Déclaration de M. François Fillon, Premier ministre, sur la politique sociale, économique et budgétaire et sur les initiatives de la France pour moraliser le capitalisme financier, à Paris le 9 février 2010.

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Circonstance : Intervention devant l'assemblée plénière du Conseil économique, social et environnemental (CESE), à Paris le 9 février 2010

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les conseillers, Mesdames et Messieurs,
Je suis heureux de revenir m'exprimer devant cette assemblée que vous venez de décrire comme celle "du premier mot". S'il est naturel que le pouvoir de décision ultime revienne au Politique, je ne prétendrai pas aujourd'hui avoir "le dernier mot" avec vous. Car c'est justement ce qui fait la noblesse et l'utilité de votre Conseil : c'est qu'il est un lieu où nul ne saurait prétendre avoir le mot final. Parce qu'ici, s'expriment la diversité et les dynamiques de notre société. Cette société qui doit s'adapter, vous venez de le dire, Monsieur le Président, à un monde ouvert dont les transformations bousculent nos repères. Se transformer sans renoncer aux principes de notre République, sans dégrader notre modèle social, sans rompre le fil du dialogue social : voilà quel doit être l'objectif que nous devons ensemble poursuivre. Ensemble, nous devons savoir dépasser les clivages inutiles pour servir l'intérêt général. Nous devons réconcilier croissance économique et pacte social, concurrence et justice, efficacité et dignité.
En juillet 2002, alors que j'avais la responsabilité du ministère des Affaires sociales, du Travail et de la Solidarité, j'avais appelé devant votre assemblée, à la fin des contradictions factices entre l'économique, qui serait par nature synonyme de rigueur voire d'austérité, et le social qui renverrait à une générosité plus ou moins irresponsable. Je crois que ce dépassement est plus urgent que jamais. Et d'une certaine façon, c'est faute de l'avoir accompli que le monde a frôlé le chaos à l'automne 2008. Aujourd'hui, l'équilibre entre la quête d'efficacité économique et la quête de solidarité est la condition sine qua non de la sortie de crise et de la construction d'un monde plus juste et mieux équilibré. Je ne doute pas que l'avis que vous adopterez aujourd'hui, avec les contributions des différentes sections du Conseil, apportera de nouvelles pistes pour progresser en ce sens. Je tiens à remercier votre assemblée de s'être saisie de ce sujet si stratégique, qu'est la sortie de crise. Le Gouvernement accordera toute son attention à vos travaux. Vous connaissez l'intérêt que j'attache à vos contributions. Je voudrais citer deux exemples me viennent en mémoire : En 2002, c'est sur la base d'un avis du Conseil économique et social, que nous avons pu sortir de l'impasse des "multi-smic" engendrée par la mise en place des 35 heures. Et, plus récemment, sur la modernisation du dialogue social c'est votre avis de 2006 qui fait évoluer les positions des uns et des autres pour nous permettre d'aboutir à la position commune d'avril 2008 et à la loi du 20 août 2008.
Votre institution a un rôle à jouer dans la modernisation de notre pays. Je suis convaincu que la profonde rénovation dans laquelle elle va bientôt s'engager amplifiera ce rôle et confortera sa légitimité. En tout cas, c'est tout l'esprit qui fonde le projet de loi organique qui devrait être examiné à l'Assemblée nationale dès le début du printemps prochain.
Mesdames et Messieurs, La crise ne rend que plus indispensables des réformes courageuses pour pérenniser notre modèle social. Ceux qui croient possible de le sauver sans efforts se trompent. La facilité et le laxisme n'ont jamais amélioré le sort de personne. Figurer aux premiers rangs des nations développées en matière de santé, en matière de solidarité, en matière d'éducation, en matière de recherche, de culture, cela n'est pas un droit acquis. C'est un combat constant. Et ce combat il n'est que plus urgent et que plus légitime lorsqu'on est en période de crise. Face à la tempête financière et économique, nous avons mis en oeuvre des moyens exceptionnels. Avec des résultats encourageants, puisque notre pays a mieux tenu le choc que la plupart de ses partenaires européens, et qu'il est sorti le premier de la récession, et qu'il va connaître en 2010 une croissance positive de l'ordre de 1,4 %. Soit à peu près le double des prévisions de la zone euro. Mais désormais notre horizon c'est l'emploi. Et même si les mois à venir resteront encore difficiles, les chiffres de décembre dernier sont encourageants. Ils reflètent le début de reprise d'activités constaté à la mi-2009 et les effets de notre mobilisation commune pour l'emploi. Cette évolution s'explique en grande partie par le plan de relance, qui a permis d'injecter plus de 31 milliards d'euros dans l'économie, sur une enveloppe globale de 38,8 milliards d'euros pour 2009-2010. Au titre du volet investissement, 1 500 projets ont été lancés dont 750 chantiers achevés. Les collectivités locales ont investi un total de 42 milliards d'euros en 2009 grâce au remboursement anticipé du Fonds de Compensation de la TVA. Les différentes mesures fiscales ont permis d'injecter plus de 15 milliards d'euros dans la trésorerie des entreprises. La prime à la casse a concerné près de 600 000 véhicules en 2009. Près de 130 000 logements nouveaux ont été financés en 2009 par les différents dispositifs du plan de relance. Et enfin l'aide à l'embauche "zéro charge" dans les très petites entreprises a concerné plus de 850 000 bénéficiaires.
Je voulais rappeler l'importance de ce plan de relance parce que je crois qu'il se situe parfaitement à la lisière entre la réaction face à la crise - qui était nécessaire et qu'on a essayé d'adapter dans une situation complètement inédite, le mieux possible - et puis l'activation de la sortie de crise. Mais nous savons tous que la situation de l'emploi va être encore difficile pendant plusieurs mois. Nous allons continuer à mobiliser en lien étroit avec les partenaires sociaux, tous les outils possibles : le chômage partiel, pour prévenir les licenciements ; le contrat de transition professionnelle et les conventions de reclassement personnalisé, pour accompagner les reclassements ; l'aide à l'embauche dans les très petites entreprises pour favoriser les recrutements ; et le soutien massif à l'apprentissage et à l'alternance pour favoriser l'insertion des jeunes. Mais nous allons en même temps, poursuivre l'indispensable modernisation de notre modèle social, pour le rendre plus favorable à l'emploi. C'est tout le sens par exemple de la réforme de la formation professionnelle votée par le Parlement en fin d'année sur la base de l'accord unanime des partenaires sociaux de janvier 2009. Avec cette réforme, nous allons ensemble créer un nouveau fonds de sécurisation des parcours professionnels. Et au fond, notre objectif est de former chaque année 700.000 personnes supplémentaires parmi les salariés les moins qualifiés et qui sont demandeurs d'emploi. C'est tout le sens également de la mise en oeuvre du Revenu de solidarité active qui constitue un tremplin social et professionnel. Déjà 1,3 million foyers ont perçu le revenu de solidarité active, en remplacement du RMI et de l'API. 600 000 foyers ont bénéficié du RSA en complément de revenus d'activité. Et comme vous le savez, le RSA va être étendu aux moins de 25 ans qui exercent une activité professionnelle.
Cette modernisation de notre modèle social, elle est indissociable de la rénovation de notre démocratie sociale que nous avons ensemble engagée. Toutes les réformes ont été conduites avec les partenaires sociaux dans le cadre d'un agenda que nous avons voulu partagé. La modernisation du marché du travail et la réforme de la formation professionnelle sont issues d'un accord national interprofessionnel que nous avons transposé. En matière de politique de l'emploi, nous avons associé très étroitement les partenaires sociaux, et retenu certaines de leurs propositions, je pense en particulier au Fonds d'investissement social. A chaque fois, je veux dire que les partenaires sociaux, dans un contexte extrêmement difficile, ont su s'engager et ont su prendre leurs responsabilités. Je veux saluer ce sens du compromis, qui ne peut en aucune façon être jugé comme une compromission. Les partenaires sociaux ont leurs exigences et le Gouvernement a les siennes, mais de part et d'autre, le choix du dialogue l'a emporté sur la logique de l'affrontement.
Le Gouvernement, Mesdames et Messieurs, est déterminé à poursuivre la réforme ouverte avec la loi du 20 août 2008. C'est un enjeu considérable puisqu'il s'agit d'établir un dialogue social encore plus légitime et principalement fondé sur les résultats aux élections professionnelles. Alors ça suppose naturellement que ces résultats soient bien remontés dans des conditions optimales, ce qui n'est pas encore tout à fait le cas. Et puis ça suppose que nous garantissions une mesure de l'audience dans les très petites entreprises. La négociation n'a pas pu se nouer sur ce sujet et je veux dire que je le regrette. Puisqu'elle n'a pas pu se nouer, le Gouvernement va donc prendre toutes ses responsabilités en légiférant. Je ne méconnais pas les contraintes inédites qu'engendre cette place nouvelle dévolue à la démocratie sociale. Mais je veux vous dire que nous avancerons, parce que j'ai la conviction que notre pays a besoin de se moderniser et pas seulement à coups de décisions publiques, mais par le biais chaque fois que c'est possible, de compromis sociaux.
Le Président de la République réunira les partenaires sociaux la semaine prochaine, pour que nous puissions déterminer ensemble l'agenda des réformes pour les mois à venir. Pour que ce renforcement de la démocratie sociale épouse celui de notre démocratie parlementaire qui, vous le savez dispose désormais de plus de pouvoirs d'initiative, j'ai demandé aux Présidents des deux Assemblées en juillet dernier, d'examiner comment mieux associer les partenaires sociaux au travail parlementaire et en particulier aux propositions de loi. Il ne serait pas acceptable que de manière durable, alors que le Gouvernement s'est engagé à soumettre l'ensemble de ses projets lorsqu'ils sont dans le champ social aux partenaires sociaux, dans un délai raisonnable, par le biais des propositions de loi que le Parlement échappe complètement à cette contrainte. Le Sénat, à l'initiative de son président Gérard Larcher, vient d'adopter un protocole en ce sens. L'Assemblée nationale se prépare à faire de même. Est-ce qu'il faut-il aller plus loin ? J'avais évoqué ici même en 2008 l'idée d'une Charte du Dialogue Social, qui puisse constituer une sorte de code mutuel de bonnes pratiques entre Etat et les partenaires sociaux pour la conduite des réformes. Je pense qu'au moment où nous parlons de sortie de crise, et maintenant que les relations entre Parlement et partenaires sociaux sont sur le point d'être clarifiées, je pense qu'il est temps de nous atteler à la réalisation de ce code mutuel de bonnes pratiques.
Mesdames et Messieurs, pour consolider la croissance en 2010, le Gouvernement entend conforter une stratégie économique qui est fondée sur trois leviers. Le premier levier, c'est l'investissement. En mettant l'accent sur quelques grandes priorités financées par l'emprunt national, nous préparons l'avenir tout en alimentant l'activité dès aujourd'hui. Nous allons injecter 35 milliards d'euros dans nos universités, dans nos laboratoires, dans les secteurs industriels d'avenir et dans le développement durable, parce que c'est la meilleure façon d'accroître notre potentiel de croissance. Avec l'investissement privé qu'engendra cet effort, l'effort global d'investissement sera de 60 milliards. Vous aviez raison, Monsieur le Président, de rappeler que nous sommes dans un univers à ressources limitées ; mais il y a pourtant des ressources illimitées, ce sont la matière grise et l'innovation. Et c'est donc sur ces ressources que nous devons investir à fond.
Le deuxième levier, c'est la compétitivité. Le 1er janvier dernier, nous avons définitivement supprimé la taxe professionnelle. C'est une réforme fiscale majeure ! Cet impôt, qui était quasiment unique en son genre, renchérissait les investissements de nos entreprises, encourageait les délocalisations et fragilisait notre industrie qui a perdu près de 500 000 emplois en quinze ans. Cette réforme va représenter pour les entreprises, 12 milliards d'euros supplémentaires en trésorerie ou en gain net cette année 2010, grâce à un effet de trésorerie. Et 6 milliards d'euros pour les années suivantes. Elle sera doublement bénéfique pour l'emploi : directement, en réduisant la charge pesant sur les salaires d'environ 1,8 milliard euros et indirectement, en stimulant les investissements dont le coût est réduit d'environ 20 %. Nous poursuivons la montée en puissance du crédit impôt-recherche, qui a été triplé en 2008 pour devenir le dispositif aujourd'hui le plus attractif de l'OCDE. Les initiatives du Gouvernement en faveur du redressement de la compétitivité prises depuis un peu plus de deux ans commencent à porter leurs fruits. Le recul de nos parts de marché à l'exportation intervenu de 1999 à 2006 est désormais enrayé. Nous avons même réussi en 2009, à accroître légèrement notre part de marché vis-à-vis des pays de l'OCDE, alors qu'elle s'érodait régulièrement. Enfin nous avons rendu la création d'entreprises plus facile grâce notamment au statut d'auto-entrepreneur. Cette réforme a connu un immense succès. La manière dont les prévisions ont été pulvérisées - 320 000 auto-entrepreneurs déclarés en 2009 contre 200 000 prévus - en dit long sur ce véritable phénomène de société qu'est l'entreprenariat individuel. L'esprit d'entreprise est bien présent en France, et nous devons continuer à l'encourager.
Hervé Novelli va présenter la semaine prochaine au Parlement un projet de loi sur la création de l'entreprise individuelle à responsabilité limitée. C'était une réforme qui était attendue depuis près trente ans par les entrepreneurs individuels. Elle va permettre de séparer le patrimoine de l'entrepreneur entre son patrimoine personnel et le patrimoine spécialement affecté à l'exercice de son activité professionnelle pour que, en cas de faillite, seul ce dernier soit saisi. Je pense que nous allons ainsi lever un frein majeur à l'entreprenariat dans notre pays.
Vous avez rappelé, Monsieur le Président, que la croissance verte est un défi qui s'impose à nous tous qui refusons la chimère dangereuse de la décroissance. C'est tout l'enjeu de la contribution carbone. Cette contribution est un moyen pour inciter les entreprises et les ménages à des comportements plus sobres en CO2 et pour permettre, à niveau de prélèvements obligatoires constant, de déplacer progressivement l'assiette de notre système fiscal du travail vers la pollution. A la suite de la décision du Conseil constitutionnel, le Gouvernement travaille à redéfinir les modalités du dispositif. Je veux dire que les principaux contours du texte voté en décembre par le Parlement seront maintenus. La décision du Conseil Constitutionnel nous invite, cependant, à mettre à contribution les installations qui relèvent du système communautaire d'échange de quotas de CO2, tant que ces quotas sont alloués à titre gratuit, c'est-à-dire jusqu'au 1er janvier 2013, mais nous sommes attentifs à ce que cette contribution supplémentaire qui, d'une certaine manière, va venir s'ajouter à une contribution qui a été mise en oeuvre au niveau européen justement pour éviter les différences de compétitivité, nous sommes attentifs à ne pas pénaliser les industries dans la concurrence internationale. Nous explorons donc plusieurs mécanismes de taxation et surtout plusieurs mécanismes de compensation. C'est la concertation qui s'est ouverte. Nous voulons qu'elle aboutisse dans les prochaines semaines, pour que le texte puisse être soumis au Parlement au printemps, en vue d'une application au 1er juillet prochain.
Mais - et c'est là le troisième levier de notre stratégie économique - pour être plus compétitif, notre pays a aussi besoin d'un Etat et de collectivités locales plus efficaces. Les déséquilibres des finances publiques sont désormais insupportables. Ils sont insupportables parce qu'ils compromettent l'avenir en accablant les générations futures, mais ils compromettent aussi le présent, en faisant courir un risque croissant sur le financement de nos politiques, de nos investissements et de nos dispositifs de solidarité. Il faut sortir du cercle vicieux des déficits. C'est le diagnostic irréfutable qui a émergé de la Conférence sur les déficits publics, tenue récemment autour du président de la République. Si des déficits déraisonnables se sont accumulés depuis trente-cinq ans, - trente-cinq ans, c'est la dernière fois qu'un budget a été voté en équilibre dans notre pays - c'est parce que les politiques conduites ont été trop souvent inadaptées par rapport au contexte économique, particulièrement lors des périodes de croissance où l'on a on a augmenté les dépenses tout en réduisant les taux d'imposition.
Aujourd'hui, nous devons rétablir la situation mais sans tomber dans l'excès inverse ! D'un côté, nous devons éviter à tout prix d'augmenter la pression fiscale pour une raison simple : c'est l'une des plus élevées en Europe. Et l'alourdir ne ferait que dissuader l'initiative et finalement peser sur la croissance. Et de l'autre, nous devons maîtriser la dépense publique dont le poids est devenu un handicap majeur pour notre économie, mais nous devons le faire sans prendre le risque de casser la croissance et en préservant l'essentiel de notre modèle social. Nous allons donc continuer de tenir strictement les dépenses de l'Etat, en poursuivant notamment notre politique de non remplacement d'un fonctionnaire sur deux ; sur la période 2010-2013, le rythme de progression des dépenses publiques devra être deux fois moins dynamique que sa tendance passée, c'est-à-dire moins de 1 % en volume, contre grosso modo 2 % en volume en moyenne ces dernières années. Pour l'Etat, c'est donc la règle du "zéro volume" qui va s'appliquer sur toute la période. Dès 2010, la charge d'intérêts des investissements d'avenir, financés par l'emprunt national, sera compensée par une réduction équivalente des dépenses de fonctionnement de l'Etat, soit 500 millions d'euros.
Mais cet effort devra être partagé par tous, y compris par les collectivités locales dont les dépenses, hors transfert de compétences, ont augmenté, naturellement, depuis une dizaine d'années, de 6 % en moyenne par an. C'est une situation qui ne peut pas durer, et en le disant, je veux dire une nouvelle fois, qu'il ne s'agit en rien de montrer du doigt les comportements des uns et des autres, l'Etat lui-même a balayé devant sa porte, mais comment imaginer que l'on puisse atteindre nos objectifs en matière de diminution des déficits publics si, au même moment où l'Etat diminue ses dépenses et réduit ses effectifs, les collectivités locales ont une politique qui va dans le sens inverse. Et, naturellement, qu'on ne vienne pas m'objecter que les collectivités locales n'ont pas le droit de faire des déficits, car une partie essentielle de leurs ressources, comme chacun le sait, leur vient de l'Etat qui, lui-même, les finance en empruntant.
Enfin, à plus long terme, la situation de nos comptes publics et sociaux dépendra de la manière dont nous aurons réformé notre régime de retraites. Ce sera l'un des chantiers majeurs de 2010. Nous connaissons tous les données du problème et les outils qui sont à notre disposition. Le choix du système par répartition, que nous voulons conforter, est un choix républicain qui nous oblige à un effort collectif. Sur cette question des retraites, qui n'est ni de droite ni de gauche, mais qui est implacablement démographique, est-ce qu'il est vain d'en appeler à un consensus national ? Est-ce qu'il vain d'appeler, au-delà des appartenances partisanes, aux esprits libres et conscients des défis qui dictent le maintien de notre pacte social ? Je veux, moi, en tout cas, croire au sens de l'intérêt général qui guide l'immense majorité de nos concitoyens.
Monsieur le Président, vous avez eu raison d'insister sur l'importance du niveau européen comme, je vous cite "moyen pour que les évolutions s'imposent à l'échelle internationale". Nous avons besoin d'une mobilisation européenne pour la croissance ! Et l'Europe ne doit pas continuer à se contenter de cette "croissance molle" qui nous ferait perdre définitivement la compétition avec l'Asie et qui, donc, menace notre modèle social. Au fond, les chiffres résument parfaitement la situation : en 2010, la croissance de la Chine sera de nouveau supérieure à 10 %, la croissance de l'Inde sera supérieure à 7 % et la croissance de la zone euro est prévue en dessous de 1 %. L'enjeu est considérable. Il faut regagner, à l'échelle européenne, au moins 1 % de croissance annuelle supplémentaire par rapport à ce que prévoient aujourd'hui les experts et pour cela, nous avons besoin d'une meilleure coordination économique entre les Etats membres. Il faut s'assurer que toutes les politiques gérées par la Commission européenne sont bien effectivement tournées vers la croissance ! Ce qui n'est sans doute pas toujours le cas. La politique commerciale, par exemple, doit mieux ouvrir les marchés de manière réciproque si l'on veut qu'elle soit tournée vers la croissance. La politique de concurrence doit mieux tenir compte de la compétition mondiale si l'on veut que cette politique économique aille dans le sens de la croissance ! Autrement dit, il faut parfois savoir conforter des géants européens, des champions européens face à des champions asiatiques ou américains ! La politique de recherche doit être moins bureaucratique et plus tournée vers les vrais besoins. ! La politique environnementale et climatique ne doit pas ignorer les risques de pertes de compétitivité et de transferts des productions et des pollutions vers les pays moins exigeants. Enfin, la politique agricole commune doit répondre aux défis de l'alimentation mondiale et assurer l'indépendance de l'Union.
Il faut aussi que l'Union européenne engage un effort d'investissement sur quelques axes stratégiques pour lesquels aucun de nos pays n'a la dimension suffisante pour que se réalise un véritable changement de technologie, un véritable changement dans les marchés. Je prends l'exemple des véhicules du futur, je ne crois pas que la France ou l'Allemagne seule, puisse imposer un nouveau mode de propulsion, par exemple le véhicule électrique s'il n'y a pas, en Europe, une stratégie commune en terme de normes, en terme d'infrastructures, en terme de soutiens à l'innovation pour accompagner l'ensemble de l'industrie automobile européenne. Mais on peut évidemment prendre d'autres exemples. Nous avons une certaine avance dans le domaine spatial ; nous la devons à des investissements qui ont été faits dans le passé, en tout cas, dont les impulsions ont été données dans le passé. Il faut que nous prenions des décisions fortes pour nous doter des lanceurs du futur ! Nous avons une industrie aéronautique qui est au premier rang dans le monde, mais pour qu'elle reste au premier rang, il faut déjà que nous investissions sur les avions de demain qui devront être plus légers, plus économes en carburant, et nous savons pour cela, il faut des investissements considérables qui ne peuvent être assumés que par l'Union européenne. Enfin - et je termine par le plus facile - il faut que le Conseil européen trouve le moyen de parler de politique des changes avec la Banque centrale européenne.
Je veux revenir un instant, Mesdames et Messieurs, sur les sérieux défis économiques et budgétaires auxquels est actuellement confrontée la Grèce. C'est un sujet de préoccupation pour l'ensemble des membres de la zone euro. La Commission a adopté, la semaine dernière, un ensemble de recommandations visant à conseiller étroitement l'Etat grec dans son effort de retour rapide à des finances publiques saines, et le Conseil Ecofin va débattre, à la mi-février, des recommandations qui lui seront adressées.
Je veux vous dire que nous faisons confiance aux Autorités grecques pour se conformer à ces recommandations et regagner rapidement la pleine confiance des marchés. Mais l'évolution très volatile des marchés de la dette, au cours des derniers jours, montre bien que ces marchés ne se fondent pas uniquement sur une évaluation posée des défis objectifs de ce pays ! Ils sont aussi déterminés par des comportements irrationnels, voire spéculatifs. Et ça nous rappelle, si cela était nécessaire, l'urgence qu'il y a à construire une nouvelle régulation économique mondiale.
Plus que jamais, nous voulons un capitalisme financier plus responsable et plus éthique. Des progrès considérables ont été accomplis ces derniers mois, souvent d'ailleurs - pourquoi ne pas le reconnaître ? - à l'initiative de la France, en matière de bonus, en matière de rémunérations des opérateurs de marché, en matière de lutte contre les paradis fiscaux, en matière de supervision des banques, mais il faut maintenant passer à l'étape suivante ; il faut tirer les leçons de plusieurs décennies de crises et de booms économiques internationaux. Nous savons, depuis la Conférence de Londres de 1933, que la fuite en avant du protectionnisme est un leurre suicidaire ; nous savons que la croissance du monde ne peut se fonder durablement sur un excès de consommation des uns et sur un excès d'épargne des autres ; nous savons qu'une crise de l'endettement privé ne peut être surmontée par un endettement public sans limites ; nous savons que des parités monétaires décalées des fondamentaux économiques finissent par distordre l'allocation des ressources, perturber la division du travail, créer du chômage et nourrir le populisme et la démagogie. Eh bien ces leçons de mondialisation, de la mondialisation, il nous reste à les traduire en actes.
Il y a déjà un certain nombre d'étapes qui ont été franchies et qui étaient indispensables. Le G20 est désormais une réalité : on ne discutera donc plus de ces sujets simplement entre pays les plus riches du monde, mais avec une organisation qui est un peu plus représentative de l'ensemble de l'économie mondiale. Le Fonds monétaire international a vu ses pouvoirs étendus et sa légitimité renforcée grâce à la réforme de sa gouvernance. La France, qui présidera le premier Sommet unique du G20 - c'est-à-dire de la fusion du G20 et du G8 - l'année prochaine, se montrera ambitieuse puisque nous avons l'intention d'inscrire à l'ordre du jour la réforme du système monétaire international. Nous savons bien, naturellement, toutes les réticences qu'il y aura à ouvrir cette discussion. Nous savons toutes les difficultés qu'il y aura à réformer le système monétaire international, mais nous ne pouvons pas nous contenter de ce constat et rester impuissants devant des déséquilibres qui conduisent des monnaies à ne refléter en rien la réalité économique des territoires sur lesquelles elles ont cours.
Le résultat de Copenhague est là, au fond, pour nous le rappeler : face aux enjeux du monde de demain, ce dont nous avons le plus besoin, c'est d'une véritable démocratie mondiale ! Cette démocratie mondiale qui n'a pas fonctionné, à Copenhague. A nous de faire qu'elle ne reste pas une vaine utopie.
Voilà, Mesdames et Messieurs, ce que je souhaitais vous dire, et en vous remerciant encore de l'occasion que vous m'avez donnée de m'exprimer devant vous ; la sortie de crise nécessitera des efforts - qui pourrait s'en étonner ? - du volontarisme politique et surtout, je pense, un sens aigu de l'unité nationale. Cette unité, elle doit se nourrir des réflexions, du dialogue, de toutes les bonnes volontés et de toutes les intelligences. Et je sais que vos travaux s'inscrivent pleinement dans cette démarche, et je voulais, par ma présence, vous en remercier au nom de l'ensemble du Gouvernement.
Source http://www.gouvernement.fr, le 10 février 2010