Texte intégral
Mesdames, Messieurs, chers amis,
C'est pour moi un plaisir et un devoir de clôturer ce colloque. Un devoir, parce qu'en tant que secrétaire d'Etat à la Prospective et au Développement de l'économie numérique, un colloque prospectif sur l'avenir de l'économie numérique ne pouvait me laisser indifférente, surtout lorsqu'il est animé par d'aussi éminents intervenants. Un plaisir, parce que vous généralisez votre étude à la société numérique dans son ensemble. Je suis convaincue que l'impact du numérique ne se limite pas à l'économie. Au contraire, les innovations numériques ont vocation à bouleverser toute la société, en apportant de nouveaux modes de travail, de loisir, de sociabilisation, de santé... Il est donc primordial, comme vous l'avez fait, d'embrasser toutes les conséquences de la révolution numérique.
Vous avez évoqué les nouveaux risques qui menacent le citoyen dans la future société numérique. La collecte, toujours croissante, d'informations sur la vie de chacun, figure au premier plan de ces préoccupations. L'importance de la défense du droit à l'oubli numérique reste ainsi un enjeu pour les années futures. Ce droit consiste à pouvoir préserver une part d'intimité, qui ne soit pas connue, ni des autorités, ni du public, ni de sociétés commerciales qui en feraient un usage intéressé. Est-il possible de préserver cet acquis à l'horizon 2030 ? Certains éléments incitent à l'optimisme. Ainsi, les grands principes posés par la loi Informatique et Libertés de 1978, qui ont été conçus pour protéger le citoyen à une époque où l'informatique était réservée aux grandes organisations, restent valables à une époque où chacun surfe depuis son smartphone :
. la nécessité du consentement,
. le droit à l'information sur les données collectées et sur l'usage qui en est fait,
. le droit d'opposition...
. la limitation de la durée de conservation des données
Ces principes ne dépendent pas de la technologie, ils sont fondamentaux, et c'est pour cela qu'ils restent valables 30 ans après. Ils seront encore valables en 2030, si nous savons les défendre.
Pour profiter des potentialités promises par le numérique, sans tomber dans les excès de la divulgation des données, nous devons donc rester particulièrement vigilants. Nous devons vérifier ce que font les différents prestataires avec les informations qu'ils ont sur nous. En cas d'abus, nos devons réagir et, en premier lieu cesser d'utiliser les services indélicats. Comme je l'ai constaté dans la concertation que j'ai engagée avec les acteurs du web sur la mise en oeuvre du droit à l'oubli numérique, les acteurs économiques sont désormais conscients que la confiance des consommateurs fait partie de leur actif, et qu'ils doivent adopter un comportement exemplaire pour la mériter. Les consommateurs et les citoyens ont le pouvoir de faire reculer une entreprise qui tenterait de faire un usage abusif de leurs données.
La croissance de certaines entreprises, qui sont en mesure de tout connaître de nos goûts et de nos occupations, peut encore faire peur. L'histoire montre que dans de telles situations, ce sont les Etats-Unis qui ont pris l'initiative de juguler des entreprises devenues trop puissantes. Les lois antitrust ont été adoptées il y a un siècle pour démanteler la Standard Oil. Elles ont servi il y a 30 ans pour démanteler ATT. IBM et Microsoft ont fait l'objet de débuts de poursuite. Les mêmes lois américaines pourraient servir pour éviter une trop grande concentration des données.
Les citoyens doivent également être plus responsables dans ce qu'ils publient eux-mêmes sur Internet. Nous devons faire acte de pédagogie, afin que chacun comprenne que la vie privée la mieux protégée est celle qui n'est pas exposée sur les réseaux sociaux. Il revient à chacun d'apprendre à se protéger, et à protéger les autres.
La sécurité du monde numérique doit dépasser le simple cadre des données. Nous devons également sécuriser les réseaux et les échanges, aussi bien au niveau du citoyen, qu'à celui des entreprises et des administrations. Dans le cadre des investissements d'avenir, le gouvernement a décidé de promouvoir la création de solutions de sécurité. Nous espérons que de nombreuses entreprises françaises innovantes pourront contribuer à résoudre ce problème, bien avant 2030.
Mais les outils numériques ne valent que s'ils ont une utilité sociale. Leur valeur réside dans l'amélioration qu'ils apportent à la vie de chacun. La fracture numérique est inacceptable, car les services numériques ont vocation à devenir, comme l'eau et l'électricité, un équipement de base. Le gouvernement agit pour aider ceux qui en sont aujourd'hui exclus à rattraper leur retard. Notre objectif est que tout le territoire soit équipé en haut débit à l'horizon 2012, en attendant le très haut débit à un horizon que j'espère plus proche que 2030. Je viens de lancer une étude pour analyser l'appropriation des tablettes numériques par les seniors. Par le programme Ordi 2.0, nous incitons au reconditionnement d'ordinateurs offerts par des sociétés ou des administrations, pour leur permettre de servir à des personnes défavorisées.
Il me semble d'ailleurs que le recyclage des outils numériques va devenir une priorité, car à l'horizon 2030 nous risquons de faire face à une pénurie des matières premières rares indispensables à la production de ces équipements. Indium, néodyme, terbium, gallium, sélénium, tantale, molybdène... je ne vais pas vous réciter la liste des terres rares, mais toutes sont nécessaires à la production des écrans plats, des supraconducteurs, des aimants miniaturisés, des lasers et des systèmes optoélectroniques ; tandis que le lithium est indispensable pour les batteries. La production de ces minéraux est contrôlée par un petit nombre de pays, et elle ne suffit déjà plus à la demande actuelle. Le contrôle de ces ressources constituera sous peu un enjeu stratégique comparable à celui des ressources énergétiques ou hydrauliques. En 2030, nous serons sans doute obligés de recycler les équipements numériques que nous jetons aujourd'hui. Ainsi, selon une étude récente, les réserves contenues dans les stocks de déchets japonais de téléviseurs, PC, caméras, et autres produits numériques jetés ou conservés dans un placard, représenteraient une part importante, jusqu'à un cinquième ou un sixième, des réserves mondiales d'or, d'argent ou d'indium !
L'économie du numérique en 2030 ne pourra donc pas faire l'impasse sur des problématiques bien matérielles. Mais vous avez également abordé les modèles économiques d'une économie qui, bien que virtuelle, représente des enjeux financiers bien réels. D'une part, le numérique permet l'émergence d'un parasitisme commercial, qui consiste à vendre des produits numériques ou physiques contrefaits. Ce comportement doit bien sûr être condamné. D'autre part, le numérique ouvre aux commerçants un marché bien plus large, facilite la diffusion des produits et la promotion du savoir-faire. C'est ce qu'ont désormais compris les vendeurs en ligne. Ils ont également compris que ce modèle repose, lui aussi sur la confiance des acheteurs. Les entreprises sont alors prêtes à s'auto-discipliner et à signer des chartes de bonnes pratiques pour garantir cette confiance.
Dans ce paysage en plein mouvement, quelle place pour le corps des Mines en 2030 ? Même si, comme nous l'avons vu, il restera des enjeux miniers au sujet des ressources rares, ce n'est pas là que les futurs ingénieurs pourront apporter le plus. En matière de numérique, comme ce fut le cas dans d'autres secteurs, le rôle de l'Etat change : de l'Etat opérateur on passe à l'Etat régulateur, organisateur. Le coeur de notre action aussi : comme je le rappelle souvent, au-delà des infrastructures, il nous faut nous préoccuper des contenus, des usages. Des ingénieurs au service de l'Etat sont-ils alors encore utiles ? Tout d'abord, et je le constate quotidiennement, les technologies numériques sont aujourd'hui mal comprises par une majorité de nos concitoyens. Il serait dangereux que l'Etat ne soit plus capable de maîtriser des technologies qui seront devenues le système nerveux de la société numérique. Mais au-delà, comme l'ont montré les discussions aujourd'hui, les enjeux technologiques, économiques et sociétaux de la révolution numérique sont intimement liés.
A cette interface entre l'Etat, l'industrie et la société, il y aura de plus en plus besoin de hauts fonctionnaires capables de concilier l'expertise technique et le sens du service public, capables d'évaluer les impacts des différents choix possibles, capables de maîtriser les phénomènes en cours, voire de les anticiper, au lieu de les subir. Ces hauts fonctionnaires devront évidemment être en mesure d'inscrire la politique de la France dans le contexte européen et mondial qui est celui du numérique. Les défis passionnants ne manqueront pas dans les années à venir pour les ingénieurs !
Source http://www.prospective-numerique.gouv.fr, le 25 juin 2010
C'est pour moi un plaisir et un devoir de clôturer ce colloque. Un devoir, parce qu'en tant que secrétaire d'Etat à la Prospective et au Développement de l'économie numérique, un colloque prospectif sur l'avenir de l'économie numérique ne pouvait me laisser indifférente, surtout lorsqu'il est animé par d'aussi éminents intervenants. Un plaisir, parce que vous généralisez votre étude à la société numérique dans son ensemble. Je suis convaincue que l'impact du numérique ne se limite pas à l'économie. Au contraire, les innovations numériques ont vocation à bouleverser toute la société, en apportant de nouveaux modes de travail, de loisir, de sociabilisation, de santé... Il est donc primordial, comme vous l'avez fait, d'embrasser toutes les conséquences de la révolution numérique.
Vous avez évoqué les nouveaux risques qui menacent le citoyen dans la future société numérique. La collecte, toujours croissante, d'informations sur la vie de chacun, figure au premier plan de ces préoccupations. L'importance de la défense du droit à l'oubli numérique reste ainsi un enjeu pour les années futures. Ce droit consiste à pouvoir préserver une part d'intimité, qui ne soit pas connue, ni des autorités, ni du public, ni de sociétés commerciales qui en feraient un usage intéressé. Est-il possible de préserver cet acquis à l'horizon 2030 ? Certains éléments incitent à l'optimisme. Ainsi, les grands principes posés par la loi Informatique et Libertés de 1978, qui ont été conçus pour protéger le citoyen à une époque où l'informatique était réservée aux grandes organisations, restent valables à une époque où chacun surfe depuis son smartphone :
. la nécessité du consentement,
. le droit à l'information sur les données collectées et sur l'usage qui en est fait,
. le droit d'opposition...
. la limitation de la durée de conservation des données
Ces principes ne dépendent pas de la technologie, ils sont fondamentaux, et c'est pour cela qu'ils restent valables 30 ans après. Ils seront encore valables en 2030, si nous savons les défendre.
Pour profiter des potentialités promises par le numérique, sans tomber dans les excès de la divulgation des données, nous devons donc rester particulièrement vigilants. Nous devons vérifier ce que font les différents prestataires avec les informations qu'ils ont sur nous. En cas d'abus, nos devons réagir et, en premier lieu cesser d'utiliser les services indélicats. Comme je l'ai constaté dans la concertation que j'ai engagée avec les acteurs du web sur la mise en oeuvre du droit à l'oubli numérique, les acteurs économiques sont désormais conscients que la confiance des consommateurs fait partie de leur actif, et qu'ils doivent adopter un comportement exemplaire pour la mériter. Les consommateurs et les citoyens ont le pouvoir de faire reculer une entreprise qui tenterait de faire un usage abusif de leurs données.
La croissance de certaines entreprises, qui sont en mesure de tout connaître de nos goûts et de nos occupations, peut encore faire peur. L'histoire montre que dans de telles situations, ce sont les Etats-Unis qui ont pris l'initiative de juguler des entreprises devenues trop puissantes. Les lois antitrust ont été adoptées il y a un siècle pour démanteler la Standard Oil. Elles ont servi il y a 30 ans pour démanteler ATT. IBM et Microsoft ont fait l'objet de débuts de poursuite. Les mêmes lois américaines pourraient servir pour éviter une trop grande concentration des données.
Les citoyens doivent également être plus responsables dans ce qu'ils publient eux-mêmes sur Internet. Nous devons faire acte de pédagogie, afin que chacun comprenne que la vie privée la mieux protégée est celle qui n'est pas exposée sur les réseaux sociaux. Il revient à chacun d'apprendre à se protéger, et à protéger les autres.
La sécurité du monde numérique doit dépasser le simple cadre des données. Nous devons également sécuriser les réseaux et les échanges, aussi bien au niveau du citoyen, qu'à celui des entreprises et des administrations. Dans le cadre des investissements d'avenir, le gouvernement a décidé de promouvoir la création de solutions de sécurité. Nous espérons que de nombreuses entreprises françaises innovantes pourront contribuer à résoudre ce problème, bien avant 2030.
Mais les outils numériques ne valent que s'ils ont une utilité sociale. Leur valeur réside dans l'amélioration qu'ils apportent à la vie de chacun. La fracture numérique est inacceptable, car les services numériques ont vocation à devenir, comme l'eau et l'électricité, un équipement de base. Le gouvernement agit pour aider ceux qui en sont aujourd'hui exclus à rattraper leur retard. Notre objectif est que tout le territoire soit équipé en haut débit à l'horizon 2012, en attendant le très haut débit à un horizon que j'espère plus proche que 2030. Je viens de lancer une étude pour analyser l'appropriation des tablettes numériques par les seniors. Par le programme Ordi 2.0, nous incitons au reconditionnement d'ordinateurs offerts par des sociétés ou des administrations, pour leur permettre de servir à des personnes défavorisées.
Il me semble d'ailleurs que le recyclage des outils numériques va devenir une priorité, car à l'horizon 2030 nous risquons de faire face à une pénurie des matières premières rares indispensables à la production de ces équipements. Indium, néodyme, terbium, gallium, sélénium, tantale, molybdène... je ne vais pas vous réciter la liste des terres rares, mais toutes sont nécessaires à la production des écrans plats, des supraconducteurs, des aimants miniaturisés, des lasers et des systèmes optoélectroniques ; tandis que le lithium est indispensable pour les batteries. La production de ces minéraux est contrôlée par un petit nombre de pays, et elle ne suffit déjà plus à la demande actuelle. Le contrôle de ces ressources constituera sous peu un enjeu stratégique comparable à celui des ressources énergétiques ou hydrauliques. En 2030, nous serons sans doute obligés de recycler les équipements numériques que nous jetons aujourd'hui. Ainsi, selon une étude récente, les réserves contenues dans les stocks de déchets japonais de téléviseurs, PC, caméras, et autres produits numériques jetés ou conservés dans un placard, représenteraient une part importante, jusqu'à un cinquième ou un sixième, des réserves mondiales d'or, d'argent ou d'indium !
L'économie du numérique en 2030 ne pourra donc pas faire l'impasse sur des problématiques bien matérielles. Mais vous avez également abordé les modèles économiques d'une économie qui, bien que virtuelle, représente des enjeux financiers bien réels. D'une part, le numérique permet l'émergence d'un parasitisme commercial, qui consiste à vendre des produits numériques ou physiques contrefaits. Ce comportement doit bien sûr être condamné. D'autre part, le numérique ouvre aux commerçants un marché bien plus large, facilite la diffusion des produits et la promotion du savoir-faire. C'est ce qu'ont désormais compris les vendeurs en ligne. Ils ont également compris que ce modèle repose, lui aussi sur la confiance des acheteurs. Les entreprises sont alors prêtes à s'auto-discipliner et à signer des chartes de bonnes pratiques pour garantir cette confiance.
Dans ce paysage en plein mouvement, quelle place pour le corps des Mines en 2030 ? Même si, comme nous l'avons vu, il restera des enjeux miniers au sujet des ressources rares, ce n'est pas là que les futurs ingénieurs pourront apporter le plus. En matière de numérique, comme ce fut le cas dans d'autres secteurs, le rôle de l'Etat change : de l'Etat opérateur on passe à l'Etat régulateur, organisateur. Le coeur de notre action aussi : comme je le rappelle souvent, au-delà des infrastructures, il nous faut nous préoccuper des contenus, des usages. Des ingénieurs au service de l'Etat sont-ils alors encore utiles ? Tout d'abord, et je le constate quotidiennement, les technologies numériques sont aujourd'hui mal comprises par une majorité de nos concitoyens. Il serait dangereux que l'Etat ne soit plus capable de maîtriser des technologies qui seront devenues le système nerveux de la société numérique. Mais au-delà, comme l'ont montré les discussions aujourd'hui, les enjeux technologiques, économiques et sociétaux de la révolution numérique sont intimement liés.
A cette interface entre l'Etat, l'industrie et la société, il y aura de plus en plus besoin de hauts fonctionnaires capables de concilier l'expertise technique et le sens du service public, capables d'évaluer les impacts des différents choix possibles, capables de maîtriser les phénomènes en cours, voire de les anticiper, au lieu de les subir. Ces hauts fonctionnaires devront évidemment être en mesure d'inscrire la politique de la France dans le contexte européen et mondial qui est celui du numérique. Les défis passionnants ne manqueront pas dans les années à venir pour les ingénieurs !
Source http://www.prospective-numerique.gouv.fr, le 25 juin 2010