'y suis favorable, mais c'est une affaire excessivement difficile parce que le droit de propriété existe en France. Madame Lienemann, monsieur Périssol, c'est-à-dire un ministre de droite et un ministre de gauche, ont pris cette décision, au bout de dix-huit mois, ils sont arrivés à reloger 43 personnes. Je veux dire, c'est inefficace, totalement, la réquisition. On ne peut pas parce que la France est très attachée au droit de propriété et ce n'est pas parce que un logement apparaît vide que on peut l'investir. Par contre, je comprends très bien la demande de ces personnes et je dis qu'il faut construire et construire encore pour pouvoir les loger, bien sûr.

M. Biraben : On va passer aux HLM, Caroline...

C. Roux : Oui, c'est ça, on passe naturellement au logement social. Alors, dans le texte vous voulez mettre plus de mobilité dans le parc de logements sociaux en incitant les ménages qui disposent de revenus élevés à libérer les HLM. Vous voulez baisser le plafond de ressources de 10 %. Comment est-ce que vous allez procéder ? Vous allez inciter les gens à quitter les HLM quand ils les occupent, entre guillemets, illégitimement, ou les obliger ?

Ils ne les occupent pas illégitimement. Ce qu'il faut bien comprendre c'est qu'actuellement 60 % effectivement de la population française répond aux critères de ressources pour rentrer dans HLM. Il n'y a que 21 % qui sont logés par les HLM. Ce qui veut dire que la question que vous posez est à l'intérieur des 21 %. Personne ne se pose la question des personnes qui ont des ressources qui sont modestes et qui sont obligées d'aller dans le privé. Donc, il est bien évident que s'il y a des personnes qui sont dans les 21 %, qui ont des ressources très supérieures aux conditions de ressources, il serait quand même normal qu'elles donnent à ceux qui sont dans le privé et qui ont des ressources modestes ce logement pour qu'il y ait un petit peu une égalité.

M. Biraben : Mais comment allez-vous faire ?

Quand on a des ressources deux fois supérieures au plafond, on va payer un surloyer et on va demander aux personnes de s'en aller. On demande trois ans, même l'Assemblée nationale a l'air de vouloir demander un peu plus de temps, je veux dire que ce n'est pas le couperet. Mais pendant ce temps-là, il faut quand même... On n'oublie toujours les gens qui ont des ressources modestes et qui sont dans le privé parce qu'il n'y a pas suffisamment de places dans le logement HLM. Les gens qui n'ont rien à faire dans le logement HLM parce qu'ils ont des ressources très importantes doivent laisser leur place.

C. Roux : Et ceux qui ont trop d'espace, parce qu'il y a des cas concrets comme ça qui ont été évoqués, par exemple un couple, trois enfants, les enfants partent faire leurs études, on leur dit, "maintenant, c'est trop grand pour vous, il faut partir", alors qu'ils ont construit toute leur vie dans un HLM ? Par exemple, ce cas, comment ça peut se passer ?

Vous savez, cette personne-là, vos internautes, il y en a certainement beaucoup qui attendent, qui sont dans des deux pièces avec trois enfants alors qu'il y a des logements de cinq pièces qui sont occupés par une personne seule. Alors, effectivement, c'est une question basique, mais ce ne se fera pas avec un couperet, on ne va pas dire aux gens de s'en aller ainsi, mais non.

C. Roux : Comment on fait alors ? On les pénalise ?

C'est une négociation, c'est une discussion. Vous citez ceux qui disent, "on va rester", on regardera comment on fait, mais on va pas les obliger à sortir. C'est une peur qui a été agitée mais qui n'est pas fondée.

C. Roux : Vous vous engagez, ce matin, pour dire qu'ils ne seront pas expulsés, comme on a pu l'entendre dans des manifestations contre ce texte ?

Mais oui, naturellement, mais naturellement !

C. Roux : La solution c'est de construire plus de logement social ?

Absolument ! Construire tous types de logement : des logements sociaux et des logements privés. Vous savez que l'année dernière, j'ai eu les chiffres qui sont tombés hier : 110.000 logements sociaux ont été financés. Cela ne s'est jamais produit ! L'année d'avant c'était 108.000 ; en 2000, au moment où la gauche était au pouvoir, 40.000 logements sociaux.

C. Roux : On a l'impression qu'on les annonce toujours comme ça, les chiffres, et qu'on ne les voit jamais sortir de terre les logements sociaux.

Mais si, mais si, vous ne les voyez peut-être pas mais enfin, ils existent quand même.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 28 janvier 2009