Texte intégral
Je suis extrêmement heureux de vous rencontrer aujourd'hui à Beauvais et d'avoir l'occasion de débattre de la mondialisation.
Vous l'aurez compris au titre que j'ai choisi pour cette intervention: je suis persuadé que le phénomène est bénéfique. Je vous le dis donc d'emblée : n'attendez pas de moi un plaidoyer prudent ou un discours mi-figue, mi-raisin. Oui, la mondialisation est porteuse de grandes espérances. L'enthousiasme, toutefois, ne doit pas nous en dissimuler les risques et les déséquilibres inédits. Gardons nous de ces deux écueils qui guettent tout discours sur la mondialisation : le messianisme et le catastrophisme.
Si le village mondial a ses apôtres, le village rural a les siens, qui résistent encore et toujours à l'envahisseur et s'inquiètent de la malbouffe menaçante et du Roquefort menacé. Ils se manifestent désormais bruyamment tant à Seattle qu'à Millau. C'était le cas hier à Paris. C'était également le cas à Montréal lors du G20 le mois dernier. Je peux vous livrer quelques uns des slogans entendus à cette occasion et qui traduisent bien les angoisses alimentaires actuelles :
*Stop à la voracité des grandes entreprises "
*G20 j'ai faim "
*ce slogan tout à fait savoureux enfin : " Mangeons les riches ".
Plus sérieusement, je comprends bien sûr les angoisses des citoyens dont ces manifestants se font les porte-parole. Mais je suis persuadé que ces déséquilibres, qui sont inhérents à toute mutation profonde de l'économie et de la société peuvent être contrôlés. Maîtriser ces déséquilibres, réduire ces inégalités nouvelles, est la meilleure réponse que l'on puisse apporter aux angoisses exprimées par les citoyens face aux bouleversements de la mondialisation. A condition toutefois de ne pas s'en remettre aveuglément au bon sens des marchés ou à l'altruisme des acteurs économiques pour lutter contre la pauvreté, les inégalités, pour l'éducation et l'environnement. Face au souci du profit immédiat, je crois sincèrement que l'intervention du politique, défini comme l'architecte du long terme, reste plus que jamais indispensable. C'est évidemment le cas pour ce qui constitue l'un des principaux enjeux des négociations multilatérales : l'agriculture.
C'est en effet à travers les enjeux liés à l'agriculture que je souhaite débattre avec vous de la mondialisation.
Il ne s'agit pas seulement d'un choix de circonstance. L'agriculture est au centre des débats sur la mondialisation. Les critiques les plus virulents sont aussi les pourfendeurs de la malbouffe. L'agriculture est également au centre des négociations commerciales. C'est en effet le seul secteur d'activité qui soit dans lequel tous les pays, sans exception, ont un intérêt. Je peux en témoigner pour l'avoir vécu à Seattle l'an dernier.
On date généralement le début de la mondialisation de la fin de la guerre froide au début des années 90. On devrait en vérité parler de reprise de la mondialisation, car le phénomène est tout sauf inédit. La fin du 19ème siècle donne des signes d'une intégration économique très poussée à l'échelle de la planète. Mais là n'est pas notre sujet. Les prouesses technologiques accaparent l'attention et l'on présente cette mondialisation de la fin du 20ème siècle, peut-être trop rapidement, comme le visage globalisé d'une nouvelle révolution industrielle fondée sur les technologies de l'information et de la communication. Ce raccourci historique a son pendant géographique.
L'un des enjeux majeurs aujourd'hui est en effet le passage d'un modèle agricole à un autre sur l'ensemble de la planète. De ce point de vue, la mondialisation coïncide aujourd'hui avec la nécessité d'une seconde révolution verte, pour être précis. Je m'explique.
Nous avons vécu dans l'immédiat après-guerre et tout au long des Trente Glorieuses sur un modèle dont la priorité était la production à marches forcées. La génération de mes parents, c'est à dire celle de vos grands- parents avait connu les pénuries des années 30 et de la guerre, les rutabagas et les tickets de rationnement. Sa priorité était la sécurité alimentaire. Garantir l'approvisionnement était le premier objectif de la politique agricole. Comme le soulignait le général de Gaulle : " un pays qui ne peut pas se nourrir lui-même n'est pas un grand pays. " L'intervention de l'Etat dans l'agriculture prend racine, si j'ose dire, dans cette idée. La Politique agricole commune fondée sur les subventions à la production et à l'exportation participe de la même dynamique.
Nos priorités ont évolué. L'Europe verte ne gère plus la pénurie, c'est un succès. Mais il débouche parfois sur un trop-plein, c'est un défi à relever. Son problème n'est plus seulement celui de la quantité, mais aussi de la qualité. Qualité des produits, qualité des aliments, qualité des modes de production. La sécurité des aliments est devenue une priorité: on ne craint plus le manque mais le risque.
Cette évolution ne concerne d'ailleurs pas que l'Europe, loin de là. Elle est globale et touche les pays du sud. Pour ces derniers, dans l'après-guerre, les politiques de développement privilégiaient les grandes exploitations exportatrices. On prête désormais plus d'attention aux petits producteurs. On privilégiait la productivité, on pense désormais production durable. On dopait la production par les engrais et les pesticides. On insiste aujourd'hui sur le recyclage et la limitation des pollutions. Par rapport à l'élevage intensif, on retrouve les mérites du pâturage extensif.
Il me paraît fondamental d'avoir ce changement de perspective à l'esprit dans notre débat sur l'agriculture et la mondialisation. Ce passage d'un modèle agricole unique à un autre, multiple, ne va évidemment pas de soi.
Pour répondre à cette mondialisation verte, l'Union européenne a proposé un nouveau modèle agricole fondé sur le principe de la multifonctionnalité. Le concept est aussi délicat à manier que le mot est difficile à prononcer, au début. Mais il est maintenant devenu courant, y compris dans sa version anglaise. Toutefois cette notion n'est pas spontanément admise.
A Seattle, les Américains ne voulaient pas en entendre parler et certains pays émergents proposèrent en retour, d'appliquer le concept à tous les secteurs économiques et d'évoquer ainsi la multifonctionnalité de l'industrie ou des services.
Je souhaite donc d'abord préciser ce modèle agricole et vous dire ensuite comment il s'articule avec le débat nord-sud et l'impératif de sécurité.
I. Le modèle agricole européen : la multifonctionnalité.
Le modèle agricole et alimentaire européen, vous le savez, est désormais fondé sur cette notion. Ce concept met en avant toutes les fonctions de l'agriculture irréductibles à la seule dimension économique. Ces fonctions dites non-commerciales sont désormais au cur des préoccupations européennes. J'en veux pour preuve la conférence internationale qui s'est tenue à Ullensvang, en Norvège, du 2 au 4 juillet dernier. Je vous en donne l'intitulé in extenso : La contribution de l'agriculture aux considérations d'ordre non-commercial liées à l'environnement et à la culture. Au delà de son aspect un peu technocratique, cette conférence a été l'occasion de définir très précisément le rôle crucial de l'agriculture dans la préservation de l'environnement et de la ruralité.
Or, dans les négociations à l'OMC, nous sommes déterminés à faire valoir le modèle agricole européen. Je crois en effet que si la réduction des soutiens à la production apparaît souhaitable, sur un rythme progressif et prévisible, tous ne sont pas funestes.
Il faut trouver un moyen de rémunérer les agriculteurs pour la fourniture de ce que les économistes appellent les " biens publics " ou des " externalités positives ". La qualité des paysages ruraux, l'environnement sont en effet des services non marchands. Ces biens publics ne sont rien d'autres que des services publics rendus par les agriculteurs à la société dans son ensemble et que le marché ne dédommage pas. Pour les intégrer dans son modèle agricole, l'Union européenne a développé le concept de multifonctionnalité.
La conférence qui s'est tenue à Ullensvang était une première étape. Hier à Paris, j'ai organisé avec Jean Glavany et Franz Fischler une conférence au niveau des ministres pour approfondir le dialogue sur ces thèmes avec les pays en développement. Une quarantaine de pays étaient réunis pour en discuter, dont 25 pays en développement parmi lesquels de petits États insulaires, des économies en transition, et bon nombre de pays moins avancés (PMA).
L'article 20 de l'Accord sur l'agriculture, qui fonde la reprise de la négociation agricole à l'OMC, prévoit que cette négociation devra en particulier tenir compte des considérations non commerciales . Un grand nombre d'objectifs en réalité, qui concernent des domaines variés : l'économie, l'environnement et l'aménagement du territoire .
L'agriculture permet en effet de maintenir la diversité biologique. On le sait désormais, quand l'exploitation agricole est abandonnée, le maquis l'emporte et l'on déclenche un appauvrissement de la diversité des espèces, tant végétales qu'animales d'ailleurs. L'entretien des paysages cultivés participe à la préservation du monde rural. Les paysages ruraux sont façonnés par l'activité agricole.
Enfin, autre fonction non-commerciale: la prévention des catastrophes naturelles, inondations, incendies, renforcement de l'érosion, désertification, etc.
Ces considérations englobent des préoccupations propres aux pays en développement, qui ne peuvent tous s'inscrire dans une logique de libéralisation pure et simple et sans transition des échanges en matière agricole. Les forces du marché ne peuvent apporter une réponse satisfaisante à ces enjeux qui échappent stricto sensu à l'économique. La libéralisation ne peut pas être un objectif en soi. Mais elle peut être un moyen du développement à condition d'être strictement encadrée et complétée par des dispositifs de sauvegarde.
Cette approche est désormais partagée par un grand nombre de pays en développement. Un processus d'ouverture des échanges agricoles doit se faire dans le respect de la diversité des systèmes d'agriculture. Quoi de commun en effet entre un grand pays exportateur de produits tropicaux, un pays en transition, une petite île dont l'économie agricole est fortement dépendante d'une seule culture et un PMA importateur net qui cherche à développer son agriculture vivrière à l'abri des forces du marché ?
II. La politique commerciale comme instrument de développement
Les pays en développement se sont propulsés sur le devant de la scène à Seattle l'année dernière. L'échec de la conférence a révélé le malaise des pays en développement dans la négociation multilatérale. C'est d'ailleurs ce qui me fait dire aujourd'hui que Seattle n'a pas été un fiasco complet !
Nous avons assisté à une prise de conscience générale sur la nécessité de mieux prendre en compte les pays en développement à l'OMC, dans tous les domaines de négociation, et notamment dans le domaine agricole.
Cette activité représente en effet un enjeu vital pour ces pays. Béatrice Marre, à qui je vais laisser la parole, tout à l'heure est membre de la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne. Votre délégation, Mme le député, vient de rendre public un rapport de Jean-Claude Lefort intitulé " L'OMC a-t-elle perdu le Sud? " que je vous recommande. Il donne une liste des pays à faible revenu et à déficit vivrier. Au Burkina Faso, la population agricole représente plus de 9 habitants sur 10. Au Kenya, en Tanzanie, au Mali ou au Tchad, cette proportion oscille autour de 8 habitants sur 10. D'après la FAO, sur l'ensemble des pays en développement, plus de la moitié de la population est employée dans l'agriculture contre 8 % pour les pays développés.
Un autre chiffre illustre cette prépondérance du secteur agricole dans l'économie des pays du Sud. En 1998, d'après la Banque mondiale, l'agriculture représentait 20 % du PNB des économies à bas revenu, contre 2 % pour les pays à hauts revenus.
Parce que l'agriculture est essentielle pour les pays en développement, et parce que la diversité des agricultures des pays en développement impose la définition de règles adaptées, les prochaines négociations à l'OMC devront donc définir des règles spécifiques pour ces pays. C'est tout l'objet du traitement spécial et différencié, qui est expressément prévu par l'accord agricole de l'OMC.
Quelle forme celui-ci doit-il prendre ? La proposition globale de négociation que l'Union européenne vient d'adopter et qu'elle va transmettre à l'OMC esquisse plusieurs pistes de réflexion. Parmi celles-ci :
-En termes d'accès au marché, l'acceptation de la nécessité éventuelle, pour les pays en développement les plus fragiles, de conserver une protection afin de disposer du temps d'adaptation nécessaire ;
-L'octroi de préférences commerciales importantes aux moins avancés des pays en développement, par les pays développés et également par les plus développés des pays en développement ;
-afin de favoriser la lutte contre la pauvreté, l'exemption d'engagements de réduction des mesures de soutien interne contribuant à la vitalité durable des zones rurales et répondant aux préoccupations relatives à la sécurité alimentaire dans les pays en développement
-la fourniture, aux pays les moins avancés et aux pays en développement importateurs nets de produits alimentaires, d'une aide alimentaire intégralement à titre de don et dans des conditions qui ne portent pas préjudice à la production alimentaire locale ni aux capacités de commercialisation des pays bénéficiaires.
Ce sont quelques pistes, non exhaustives.
Je voudrais ajouter quelques mots sur l'accès au marché pour dire que, de manière générale, en matière d'accès au marché, l'Union n'a pas à rougir de son degré d'ouverture aux exportations des pays en développement.
Elle constitue de loin le premier débouché pour les produits en provenance de ces pays. Cette situation découle de la gamme étendue de préférences commerciales accordées par l'Union européenne aux pays en développement. Quelques données pour illustrer ces propos:
-l'UE est aussi le premier importateur mondial de produits en provenance des pays les moins avancés (elle en importe six fois plus que les Etats-Unis),
-elle absorbe 65 % des exportations des produits agricoles des pays ACP, contre 14 % pour les Etats-Unis.
-99 % de ses importations tous produits confondus en provenance des ACP se font à droit zéro, contre seulement 65 % pour les Etats-Unis.
Aucun pays au monde n'est plus ouvert aux pays en développement que l'Europe. Aussi, au titre de la présidence de l'Union européenne, permettez-moi de renouveler ici l'appel lancé aux autres pays développés pour qu'ils ouvrent davantage leurs marchés aux produits en provenance des pays les moins avancés. Comme vous le savez, l'Union européenne s'apprête elle-même à aller encore plus loin (nous sommes en train d'examiner une proposition ambitieuse de la Commission). Il serait également hautement souhaitable que les pays en développement les plus avancés puissent, eux aussi, contribuer à cet effort, en fonction de leur niveau de développement.
Nous le savons, l'agriculture présente des enjeux plus complexes pour les sociétés, développées ou en développement, que la plupart des secteurs industriels ou financiers. Elle tient à l'équilibre des territoires et à la satisfaction des besoins vitaux de l'humanité. Pour cette raison, elle doit échapper aux principes du libre échange classique, non pour en prendre le contre-pied, en interdisant tout commerce, mais pour faire de l'échange international un élément, parfois subsidiaire, du modèle agricole que doit établir chaque pays.
Mais cela ne signifie pas que, sous ce prétexte, nous n'ayons pas besoin d'un cadre international négocié en commun. Le problème n'est pas de savoir si nous avons besoin de règles, mais de quelles règles nous avons besoin. Des règles qui ne découlent pas d'une pensée unique, fondée sur le primat de l'échange, mais de la prise en compte des situations de chacun sur la voie du développement et du besoin d'une alimentation saine et équilibrée. Ce sont ces nouvelles règles que nous avons commencé et que nous devons continuer à définir ensemble.
Cette perspective vaut également pour les principes et normes de qualité.
III. Politique commerciale, qualité des produits agricoles
1. Libre échange et sécurité sanitaire des aliments
Tous les bénéfices d'un marché mondial élargi et libre d'entraves ne vaudraient pas grand chose si cette mondialisation avait pour effet pervers de d'entraîner tous les pays dans une forme de dumping sanitaire.
C'est la crainte qui est apparue lorsque l'Union européenne a été attaquée à l'OMC, pour son refus d'importer du buf aux hormones. Je crois qu'on a eu tort d'en conclure que l'OMC retirait aux peuples et aux Etats la possibilité de refuser certains produits qu'ils estiment dangereux.
C'est à mes yeux un faux procès. Que disent en effet les accords de l'OMC ?
Ils considèrent que tous les Etats sont souverains pour fixer le niveau de protection de leurs citoyens-consommateurs. En même temps, ce droit doit être encadré pour éviter des entraves injustifiées au commerce.
A cela, deux conséquences concrètes :
-Soit le niveau de protection est le même que celui recommandé par les normes internationales fixées dans le Codex alimentarius par la FAO et l'OMS. Alors, il ne s'agit pas d'une entrave au commerce.
-Soit le niveau de protection est supérieur aux recommandations du Codex. Alors, le pays doit se justifier, et réunir les preuves scientifiques d'un danger pour la santé humaine ou animale. C'est ce que l'Union européenne n'a pas été capable de faire, au moment où elle interdisait l'importation de buf aux hormones.
Cet encadrement n'est pas une mauvaise chose.
Que dirions-nous si un pays décrétait que nos eaux minérales, qui sont excellentes en terme de qualité, en terme de goût, etc., ne sont pas sûres parce qu'elles ne sont pas traitées au chlore ou à l'ozone, comme c'est le cas dans certains pays, et refusait par conséquent de les importer ? Je ne vous parle même pas des fromages au lait cru et des efforts sans cesse renouvelés que nous menons auprès de la Food and Drug Administration pour convaincre les Américains de leur innocuité.
Les pays en développement sont quant à eux très soucieux d'éviter que les normes sanitaires soient utilisées comme un alibi protectionniste des pays développés. Et c'est tout à fait compréhensible, parce que ces pays sont souvent exportateurs de matières premières agricoles et alimentaires. Dans certains cas, c'est même leur principale source de revenus à l'exportation : ils ne peuvent donc se permettre d'être à la merci de la moindre peur panique, de décisions subites, imprévues et unilatérales qui porteraient un coup très grave à leurs économies. Ils ont besoin de pouvoir compter sur des règles stables : cela fait partie des conditions d'un développement durable.
De manière générale, nous devons concilier les principes de transparence, de non-discrimination et d'objectivité scientifique. C'est le seul moyen d'assurer le droit essentiel des Etats à garantir la santé de leur population tout en évitant un protectionnisme injustifié.
Je parlais tout à l'heure de la nécessité de réunir des preuves scientifiques pour justifier une mesure de restriction des échanges. Il arrive que nous disposions seulement d'hypothèses contestées. C'est là un des enjeux de la reconnaissance du principe de précaution dans les règles du commerce international.
Il existe des risques identifiés, scientifiquement avérés et reconnus par tous, que l'on maîtrise en fixant des seuils pour les substances dangereuses par exemple. Mais il y a également des cas où des experts détectent des risques, sans pouvoir en mesurer précisément la nature.
La controverse se nourrit alors du doute. Rien de surprenant : le doute et la controverse ont toujours été les moteurs de la recherche scientifique.
Il est pourtant indispensable que, même lorsque les données scientifiques disponibles sont incomplètes, ou controversées, on puisse prendre des mesures, sans se faire accuser de protectionnisme.
C'est le sens de l'effort que font le gouvernement français et l'Union européenne pour que le principe de précaution soit pleinement reconnu au niveau international.
2. Libre-échangisme dans le domaine agricole et sécurité environnementale.
Ce problème d'une cohérence à trouver entre les règles du commerce international et la maîtrise des risques se trouve posé d'une manière particulièrement aiguë dans le cas des OGM.
C'est là davantage un problème environnemental. Mais l'affaire du maïs Starlink, potentiellement allergène, montre ses dimensions sanitaires.
Les pays de l'Union ont choisi d'encadrer la culture des OGM. Notre position est qu'il ne s'agit pas de produits agricoles comme les autres et qu'on ne mesure pas encore de manière suffisamment satisfaisante les risques éventuels pour l'environnement, voire pour la santé
Nous sommes donc favorables à une législation spécifique, à ce qu'on peut appeler une bio-vigilance, sur les OGM.
Les Etats-Unis sont d'un avis différent, même si, et je pourrai vous en parler plus longuement tout à l'heure, les choses commencent à changer.
Les OGM ne leur posent pas de problème Ils en sont de loin les premiers producteurs avec près de 30 000 hectares cultivés l'année dernière. La question peut donc être posée en termes de préférences collectives différentes :
- vous cultivez du soja ou du maïs transgénique. Pas nous.
- vous ne vous alarmez pas du fait que des lots de semences, soi-disant conventionnelles, contiennent une part de semences transgéniques. Nous, si.
Avec l'interdépendance des économies et l'augmentation des flux commerciaux, ces différences d'appréciation deviennent plus difficiles à gérer.
Cela ne signifie pas, bien sûr, et c'est tout le rôle du droit international, qu'on ne puisse trouver des moyens d'accorder ces points de vue.
L'enjeu des mouvements transfrontaliers d'OGM, comme vous le savez, c'est la capacité de chaque pays à maîtriser la dissémination incontrôlée des OGM, pour assurer la conservation de la biodiversité sur son territoire.
Grâce au protocole international qui a été négocié en janvier dernier à Montréal, on peut dire qu'un certain nombre d'objectifs ont été atteints: nous sommes parvenus à mettre en place des règles spécifiques d'échanges internationaux pour les OGM, respectueuses du principe de précaution.
Nous nous sommes également mis d'accord pour instaurer un mécanisme d'échange d'informations sur les OGM, instrument précieux à bien des égards et très utile aux pays en développement, qui n'ont pas toujours les capacités financières et technologiques pour évaluer les risques et mettre au point des tests de détection.
C'est d'ailleurs un sujet d'actualité, puisque toute la semaine prochaine aura lieu à Montpellier une conférence de suivi du protocole de biosécurité, afin de définir les modalités pratiques de cette nouvelle réglementation internationale.
3. Nos efforts pour promouvoir un modèle agricole et alimentaire fondé sur la spécificité et la qualité n'ont de sens que dans le cadre d'une concurrence loyale.
La protection de la spécificité des produits intéresse d'ailleurs autant les producteurs que les consommateurs.
Une politique de valorisation des produits passe, évidemment, par leur identification. Si tous les produits sont indifférenciés, la concurrence joue sur les prix et non sur la qualité. La compétition sur le marché mondial ne doit pas s'exercer seulement à travers les prix.
L'identification repose sur deux démarches complémentaires. Il s'agit d'abord d'obtenir une meilleure reconnaissance internationale des appellations d'origines. Nous devons également insister sur l'étiquetage en direction des consommateurs. On le sent bien, ces deux exigences sont indissociables.
Il s'agit d'un côté d'offrir des débouchés à des produits à forte valeur ajoutée. On encourage en ce sens les producteurs à diversifier leur production, à mettre l'accent sur la qualité tout en recueillant les fruits de leurs investissements. La protection des labels ou des appellations d'origine peut éviter l'uniformisation des produits et des comportements, en un mot, éviter le nivellement par le bas, c'est à dire la malbouffe. Il faut pouvoir mentionner des origines locales ou des lieux géographiques spécifiques. On encourage ainsi la diversification des productions, qui est le reflet de la richesse du monde rural. On assure par ailleurs la protection des consommateurs.
Outre une plus grande liberté de choix, un étiquetage adapté permet d'identifier l'origine géographique des produits. Les consommateurs sont demandeurs d'informations, ils exigent une plus grande transparence.
Ces objectifs ont été clairement exprimés par la Commission européenne, qui a déposé en juin dernier à l'OMC une contribution sur la qualité des produits alimentaires. Dans cette contribution déposée au nom des Etats-membres, la Commission souligne la nécessité de renforcer les règles d'une concurrence véritablement loyale et la protection contre l'usurpation des noms.
J'ajoute que cette volonté de protéger la spécificité des produits alimentaires n'a pas pour objectif de créer des obstacles au commerce. Elle n'est en aucun cas une forme de protectionnisme déguisée. Elle vise au contraire à ouvrir les marchés en éliminant une distorsion. Les pertes économiques liées à l'usurpation, c'est à dire la tromperie du consommateur, dissuadent les petits producteurs.
Les pays de l'Union ne sont pas les seuls à y avoir un intérêt. Les pays en développement sont directement concernés. Ils disposent d'un grand nombre de productions agricoles et alimentaires qui font appel à des savoir-faire traditionnels. Nous avons tous intérêt au renforcement du cadre réglementaire. Nous devons en particulier étendre les règles relatives aux appellations d'origine à l'OMC. Cela permettrait aux pays en voie de développement de dynamiser leurs productions locales : thé Darjeeling, riz Basmati, tequila mexicaine par exemple. C'est aussi une manière d'améliorer leur accès à des créneaux lucratifs sur les marchés développés.
Conclusion :
Voilà les principaux aspects du débat que je voulais aborder devant vous. Je suis surtout impatient maintenant de répondre à vos questions. Vous me permettrez de conclure en ouvrant quelques pistes polémiques à partir des principales critiques de la mondialisation ?
*Les bénéfices traditionnels de l'ouverture décrits par la théorie économique ne profitent pas à l'agriculture. La théorie des avantages comparatifs héritée de Ricardo souligne que les pays ont un intérêt aux échanges, qui les conduit à se spécialiser dans les secteurs où ils sont les plus compétitifs aux dépens des autres. Autant il est envisageable pour un pays d'abandonner la fabrication de tôle ondulée à plus performant que lui, autant la souveraineté et la sécurité alimentaires sont intangibles.
*2ème critique : le libre-échange étouffe les préférences collectives les plus légitimes, concernant en particulier la qualité ou la sécurité des aliments. Et l'on pense bien sûr au buf aux hormones ou aux OGM.
*Enfin, la compétition sur les marchés mondiaux s'exerce surtout au travers des prix et aux dépens de la qualité. Les pays développés ont les moyens de subventionner leurs productions et créent une concurrence déloyale pour les pays en développement.
Les critiques de la mondialisation posent de vraies questions. Je ne suis pas certains que les solutions qu'ils proposent soient forcément les bonnes. Je viens de vous présenter un certain nombre d'arguments sur lesquels je fonde mes réponses.
*L'autarcie, je l'ai dit, n'est pas aujourd'hui une réponse raisonnable. Certains pays ont des difficultés pour parvenir à l'autosuffisance alimentaire. La circulation des produits agricoles peut leur permettre d'apporter des réponses aux problèmes d'approvisionnement et de disette.
*L'agriculture paysanne ne peut pas répondre aux besoins des populations urbaines. L'approvisionnement des grandes métropoles exige un minimum de standardisation et de traitement industriel. L'opposition progrès technologique/produit de qualité, est largement manichéenne. Plus les centres de production sont éloignés des centres de consommation, plus la technologie s'avère indispensable pour assurer un approvisionnement de qualité (pensez à la chaîne du froid par exemple).
*Enfin, on oublie que la mondialisation répond à la demande de diversité exprimée par les consommateurs. N'oublions pas que le café et le chocolat étaient des produits de luxe au 18ème siècle, comme l'étaient encore les oranges dans l'après-guerre.
Les problèmes que les responsables politiques doivent affronter sont donc extrêmement complexes. Inscrire l'agriculture dans une perspective de développement durable, sans changer brutalement la règle du jeu pour nos agriculteurs, c'est le sens de la loi d'orientation agricole adoptée par le gouvernement. C'est plus largement, le sens de réforme de la PAC. Répondre aux besoins des consommateurs des pays industrialisés et assurer la subsistance et l'équilibre social des pays pauvres. Trouver un équilibre entre des intérêts souvent contradictoires pour assurer des règles sûres et équitables pour l'échange international. Dans ces problématiques, vous avez un rôle important à jouer. L'action du gouvernement uvre pour un progrès des règles nationales européennes et internationales : ce qu'on pourrait appeler le progrès juridique.
Mais nous ne pourrons assurer l'avenir de l'agriculture sans nous appuyer également sur le progrès scientifique et technologique dont vous êtes les artisans. Ce progrès dans les pays développés doit permettre une meilleure qualité des produits agricoles et, dans les pays en développement, il doit permettre d'atteindre des rendements plus élevés, tout en respectant les équilibres sociétaux et environnementaux. La recherche agronomique a dans ces deux dimensions une place essentielle et notre pays dispose grâce à son potentiel scientifique d'atouts majeurs.
(source http://www.commerce-exterieur.gouv.fr, le 19 février 2001)