Interview de M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat, à "France Info" le 18 juin 2010, sur l'esprit général du projet de réforme des régimes de retraite, sur la question des niches fiscales et sur les "affaires" révélées au fil du temps.

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Média : France Info

Texte intégral

R. Duchemin Bonjour F. Baroin.

Bonjour.

Merci d'être en direct avec nous ce matin sur France Info. Alors il y a une nouvelle dans Les Echos ce matin, je ne sais pas si vous allez me la confirmer, elle pourrait en tout cas donner le sourire aux Français puisqu'elle concerne leur placement préféré, c'est le fameux Livret A. Est-ce que le taux de rémunération à partir du 1er août va véritablement remonter ?

Il va suivre l'évolution du coût de la vie, donc il sera aligné à cette évolution qui est plutôt positive, donc c'est une hypothèse oui.

C'est à 1,25, c'est-à-dire le taux le plus bas actuellement, ça pourrait remonter, dit-on, à 1,50, à 1,75 peut-être ?

Voilà, enfin il y a une espèce de parallélisme des formes, donc si c'est 1,50 c'est 1,50, si c'est 1,75 c'est 1,75.

On saura à la fin juin, c'est ça à peu près ?

Absolument.

Alors dites-moi, beaucoup d'observateurs en ce moment sont assez circonspects sur la réforme des retraites. E. Woerth continue ses concertations, remettra sa dernière copie ce soir à l'Elysée. Visiblement, ce qui pose problème notamment, c'est le montage proposé par le ministre du Travail, il parle d'un retour à l'équilibre pour 2018, très bien, mais on table pour ça sur un taux de croissance qui serait meilleur que celui que l'on connaît à l'heure actuelle et un taux de chômage beaucoup plus bas. Ça reste quand même assez hypothétique, non ?

D'abord l'esprit général, je crois qu'il faut quand même le rappeler, c'est un problème démographique auquel nous sommes confrontés. Donc le choix n'est pas un choix dogmatique, ce n'est pas un choix idéologique, ce n'est pas un choix de doctrine, ce n'est pas un prêt-à-penser qu'on impose aux Français, c'est un choix qui vise à sauver le système par répartition. C'est pour ça qu'on déplace le curseur de l'âge de 60 à 62 ans. Cette seule mesure permet de faire rentrer dans les caisses 19 milliards ; faire rentrer de l'argent dans les caisses c'est bon pour la préservation du système, c'est bon pour l'économie générale, c'est bon pour notre stabilité budgétaire, c'est important. Donc après il y a tout...

Ça, c'est le message envoyé par le Gouvernement, mais il y a quand même pas mal de monde qui dit que ça n'est pas forcément bon, à commencer par exemple par J. Arthuis qui dit que la philosophie générale est peut-être bonne mais qu'en tout cas, le compte n'y est pas !

Ensuite on a toute une série de mesures qui portent sur les revenus, sur le capital. Le dispositif il est assez fort, on a une pente quand même qui est importante, augmenter son temps de travail de 4 mois par an jusqu'à 2018, il n'y a aucun pays qui l'a fait. Le rendez-vous est la borne de 2018, elle est ambitieuse et elle est élevée, elle est rapide, elle est surtout nécessaire. Et sur cette partie financière, que ce soit pour les retraites où vous expliquez que si la croissance n'est pas là, il y aura forcément plus de chômage, c'est assez logique ; quand il y a moins de croissance il y a plus de gens qui sont sans emploi. Nous faisons un pari qui est volontariste, qui est confirmé par un consensus des prévisionnistes. Le FMI hier a annoncé que la France allait dans la bonne direction, cette réforme des retraites elle a aussi pour objectif de créer une sorte de choc de confiance. Ce qu'il nous faut, c'est restaurer la confiance, on a plusieurs étapes : on a les retraites, on a la dette sociale, on a le budget 2011, on a l'inscription dans la durée de cette nouvelle inflexion, tout ça c'est lié.

Vous dites « ambitieux, nécessaire », j'entends bien, ça n'est donc pas trop optimiste toutes les prévisions faites en ce moment par le Gouvernement ?

C'est raisonnablement optimiste, c'est atteignable. Nous avons l'OCDE qui n'est pas loin de nous et nous avons un paramètre sur lequel, tout le monde a un point d'interrogation, c'est naturel, c'est normal en France comme ailleurs, c'est l'évolution de la réalité de cette croissance. Et cette croissance, elle est liée aussi pour partie dans un modèle économique qui s'appuie sur la consommation, sur la relance de la confiance. Et en faisant toutes ces mesures, en proposant tous ces dispositifs, nous faisons le pari aussi de redonner confiance aux Français. Vous savez qu'on a un taux d'épargne très important, très élevé : privé, particuliers, entreprises... vous êtes spécialiste de ces matières économiques, vous le connaissez, et donc nous souhaitons aussi re-flécher une partie de cette épargne sur un certain nombre d'activités économiques.

Finalement si on fait cette réforme maintenant, F. Baroin, c'est aussi parce qu'il fallait rassurer nos partenaires économiques et européens sur la capacité justement de la France à retrouver un véritable équilibre ?

La première raison, c'est d'abord qu'on veut sauver le système par répartition, que la crise mondiale il y a 2 ans a fait exploser le niveau des déficits global et a évidemment creusé le trou des déficits sur notre système par répartition, que nous sommes au rendez-vous des déficits qui était fixé dans 20 ans, nous sommes au rendez-vous des déficits qui était fixé dans 20 ans, il faut imaginer la situation. Donc il y avait une urgence d'abord à sauver le système et ensuite, c'est vrai, c'est un élément contributif d'une nouvelle discipline budgétaire.

Donc les Français en quelque sorte paient aussi la note pour les déficits qu'on a laissé filer ces dernières années, notamment ces deux dernières années ?

C'est toute l'économie française, vous avez eu un effondrement des recettes, vous avez un système qui est parti vers le bas de manière très spectaculaire, vous avez eu sur l'impôt sur les sociétés une chute tragique de 20 milliards en l'espace de quelques mois. Donc évidemment, un modèle aussi élastique que le modèle français a été très impacté par la crise, mais un système d'amortisseur, comme il en existe peu en Europe et que nous avons en France, a permis de mieux s'en sortir. Donc nous nous en sortons mieux dans une crise très violente, et nous partons sur des rails qui sont, je dirais très exigeants et très disciplinés sur le plan budgétaire des retraites jusqu'à toutes les autres sources de dépenses.

Alors je voudrais qu'on parle des niches fiscales, c'est votre domaine de prédilection...

Parlons des niches fiscales...

Le fameux coup de rabot on l'attend, on attend en tout cas d'en savoir plus sur ce qu'il y a dans ce fameux coup de rabot. Est-ce que vous avez choisi quelles seraient les niches impactées précisément ?

Un mot de calendrier, si vous permettez... Oui. On rendra une partie des arbitrages avec le Premier ministre fin juillet, et les derniers arbitrages probablement fin août, une fois qu'on y verra un peu plus. La méthode qu'on a retenue en plus du calendrier, c'est que j'ai demandé des expertises à l'Inspection générale des Finances et puis également à la Direction de la législation fiscale, pour voir précisément quel est l'impact de la suppression des niches sur l'emploi, on est pragmatiques. Le rabot, il est nécessaire parce que même si ce n'est pas la méthode la plus subtile, c'est en tout cas la méthode la plus efficace sur le plan technique et c'est la méthode la plus juste. Personne ne sera épargné par ce coup de rabot en matière de niches fiscales. Et dans les choix, il y en a déjà une qui a été utilisée pour les retraites, c'est l'annualisation des charges, elle représente 2 milliards, donc en réalité les 5 milliards...

Ça a fait réagir les entreprises !

Oui mais c'est aussi une mesure d'équité, je veux dire toutes les entreprises ne donnent pas un 13ème mois et toutes les entreprises par conséquent ont besoin d'être sur le même pied d'égalité. Et 2 milliards, ce n'est quand même pas rien, ce n'est pas une petite somme, et donc si on additionne les objectifs que nous nous sommes fixés, c'est-à-dire 5 milliards de réduction de niches dans les deux années qui viennent, vous avez déjà 2 milliards en plus. Donc nous serons au-dessus de cet objectif parce que nous voulons être absolument déterminés à réduire toutes les dépenses sur lesquelles, l'État a fait le choix finalement de ne pas prélever d'argent.

Est-ce que vous en savez plus, F. Baroin, ce matin sur ces fameux 14 contribuables qui ont un patrimoine supérieur à 16 millions d'euros et qui ont visiblement payé un impôt dérisoire en 2008 ? Vous allez faire quoi ?

Moi, je m'attache à essayer de corriger à la fois tout ce qui me semble inéquitable, tout ce qui me semble procéder d'un abus du système...

C'est le cas ?

Il y en a, mais n'attendez pas du ministre du Budget de délivrer des informations sur la situation fiscale de tel ou tel, je suis astreint au secret professionnel...

Je ne vous ai pas demandé de nom.

Comme le chef de l'administration fiscale...

Je ne vous ai pas demandé de nom.

Je me suis efforcé d'anticiper votre deuxième question.

Puisqu'on parle de fiscalité, on a beaucoup vu E. Woerth, votre prédécesseur, gérer les problèmes d'évasion fiscale justement, partir en guerre même contre ces évadés fiscaux. Or aujourd'hui, il est mis en cause dans une affaire qu'on va appeler « l'affaire Bettencourt », il y a eu des révélations qui ont été faites par Médiapart et la justice qui enquête, il y a eu 2 personnes mises en garde-à-vue. Il aurait visiblement eu connaissance d'argent caché en Suisse par cette milliardaire !

Ecoutez, alors je n'ai strictement aucun commentaire, E. Woerth je crois a lui-même répondu avec beaucoup de détermination et beaucoup de force et il se réserve le droit, je crois, d'ester en justice sur les sujets qu'il pourrait considérer comme étant diffamatoires. Tout ce que je peux vous dire, c'est que dans la lutte qu'il a engagée contre la fraude à l'extérieur pour faire revenir de l'argent qui avait été de manière très choquante et scandaleuse caché, a rapporté- je présenterai la semaine prochaine ou d'ici une dizaine de jours au Conseil des ministres, rien que sur le dossier HSBC - plus d'un milliard, c'est considérable. Donc le rôle du ministre du Budget dans les mois qui viennent de s'écouler a été très précieux pour les caisses de l'État.

Ça commence à faire beaucoup d'affaires qui embarrassent le Gouvernement, on a parlé des cigares de C. Blanc, on a parlé des affaires d'appartements, je les mets au pluriel !

Vous avez raison, c'est un climat qui donne l'impression qu'on effeuille les marguerites et on prend un peu tous les sujets, ils sont d'inégale valeur. Ce qui est important dans cette période de crise et de cette période d'exigence budgétaire, c'est d'être inattaquable à tous égards. Nous allons l'être sur l'État pour qu'il soit exemplaire, il sera exemplaire de la voiture jusqu'au train de vie, jusqu'aux frais de fonctionnement, ce sont additionner des petites gouttes d'eau par rapport au problème de déficit qu'on a à traiter, mais ce sont des questions de visibilité et d'acceptation d'un effort pour les Français, donc nous devons être évidemment tous très attentifs à ça.

Dernière question F. Baroin, demain D. de Villepin va lancer son mouvement politique. Vous lui dites quoi à D. de Villepin ?

Je lui dis d'abord mon amitié, je lui dis « tu as raison de continuer à t'exprimer et à te battre pour la France, ta voix pèse dans la majorité ». Et je lui dis « nous devrons être ensemble au côté du président de la République parce que la tâche ne sera pas facile dans 2 ans ».

Merci F. Baroin.

Merci. Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 18 juin 2010