Interview de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, à "RTL" le 31 décembre 2009, sur les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel d'annuler la taxe carbone et de valider la suppression de la taxe professionnelle dans la loi de finances pour 2010.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

M. Tronchot.- Bonjour madame Lagarde. Rentrons tout de suite dans le vif du sujet : quelle méthode suggérez-vous pour sortir de la situation délicate créée par l'invalidation de la taxe carbone ? Est-ce qu'on revoit toutes les exonérations une par une, et en supprime-t-on ?

Non. Ce que nous devons faire maintenant, c'est bien sûr prendre l'avis du Conseil constitutionnel, examiner très précisément les griefs qu'il a retenus contre cette partie du projet de loi de Finances, et puis, refaire la copie en tenant compte des prescriptions du Conseil constitutionnel. C'est une copie recalée pour cette partie-là, et nous allons la refaire dans des délais très rapides, puisque le Premier ministre nous a demandés pour le 20 janvier, c'est-à-dire le prochain Conseil des ministres utile pour ce faire, de présenter une copie révisée et nous allons le faire.

Que les plus gros pollueurs ne fassent pas partie des payeurs, c'était choquant non ?

Alors j'écoutais attentivement la commentatrice tout à l'heure ; et malheureusement, la question du kérosène ne va pas être réglée, tout simplement parce que la question du kérosène sur les avions, elle relève de la règlementation communautaire. Donc, on va reprendre la copie pour les secteurs industriels - qui seront soumis - qui sont déjà soumis d'ailleurs au marché de quotas d'émissions dont nous avions considéré que c'était déjà une peine suffisante et qu'il n'y avait pas de raison de mettre une double peine. Le Conseil constitutionnel est souverain. On va suivre ces recommandations à cet égard ; mais toutes les autres exceptions, dérogations, etc., notamment en faveur des agriculteurs, une mise en place graduelle pour les secteurs des transports, tout ça n'est pas critiqué par le Conseil constitutionnel ; donc, il n'y a pas de raison d'y revenir.

Pour les agriculteurs et pour les routiers, c'est aussi un petit peu par peur des mouvements de protestations qui s'ensuivraient fatalement, non ?

Ah, le Conseil constitutionnel ne juge pas dans ce domaine. Non, non, non. Il examine si la loi votée par le parlement est conforme ou non à la Constitution. Là, il a regardé l'article 6 de la déclaration des Droits de l'Homme qui prévoit l'égalité des citoyens devant l'impôt, il a regardé la Charte de l'environnement qui a été annexée, vous le savez, à la Constitution ; et il a décidé que pour le secteur industriel soumis au marché des quotas d'émissions, là pendant au moins une période de deux années, c'est-à-dire du 1er janvier 2010 au 1er janvier 2013, il considérait qu'il y avait une rupture d'égalité. Donc, on va reprendre la copie et puis, on va corriger sur ce point-là. Moi, je vais vous dire, ce qui me réjouit aujourd'hui, c'est la validation de la suppression de la taxe professionnelle parce que ça, c'était l'essentiel du recours du Parti socialiste. Là, le Conseil constitutionnel a examiné très attentivement une réforme extrêmement importante pour les entreprises et pour l'économie ; et il a dit : "c'est bon, ça passe."

D'ailleurs, le Conseil ne dit pas que les exonérations sont anticonstitutionnelles, il dit simplement qu'elles ne sont pas motivées ?

Il statue, vous le savez, vraiment sur le secteur industriel gros consommateur d'énergie. Secteur qui est soumis à ce qu'on appelle les EPS et les EPS, aujourd'hui, donnent à ces industries un droit, un quota gratuit qui deviendra payant à partir du 1er janvier 2013 par un régime d'enchères progressif et pour ces deux années-là, il considère qu'il n'y a pas d'égalité entre les citoyens.

"L'industrie sous le menace de la taxe carbone", c'est le titre des Echos, ce matin. Comment fait-on, madame Lagarde, pour rendre compatibles justement les règles européennes, la compétitivité des entreprises et le Conseil constitutionnel ?

Moi, mon premier réflexe, ce matin, en ce qui concerne la compétitivité pour l'industrie, c'est suppression de la taxe professionnelle. Cela veut dire en 2010, 12 milliards d'euros en moins par l'effet cumulé de différentes réformes et la suppression de la taxe professionnelle. Et en régime de croisière, 6 milliards d'euros en moins, c'est-à-dire 6 milliards d'euros qui pourront être consacrés à de l'emploi, à de l'investissement. Ça, c'est point numéro un avant tous les autres. Après, la façon dont on va utilement, intelligemment, re-rédiger cette partie-là concernant la taxe carbone, eh bien c'est l'affaire des jours qui viennent. J'ai des équipes qui travaillent d'ailleurs sur la question.

Est-ce que l'exonération dans le secteur électricité pourrait être remise en question ?

On va voir. On y travaille actuellement. Je crois qu'il faut observer très attentivement la décision du Conseil, s'y conformer et puis, mettre en place un système qui soit le plus juste possible et le plus favorable à l'économie. Vous savez, la prochaine étape, on va évidemment mettre en forme selon les prescriptions du Conseil constitutionnel, mais la vraie étape, ce sera de convaincre tous les partenaires européens de la nécessité d'une taxe carbone en Europe. C'est déjà le cas en Finlande, au Danemark, en Suède, je l'espère très rapidement en France. Il faut qu'on arrive à un mécanisme Qui soit en place dans toute l'Europe et c'est un combat du président de la république. Il faut qu'on le continue.

Pour les particuliers, en revanche, rien ne devrait bouger ?

Non, rien ne devrait bouger, c'est-à-dire le même principe : tout ce qui est prélevé sera restitué.

Est-ce qu'on pourrait être amené à changer le montant de la taxe carbone au passage ?

Il n'y a pas de raison. Vous savez, le cours évolue de manière constante. Il est aujourd'hui un peu en dessous du 17 euros la tonne qu'on avait prévu, il est autour de 14, il remontera probablement. Donc, je crois qu'il faut - on va voir, on va évidemment retravailler, on va voir en finesse si on doit graduer éventuellement dans telle ou telle direction -, mais ce n'est pas encore une question qui est tranchée, on y travaille actuellement.

C'est la façon un peu peut-être précipitée de faire des réformes qui n'est pas bonne dans ce pays ?

Vous savez la mise en place de la contribution carbone -parce que c'est comme ça qu'elle s'appelle dans le projet de loi -, c'est un vrai changement profond en matière de fiscalité. Pourquoi ? Parce qu'au lieu de taxer soit le capital, soit le travail, ce qui était classique, on taxe la pollution, c'est-à-dire qu'on donne un prix à un risque qui est que dans quelques décennies, la planète soit transformée en poêle à frire. Et le fait de taxer la pollution, c'est évidemment avec l'intention d'orienter le comportement pour qu'on pollue moins et pour qu'on adopte des comportements qui soient plus respectueux de l'environnement.

Il coûte cher, ce report, en terme de déficit budgétaire ?

On va travailler le plus vite possible pour que le nouveau système soit en place le plus rapidement possible.

De manière plus générale, au vu des chiffres que vous avez en cette fin d'année, quel est aujourd'hui votre état d'esprit : une reprise se dessine-t-elle enfin ? Est-ce que vous êtes optimiste ?

Moi, ma première observation, c'est : qu'est-ce qu'on a fait en 2009 ? Et qu'est-ce qu'on a fait par rapport à nos voisins ? Donc, en 2009, on aura une croissance négative deux fois moins mauvaise que nos voisins de l'Union européenne. Donc, cela veut dire qu'on fait deux fois mieux. Alors, je ne suis pas en train de nous dresser des couronnes mais enfin, les faits sont là, les chiffres sont avérés, on fera deux fois mieux que les voisins européens. Ensuite, on est en reprise légère, certes, puisqu'on fait +0,3% au deuxième trimestre, +0,3% au troisième trimestre (le chiffre a été confirmé par l'Insee, hier), je pense que le quatrième trimestre va être du même ordre, peut-être un petit peu meilleur. Et on entre dans l'année 2010 avec ce qu'on appelle un acquis de croissance, c'est-à-dire qu'on a un peu d'élan.

Oui.

Je vous rappelle que la taxe professionnelle supprimée à compter du 1er janvier, cela veut dire 12 milliards d'euros qui rentrent dans l'économie, c'est-à-dire à peu près ce qu'on a restitué aux entreprises lors du plan de relance. Donc, c'est un petit peu comme si on avait vis-à-vis des entreprises, un deuxième effet relance grâce à la suppression de la taxe professionnelle. J'espère que ça va donner un signal fort pour l'investissement parce qu'aujourd'hui, on a une consommation des ménages qui tient, on a un taux d'épargne qui est remonté un petit peu, on a un investissement public qui a tenu grâce au plan de relance évidemment. En revanche, on a un investissement du secteur privé, c'est-à-dire des entreprises qui s'est effondré en 2009. Alors, j'espère qu'il va redémarrer en 2010 et que sous l'effet de reprise, qu'on voit à peu près dans tous les pays émergents et qui est en train de se dessiner aussi aux Etats-Unis, eh bien l'économie va repartir sur des bases différentes.

On va le souhaiter et on va souhaiter à l'économie française une très bonne année 2010. Merci madame Lagarde.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 5 janvier 2009