Déclaration de M. François Huwart, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, sur l'importance des systèmes productifs locaux et sur les atouts de l'éducation et de la formation dans le développement des territoires et leurs réseaux d'entreprises face à la mondialisation, Paris, les 23 et 24 janvier 2001.

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Circonstance : Congrès mondial des Systèmes productifs locaux (SPL) coorganisé par la Datar et l'OCDE à La Cité des sciences et de l'industrie, Paris, les 23 et 24 janvier 2001

Texte intégral

Mesdames et messieurs,
Vous me permettrez avant toute chose de remercier Donald Johnston, secrétaire général de l'OCDE et Jean-Louis Guigou, délégué à l'Aménagement du Territoire et à l'action Régionale ainsi que tous leurs collaborateurs. Ils sont en effet les maîtres d'oeuvre et les hôtes de ce congrès ambitieux consacré aux Systèmes Productifs Locaux.
Je suis à la fois très heureux et très honoré, d'ouvrir en si bonne compagnie cette table ronde consacrée à la compétitivité des territoires et aux relations citoyennes. Cette double approche, que nous allons essayer de préciser ensemble, donne d'ailleurs à mes yeux la clef pour comprendre et mesurer l'intérêt de la notion de système productif local.
En effet, à l'aube d'un 21ème siècle encore neuf mais qui nous promet l'avènement triomphal de la mondialisation, (si vous m'autorisez ce terme un rien provocateur...) n'y a t'il pas un paradoxe à vouloir s'intéresser à un phénomène local ?
Quid des systèmes locaux à l'heure des enjeux globaux ?
Territoires... Citoyens...
Le thème de notre table ronde permet, je crois de résoudre ce paradoxe. La mondialisation, qui est déjà bien engagée, redonne justement tout leur sens, et toute leur importance, aux territoires. Les critiques souvent virulentes adressées à la Mondialisation depuis Seattle et certainement demain au Forum Social de Porto Alegre, fustigent une économie parfois oublieuse des hommes et des lieux qu'ils habitent, oublieuse de leur racines culturelles et historiques.
Face aux problématiques nouvelles liées aux entreprises multi- ou trans- Nationales... dont l'identité se dilue, les systèmes productifs locaux mettent au contraire en avant une certaine idée de l'entreprise comme communauté humaine et non comme réseau de machines ou Léviathan virtuel.
Ils offrent l'image du développement économique ouvert sur le monde mais ancré dans un territoire. A travers le développement économique local, par et pour les citoyens, la mondialisation peut retrouver le sens de l'humain qui semble parfois lui manquer. ...
Dans cette perspective, on ne peut évidemment pas ignorer le rôle central de l'Etat et des pouvoirs publics au sens large. Il ne s'agit plus de l'Etat qui régit mais d'un Etat stratège et partenaire privilégié des acteurs économiques locaux.
I. Voici les enjeux que je souhaite évoquer maintenant à la lumière de mon expérience au commerce extérieur...
L'une des premières questions qui nous étaient posées, concernait justement les PME-PMI. Comment augmenter leur nombre dans le socle des entreprises qui exportent ?
Pour y parvenir nous avons lancé il y a tout juste un an, une politique Régionale du Commerce extérieur.
Politique à la fois régionale et sectorielle dont le principe était d'identifier les secteurs d'activité propres à chacune de nos régions, les plus propices à l'exportation, en un mot les secteurs à la recherche d'un nouvel élan à l'international.
Il s'agit ni plus ni moins que de participer à l'essor de réseaux de PME, souvent constitués en systèmes productifs locaux, en favorisant leur insertion dans l'économie mondialisée.
Voici pour le but recherché : l'efficacité et le bon sens commandaient de s'appuyer ensuite sur les territoires et les acteurs économiques locaux. Nous avons surtout cherché à réunir et coordonner toutes les compétences et toutes les énergies locales : agents de l'Etat, élus locaux représentants des chambres de commerce et surtout chefs d'entreprise. Ce sont eux qui ont sélectionné localement les filières professionnelles en s'appuyant le plus souvent sur des activités traditionnelles. Les ateliers que nous avons animés sont un bon exemple, je crois, de ces partenariats dynamiques qui se nouent entre les pouvoirs publics et les acteurs économiques d'un territoire.
Les PME de la porcelaine réunis autour de Limoge constituent un SPL ancien et réputé : la mondialisation, tant par les nouveaux réseaux de communication que par l'accélération des échanges internationaux, lui offre des perspectives nouvelles.
Autre exemple : celui de l'activité textile et en particulier le travail de la laine dans le Tarn ou dans le pays d'Olmes en Ariège qui représentent plus de 300 PME.
Les enjeux de le mondialisation pour ce SPL ancien, qui représente encore plus de 6000 emplois, sont plus complexes : la concurrence internationale a été très rude.
Les perspectives offertes par l'exportation permettent alors d'accompagner une reconversion fondée sur l'innovation : c'est le cas des textiles techniques dans ces bassins de Castres-Mazamet et du Pays d'Olmes qui se tournent vers l'industrie aéronautique ou automobile.
Parfois, le SPL, invente et implante une nouvelle activité : ce que je serais tenté de décrire, de façon peut-être audacieuse comme le " modèle Las Vegas ". Un système productif local se développe à partir d'une activité importée sur un territoire telle l'industrie du jeu dans le désert du Nevada !
Ce modèle de SPL est illustré par le Futuroscope à Poitiers. Autour de l'activité de loisir et de tourisme suscitée par le parc d'attraction, un tissu de PME innovantes s'est constitué sur les technologies de l'information et tout particulièrement de l'image. Ce Système Productif Local jeune et non-indigène au Poitou-Charentes, fait l'objet d'un programme de développement international.
II. [ Enjeux citoyens...]
Je m'en tiendrai à cette description, trop rapide et schématique, de la politique régionale que nous menons au Commerce extérieur pour favoriser l'essor ou le rebond de certains clusters industriels clairement identifiés. La compétitivité des territoires et ses enjeux pour les citoyens sont au fondement de cette politique.
Je serais tenté de dire que le premier enjeu pour les citoyens est d'ailleurs la question de l'emploi. Dans le cadre d'une politique de croissance durable marquée par l'ambition d'un retour au plein emploi, notre premier critère concernait les secteurs d'activité à fort effet de levier justement sur la croissance et l'emploi.
Le maintien des emplois au pays coïncide alors avec l'attachement affectif ou citoyen à un territoire, tandis que les entreprises bénéficient en retour d'un réservoir de compétences et de motivation. Certains modèles abstraits privilégient les notions d'allocation des ressources et de mobilité du facteur travail.
Face à cette vision trop rationnelle sans doute, les SPL posent au contraire la question de l'affect dans l'économie, de l'attachement au pays. Je crois qu'on aurait tord, en effet, de sous-estimer la richesse et l'importance de ces relations citoyennes nouées à l'échelle locale, où l'employé justement n'est pas considéré comme une unité de facteur travail.
On a montré l'importance des entreprises familiales dans la structuration de certains districts italiens. Je crois en effet que le système productif local peut offrir une synthèse intéressante de la forme moderne de l'économie d'un côté, avec ses normes comptables et juridiques, et la vitalité de l'activité traditionnelle de l'autre avec ses réseaux de solidarité et d'interdépendance.
En un mot, le SPL pourrait bien combiner la rigueur des instruments de management avec la vigueur des solidarités locales.
Il est clair que la confiance mutuelle, la loyauté assurée par la pression du milieu, forgent des relations citoyennes souvent propices au respect des contrats, mais aussi à la prise de risque de la part de l'entrepreneur.
Pour ne rien dire de l'émulation entre acteurs économiques proches.
Au delà des infrastructures matérielles, qu'il s'agisse du réseau routier ou des autoroutes de l'information, au delà des infrastructures immatérielles, telles que la qualité du droit qui garantit la sécurité des investissements, il est un facteur essentiel de la compétitivité d'un territoire qui fonde les relations citoyennes : c'est la formation.
Il s'agit d'une composante fondamentale de la notion même de SPL. Bassin d'emploi ou pôle de compétences, tout SPL a des besoins propres en termes de formation.
Un programme centré sur le secteur de l'eau et de l'environnement que nous avons signé en Limousin est un exemple très pertinent de cette dynamique fructueuse qui peut s'instaurer entre un réseau local d'entreprises et les lieux d'enseignement et de recherche. En Limousin en effet, un pôle d'excellence s'est constitué autour d'une vingtaine de PME actives sur les métiers de l'environnement : concepteurs et constructeurs de matériel, prestataire d'études et de services dans la gestion de l'eau, des déchets et de l'énergie.
Un axe fort s'est naturellement créé avec l'université de Limoges, où il existe une filière eau et un pôle de recherche sur l'environnement.
Les instituts de recherche, CNRS et INRA sont également partenaires du Centre de Recherches interdisciplinaires en Droits de l'Environnement, de l'Aménagement et de l'Urbanisme installé à Limoges.
Ces passerelles, ces synergies entre chercheurs, enseignants et entrepreneurs ont du sens à l'échelle des territoires.
En définitive les enjeux économiques locaux sont bel et bien des enjeux de démocratie indissociables d'un territoire propre.
Certes, les grands enjeux politiques tels que l'environnement, les normes sociales ou la sécurité alimentaire sont désormais planétaires. Les solutions n'ont de sens que négociées et acceptées par la communauté internationale tout entière. Or, dans le même temps, les citoyens se sentent plus que jamais concernés par ces problèmes qui ont une incidence sur leur quotidien. Face à cette gouvernance mondiale dont ils contestent d'ailleurs la légitimité, à Millau comme à Seattle, de nouveaux échelons de gouvernance économique ou politique ont un sens.
L'échelon local est le mieux à même d'assurer cette gouvernance de proximité : gouvernance légitime car proche des citoyens...
Gouvernance efficace aussi car le rythme soutenu de l'innovation et l'accélération des échanges imposent d'agir vite et de manière coordonnée. Le temps de réaction des acteurs économiques doit être raccourci et la proximité avec les acteurs économiques, avec les chefs d'entreprise devient gage d'efficacité.
Cette approche théorique et pratique appelle certainement vos commentaires avisés. Je vous laisse maintenant la parole pour en débattre.
Le premier enjeu de la gouvernance locale et le premier atout d'un système productif local est bien celui de la compétitivité, c'est à dire de l'attrait de leur territoire. En ce sens, la mobilité des investissements qui est l'un des aspects les plus spectaculaires de la mondialisation est un puissant motif d'action. Dans le cadre d'une économie en voie de globalisation accélérée, l'action économique, à travers en particulier l'aménagement du territoire et la formation sont les principaux leviers pour maximiser les performances économiques d'un territoire.
L'aménagement du territoire tout d'abord, et je ne prendrai qu'un exemple : Jean-Claude Bourdier vient de remettre à mon collègue Christian Pierret un rapport prospectif sur les réseaux hauts débits, c'est à dire l'Internet de demain. Les enjeux ne sont pas ceux d'une tuyauterie améliorée, qu'il s'agisse des réseaux filaires câblés ou optique, des réseaux hertziens numériques, des réseaux radio, les fameux UMTS, ou du satellite... Accroître le débit de l'information n'est pas seulement, pour l'internaute, une promesse de plus grand confort, ou de vitesse élevée sur les autoroutes de l'information. Les hauts débits impliquent de nouveaux services en ligne. Qui dit nouveaux réseaux, dit donc nouveaux contenus et toutes sortes de services en ligne sophistiqués.
Cela suppose des efforts d'investissement très importants dans les années à venir pour créer ces grandes artères numériques. Le risque évident est de voir apparaître une disparité géographique. Les grandes entreprises ont des relations privilégiées avec les collectivités locales et les opérateurs : elles peuvent attirer ou créer les raccordements hauts débits dont elles ont besoin.
Il n'en va pas de même pour les PME-PMI. Des inégalités se dessinent entre des zones de forte concurrence et d'accès facile et des zones de faible concurrence et de prix élevés. Les pouvoirs publics doivent éviter l'apparition de ces phénomènes de désertification numérique localisée. Le rapport souligne bien " qu'aucun opérateur en situation de concurrence ne sera amené par le seul jeu du marché, à assurer la disponibilité d'interconnexions à hauts débits sur tout le territoire à lui seul ". On aperçoit aisément l'impact que ces équipements auront sur la localisation de certaines activités, sur leur polarisation éventuelle.
L'Etat et les partenaires locaux doivent donc plus que jamais réfléchir à des stratégies, susciter des partenariats qui permettent de tirer pleinement parti de cette économie de réseau et non de subir le progrès.
Mais je crois que tout à fait artificiel d'aborder la question de la compétitivité simplement en termes d'équipement, ou d'allocation de capitaux à l'échelle internationale.
A l'intérieur d'un territoire, la formation, les compétences dispensées par l'école, deviennent en effet le facteur discriminant, celui qui évite les exclusions et polarise les revenus. L'éducation et la formation doivent donc être nos priorités : antidotes aux inégalités sociales, elles sont déjà la " sécurité sociale " du 21ème siècle.
Je conclurai sur ce point ; l'éducation et la formation ne sont pas seulement un " filet de sécurité " : elles constituent le meilleur atout des territoires dans la mondialisation. Ce sont les ferments de ce qui peut constituer désormais, un avantage comparatif dans une économie en voie d'intégration planétaire : à savoir l'innovation.
(source http://www.datar.gouv.fr, le 27 juin 2001)