Intervention de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, sur la situation politique, économique et social en Afrique, l'essor de la société civile, l'intégration régionale, l'aide internationale, l'aide de l'Union européenne et la coopération allemande dans l'aide à l'Afrique, Enghien-les-Bains, le 11 mai 2001.

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Circonstance : Vème Réunion du Cercle stratégique franco-allemand, à Enghien-les-Bains, le 11 mai 2001

Texte intégral

Messieurs les coprésidents,
Madame le Secrétaire d'Etat à la Défense,
Monsieur le Secrétaire d'Etat,
Messieurs les Directeurs,
Mesdames et Messieurs,
Permettez-moi tout d'abord de remercier les directeurs de l'IRIS et de la Fondation Friedrich Ebert pour avoir eu l'idée de ce débat sur l'Afrique, dans le cadre du cercle stratégique franco-allemand qui me donne l'occasion de revivifier mes convictions européennes, puisque j'ai été élu membre du Parlement européen sur une liste conduite par François Mitterrand. Le département des Côtes d'Armor a, lors du référendum sur le Traité de Maastricht, donné un peu plus de 60 % de "oui". Mon département est ainsi le plus à gauche des départements européens et le plus européen des départements de gauche. L'Allemagne et la France ont incontestablement une action commune à mener au bénéfice du continent africain.
Beaucoup a déjà été fait, notamment au titre des initiatives que nous avons prises conjointement, Heidemarie et moi-même, pour favoriser l'émergence d'une nouvelle approche de la coopération au développement au sein de l'Union européenne. Au Sommet franco-allemand de Mayence, il y a un an, nos deux gouvernements ont exprimé leur volonté d'inclure la solidarité avec nos partenaires du Sud parmi les thèmes privilégiés du dialogue franco-allemand.
Mais je voudrais ici, d'emblée, rendre plus spécifiquement hommage à l'engagement de l'Allemagne en faveur du développement du continent africain. L'importance de son aide publique au développement, le rôle que l'Allemagne joue dans les enceintes multilatérales et européennes représentent une contribution décisive à l'effort de solidarité internationale.
L'Afrique, hélas, n'a toujours pas trouvé les voies assurées conduisant à la paix, à la démocratie et à la prospérité.
34 des 49 pays les moins avancés sont en Afrique. L'image du continent est d'abord celle de l'instabilité, des conflits, du sous-développement, et des violations des Droits de l'Homme. Certes la réalité africaine n'est pas univoque. Mais, force est de le constater, certains pays africains longtemps réputés pour leur stabilité connaissent à leur tour des phases d'incertitude.
A ces maux, qui ont de tout temps alimenté le discours des afropessimistes, se sont récemment ajoutés de nouveaux défis. La mondialisation offre de nombreuses opportunités pour les pays en développement. Mais elle comporte aussi un risque de marginalisation accrue pour un continent déjà largement à l'écart des grands courants d'échanges. Pour autant, l'Afrique n'est pas épargnée par le plus mauvais côté de la mondialisation, les trafics transnationaux en tout genre, qui aiguisent les rivalités et alimentent les conflits. Elle est presque victime de l'abondance de matières premières précieuses dont recèle son sol et qui viennent alimenter les guerres dont les populations africaines sont les victimes. Enfin, l'avenir de la nouvelle génération est assombri par le virus du SIDA, qui frappe plus du quart de la population de certains de nos partenaires africains.
Cependant, je ne crois pas que ces ombres au tableau rendent compte de toutes les évolutions en cours sur ce continent. Il est toujours plus facile de mettre en avant ce qui va mal. Je voudrais citer de nombreux exemples où, au contraire, des signes encourageants nous parviennent. N'oublions pas la transition démocratique réussie au Nigeria, l'alternance au Sénégal, dont certains pays mieux lotis pourraient envier la sérénité, et naturellement la fin de l'apartheid en Afrique du Sud. On pourrait ajouter la fin de la guerre au Mozambique et les frémissements de paix ressentis sur les rives du Congo.
D'autres phénomènes tout aussi porteurs d'évolutions à long terme méritent également d'être mentionnés. Je pense, par exemple, au mouvement généralisé d'intégration régionale. Il a déjà donné des résultats tangibles en Afrique occidentale, où un tarif extérieur commun est en place depuis le 1er janvier 2000 dans le cadre de l'UEMOA. Cette volonté des pays africains de lier leur destin à celui de leurs voisins constitue un formidable facteur de paix et de développement économique, dont nous sommes bien placés en Europe pour apprécier tout le potentiel.
L'essor de la société civile africaine annonce également une modification à long terme de la relation des citoyens au pouvoir. Je suis frappé de constater que les sociétés en Afrique, comme partout ailleurs, attendent davantage de transparence et demandent que des comptes leur soient rendus. C'est une raison évidente pour accompagner les efforts de décentralisation que la coopération décentralisée peut enrichir encore. Cette exigence s'adresse d'ailleurs aussi bien aux responsables africains qu'aux bailleurs de fonds que nous sommes. Si elle s'accompagne d'une consolidation concomitante de l'Etat, cette évolution devrait déboucher sur une meilleure "gouvernance" et sur l'émergence indispensable de l'Etat de droit.
Ce tableau contrasté donne l'impression que l'Afrique est, en quelque sorte, à la croisée des chemins. C'est certainement parce que ce sentiment est partagé que nous pouvons espérer une rupture avec le cercle vicieux du sous-développement. Les efforts de maintien de la paix y participent d'ailleurs.
L'initiative vient en premier lieu des Africains eux-mêmes. Qu'il s'agisse du partenariat du millénaire pour le redressement de l'Afrique, lancé par les présidents Mbeki, Bouteflika et Obasanjo, ou du plan "Oméga", conçu par le président Wade, il y a actuellement une prise de conscience de l'urgence de répondre aux défis auxquels le continent est confronté. J'y vois également une volonté d'entraîner toutes les énergies dans une stratégie globale, qui ne ferait abstraction d'aucun des sujets clés. Nos partenaires se disent notamment prêts à uvrer en faveur de la paix et de la bonne gestion des affaires publiques. J'ajoute, peut-être et c'est heureux, une attente plus élevée à la dimension culturelle. L'absence de référence à cette dimension culturelle a sa part dans les échecs de notre coopération.
Naturellement, il est souhaitable que toutes ses initiatives convergent au sein d'un programme unifié, qui bénéficie d'un large soutien en Afrique et qui soit cohérent avec les autres processus en cours. Encourageons les Africains dans leur volonté de prendre leur destin en mains !
Prenons les au mot et affichons notre disponibilité à soutenir, le moment venu, les actions qui sortiront de leur réflexion, lorsqu'elle se sera précisée.
La communauté internationale n'est pas en reste. Lundi prochain, je participerai aux côtés du président de la République à la séance inaugurale de la 3ème Conférence des Nations unies sur les PMA, que l'Union européenne accueille en toute légitimité à Bruxelles. J'animerai, le 18 mai, avec le ministre éthiopien du Développement, une session interactive sur les ressources humaines et l'emploi.
Cet événement fait partie de toute une série de rencontres qui ont permis de mettre à nouveau le développement au premier plan du débat international. Après l'initiative PPTE sur la dette et dans la perspective du Sommet du G8, qui se tiendra à Gênes en juillet prochain, des thèmes aussi importants que ceux de l'accès au marché ou de la lutte contre les principales maladies transmissibles sont en discussion. Chacun apporte sa contribution. Les dirigeants du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale que nous rencontrions à Washington il y a quelques jours, ont récemment suggéré aux sept pays les plus industrialisés de concentrer leur attention sur l'Afrique. Qui l'aurait cru il y a quelques années ?
Il y aura également, fin juin, la session spéciale de l'Assemblée générale des Nations unies sur le SIDA qui sera, j'en suis sûr, l'occasion de dégager enfin un consensus en faveur d'un meilleur accès aux soins des malades du Sud. J'espère que cette session extraordinaire apportera son soutien au projet, initié par la France, de réunion internationale sur l'accès aux soins contre le Sida. Observons déjà que la prise de conscience internationale a largement progressé depuis 12 mois Nous pensons là au débat qui a opposé l'industrie pharmaceutique et les autorités d'Afrique du Sud. Il faut maintenant que cela débouche sur des partenariats concrets associant bailleurs de fonds, pays en développement, sociétés pharmaceutiques et représentants de la société civile.
Enfin, l'idée d'un nouveau cycle de négociations multilatérales dans le cadre de l'OMC, où seraient mieux pris en compte les intérêts des pays en développement, semble progressivement faire son chemin. Nous verrons à Doha ce qui va en résulter;
En cette aube du XXIème siècle, les éléments d'une dynamique favorable au continent africain sont au rendez-vous.
A bien des égards, l'Union européenne favorise cette dynamique.
Est-il nécessaire de rappeler que l'Europe est à l'origine de plus de 65 % de l'aide publique au développement aux pays africains et qu'elle constitue leur premier partenaire commercial ? C'est le marché communautaire qui leur est, de longue date, le plus ouvert et qui devrait conserver cette position, compte tenu de la récente décision de l'Union d'accorder à tous les produits des pays les moins avancés un accès totalement libre, tous les produits sauf les armes. Les Etats membres et la Communauté assument également la majeure partie de la charge découlant de l'annulation de la dette des quarante et un pays pauvres très endettés.
Souvenons-nous que l'Afrique est, par ailleurs, à l'origine de l'action extérieure de l'Union. La mise en place du premier Fonds européen de développement remonte à la période des pères fondateurs, attachés à étendre le modèle de solidarité sur lequel reposait la construction européenne à des territoires en passe d'accéder à l'indépendance. Il en est résulté un partenariat unique en son genre avec les pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique.
En signant à Cotonou, le 23 juin 2000, un nouvel accord de partenariat avec les pays ACP pour les vingt prochaines années et en maintenant son engagement financier, l'Union est restée fidèle au continent africain. Ne nous y trompons pas cependant. Il n'est pas dans ses intentions de faire perdurer une prétendue nostalgie de certains Etats membres pour un passé révolu. Il s'agit bien de réaffirmer sa solidarité à l'égard des pays les plus défavorisés et les plus vulnérables de la planète, dans un cadre entièrement refondé sur les objectifs de lutte contre la pauvreté et les inégalités et d'intégration dans l'économie mondiale. Telle a été l'ambition qui a animé les Quinze tout au long d'un lent processus de négociation.
Le renouvellement en profondeur de ce partenariat s'est accompagné, pour la France, d'une réforme sans précédent de sa politique africaine et de son dispositif de coopération. L'un n'allait d'ailleurs pas sans l'autre. Je ne reviendrai pas sur l'ensemble des mesures qui ont été mises en oeuvre depuis 1997. Je mettrai simplement l'accent sur la volonté qui est la nôtre d'inscrire sans cesse davantage nos relations avec l'Afrique dans une perspective européenne.
Bon nombre d'observateurs ont vu dans l'attitude de la France suite au coup de force de décembre 1999 contre l'ancien président Bédié un test de cette nouvelle politique. De fait, notre réaction a été de demander que l'Union engage des consultations au titre de la clause de non-exécution de la Convention de Lomé. C'est un réflexe européen qui a prévalu.
De même, certains ont douté de la compatibilité entre la tenue du premier Sommet Afrique-Europe, au Caire en avril 2000, et la poursuite des rendez-vous réguliers franco-africains au plus haut niveau. Le Sommet de Yaoundé en janvier dernier a montré qu'il n'y avait pas contradiction entre notre dialogue bilatéral, qui s'est d'ailleurs élargi à toute l'Afrique, et le renforcement du partenariat eurafricain, auquel la France ne voit que des avantages.
Il y a quelques semaines, un magazine spécialisé sur l'Afrique, cédant à une certaine nostalgie, a écrit : "La France lâche l'Afrique" et "les décisions sont prises à Bruxelles". L'important est d'avoir à Bruxelles un processus de décisions efficace où la France et l'Allemagne pèsent de tout leur poids. A cette étape cruciale pour l'avenir de l'Afrique, la priorité est incontestablement d'améliorer l'efficacité de la contribution de l'Union à son développement. L'Allemagne et la France y ont déjà beaucoup uvré ensemble.
En mars 1999, alors que les premiers résultats de l'évaluation des principaux programmes communautaires étaient disponibles, Heidemarie et moi avions publié, avec notre collègue britannique, Clare Short, une déclaration sur l'efficacité de l'aide européenne. Nous y réaffirmions l'importance de la solidarité de l'Union avec les pays en développement et suggérions plusieurs pistes pour accroître l'impact de son effort.
C'est sous présidence allemande, avec le plein appui de la France, qu'un programme de travail a été arrêtée par le Conseil des ministres en charge du développement. Les conclusions de mai 1999 demeurent un acte fondateur, dont se sont inspirées depuis lors les présidences successives.
C'est sur cette base qu'au second semestre 2000, nous nous sommes employés à clarifier la stratégie européenne dans le domaine du développement. Nos discussions ont abouti à l'adoption par le Conseil et la Commission, le 10 novembre, d'une déclaration sur la politique de développement de la Communauté. L'importance de cette déclaration a été soulignée par le Conseil européen de Nice. Je souhaite qu'elle guide les efforts de l'Union pour les années à venir. Je préconise, cher Eric, que nous nous fixions ensemble cet objectif.
L'Union européenne se donne les moyens d'accroître l'efficacité de son aide : meilleure division du travail entre la Commission et les Etats membres, davantage de coordination, déconcentration de la gestion de l'aide. La création le 1er janvier 2001 de l'agence EuropeAid est un élément essentiel de cette réforme.
Ainsi est mise en place toute une gamme d'instruments destinés à favoriser une vision globale de nos relations avec les pays tiers, à améliorer la coordination et la complémentarité entre les interventions des Etats membres et celles de la Communauté et à introduire davantage de cohérence entre l'aide et la Politique étrangère et de sécurité commune.
Nous sommes en tout cas dans la phase de mise en oeuvre de ce vaste programme de réformes. Plus que jamais, la concertation franco-allemande apparaît comme une condition indispensable à leur succès.
Je pense notamment à la nécessité d'un dialogue étroit entre les représentants respectifs des Quinze et de la Commission sur le terrain. Il n'est pas normal que l'Union se présente dans ses contacts avec ses partenaires en ordre dispersé. Alors que plusieurs Etats membres ne sont pas totalement convaincus de la pertinence d'une coordination spécifiquement européenne, l'Allemagne et la France y sont résolument engagées.
Il ne tient qu'à nous que ce dialogue aboutisse à terme à des initiatives conjointes à toutes les étapes du cycle du projet, qui donneront aux programmes européens un réel effet de levier sur le développement des pays bénéficiaires.
De même, nos deux pays pensent que l'Union doit faire en sorte de parler d'une seule voix dans les enceintes internationales. Nous devons y veiller systématiquement, afin que l'Europe puisse peser dans les décisions, à New York, à Washington ou à Genève, à la mesure de son effort de solidarité. Convenons qu'il reste encore à cet égard beaucoup à faire;
Enfin, dans le cadre de la rationalisation de la gestion des programmes communautaires, une réflexion sur le recours aux instruments des Etats membres, plutôt qu'à de coûteux bureaux d'assistance technique, est souhaitable. L'Allemagne et la France se sont employées à convaincre la Commission et leurs partenaires. L'AFD et la KFW ont passé, en 1999, un accord avec la Direction générale du développement dans cette perspective. Il convient désormais de tirer parti de cette faculté en passant aux réalisations concrètes, notamment dans le cadre des cofinancements.
Mais toute politique de développement nécessite un environnement stable et sûr. La prévention et le règlement des conflits qui frappent le continent constituent, des conditions indispensables à son développement. Disposant de la légitimité et de l'expertise en ce domaine, les Nations unies sont au cur de la culture de prévention. Ce rôle central ne doit cependant pas exclure la nécessaire coordination avec les organisations régionales. Là aussi, l'Union européenne doit être consciente que cet engagement ne peut à ce stade, se passer de l'appui international. Elle doit faire de la prévention et du règlement des conflits en Afrique une priorité de sa politique étrangère et de défense commune.
Une telle politique européenne volontariste et globale en Afrique doit intégrer bien sûr la promotion des Droits de l'Homme, l'appui à la démocratie et à la bonne gestion des affaires publiques et une attention accrue portée aux besoins de ce qu'il est convenu d'appeler les post-conflits, en particulier la démobilisation et la réinsertion des combattants, le contrôle des armes légères et le démantèlement des trafics.
Messieurs les coprésidents,
Madame le Secrétaire d'Etat à la Défense,
Monsieur le Secrétaire d'Etat,
Messieurs les Directeurs,
Mesdames et Messieurs,
Comme vous pouvez le constater, je suis persuadé que nos deux pays peuvent continuer à agir ensemble pour promouvoir la cause du développement au bénéficie du continent africain. C'est ainsi qu'ils contribueront à affirmer la place de l'Europe sur la scène internationale et qu'ils donneront un contenu à la politique étrangère commune que nous nous sommes efforcés de bâtir ces dernières années.
Cette ambition correspond à une vision commune de la construction européenne qui, en dépit de ce que l'on entend parfois ici ou là, continue à unir profondément nos deux pays.
Je vous remercie.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 mai 2001)