Texte intégral
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Mesdames et Messieurs,
Je suis très heureuse d'être ici aujourd'hui pour clore ce colloque sur la publicité et la " Net-économie ". Encore que clore est un grand mot puisque je n'ai pas eu le plaisir de participer à vos travaux.
Permettez-moi de saluer l'initiative heureuse du groupe d'études sur les technologies de l'information et de la communication de l'Assemblée nationale.
Je voudrais remercier Patrick BLOCHE, qui a pris cette initiative et qui fait un travail remarquable, et depuis longtemps, sur les questions relatives à la société de l'information.
Je remercie également Patrice MARTIN-LALANDE et André SANTINI, co-présidents de ce groupe d'études.
Ensemble, ils ont choisi un moment particulièrement opportun, ce pour plusieurs raisons à mes yeux.
Avec plus de cinq millions d'internautes, objectivement, la France est entrée dans la société de l'information. Les différents usages, marchands et non marchands, se développent. Les sujets relatifs à l'internet occupent maintenant de plus en plus de pages de nos journaux et de nos magazines, pour le meilleur et parfois pour le pire.
Il nous faut encore faire beaucoup pour donner accès au réseau au plus grand nombre et réduire " le fossé numérique " que nous redoutons. Vous savez que c'est un des soucis constants de la politique du gouvernement et du Premier ministre Lionel JOSPIN. Il l'a rappelé encore très récemment lors de son intervention au Rousset, c'était le 15 mai dernier. Il a souligné qu'au moment où " l'information devient une richesse, y accéder ne doit pas être un privilège. "
Cependant, il est vrai que dans notre pays, l'internet perd une partie de sa nouveauté et de son étrangeté. D'une certaine manière, il se banalise.
Je remarque ainsi que votre colloque ne pose pas la question de " la publicité sur l'internet ", mais bien celle de " la publicité dans la Net économie ", c'est-à-dire, telle que je la comprends, celle de la constitution et de l'évolution du marché et des pratiques publicitaires dans un paysage médiatique renouvelé, où l'internet côtoie la télévision, hertzienne et la télévision numérique, les journaux, la radio et tous les autres supports " traditionnels ". Je crois que c'est dans ce cadre global que nous devons réfléchir.
En ce qui concerne la publicité sur l'internet, des études soulignaient récemment que les revenus de ce secteur avaient connu en 1999 une croissance de 353% pour atteindre 516 millions de francs. C'est évidemment une bonne performance. Cependant, il faut savoir raison garder, cela ne représente encore que 0,61% des dépenses de publicité dans notre pays. La capacité de croissance est donc encore très forte. C'est un marché qui est en voie de structuration et de maturation. Nous devons accompagner et faciliter cette croissance.
Comment l'internet et, plus généralement le numérique, renouvellent-ils le paysage publicitaire ?
D'abord, la publicité se rapproche au plus près de l'acte d'achat et, d'un seul clic de souris, vous passez du " bandeau " publicitaire au formulaire de commande en ligne. Mais ces proximités doivent inciter tous les acteurs à plus de vigilance et notamment les médias d'information dont toute la tradition est de bien distinguer l'information et l'acte publicitaire. Je sais que les journalistes sont très sensibles à ces questions de déontologie, à juste titre. La séparation claire et nette entre l'information et la publicité doit être respectée. C'est un enjeu pour le pluralisme et la démocratie. Les dispositions sur l'identification de la publicité, inscrites dans la directive " commerce électronique " qui vient d'être adoptée, constituent une première étape intéressante. La loi sur la société de l'information que prépare le gouvernement pourrait comporter des dispositions sur ces points.
La publicité sur l'internet, petite dernière, arrive, dans notre pays, dans un univers bien régulé, un univers où les différentes catégories d'acteurs assument leurs responsabilités. L'organisation de la publicité en France est, de ce fait, saine et ce, grâce aux efforts et à la vigilance de l'ensemble des acteurs concernés. On peut d'ailleurs voir dans ce secteur un modèle de corégulation. Autorégulation des acteurs avec le Bureau de vérification de la publicité, le BVP, qui fait un très bon travail. Dans l'audiovisuel, c'est la combinaison de l'autorégulation et de la réglementation qui prévaut. Le Conseil supérieur de l'audiovisuel, pour sa part, est chargé de veiller à son application. Enfin, certaines règles sont de nature législative, par exemple pour certains secteurs interdits : l'alcool ou le tabac.
Ce dispositif de régulation est à la fois déontologique et économique. Il participe également à la politique de notre pays en faveur de la diversité culturelle en limitant l'accès de certains secteurs à la publicité télévisée : par exemple le cinéma ou l'édition, pour éviter de favoriser, au gré des moyens publicitaires, les plus forts au détriment des plus faibles dans ces secteurs qui sont essentiels à l'expression de cette diversité culturelle.
La modification du paysage médiatique provoquée par le numérique doit nous conduire à vérifier que le dispositif de régulation de la publicité, qui est aujourd'hui plutôt efficace, est toujours adapté à la réalité des pratiques et à la réalité économique. Cela ne signifie pas pour autant qu'il faille le mettre à bas.
Le CSA, sur la question de l'accès à la publicité télévisée de sites internet d'entreprises des secteurs interdits, a pris une position que vous connaissez tous et qui a suscité beaucoup de réactions. Cet avis repose sur une interprétation du décret N° 92-280 de la loi audiovisuelle, celle-là même qui est actuellement en deuxième lecture au Sénat.
L'interrogation sur le sujet me semble légitime. On peut critiquer la méthode, déplorer que la concertation n'ait pas été suffisamment menée avant la publication du premier communiqué du CSA. Certes. J'en ai parlé très ouvertement avec le Président Hervé BOURGES et Madame LANGLOIS-GLANDIER. Le Conseil a décidé de retarder l'application de sa décision au mois de septembre prochain. Je crois que c'est une bonne chose. Cela donne du temps pour réfléchir et pour travailler.
On peut aussi contester l'interprétation que le CSA a faite de ce décret et se demander s'il n'est pas entré sur le terrain réglementaire, au-delà de son terrain propre. Certains acteurs ont déposé des recours devant le Conseil d'Etat. C'est de bonne pratique démocratique. Il nous faut attendre la décision du Conseil, qui pourrait être rendue, peut-être, dès avant l'été.
Sur cette question d'accès à la publicité télévisée, je prendrai mes responsabilités. Nous vivons des temps de modification rapide des médias et de leur économie. Si la question qui nous est posée relève bien d'une réponse de nature réglementaire, nous agirons sur le plan réglementaire. Si le décret qui est actuellement en vigueur n'est plus entièrement adapté, nous travaillerons à le modifier. J'ai d'ailleurs invité le Président du CSA à me faire des propositions en ce sens.
C'est par la concertation que nous devons arriver, tous ensemble, à une solution. Cette concertation sera menée en toute transparence. Je suis également certaine, au regard de la qualité des intervenants de votre colloque, que vos débats ont apporté sur ces sujets un éclairage très utile. Je compte sur le rendu de vos travaux.
Cette question revêt pour moi une importance tout à fait particulière. D'abord, elle relève de la loi sur l'audiovisuel et de son application. Mais aussi, certains des secteurs concernés, la presse, le cinéma ou encore l'édition, sont des acteurs majeurs de la politique culturelle publique et sont des secteurs majeurs des industries culturelles.
Je serai donc doublement attentive à parvenir à des solutions qui pourront satisfaire les uns et les autres et qui auront été largement discutées.
Je remarque que le modèle économique sur lequel se développe l'internet aujourd'hui donne à la publicité un rôle essentiel. Il semble bien que, d'une certaine façon, le modèle économique des médias audiovisuels s'étende en partie à d'autres industries culturelles. D'une part, les dépenses publicitaires, sur tous les supports, constituent une grande part des budgets d'investissement des entreprises du Net. Ces investissements sont nécessaires pour acquérir une bonne notoriété dans un univers de plus en plus foisonnant.
D'autre part, les revenus issus de la publicité forment une part non négligeable des recettes de ces entreprises, et, pour certaines, la totalité de leurs recettes. En cela, la publicité est l'une des sources principales de financement des programmes et des contenus. Ce n'est pas choquant en soi. Nous connaissons déjà cette situation dans l'audiovisuel. Il faut simplement faire en sorte que ce ne soit pas au détriment de la qualité et de leur réelle diversité.
Le secteur du Net est très loin d'avoir atteint aujourd'hui l'équilibre qui permettra au marché des contenus et de la publicité de fonctionner et de prospérer. J'ai bien dit marché de la publicité et marché des contenus, l'un et l'autre ayant je crois profondément partie liée.
Là aussi, je suis frappée par la similarité des objectifs que nous devons poursuivre sur l'internet et ceux que nous avons pour l'audiovisuel. Un secteur public fort et des entreprises de programmes fortes également. Les mêmes objectifs n'appellent cependant pas forcément les mêmes réponses.
L'internet public d'intérêt général doit être développé encore davantage, notamment l'internet culturel.
En 1997, le Premier ministre a fixé, dans le programme d'action gouvernemental pour la société de l'information, des objectifs ambitieux à l'internet public, notamment la mise à disposition, gratuitement, des données publiques essentielles. En trois ans, le chemin parcouru est impressionnant. Dans le secteur culturel, par exemple, la Bibliothèque nationale de France s'est hissée au rang des plus grandes bibliothèques numériques. Le Louvre est aussi un cybermusée.
Il faut aller encore plus loin. Je souhaite tout particulièrement accroître nos efforts en matière de numérisation du patrimoine. C'est la clé des contenus culturels et éducatifs. Je crois que c'est une cause nationale. C'est la mémoire de notre société qui est en jeu et c'est à partir de cette mémoire que nous dynamisons notre créativité. C'est aussi la conception de notre espace public numérique.
Il faut également que les entreprises de contenus multimédias puissent évoluer dans un environnement économique favorable. Le chemin ne peut être entièrement parcouru par le secteur public. La France et l'Europe ne sont pas démunies. Des groupes comme Vivendi ou Hachette sont bien présents sur l'ensemble de ces secteurs. Je suis plus inquiète pour les nouveaux entrants. Mieux vaut souvent présenter aux investisseurs le Ne projet de site de vente aux enchères que d'avoir un projet d'entreprise de presse en ligne ou de production de programmes originaux. Il y a là une attente, voire une frilosité sans doute provisoire, je l'espère, et sans doute le marché va mûrir.
Il existe un certain nombre d'aides pour ces entreprises qui s'engagent avec enthousiasme dans l'aventure : le fonds d'aide à l'édition multimédia, géré par le CNC et cofinancé par le ministère de la culture et le secrétariat d'État à l'industrie, ou encore le fonds d'aide à la modernisation de la presse géré par le Service juridique et technique de l'information et de la communication, le SJTIC. Les objectifs et le fonctionnement de ces aides ont été revus récemment. Nous tirerons un premier bilan au mois d'août. Je crois déjà qu'il faudra que nous soyons plus ambitieux, notamment pour améliorer l'environnement économique des jeunes entreprises de contenus. Vous le savez, le gouvernement a pris un certain nombre de mesures en faveur des créateurs d'entreprises, en particulier pour leur faciliter l'accès au capital risque. Il nous faudra trouver des méc anismes qui, dans ce cadre général, prennent mieux en compte l'économie particulière des médias. C'est un enjeu culturel, c'est un enjeu économique, c'est aussi un enjeu important pour l'emploi, et tout particulièrement pour l'emploi des jeunes.
La place des industries culturelles dans la société de l'information est déjà et sera centrale. Ce sont ces entreprises qui sont et qui seront créatrices d'une grande part de la valeur de ce que nous construisons. Nous devons être attentifs, bien sûr, à la façon dont les mécanismes qui fixent la valeur des biens culturels et qui en déterminent les échanges se mettent en place et évoluent.
Je crois que dans ce cadre nouveau, plus que jamais, les questions de déontologie, dont nous sommes tous collectivement les garants, seront au premier plan. Les premiers médiateurs de la société de l'information sont les journalistes et les sociétés de presse. Leur rôle, loin d'être affaibli, est réaffirmé.
Je serai attentive à ce que les mécanismes économiques et techniques du numérique ne soient défavorables ni aux créateurs ni aux entreprises de contenus. La façon dont ce marché se développe est aussi importante que son développement même.
Nous ne gagnerions rien à une société de l'information culturellement appauvrie et uniforme.
J'ai confiance dans la vitalité et la créativité de tous les acteurs - et la créativité est forte chez les publicitaires - nous avons donc des atouts. Nous devons travailler ensemble à construire une société de l'information solidaire, résolument, et habiter de façon harmonieuse le nouvel espace culturel qui s'ouvre à nous.
C'est une belle perspective. Je suis heureuse de vous voir ici rassemblés et engagés dans des réalisations diverses et vivantes. La chance d'aboutir est la mise en commun des réflexions, la pesée exacte des enjeux de manière à ce qu'aucun d'entre eux ne soit assujetti aux autres.
(Source http://www.culture.gouv.fr, le 8 juin 2000)