Interview de Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'Etat à l'écologie, à RTL le 24 mars 2010, sur le report sine die du projet de taxe carbone.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

V. Parizot.- C'est donc le choix d'RTL ce matin d'écouter la secrétaire d'Etat à l'Ecologie après l'annonce par F. Fillon d'un report sine die de la taxe carbone qui était prévue à l'origine pour le premier juillet. Bonjour C. Jouanno.
 
Bonjour.
 
Hier après cette annonce, vous vous êtes dite « désespérée ». La question est simple ce matin : est-ce que vous allez démissionnée ?
 
Non parce que déjà, un, je suis désespérée surtout par la surinterprétation qui en a été donnée parce que le Premier ministre hier soir a effectivement précisé ses propos en disant grosso modo : on maintient l'engagement sur la taxe carbone et en plus on développe effectivement une négociation européenne. Mais le rôle d'un ministre ce n'est pas de gagner un salaire, c'est de défendre des idées. Donc s'il ne défend pas ses idées, s'il ne les exprime pas, à mon avis, il ne sert pas à grand-chose.
 
La nuit a porté conseil. On a le sentiment ce matin...
 
Non, la nuit pas porté... Non, je reste totalement déterminée, c'est-à-dire que tous ces discours qui consistent à dire : si l'économie va mal c'est à cause de l'écologie, si l'agriculture va mal c'est à cause de l'écologie, si la société va mal c'est à cause de l'écologie, ça non. Cette remontée de l'écolo scepticisme, on ne peut pas l'accepter parce que c'est l'avenir de nos enfants qui est en jeu.
 
Alors vous dites F. Fillon reste déterminé à mettre en place cette taxe carbone. Il explique que la France préfère attendre une position commune de l'Europe, pour ne pas pénaliser l'industrie...
 
Non, ça, c'est ce qu'on lui a fait dire.
 
Non, ce n'est pas ça ?
 
Ecoutez, hier soir, en tous cas dans ses propos, il a bien précisé qu'il souhaitait qu'on mette en place cette taxe carbone, que c'était un engagement...
 
Mais quand ?
 
... c'était un engagement du Grenelle de l'environnement, et que parallèlement on mène effectivement cette concertation européenne.
 
Aucune échéance n'est annoncée, aucune date  ...
 
Alors le président de la République va se prononcer tout à l'heure. Donc on saura, on y verra un peu plus clair, mais les deux sujets n'ont pas à être liées. Il y a plusieurs pays européens qui ont mis en place une taxe carbone, une contribution carbone, que ce soit le Royaume-Uni, le Danemark, la Suède, ou même plus loin la Norvège, qui économiquement ne s'en portent pas plus mal, loin de là. Alors il faut qu'on balaye devant notre porte. Cette réforme n'était pas comprise. Cette réforme n'était pas acceptée, ça c'est clair. Donc pour la partie « entreprises », pour moi, elle était très claire, puisqu'on bascule en fait la fiscalité qui était celle de la taxe professionnelle sur la taxe carbone, par contre il y avait du travail à faire sur la partie « particuliers ». Ca c'est clair, il fallait qu'on reprenne le dossier.
 
Les Français étaient hostiles à cette taxe carbone, et c'est ce qui explique ce recul ? Donc c'est politique. C'est une décision politique ?
 
Les Français y étaient hostiles, mais parce qu'on n'a pas non plus été aidés. Le Parti socialiste a été contre la taxe carbone, les Verts nous ont demandé plus, donc ce n'était pas évident, évident, et puis dans un contexte de campagne on sait toujours que ça ne facilite pas les choses non plus.
 
Cela dit, je vous propose d'écouter ce que disait le président de la République le 10 septembre dernier à Artemare dans l'Ain. C'était un engagement.
 
N. Sarkozy : Lorsque j'étais candidat à la présidentielle, monsieur N. Hulot et ses amis nous ont fait signer à tous les candidats à la présidentielle, tous, un pacte. Mais la signature ça a une valeur. Je ne comprends pas comment on peut avoir signé le pacte de N. Hulot au printemps 2007, et aujourd'hui renier sa parole et ne pas faire ce qu'on a dit qu'on ferait. Je l'ai signé, je le fais.
 
Il renie sa parole, le président ?
 
Attendez, vous le faites parler, il va s'exprimer tout à l'heure à 11h30, le Président. Ca a toujours été mon meilleur soutien pour l'écologie. Ca a toujours été mon meilleur soutien. Il a toujours défendu ses idées même si elles sont très, très compliquées. Et là ce qu'il rappelle surtout, c'est d'ailleurs dans ce discours je m'en souviens très bien, c'est pourquoi est-ce que le Parti socialiste lui s'est opposé alors même qu'il avait signé le pacte écologique de N. Hulot, pendant la campagne. C'est un engagement ancien cette contribution carbone, et on sait que c'est compliqué. On sait que c'est compliqué.
 
Là, vous accusez le Parti socialiste, la décision elle émane du Gouvernement. Elle émane de F. Fillon.
 
Oui, attendez...
 
Enfin du président de la République et du Gouvernement.
 
La décision, un, il y a une sur interprétation à mon avis des propos du Premier ministre hier en réunion de groupe. Je n'y étais pas, donc je ne vais pas juger, mais il y a une sur interprétation.
 
Vous voulez dire quoi ? Vous voulez dire que peut-être cette taxe carbone sera mise en oeuvre comme prévue...
 
Elle sera mais... Elle doit être corrigée c'est clair. Alors peut-être qu'elle sera mise en oeuvre, l'essentiel étant... Alors premier juillet maintenant ça me semble difficile, ça on ne va pas non plus mentir, ça me semble très difficile parce qu'il y a du travail à faire dessus, parce que sur la partie « particuliers », on voit très bien qu'elle n'est pas comprise. Il faut absolument qu'on l'améliore. On peut l'améliorer. Moi ce que je vous dis, c'est qu'on ne peut pas renoncer comme ça à tout, on ne peut pas renoncer à tout, et je connais suffisamment le président de la République pour savoir qu'il ne va pas renoncer.
 
On ne peut pas renoncer à tout, dites-vous, et on a pourtant l'impression qu'après le coup de tonnerre des élections régionales, il y a un tournant qui a été pris avec peut-être une part de renoncement à certaines grandes ambitions ?
 
Non, les élections régionales nous ont donné un message, c'est clair, il faut l'entendre. Il y a un message de désarroi, il y a un message pour tous les partis politiques d'ailleurs, de contestation du politique, tous les partis, parce que ce niveau d'abstention est quand même catastrophique pour les politiques. Donc il y a un message très clair qu'il faut entendre. Ca c'est évident, et ce message ne nous dit pas « abandonnez toutes les réformes », il dit « mettez les priorités, soyez clairs sur vos engagements, on veut y voir plus clair ». Et ça c'est normal et c'est vrai qu'il faut y voir un peu plus clair, y compris, je vous parle de ma partie à moi, et donner aussi un peu, rendre compte sur les résultats, parce qu'on a des résultats, maintenant il faut qu'on en rende un peu plus compte.
 
On peut avoir quand même une interprétation de cette formule ? A. Duhamel disait tout à l'heure, finalement, qu'elle avait l'extraordinaire mérite de la fraîcheur, la formule que vous avez utilisée hier soir en disant : « je suis désespérée », sur le coup vous l'avez pris vous la karatéka...
 
Ah mais je le prends toujours...
 
Comme un coup de poing ?
 
Moi je le prends toujours, parce que je défends vraiment cette idée que si on veut inscrire, investir dans l'avenir, dans la compétitivité de notre pays, investir aussi dans sa cohésion sociale - parce que quand même il faut savoir que les dépenses énergétiques ça représente jusqu'à 15 % du revenu des moins riches de notre population, des plus défavorisés, jusqu'à 15 % - si on veut préparer l'avenir, ça se prépare maintenant, et il faut avoir le courage de le faire. Et ça, ça me désespère de voir qu'il y a encore des personnes parmi effectivement des membres de la majorité et de l'opposition qui portent un discours contraire. Ce n'est pas notre rôle de renoncer.
 
Oui mais hier vous vous disiez désespérée après cette annonce ?
 
Oui mais vous savez je suis très combative donc je sais rebondir.
 
Un peu moins désespérée ce matin alors ?
 
Non, parce qu'il faut relever le défi, il faut y aller jusqu'au bout.
 
Merci C. Jouanno, secrétaire d'Etat à l'Ecologie, merci d'avoir réservé votre première réaction ce matin à RTL.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 24 mars 2010