Texte intégral
Conférence de presse de L. Jospin et A. Youssoufi,
à l'issue de la 4ème rencontre franco-marocaine
des chefs de gouvernement
le 03/05/2001
Intervention de Lionel Jospin
L. Jospin : "Mesdames et messieurs les ministres, mesdames et messieurs, nous venons de tenir avec le Premier ministre marocain, mon ami, A. Youssoufi, la quatrième rencontre des chefs de gouvernements, accompagnés de nos ministres, qui s'étaient d'ailleurs eux-mêmes réunis dans des entretiens particuliers, cependant que nous parlions ensemble, avec le Premier ministre marocain.
Ces réunions annuelles franco-marocaines, sont des exercices que nous partageons dans le monde avec très peu de pays, mais qui sont en outre, sans doute, marquées dans le cadre de l'action franco-marocaine, par le sceau d'une amitié très profonde, que des liens historiques et personnels renforcent.
Comme vous le savez, dès le départ, il y a eu un double objectif, d'autre part exprimé par un dialogue étroit et régulier, entre les deux gouvernements, sur tous les sujets d'intérêts communs bilatéraux ou internationaux, la volonté, partagée par la France et le Maroc, de donner un caractère privilégié à leurs relations. L'autre objectif était de définir ensemble, les ambitions que nous assignons à notre coopération, de nous fixer des objectifs à atteindre, en partant, bien sûr de la définition de ces priorités par le gouvernement marocain lui-même et, à partir de là, de donner les impulsions politiques nécessaires à la concrétisation, par les administrations ou par d'autres acteurs, de la société civile de cette coopération.
Ma dernière rencontre franco-marocaine s'était déroulée à Fès et à Marrakech, les 4 et 5 novembre 1999. Nous n'en avons pas tenu, comme nous le voulions dans l'année 2000, en raison d'un événement pour nous important, la visite du Roi Mohamed VI à Paris. Et aussi le fait, il faut bien le dire, que la France ayant assumé la présidence de l'Union européenne a été un peu surchargée par le dialogue de ce côté de la Méditerranée. Nous sommes donc heureux d'avoir pu faire ensemble un bilan positif de notre partenariat et d'avoir dégagé, comme à l'habitude, une véritable convergence franco-marocaine pour définir les grandes orientations stratégiques communes en matière de coopération : l'éducation, l'environnement institutionnel de l'activité économique, le développement social, le soutien aux PME et aux PMI. Nous nous sommes d'ailleurs appuyés à cet égard, sur les recommandations du rapport d'étape sur la rénovation de la coopération bilatérale qui nous avait été remis le 25 avril par le comité de réflexion de haut niveau, composé de messieurs Paye et Ben Hima.
En outre, le deuxième champ de nos échanges aujourd'hui, a été celui de l'approfondissement de la concertation politique entre nos deux gouvernements, sur les questions européennes, sur les négociations multilatérales - qu'il s'agisse de l'OMC, des changements climatiques, de la défense, de la diversité culturelle, sur les formes de notre coopération triangulaire en Afrique. Et nous avons, bien sûr, notamment à l'occasion du déjeuner de travail que venons de prendre ensemble, abordé un certain nombre de questions internationales. Bien sûr, au premier chef, la situation au Proche-Orient qui nous préoccupe gravement ; la situation dans les Balkans ; ou dans certains pays d'Afrique.
Nous avons, y compris dans l'entretien entre A. Youssoufi et moi-même, évoqué d'autres questions qui sont importantes. Je pense, par exemple, à l'évolution de l'islam en France, à cet effort d'organisation que nous appelons de nos voeux. Nous avons évoqué, bien sûr, aussi, la question du Sahara occidental. Nous sommes des interlocuteurs réguliers, nous nous retrouvons de façon familière. La façon dont nous nous exprimons, dont nous abordons les problèmes nous est maintenant si bien connue - chaque interlocuteur étant un ami et sa démarche intellectuelle étant bien comprise -, que nous n'avons peut-être pas besoin d'autant de temps que dans d'autres rencontres pour prendre des décisions, analyser en commun des situations et nous préparer à agir ensemble.
Donc, j'ai été extrêmement heureux de cette rencontre, de son travail constructif. Et si vous le voulez bien, avant de répondre à vos questions, j'inviterai le Premier ministre marocain à prendre la parole."
Allocution de monsieur A. Youssoufi, Premier ministre marocain
- "Merci, monsieur le Premier ministre et cher ami.
Mesdames et messieurs, je vous remercie très vivement pour l'intérêt que vous portez par votre présence, aux relations franco-marocaines. Des relations dont je n'ai nul besoin de souligner la densité, le caractère multiforme, et en définitif l'excellence.
Mesdames et messieurs, cette quatrième session des rencontres périodiques entre les chefs de gouvernement, succède, ainsi que vous le savez, à celle qui s'était déroulée à Fès en novembre 99. Notre rencontre d'aujourd'hui, a été donc, d'abord pour nous, l'occasion de procéder au bilan des progrès réalisés par notre coopération bilatérale depuis notre troisième rencontre. Et nous a surtout permis, à la lumière du rapport d'étape du Comité de réflexion de haut niveau, sur la rénovation du cadre de la coopération bilatérale, d'échanger nos points de vue sur les lignes stratégiques d'un partenariat rénové que nous souhaitons instaurer entre nos deux pays.
Notre réunion a en effet pris une nouvelle fois la forme d'un séminaire intergouvernemental que nous avons consacré à cerner les nouvelles frontières du partenariat rénové, qu'ensemble nous appelons de nos voeux. Un partenariat qui nous permette de consolider notre coopération bilatérale intergouvernementale sur la base de nos priorités communes. Un partenariat qui dynamise et élargisse la concertation politique et économique entre nos deux pays, sur les grandes questions internationales, qu'il s'agisse de la situation au Proche-Orient, des relations avec l'Union européenne, du partenariat euro-méditerranéen, du processus de négociation multilatérale dans la cadre de l'OMC ou encore des opérations de maintien de la paix. Enfin, un partenariat qui implique davantage les acteurs et structures non gouvernementales qui constituent un vivier important de notre relation bilatérale.
Cette quatrième rencontre au niveau des Chefs de gouvernement peut d'ores et déjà être considérée comme un franc succès. Je ne doute pas qu'elle ait ouvert de nouveaux horizons sur tous les plans, en partenariat entre nos deux pays que lie une relation de plus en plus forte et vivace.
Je vous remercie de votre attention."
Questions-réponses avec les journalistes
L. Jospin : "Mesdames et messieurs, nous sommes à votre disposition. Je vous en prie."
Question : En ce qui concerne le Proche-Orient, les deux analyses sont-elles convergentes sur la gravité de la situation et sur les efforts qu'il faudra déployer pour mettre fin à l'escalade ?
L. Jospin : "En ce qui concerne la situation au Proche-Orient, et sans vouloir répondre à la place du Premier ministre marocain, je crois que c'est la même très grave préoccupation que nous ressentons pour l'impasse dramatique dans laquelle a été engagé le processus de paix. Pour la disproportion évidente dans l'utilisation de la violence, la France comme l'Union européenne entend agir autant qu'il est possible d'abord pour contribuer à mettre un terme à la violence ; ensuite, si possible pour rétablir la confiance ; enfin, quand cela sera possible, si cela le redevient, car on peut être pessimiste aujourd'hui pour relancer le processus même de négociation, c'est-à-dire le processus de paix en dehors duquel nous ne voyons pas de solution au Proche-Orient."
A. Youssoufi : "Effectivement, je peux dire que nous avons fait la même analyse de la gravité de la situation au Moyen-Orient. Il est urgent d'oeuvrer pour que la violence disproportionnée cesse dans la région et que nous devrions oeuvrer tous ensemble pour que la communauté internationale, et surtout les forces politiques, les Etats européens et américains puissent converger pour mettre un terme à la situation dramatique que nous connaissons, pour que la négociation reprenne et pour que des résultats auxquels nous aspirons soient obtenus. Pour ce qui concerne l'affaire du Sahara, l'affaire des provinces méridionales du Maroc, depuis que j'ai eu le plaisir de m'adresser à la presse française, il y a eu un progrès. Ce progrès consiste en ceci : devant la difficulté de trouver des solutions aux innombrables problèmes qui empêchent la mise en oeuvre du référendum prévu par le règlement des Nations unies, le Maroc a répondu positivement à l'appel du secrétaire général et du Conseil de sécurité pour essayer de chercher une nouvelle solution politique à ce problème. Et effectivement, depuis septembre dernier, lors de la réunion qu'a présidé monsieur J. Baker, représentant personnel du secrétaire général des Nations Unies, le Maroc a annoncé solennellement sa disponibilité à entreprendre un dialogue direct avec l'autre parti pour arriver à une solution politique dans le cadre de l'unité territoriale du Maroc et de la souveraineté marocaine sur l'ensemble du territoire marocain. Une solution qui permettra aux populations des provinces du Sud de participer à la gestion de leurs propres affaires, dans le cadre d'une décentralisation négociée, décentralisation qui implique la dévolution d'un certain nombre de compétences aux autorités locales, qui seront alors constituées. Voilà l'essentiel du progrès qui a été réalisé. Le Maroc a fait part de sa volonté de réaliser cette solution, et nous sommes dans l'attente des réactions à nos propositions."
L. Jospin : "Je n'ai pas répondu moi-même, donc je crois qu'il est courtois de le faire ; je voulais séparer les deux questions. Vous savez que ce dossier du Sahara occidental est très complexe et géré depuis 10 ans maintenant par les Nations unies. La France est attachée par principe au règlement pacifique des conflits et nous nous sommes réjouis de voir les différentes parties concernées coopérer avec les Nations unies, le secrétaire général et son envoyé spécial, M. J. Baker, dont le Premier ministre vient de parler à l'instant. Compte tenu du blocage de la mise en oeuvre du plan que nous constatons, comme d'autres, nous ne pouvons que soutenir les efforts qui sont faits actuellement par M. K. Annan, secrétaire général des Nations Unies, et J. Baker pour essayer de sortir de cette impasse."
Question : Est-ce que vous avez parlé des relations entre le Maroc et l'Algérie ? Quelle est votre analyse en ce moment de ce qui se passe en Algérie et quelle politique préconisez-vous de la part de la France vis-à-vis de l'Algérie ? Est-ce qu'il y a du nouveau dans cette politique ?
L. Jospin " Chaque fois que nous nous voyons avec A. Youssoufi, nous parlons de la situation au Maroc, de la situation en France et nous parlons assez fréquemment de la situation dans les pays du Maghreb parce que, pour nous, l'espérance d'une unité trouvée du Maghreb, un développement concerté est un élément fondamental - je parle pour la France - un élément stratégique, ou une aspiration que nous souhaitons soutenir. Nous l'avons fait bien sûr notamment en raison aussi de l'actualité. Sur la situation en Algérie, le ministre des affaires étrangères s'est exprimé. Il a, à la fois, dit que la France devait sur ces sujets s'exprimer avec une certaine précaution. Il n'a pas caché - et je ne le cache pas non plus - la sérieuse préoccupation que provoque chez nous l'évolution de la situation dans la région que vous évoquez et le souhait vif que nous avons - parce que c'est toujours de cette façon qu'il faut trouver des solutions aux problèmes - que ce soit par le dialogue que des solutions puissent être trouvées à ces mouvements qui se sont produits et qui ont eu des conséquences dramatiques. Pour le reste, la France est attachée à une coopération avec l'Algérie qu'elle s'est efforcée de relancer d'ailleurs au cours des derniers mois - la visite du Président Bouteflika en France l'a marqué."
A. Youssoufi : "Je devrais me contenter de partager l'opinion de mon ami M. Le Premier ministre. Mais je voudrais vous confirmer aussi qu'il n'est pas possible que les responsables français et marocains se rencontrent et ne puissent pas passer en revue la situation dans les pays du Maghreb. C'est ce que nous avons fait et c'est ce que nous ferons certainement à l'avenir. Pour les positions, M. Le Premier ministre vous a fait part de la position du Gouvernement français. En ce qui concerne le Maroc vous savez - vous êtes déjà habitué à ça - qu'il ne se prononce pas sur ce qui se passe en Algérie et fait tout son possible pour ne pas se mêler des problèmes intérieurs algériens. Vous pouvez évaluer nos relations selon le point de vue que vous adopterez. D'un côté, il y a des relations diplomatiques normales - il y a des visites de responsables en Algérie et des responsables algériens au Maroc comme cela se passe entre des pays dont les relations sont tout à fait normales. Mais d'autre part, si vous vous placez d'un autre point de vue vous constaterez que les frontières sont fermées, que l'Union du Maghreb arabe ne s'est pas encore réunie - bien qu'elle a été maintenant précédée par les réunions de certaines commissions techniques importantes. Vous avez une double vision : relations quasi normales mais elles ont besoin d'amélioration."
Question : Le Maroc a manifesté sa préférence pour des négociations bilatérales. Le Portugal, semble-t-il, a fait le pas. Est-ce que dans vos négociations vous avez insisté sur ces préférences et est-ce que la France est disponible pour aller dans ce sens ?
A. Youssoufi : " Je crois que vous allez plus vite que la musique. Nous avons négocié avec l'Union européenne. Jusqu'à présent nous confirmons notre disponibilité à continuer ces négociations malgré la position assez tranchée qu'a prise le Président du gouvernement espagnol. Pour ce qui concerne la France, j'ai eu le plaisir de mettre au courant M. Le Premier ministre et sa délégation de l'évolution des choses dans ce domaine pour qu'ils soient informés du point de vue marocain et pour qu'ils soient informés aussi de la position du gouvernement espagnol."
L. Jospin : "Ce sujet ne concerne pas directement la France au plan bilatéral puisque le Premier ministre marocain m'a aussi confirmé qu'il n'y avait pas de pêcheurs français dans les eaux marocaines. Mais il nous concerne en tant qu'Etat membre de l'Union européenne. Le Premier ministre marocain sait que tant que la discussion a été menée sur la possibilité de renouveler un accord de pêche, la France a agi avec le soucis de prendre en compte la souveraineté du Maroc sur ces ressources halieutiques. Cela nous paraissait une exigence légitime. Nous nous sommes efforcés, sans empiéter sur les compétences de la commission qui avait la responsabilité de la négociation, de faciliter l'obtention d'un accord sur la base d'un bon compromis. Nous avons dû constater - et notamment lors du dernier conseil de l'agriculture et de la pêche qui s'est tenu à Bruxelles le 25 avril - que la commission avait estimé qu'elle ne pouvait pas aller plus loin dans cette direction. A ce stade nous en prenons acte."
Question : Au plan bilatéral est-ce qu'il a été question de l'examen de certaines des doléances de la communauté marocaine établie ici en France ?
A. Youssoufi : "Naturellement il ne peut pas exister de réunion franco-marocaines sans qu'on parle de la communauté marocaine qui vit en France. Nous faisons chaque fois la revue des problèmes qui se posent ou susceptibles de se poser. Tout ça pour montrer l'intérêt que manifestent les deux gouvernements pour la situation de l'immigration marocaine en France."
L. Jospin: "Cette question a naturellement été abordée. Il est tout à fait légitime qu'elle le soit de la part du Gouvernement marocain d'abord qui a le souci de veiller aux intérêts moraux de la communauté marocaine en France, de la part du gouvernement français qui a le souci d'accueillir dignement les étrangers en situation régulière sur son sol particulièrement quand ils viennent d'un pays ami avec qui nous avons de très bonnes relations. Si on tient compte en plus que cette communauté d'origine marocaine au sens géographique du terme est nombreuse - elle représente près d'un million de personnes - et que je crois environ 350 000 de ces hommes, femmes ou enfants sont des bi-nationaux, et donc sont des citoyennes ou citoyens français pour lesquels nous avons un souci d'intégration, il est normal que ces questions soient abordées. Nous en avons donc parlé. Nous avons parlé des problèmes de visa : le nombre s'en est accru de façon significative. Nous pouvons évoquer aussi les problèmes de flux, et notamment du problème des flux irréguliers parce que mieux on règle ensemble les problèmes de flux irréguliers et mieux on peut régler les problèmes des flux réguliers. Il faut tenir compte à la fois des besoins qui peuvent être les nôtres y compris en main d'oeuvre qualifiée parfois, des objectifs de développement qui sont ceux du Maroc. Ce sont des questions que traditionnellement nous abordons dans nos rencontres."
Question : Dans combien de temps se fera la mise à niveau de nos coopération ? Et comment elle se fera et est-ce qu'on imagine déjà quelle sorte de coopération ce sera ?
L. Jospin : "je ne sais pas ce que vous voulez dire par "mise à niveau de notre coopération " étant entendu que le Maroc est le pays qui bénéficie de l'aide la plus importante de la France. Même si le Premier ministre marocain et ses ministres notamment celui de l'Economie et des Finances ont souhaité que quantitativement - ce mot a été évoqué - cette aide latérale ne soit pas atténuée ou remise en question. Ce qui n'est nullement le cas. Nous l'avons précisé - le ministre des finances, de la coopérations et moi-même. Nous avons aussi beaucoup insisté compte tenu de l'importance de ces flux sur ces évolutions qualitatives. C'est là que ce que j'évoquais tout à l'heure, les cinq grandes priorités de notre coopération telle qu'elle résulte des choix de la partie marocaine et de notre capacité aussi à entrer dans cette coopération, c'est là où ces cinq grands axes de coopération témoignent de cette évolution dont vous parliez et que vous appeliez de vos voeux. Alors, nous allons maintenant continuer à le concrétiser. Le Premier ministre marocain et le ministre de l'Economie et des Finances ont insisté aussi sur l'importance significative des investissements étrangers au Maroc, dans son développement, et notamment des investissements français à l'occasion d'un certain nombre de grands contrats même - et c'est un acte de cette coopération - si nous avons arrêté qu'au delà des grands contrats signés par de très grandes entreprises françaises, les liens beaucoup plus développés entre le tissu des PMI et des PME devaient être une de nos priorités. D'ailleurs nous avons de plus en plus de petites et moyennes entreprises performantes à l'exportation en France, qui sont capables de s'ouvrir aux marchés internationaux et donc à un marché privilégié comme le marché marocain."
Question : Est-ce que vous croyez que l'échec des négociations sur un accord de pêche entre UE et le Maroc peut compliquer les négociations sur les accords agricoles qui vont commencer le mois prochain, je crois ?
A. Youssoufi : "De notre point de vue, non. Nous avons entendu des menaces de l'autre côté du détroit comme mesures de représailles. Mais nous avons confiance dans nos partenaires européens, avec lesquels nous sommes liés par un accord d'association, que les négociations se dérouleront de bonne foi comme l'exige la morale internationale."
L. Jospin : "Naturellement nous savons que les problèmes agricoles existent ; ils peuvent exister d'ailleurs dans le débat entre nos deux pays. Mais deux points sur lesquels nos ministres compétents ont insisté et que nous avons repris à notre compte, c'est le caractère nécessaire de discussion sur les problèmes du pétrole entre nos deux pays et c'est également la nécessité d'une discussion pour aborder de façon bien informée et peut-être d'ailleurs avec des visions assez proches, les négociations à l'OMC. Le Maroc - je parle du Maroc de Marrakech, si l'on peut dire les choses ainsi - au moins, historiquement, chronologiquement, pas géographiquement, bien sûr, ayant acquis dans ce domaine des compétences toutes particulières et ayant une conscience assez aiguë des besoins des pays développés, des pays émergents et des autres pays en développement."
Question : C'est une question pour les deux Premiers ministres : je voudrais savoir si vous avez parlé de la RDC, quelle a été votre position commune. Plus spécifiquement pour le Premier ministre Youssoufi, si le Maroc envisage de maintenir son contingent militaire dans ce pays ?
A. Youssoufi : "Nous avons parlé des problèmes africains, des conflits qui existent et nous avons réaffirmé la disponibilité du Maroc à oeuvrer pour l'instauration de la paix, notamment sur le continent africain, comme il a eu l'habitude de la faire. Comme vous le savez, mon pays vient d'envoyer un détachement pour participer à l'apaisement dans cette région et nous nous en félicitons. Je pense que nos compatriotes militaires vont s'acquitter comme il le faut de leur tâche et faire honneur au Maroc, comme l'ont toujours fait leurs autres camarades d'arme."
Question : On reparle en France ces jours-ci beaucoup de la guerre d'algérie, à l'occasion de la publication du livre du général Aussaresses. Quelle attitude, la France doit-elle selon vous adopter par rapport à cette période ?
L. Jospin : Je ne sais pas si je peux m'exprimer au nom de la France. Je peux m'exprimer en mon nom et au nom du Gouvernement. Et je voudrais vous dire que j'entends réagir aux déclarations, qui m'ont profondément choqué, faites avec un cynisme révoltant par le général Aussaresses. A l'égard de la guerre d'Algérie en général, vous le savez, j'ai toujours souhaité observer un double impératif de vérité et de mémoire. Le souci de vérité inspire en particulier l'ouverture des archives de l'administration sur cette période, qui vient de faire l'objet de la publication au Journal officiel du 26 avril dernier, d'une circulaire que j'ai signé moi-même. La mémoire impose le rappel des sacrifices consentis dont le souvenir sera notamment perpétué par un mémorial national pour les soldats tombés au cours de la guerre d'Algérie. En ce qui concerne les actions judiciaires que les déclarations du général Aussaresses pourraient appeler, je ne peux me prononcer dans l'exercice de mes responsabilités, car c'est à la justice elle-même de le faire. En revanche, ce que je peux et ce que je veux dire, c'est que les faits qui viennent d'être reconnus et presque revendiqués, constituent des exactions terribles qui appellent de ma part, comme Premier ministre de la République, une totale condamnation morale."
Question : Est-ce que ce général peut rester général de l'armée française ?
L. Jospin : J'ai répondu, madame.
Question : Est-ce qu'il y a des choses à faire au niveau de l'armée, puisque cette personne fait encore partie de l'armée française ?
L. Jospin : J'ai fait aujourd'hui une déclaration. Je crois qu'elle est extrêmement claire. Et nous aurons, aux différents plans qui peuvent se présenter, à examiner ensuite - ces révélations datent d'hier - les conséquences qui peuvent en être tirées.
Question: Je voudrais revenir à la coopération franco-marocaine. Maintenant que la France est en train réviser, de réformer l'aide publique au développement, est-ce que cet aspect a fait l'objet de concertation entre les deux partis et est-ce que cette révision ne risque peut-être pas de toucher ou de réduire cette aide quantitativement, comme vous l'avez dit tout à l'heure ?
L. Jospin : Cette réflexion, puis ces prises de décisions sur la rénovation de la coopération française, datent de 1998. Donc de plus de deux ans. Elles ont été conduites, ces réflexions, naturellement, en discussion et en concertation avec un certain nombre de nos partenaires. Les restructurations, les choix politiques et administratifs qui ont été faits, les instruments nouveaux dont nous nous sommes dotés, tout cela est déjà mis en oeuvre depuis deux ans. Au même moment où la coopération entre le Maroc et la France est en plein éclat. Je crois donc que la réponse à votre question existe déjà dans la réalité ; ce n'est pas quelque chose que nous projetons de faire, c'est quelque chose que nous avons commencé à faire. Et, à l'évidence, cela a plutôt contribué à stimuler et à renouveler les formes de notre coopération, notamment le fait de choisir des priorités qui sont les priorités choisies par le Maroc lui-même. C'est cela qui est l'élément symbolique de ce changement d'attitude profond de la France dans sa politique de coopération, qui devient un véritable partenariat."
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 7 mai 2001)
à l'issue de la 4ème rencontre franco-marocaine
des chefs de gouvernement
le 03/05/2001
Intervention de Lionel Jospin
L. Jospin : "Mesdames et messieurs les ministres, mesdames et messieurs, nous venons de tenir avec le Premier ministre marocain, mon ami, A. Youssoufi, la quatrième rencontre des chefs de gouvernements, accompagnés de nos ministres, qui s'étaient d'ailleurs eux-mêmes réunis dans des entretiens particuliers, cependant que nous parlions ensemble, avec le Premier ministre marocain.
Ces réunions annuelles franco-marocaines, sont des exercices que nous partageons dans le monde avec très peu de pays, mais qui sont en outre, sans doute, marquées dans le cadre de l'action franco-marocaine, par le sceau d'une amitié très profonde, que des liens historiques et personnels renforcent.
Comme vous le savez, dès le départ, il y a eu un double objectif, d'autre part exprimé par un dialogue étroit et régulier, entre les deux gouvernements, sur tous les sujets d'intérêts communs bilatéraux ou internationaux, la volonté, partagée par la France et le Maroc, de donner un caractère privilégié à leurs relations. L'autre objectif était de définir ensemble, les ambitions que nous assignons à notre coopération, de nous fixer des objectifs à atteindre, en partant, bien sûr de la définition de ces priorités par le gouvernement marocain lui-même et, à partir de là, de donner les impulsions politiques nécessaires à la concrétisation, par les administrations ou par d'autres acteurs, de la société civile de cette coopération.
Ma dernière rencontre franco-marocaine s'était déroulée à Fès et à Marrakech, les 4 et 5 novembre 1999. Nous n'en avons pas tenu, comme nous le voulions dans l'année 2000, en raison d'un événement pour nous important, la visite du Roi Mohamed VI à Paris. Et aussi le fait, il faut bien le dire, que la France ayant assumé la présidence de l'Union européenne a été un peu surchargée par le dialogue de ce côté de la Méditerranée. Nous sommes donc heureux d'avoir pu faire ensemble un bilan positif de notre partenariat et d'avoir dégagé, comme à l'habitude, une véritable convergence franco-marocaine pour définir les grandes orientations stratégiques communes en matière de coopération : l'éducation, l'environnement institutionnel de l'activité économique, le développement social, le soutien aux PME et aux PMI. Nous nous sommes d'ailleurs appuyés à cet égard, sur les recommandations du rapport d'étape sur la rénovation de la coopération bilatérale qui nous avait été remis le 25 avril par le comité de réflexion de haut niveau, composé de messieurs Paye et Ben Hima.
En outre, le deuxième champ de nos échanges aujourd'hui, a été celui de l'approfondissement de la concertation politique entre nos deux gouvernements, sur les questions européennes, sur les négociations multilatérales - qu'il s'agisse de l'OMC, des changements climatiques, de la défense, de la diversité culturelle, sur les formes de notre coopération triangulaire en Afrique. Et nous avons, bien sûr, notamment à l'occasion du déjeuner de travail que venons de prendre ensemble, abordé un certain nombre de questions internationales. Bien sûr, au premier chef, la situation au Proche-Orient qui nous préoccupe gravement ; la situation dans les Balkans ; ou dans certains pays d'Afrique.
Nous avons, y compris dans l'entretien entre A. Youssoufi et moi-même, évoqué d'autres questions qui sont importantes. Je pense, par exemple, à l'évolution de l'islam en France, à cet effort d'organisation que nous appelons de nos voeux. Nous avons évoqué, bien sûr, aussi, la question du Sahara occidental. Nous sommes des interlocuteurs réguliers, nous nous retrouvons de façon familière. La façon dont nous nous exprimons, dont nous abordons les problèmes nous est maintenant si bien connue - chaque interlocuteur étant un ami et sa démarche intellectuelle étant bien comprise -, que nous n'avons peut-être pas besoin d'autant de temps que dans d'autres rencontres pour prendre des décisions, analyser en commun des situations et nous préparer à agir ensemble.
Donc, j'ai été extrêmement heureux de cette rencontre, de son travail constructif. Et si vous le voulez bien, avant de répondre à vos questions, j'inviterai le Premier ministre marocain à prendre la parole."
Allocution de monsieur A. Youssoufi, Premier ministre marocain
- "Merci, monsieur le Premier ministre et cher ami.
Mesdames et messieurs, je vous remercie très vivement pour l'intérêt que vous portez par votre présence, aux relations franco-marocaines. Des relations dont je n'ai nul besoin de souligner la densité, le caractère multiforme, et en définitif l'excellence.
Mesdames et messieurs, cette quatrième session des rencontres périodiques entre les chefs de gouvernement, succède, ainsi que vous le savez, à celle qui s'était déroulée à Fès en novembre 99. Notre rencontre d'aujourd'hui, a été donc, d'abord pour nous, l'occasion de procéder au bilan des progrès réalisés par notre coopération bilatérale depuis notre troisième rencontre. Et nous a surtout permis, à la lumière du rapport d'étape du Comité de réflexion de haut niveau, sur la rénovation du cadre de la coopération bilatérale, d'échanger nos points de vue sur les lignes stratégiques d'un partenariat rénové que nous souhaitons instaurer entre nos deux pays.
Notre réunion a en effet pris une nouvelle fois la forme d'un séminaire intergouvernemental que nous avons consacré à cerner les nouvelles frontières du partenariat rénové, qu'ensemble nous appelons de nos voeux. Un partenariat qui nous permette de consolider notre coopération bilatérale intergouvernementale sur la base de nos priorités communes. Un partenariat qui dynamise et élargisse la concertation politique et économique entre nos deux pays, sur les grandes questions internationales, qu'il s'agisse de la situation au Proche-Orient, des relations avec l'Union européenne, du partenariat euro-méditerranéen, du processus de négociation multilatérale dans la cadre de l'OMC ou encore des opérations de maintien de la paix. Enfin, un partenariat qui implique davantage les acteurs et structures non gouvernementales qui constituent un vivier important de notre relation bilatérale.
Cette quatrième rencontre au niveau des Chefs de gouvernement peut d'ores et déjà être considérée comme un franc succès. Je ne doute pas qu'elle ait ouvert de nouveaux horizons sur tous les plans, en partenariat entre nos deux pays que lie une relation de plus en plus forte et vivace.
Je vous remercie de votre attention."
Questions-réponses avec les journalistes
L. Jospin : "Mesdames et messieurs, nous sommes à votre disposition. Je vous en prie."
Question : En ce qui concerne le Proche-Orient, les deux analyses sont-elles convergentes sur la gravité de la situation et sur les efforts qu'il faudra déployer pour mettre fin à l'escalade ?
L. Jospin : "En ce qui concerne la situation au Proche-Orient, et sans vouloir répondre à la place du Premier ministre marocain, je crois que c'est la même très grave préoccupation que nous ressentons pour l'impasse dramatique dans laquelle a été engagé le processus de paix. Pour la disproportion évidente dans l'utilisation de la violence, la France comme l'Union européenne entend agir autant qu'il est possible d'abord pour contribuer à mettre un terme à la violence ; ensuite, si possible pour rétablir la confiance ; enfin, quand cela sera possible, si cela le redevient, car on peut être pessimiste aujourd'hui pour relancer le processus même de négociation, c'est-à-dire le processus de paix en dehors duquel nous ne voyons pas de solution au Proche-Orient."
A. Youssoufi : "Effectivement, je peux dire que nous avons fait la même analyse de la gravité de la situation au Moyen-Orient. Il est urgent d'oeuvrer pour que la violence disproportionnée cesse dans la région et que nous devrions oeuvrer tous ensemble pour que la communauté internationale, et surtout les forces politiques, les Etats européens et américains puissent converger pour mettre un terme à la situation dramatique que nous connaissons, pour que la négociation reprenne et pour que des résultats auxquels nous aspirons soient obtenus. Pour ce qui concerne l'affaire du Sahara, l'affaire des provinces méridionales du Maroc, depuis que j'ai eu le plaisir de m'adresser à la presse française, il y a eu un progrès. Ce progrès consiste en ceci : devant la difficulté de trouver des solutions aux innombrables problèmes qui empêchent la mise en oeuvre du référendum prévu par le règlement des Nations unies, le Maroc a répondu positivement à l'appel du secrétaire général et du Conseil de sécurité pour essayer de chercher une nouvelle solution politique à ce problème. Et effectivement, depuis septembre dernier, lors de la réunion qu'a présidé monsieur J. Baker, représentant personnel du secrétaire général des Nations Unies, le Maroc a annoncé solennellement sa disponibilité à entreprendre un dialogue direct avec l'autre parti pour arriver à une solution politique dans le cadre de l'unité territoriale du Maroc et de la souveraineté marocaine sur l'ensemble du territoire marocain. Une solution qui permettra aux populations des provinces du Sud de participer à la gestion de leurs propres affaires, dans le cadre d'une décentralisation négociée, décentralisation qui implique la dévolution d'un certain nombre de compétences aux autorités locales, qui seront alors constituées. Voilà l'essentiel du progrès qui a été réalisé. Le Maroc a fait part de sa volonté de réaliser cette solution, et nous sommes dans l'attente des réactions à nos propositions."
L. Jospin : "Je n'ai pas répondu moi-même, donc je crois qu'il est courtois de le faire ; je voulais séparer les deux questions. Vous savez que ce dossier du Sahara occidental est très complexe et géré depuis 10 ans maintenant par les Nations unies. La France est attachée par principe au règlement pacifique des conflits et nous nous sommes réjouis de voir les différentes parties concernées coopérer avec les Nations unies, le secrétaire général et son envoyé spécial, M. J. Baker, dont le Premier ministre vient de parler à l'instant. Compte tenu du blocage de la mise en oeuvre du plan que nous constatons, comme d'autres, nous ne pouvons que soutenir les efforts qui sont faits actuellement par M. K. Annan, secrétaire général des Nations Unies, et J. Baker pour essayer de sortir de cette impasse."
Question : Est-ce que vous avez parlé des relations entre le Maroc et l'Algérie ? Quelle est votre analyse en ce moment de ce qui se passe en Algérie et quelle politique préconisez-vous de la part de la France vis-à-vis de l'Algérie ? Est-ce qu'il y a du nouveau dans cette politique ?
L. Jospin " Chaque fois que nous nous voyons avec A. Youssoufi, nous parlons de la situation au Maroc, de la situation en France et nous parlons assez fréquemment de la situation dans les pays du Maghreb parce que, pour nous, l'espérance d'une unité trouvée du Maghreb, un développement concerté est un élément fondamental - je parle pour la France - un élément stratégique, ou une aspiration que nous souhaitons soutenir. Nous l'avons fait bien sûr notamment en raison aussi de l'actualité. Sur la situation en Algérie, le ministre des affaires étrangères s'est exprimé. Il a, à la fois, dit que la France devait sur ces sujets s'exprimer avec une certaine précaution. Il n'a pas caché - et je ne le cache pas non plus - la sérieuse préoccupation que provoque chez nous l'évolution de la situation dans la région que vous évoquez et le souhait vif que nous avons - parce que c'est toujours de cette façon qu'il faut trouver des solutions aux problèmes - que ce soit par le dialogue que des solutions puissent être trouvées à ces mouvements qui se sont produits et qui ont eu des conséquences dramatiques. Pour le reste, la France est attachée à une coopération avec l'Algérie qu'elle s'est efforcée de relancer d'ailleurs au cours des derniers mois - la visite du Président Bouteflika en France l'a marqué."
A. Youssoufi : "Je devrais me contenter de partager l'opinion de mon ami M. Le Premier ministre. Mais je voudrais vous confirmer aussi qu'il n'est pas possible que les responsables français et marocains se rencontrent et ne puissent pas passer en revue la situation dans les pays du Maghreb. C'est ce que nous avons fait et c'est ce que nous ferons certainement à l'avenir. Pour les positions, M. Le Premier ministre vous a fait part de la position du Gouvernement français. En ce qui concerne le Maroc vous savez - vous êtes déjà habitué à ça - qu'il ne se prononce pas sur ce qui se passe en Algérie et fait tout son possible pour ne pas se mêler des problèmes intérieurs algériens. Vous pouvez évaluer nos relations selon le point de vue que vous adopterez. D'un côté, il y a des relations diplomatiques normales - il y a des visites de responsables en Algérie et des responsables algériens au Maroc comme cela se passe entre des pays dont les relations sont tout à fait normales. Mais d'autre part, si vous vous placez d'un autre point de vue vous constaterez que les frontières sont fermées, que l'Union du Maghreb arabe ne s'est pas encore réunie - bien qu'elle a été maintenant précédée par les réunions de certaines commissions techniques importantes. Vous avez une double vision : relations quasi normales mais elles ont besoin d'amélioration."
Question : Le Maroc a manifesté sa préférence pour des négociations bilatérales. Le Portugal, semble-t-il, a fait le pas. Est-ce que dans vos négociations vous avez insisté sur ces préférences et est-ce que la France est disponible pour aller dans ce sens ?
A. Youssoufi : " Je crois que vous allez plus vite que la musique. Nous avons négocié avec l'Union européenne. Jusqu'à présent nous confirmons notre disponibilité à continuer ces négociations malgré la position assez tranchée qu'a prise le Président du gouvernement espagnol. Pour ce qui concerne la France, j'ai eu le plaisir de mettre au courant M. Le Premier ministre et sa délégation de l'évolution des choses dans ce domaine pour qu'ils soient informés du point de vue marocain et pour qu'ils soient informés aussi de la position du gouvernement espagnol."
L. Jospin : "Ce sujet ne concerne pas directement la France au plan bilatéral puisque le Premier ministre marocain m'a aussi confirmé qu'il n'y avait pas de pêcheurs français dans les eaux marocaines. Mais il nous concerne en tant qu'Etat membre de l'Union européenne. Le Premier ministre marocain sait que tant que la discussion a été menée sur la possibilité de renouveler un accord de pêche, la France a agi avec le soucis de prendre en compte la souveraineté du Maroc sur ces ressources halieutiques. Cela nous paraissait une exigence légitime. Nous nous sommes efforcés, sans empiéter sur les compétences de la commission qui avait la responsabilité de la négociation, de faciliter l'obtention d'un accord sur la base d'un bon compromis. Nous avons dû constater - et notamment lors du dernier conseil de l'agriculture et de la pêche qui s'est tenu à Bruxelles le 25 avril - que la commission avait estimé qu'elle ne pouvait pas aller plus loin dans cette direction. A ce stade nous en prenons acte."
Question : Au plan bilatéral est-ce qu'il a été question de l'examen de certaines des doléances de la communauté marocaine établie ici en France ?
A. Youssoufi : "Naturellement il ne peut pas exister de réunion franco-marocaines sans qu'on parle de la communauté marocaine qui vit en France. Nous faisons chaque fois la revue des problèmes qui se posent ou susceptibles de se poser. Tout ça pour montrer l'intérêt que manifestent les deux gouvernements pour la situation de l'immigration marocaine en France."
L. Jospin: "Cette question a naturellement été abordée. Il est tout à fait légitime qu'elle le soit de la part du Gouvernement marocain d'abord qui a le souci de veiller aux intérêts moraux de la communauté marocaine en France, de la part du gouvernement français qui a le souci d'accueillir dignement les étrangers en situation régulière sur son sol particulièrement quand ils viennent d'un pays ami avec qui nous avons de très bonnes relations. Si on tient compte en plus que cette communauté d'origine marocaine au sens géographique du terme est nombreuse - elle représente près d'un million de personnes - et que je crois environ 350 000 de ces hommes, femmes ou enfants sont des bi-nationaux, et donc sont des citoyennes ou citoyens français pour lesquels nous avons un souci d'intégration, il est normal que ces questions soient abordées. Nous en avons donc parlé. Nous avons parlé des problèmes de visa : le nombre s'en est accru de façon significative. Nous pouvons évoquer aussi les problèmes de flux, et notamment du problème des flux irréguliers parce que mieux on règle ensemble les problèmes de flux irréguliers et mieux on peut régler les problèmes des flux réguliers. Il faut tenir compte à la fois des besoins qui peuvent être les nôtres y compris en main d'oeuvre qualifiée parfois, des objectifs de développement qui sont ceux du Maroc. Ce sont des questions que traditionnellement nous abordons dans nos rencontres."
Question : Dans combien de temps se fera la mise à niveau de nos coopération ? Et comment elle se fera et est-ce qu'on imagine déjà quelle sorte de coopération ce sera ?
L. Jospin : "je ne sais pas ce que vous voulez dire par "mise à niveau de notre coopération " étant entendu que le Maroc est le pays qui bénéficie de l'aide la plus importante de la France. Même si le Premier ministre marocain et ses ministres notamment celui de l'Economie et des Finances ont souhaité que quantitativement - ce mot a été évoqué - cette aide latérale ne soit pas atténuée ou remise en question. Ce qui n'est nullement le cas. Nous l'avons précisé - le ministre des finances, de la coopérations et moi-même. Nous avons aussi beaucoup insisté compte tenu de l'importance de ces flux sur ces évolutions qualitatives. C'est là que ce que j'évoquais tout à l'heure, les cinq grandes priorités de notre coopération telle qu'elle résulte des choix de la partie marocaine et de notre capacité aussi à entrer dans cette coopération, c'est là où ces cinq grands axes de coopération témoignent de cette évolution dont vous parliez et que vous appeliez de vos voeux. Alors, nous allons maintenant continuer à le concrétiser. Le Premier ministre marocain et le ministre de l'Economie et des Finances ont insisté aussi sur l'importance significative des investissements étrangers au Maroc, dans son développement, et notamment des investissements français à l'occasion d'un certain nombre de grands contrats même - et c'est un acte de cette coopération - si nous avons arrêté qu'au delà des grands contrats signés par de très grandes entreprises françaises, les liens beaucoup plus développés entre le tissu des PMI et des PME devaient être une de nos priorités. D'ailleurs nous avons de plus en plus de petites et moyennes entreprises performantes à l'exportation en France, qui sont capables de s'ouvrir aux marchés internationaux et donc à un marché privilégié comme le marché marocain."
Question : Est-ce que vous croyez que l'échec des négociations sur un accord de pêche entre UE et le Maroc peut compliquer les négociations sur les accords agricoles qui vont commencer le mois prochain, je crois ?
A. Youssoufi : "De notre point de vue, non. Nous avons entendu des menaces de l'autre côté du détroit comme mesures de représailles. Mais nous avons confiance dans nos partenaires européens, avec lesquels nous sommes liés par un accord d'association, que les négociations se dérouleront de bonne foi comme l'exige la morale internationale."
L. Jospin : "Naturellement nous savons que les problèmes agricoles existent ; ils peuvent exister d'ailleurs dans le débat entre nos deux pays. Mais deux points sur lesquels nos ministres compétents ont insisté et que nous avons repris à notre compte, c'est le caractère nécessaire de discussion sur les problèmes du pétrole entre nos deux pays et c'est également la nécessité d'une discussion pour aborder de façon bien informée et peut-être d'ailleurs avec des visions assez proches, les négociations à l'OMC. Le Maroc - je parle du Maroc de Marrakech, si l'on peut dire les choses ainsi - au moins, historiquement, chronologiquement, pas géographiquement, bien sûr, ayant acquis dans ce domaine des compétences toutes particulières et ayant une conscience assez aiguë des besoins des pays développés, des pays émergents et des autres pays en développement."
Question : C'est une question pour les deux Premiers ministres : je voudrais savoir si vous avez parlé de la RDC, quelle a été votre position commune. Plus spécifiquement pour le Premier ministre Youssoufi, si le Maroc envisage de maintenir son contingent militaire dans ce pays ?
A. Youssoufi : "Nous avons parlé des problèmes africains, des conflits qui existent et nous avons réaffirmé la disponibilité du Maroc à oeuvrer pour l'instauration de la paix, notamment sur le continent africain, comme il a eu l'habitude de la faire. Comme vous le savez, mon pays vient d'envoyer un détachement pour participer à l'apaisement dans cette région et nous nous en félicitons. Je pense que nos compatriotes militaires vont s'acquitter comme il le faut de leur tâche et faire honneur au Maroc, comme l'ont toujours fait leurs autres camarades d'arme."
Question : On reparle en France ces jours-ci beaucoup de la guerre d'algérie, à l'occasion de la publication du livre du général Aussaresses. Quelle attitude, la France doit-elle selon vous adopter par rapport à cette période ?
L. Jospin : Je ne sais pas si je peux m'exprimer au nom de la France. Je peux m'exprimer en mon nom et au nom du Gouvernement. Et je voudrais vous dire que j'entends réagir aux déclarations, qui m'ont profondément choqué, faites avec un cynisme révoltant par le général Aussaresses. A l'égard de la guerre d'Algérie en général, vous le savez, j'ai toujours souhaité observer un double impératif de vérité et de mémoire. Le souci de vérité inspire en particulier l'ouverture des archives de l'administration sur cette période, qui vient de faire l'objet de la publication au Journal officiel du 26 avril dernier, d'une circulaire que j'ai signé moi-même. La mémoire impose le rappel des sacrifices consentis dont le souvenir sera notamment perpétué par un mémorial national pour les soldats tombés au cours de la guerre d'Algérie. En ce qui concerne les actions judiciaires que les déclarations du général Aussaresses pourraient appeler, je ne peux me prononcer dans l'exercice de mes responsabilités, car c'est à la justice elle-même de le faire. En revanche, ce que je peux et ce que je veux dire, c'est que les faits qui viennent d'être reconnus et presque revendiqués, constituent des exactions terribles qui appellent de ma part, comme Premier ministre de la République, une totale condamnation morale."
Question : Est-ce que ce général peut rester général de l'armée française ?
L. Jospin : J'ai répondu, madame.
Question : Est-ce qu'il y a des choses à faire au niveau de l'armée, puisque cette personne fait encore partie de l'armée française ?
L. Jospin : J'ai fait aujourd'hui une déclaration. Je crois qu'elle est extrêmement claire. Et nous aurons, aux différents plans qui peuvent se présenter, à examiner ensuite - ces révélations datent d'hier - les conséquences qui peuvent en être tirées.
Question: Je voudrais revenir à la coopération franco-marocaine. Maintenant que la France est en train réviser, de réformer l'aide publique au développement, est-ce que cet aspect a fait l'objet de concertation entre les deux partis et est-ce que cette révision ne risque peut-être pas de toucher ou de réduire cette aide quantitativement, comme vous l'avez dit tout à l'heure ?
L. Jospin : Cette réflexion, puis ces prises de décisions sur la rénovation de la coopération française, datent de 1998. Donc de plus de deux ans. Elles ont été conduites, ces réflexions, naturellement, en discussion et en concertation avec un certain nombre de nos partenaires. Les restructurations, les choix politiques et administratifs qui ont été faits, les instruments nouveaux dont nous nous sommes dotés, tout cela est déjà mis en oeuvre depuis deux ans. Au même moment où la coopération entre le Maroc et la France est en plein éclat. Je crois donc que la réponse à votre question existe déjà dans la réalité ; ce n'est pas quelque chose que nous projetons de faire, c'est quelque chose que nous avons commencé à faire. Et, à l'évidence, cela a plutôt contribué à stimuler et à renouveler les formes de notre coopération, notamment le fait de choisir des priorités qui sont les priorités choisies par le Maroc lui-même. C'est cela qui est l'élément symbolique de ce changement d'attitude profond de la France dans sa politique de coopération, qui devient un véritable partenariat."
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 7 mai 2001)