Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
Mes chers collègues,
Ce colloque ne se situe pas hors du temps , il est dominé par la crise, la crise économique et financière mondiale qui frappe tous les pays, qui atteint aujourd'hui et de manière combien spectaculaire à l'Est, à l'Ouest, au Nord, au Sud, grands et moins grands, cette crise qui ébranle les colonnes des temples bancaires les plus respectables ; cette crise qui frappe plus précisément et plus particulièrement les pays en développement. Cette crise se manifeste par :
- un déficit croissant des paiements extérieurs entraînant une
. dégradation des balances commerciales, pour les raisons que vous savez, les exportations de matières premières, agricoles ou minières diminuant en valeur, parfois même en volume. Cependant que, du fait de l'inflation mondiale, le coût des produits manufacturés, d'équipement ou de consommation, s'accroît rapidement.
Ceci entraîne presque partout une grave détérioration des termes de l'échange.
Crise qui se manifeste dans la :
. dégradation de la balance des paiements du fait de l'accroissement considérable de l'encours et du service de la dette (aggravé par la hausse des taux d'intérêt, aggravé par les variations erratiques des monnaies d'emprunt...)
Cependant que, parallèlement, se réduit le montant de l'aide internationale, surtout de l'aide concessionnelle ; que se tarissent les flux financiers sur lesquels le Sud pouvait compter jusqu'alors.
Nous assistons donc à une tension sans cesse croissante de la situation financière internationale, tension à laquelle les mécanismes actuels de régulation (je pense aux prêts-programmes du Fonds Monétaire International, je pense aux réunions du Club de Paris...) sont de moins en moins capables de porter remède ; ces réunions qui se multiplient cependant que leurs résultats se divisent.
Crise marquée également par :
- un déficit croissant des budgets nationaux du fait :
. d'un côté de la nécessité de faire face au service de la dette extérieure et de rembourser des arriérés intérieurs, du fait de l'accroissement légitime des besoins des populations (notamment en matière d'éducation ou de santé), du fait de la volonté des États de maintenir un rythme d'investissement en vue du développement soutenu.
. de l'autre côté, du fait d'une stagnation, d'une récession ou d'une régression du rendement de l'impôt et des revenus para-fiscaux qui s'expliquent par la baisse des revenus d'exportation des produits de base, par l'aggravation du marasme économique intérieur dans de nombreux pays et le constat d'inadaptation de systèmes fiscaux essentiellement organisés autour d'une économie excentrée.
La plupart des gouvernements sont ainsi placés devant la nécessité d'adopter des mesures d'ajustement, dramatiques parfois, par réduction de leurs dépenses et par accroissement de leurs ressources, fiscales surtout, dans la mesure où le recours à l'emprunt est compromis et où les recettes exceptionnelles tirées de leurs exportations de matières premières se sont taries.
Nombreux sont ceux d'ailleurs qui, faisant appel à l'aide internationale (du FMI ou des créanciers internationaux...) se voient (rudement) sollicités de prendre de telles mesures.
D'où la recherche de meilleurs impôts, de l'accroissement du rendement des impôts existants, pour faire face à un service de la dette parfois démesuré, à un déficit budgétaire structurel considérable.
Pour nombre de pays, il ne s'agit plus aujourd'hui de réunir et de mobiliser des ressources en vue du développement mais tout simplement de survivre.
I - Cette recherche d'ajustements internes, au travers notamment d'aménagements des systèmes fiscaux, est certes nécessaire.
A - Il faut cependant souligner d'abord qu'elle ne permet pas de faire l'économie d'une réflexion approfondie sur les responsabilités du système économique, commercial et financier international dans les déséquilibres actuels et sur les réformes à mettre en oeuvre pour y remédier.
Je ne veux pas approfondir ce point qui n'est pas l'objet de votre colloque, mais je voudrais rappeler simplement pour mémoire les trois thèmes qui s'imposent :
- la remise en ordre urgente du système monétaire international, dont les aberrations et les fluctuations anéantissent les efforts les plus louables ;
- la recherche accrue de systèmes de régulation et de stabilisation du commerce international des matières premières et produits tropicaux ;
- l'accroissement de l'aide internationale au développement à des conditions concessionnelles ;
- la recherche et le développement de procédures d'aides internationales destinées à conforter les efforts d'ajustements économiques et financiers à court et à moyen terme des PVD (sur le modèle des prêts d'ajustement structurels de la Banque Mondiale et des facilités du Fonds Monétaire International).
B - La mise en oeuvre de politiques d'ajustement est cependant également nécessaire. D'autant plus peut-être que les conditions qui précèdent sont, hélas, loin d'être réunies, que leur prise en compte même est loin de faire l'unanimité des gouvernements et dans les institutions internationales. Et ce n'est pas la récente réunion de Toronto qui me fait changer d'avis sur ce point.
Les politiques doivent bien sûr utiliser et combiner entre elles tous les instruments classiques de la politique économique (prix, monnaie, crédits, taux de change, etc...)
Qu'en est-il de la fiscalité ?
Nous savons tous que, pas plus dans les PVD que les pays industrialisés, il n'existe d'impôt miracle. Et, d'après ce que j'ai compris, c'est tout de même une des conclusions, prévisible celle-là, de votre colloque. Pour être efficace, l'impôt doit d'abord être adapté à chaque environnement culturel, économique et social particulier.
Nous savons également que l'impôt ne peut pas être économiquement neutre. Explicitement ou implicitement, et à des degrés divers, il est au service d'une politique économique, d'un modèle de développement, ou d'un autre.
Dans la plupart des pays en développement, les systèmes fiscaux, partiellement imités de ceux des pays industrialisés, ont été mis au service de l'accumulation du capital en vue du développement.
En outre, et même lorsque ces pays ne disposaient pas d'atouts décisifs et solides au regard de la spécialisation internationale du travail, cette capitalisation était en général attendue d'une intégration volontaire et croissante dans le système économique international. Ainsi, la plupart des systèmes fiscaux dans le Sud ont-ils été conçus pour favoriser les apports de capitaux extérieurs (codes des investissements...) tandis que l'essentiel du revenu fiscal ou parafiscal était attendu des transactions avec l'extérieur ou du secteur moderne "importé".
La fragilité extrême de ce modèle de développement extraverti nous frappe particulièrement aujourd'hui : les PVD sont maintenant frappés de plein fouet et sans défense par la récession et l'inflation mondiale (stagflation) comme par les mouvements erratiques des monnaies, des taux d'intérêt des cours des matières premières.
En même temps, ce système a souvent gravement appauvri les économies internes : régression du secteur des entreprises traditionnelles de l'artisanat, des initiatives locales utilisatrices de main-d'oeuvre, abandon du secteur vivrier, exode d'une partie croissante de la population rurale... Tous ces faits sont connus.
Il est cependant urgent de réfléchir, au-delà des ajustements financiers - dramatiques et pressants - auxquels il faut procéder et auxquels la fiscalité peut contribuer, aux ajustements nécessaires des politiques de développement et à la manière dont la fiscalité peut être mise à contribution (!) pour assurer un recentrage progressif des économies.
Comment mettre la fiscalité, non seulement en mesure de contribuer au rétablissement des grands équilibres financiers, mais aussi. au service d'une politique de développement réorientée ? Telle me paraît être la question fondamentale. J'ai bien entendu tout à l'heure M. LAINET dire qu'il fallait pas mélanger les genres et qu'il ne fallait pas demander à l'instrument fiscal autre chose que ce pourquoi il est fait, mais en même temps il conviendra avec moi que, si nous n'arrivons pas à surmonter ce paradoxe qui fait qu'une fiscalité ne contribuant pas à l'évolution économique s'enferme et enferme le pays dans un étau dont il ne peut se sortir, si nous n'arrivons pas à surmonter ce paradoxe, non seulement il n'y aura pas de bonne fiscalité, mais il n'y aura pas de bonne économie ; et la dégradation, la détérioration de la situation ne feront que s'accentuer. Il nous faut donc essayer ce genre périlleux et chercher à trouver les poids et moyens d'une politique fiscale réfléchie, cohérente, prudente sans doute mais suffisamment audacieuse pour surmonter le paradoxe.
II - Quelques axes de réflexion.
A - d'ordre-méthodologique-tout-d'abord :
1. Trop souvent, la fiscalité est considérée comme une technique "en soi" qui reste du domaine des seules fiscalités en raison de sa complexité, sans qu'il y ait un effort suffisant de réflexion et d'orientation commune entre les divers acteurs chargés de mettre en oeuvre la politique du développement.
C'est ainsi que l'on constate dans la quasi totalité des plans de développement l'inexistence d'une stratégie fiscale intégrée aux autres instruments dont dispose le planificateur. M. MAMADOU TOURE me contredira peut-être sur le Sénégal, mais cette heureuse exception mise à part, je n'en ai pas vu beaucoup. Ceci tient souvent du divorce existant entre Ministère du Plan et Ministère des Finances. Il est vrai que le cadre pluri-annuel d'un plan se prête mal, à priori, à l'intégration d'une politique fiscale surtout soucieuse du court terme, et cette difficulté n'est pas spécifique au Sud, on la retrouve dans le Nord et même dans mon pays. Cette réconciliation entre fiscalité et planification peut cependant s'opérer si le plan prend en compte la dimension du court terme (plan glissant) et si les fiscalistes acceptent de sortir de la technique fiscale pure pour poser le problème de l'adaptation des ressources fiscales aux objectifs de développement.
La prise en compte de la prévision est aussi un élément favorable à l'intégration de la politique fiscale dans la politique économique.
2. Il importe par ailleurs souvent que soient gérées de manière mieux coordonnée les diverses ressources de l'État mobilisées en vue du développement. En effet, la fiscalité n'est pas, loin de là, la seule ressource dont disposent les États pour conduire une action de développement : les ressources exceptionnelles tirées des surplus éventuellement dégagés par les caisses de stabilisation de produits de base et les rentes minières, les ressources d'emprunt mobilisées principalement sur les marchés internationaux constituent très souvent une source de financement bien supérieure à la fiscalité, les ressources procurées par l'aide internationale de leur côté peuvent parfois être substantielles, du moins en proportion. Elles ne peuvent cependant jamais être indépendamment d'elles : l'instabilité des recettes d'exportation est en effet cause d'instabilité de recettes fiscales et para fiscales qui s'y rattachent ; le recours massif à l'emprunt international est lui aussi source possible de perturbation dans la gestion des ressources publiques dans la mesure où son financement intérieur est différé dans le temps pour incomber in fine aux recettes fiscales s'il s'agit - et c'est très souvent le cas - d'un emprunt de l'État ou avalisé par lui. Gestion de la dette et gestion des ressources fiscales sont de ce fait étroitement imbriquées dans le temps. L'aide internationale, même sous forme de dons, n'est pas exempte non plus d'incidences fiscales mal maîtrisées, du fait d'une estimation insuffisante des charges récurrentes qu'elle entraîne et de la répartition de ses charges.
B - Dans quelle mesure la fiscalité peut-elle contribuer à un recentrage progressif des économies ?
L'autocentrage consiste sommairement à provoquer un processus de croissance reposant sur l'impulsion de l'intérieur.
Une meilleure utilisation des ressources naturelles, des équipements et des hommes, à travers une politique d'emploi et de productivité, la conquête d'un marché intérieur avec la formation d'une demande importante, constituent les objectifs d'un développement endogène et autocentré qui s'appuie sur les forces internes organisées vers la production de biens et services répondant aux besoins réels et immédiats de la population.
La priorité doit être donnée au secteur agricole, vivrier, à l'industrie de biens d'équipement adaptés et du biens de consommation interne. Dès lors, le secteur d'exportation cesse d'être prioritaire pour devenir un appoint nécessaire mais non privilégié.
Sommairement, il conviendrait de n'importer que des biens indispensables à la croissance industrielle, de ne pas importer de biens susceptibles d'être produits sur place, d'exporter principalement des produits conçus au préalable pour satisfaire le marché intérieur.
La mise en oeuvre même progressive de cette politique n'est cependant pas exempte de contradictions dont les effets pourraient être particulièrement dommageables dans la période actuelle, où la plupart des États sont angoissés, à la recherche de ressources supplémentaires.
Ainsi, en substituant aux importations et aux exportations des activités intérieures et à usage intérieur, l'autocentrage de l'économie supprime une source de recettes fiscales qui se prêtent facilement à l'imposition (droits de porte, droits de sortie ...) et dont le rendement fiscal est souvent très élevé par rapport au coût de la collecte de l'impôt. Par ailleurs, les nouvelles activités créées par la politique d'import - substitution donnent lieu à des perceptions fiscales largement minorées par les dégrèvements prévus dans les codes des investissements.
Enfin, or, ne pourra attendre d'une expansion des secteurs traditionnels, agriculture vivrière, petites et moyennes entreprises artisanales ou semi-industrielles, un rendement fiscal immédiatement correspondant aux recettes perdues et aux mesures (fiscales et autres) incitatives nécessaires. En effet, la fiscalisation du secteur informel ne devra et ne pourra être que très progressive : il y a dans ce domaine un champ immense de recherche fondamentale, théorique et technique, qui n'en est qu'à ses premier balbutiements et devrait être développé en priorité.
Force est ici de constater qu'un recentrage de l'économie axé sur les orientations sommaires qui précèdent se traduira à court terme par une réduction des perceptions fiscales.
L'exigence, particulièrement dramatique aujourd'hui, d'un minimum de recettes fiscales peut donc constituer un frein à la mise en oeuvre d'un recentrage pourtant nécessaire à moyen et à long terme.
C'est pourquoi cet effort d'ajustement ne peut être envisagé qu'à terme. Il est nécessaire de l'aménager au travers de plans ou de programmes d'ajustement pluri-annuels, associant à la fiscalité intérieure et douanière à tous les autres instruments de la politique économique (prix, salaires et revenus, taux d'intérêt différenciés, ajustement des changes, etc ...) et, encore une fois, l'aide extérieure.
Il est en effet inconcevable que les pays en développement qui en ont la volonté - et notamment les moins avancés d'entre eux - puissent mener à bien une telle reconversion de leurs économies sans une aide internationale adaptée, adaptée dans ses objectifs, dans ses procédures et dans ses méthodes.
A cet égard, la recherche théorique, technique et pratique menée ici à Paris, au cours du deuxième colloque sur la fiscalité et le Développement, comme sur le terrain par- les fiscalistes et les économistes du développement apparaît d'une importance primordiale, vitale même.
Tant il est vrai que la sortie de cette crise mondiale, tant il est vrai que la possibilité pour nous, pour vous de surmonter la contradiction que j'indiquais tout à l'heure, a pour conditions lucidité, volonté politique et mise en oeuvre de solutions nouvelles.
Mesdames, Messieurs,
Mes chers collègues,
Ce colloque ne se situe pas hors du temps , il est dominé par la crise, la crise économique et financière mondiale qui frappe tous les pays, qui atteint aujourd'hui et de manière combien spectaculaire à l'Est, à l'Ouest, au Nord, au Sud, grands et moins grands, cette crise qui ébranle les colonnes des temples bancaires les plus respectables ; cette crise qui frappe plus précisément et plus particulièrement les pays en développement. Cette crise se manifeste par :
- un déficit croissant des paiements extérieurs entraînant une
. dégradation des balances commerciales, pour les raisons que vous savez, les exportations de matières premières, agricoles ou minières diminuant en valeur, parfois même en volume. Cependant que, du fait de l'inflation mondiale, le coût des produits manufacturés, d'équipement ou de consommation, s'accroît rapidement.
Ceci entraîne presque partout une grave détérioration des termes de l'échange.
Crise qui se manifeste dans la :
. dégradation de la balance des paiements du fait de l'accroissement considérable de l'encours et du service de la dette (aggravé par la hausse des taux d'intérêt, aggravé par les variations erratiques des monnaies d'emprunt...)
Cependant que, parallèlement, se réduit le montant de l'aide internationale, surtout de l'aide concessionnelle ; que se tarissent les flux financiers sur lesquels le Sud pouvait compter jusqu'alors.
Nous assistons donc à une tension sans cesse croissante de la situation financière internationale, tension à laquelle les mécanismes actuels de régulation (je pense aux prêts-programmes du Fonds Monétaire International, je pense aux réunions du Club de Paris...) sont de moins en moins capables de porter remède ; ces réunions qui se multiplient cependant que leurs résultats se divisent.
Crise marquée également par :
- un déficit croissant des budgets nationaux du fait :
. d'un côté de la nécessité de faire face au service de la dette extérieure et de rembourser des arriérés intérieurs, du fait de l'accroissement légitime des besoins des populations (notamment en matière d'éducation ou de santé), du fait de la volonté des États de maintenir un rythme d'investissement en vue du développement soutenu.
. de l'autre côté, du fait d'une stagnation, d'une récession ou d'une régression du rendement de l'impôt et des revenus para-fiscaux qui s'expliquent par la baisse des revenus d'exportation des produits de base, par l'aggravation du marasme économique intérieur dans de nombreux pays et le constat d'inadaptation de systèmes fiscaux essentiellement organisés autour d'une économie excentrée.
La plupart des gouvernements sont ainsi placés devant la nécessité d'adopter des mesures d'ajustement, dramatiques parfois, par réduction de leurs dépenses et par accroissement de leurs ressources, fiscales surtout, dans la mesure où le recours à l'emprunt est compromis et où les recettes exceptionnelles tirées de leurs exportations de matières premières se sont taries.
Nombreux sont ceux d'ailleurs qui, faisant appel à l'aide internationale (du FMI ou des créanciers internationaux...) se voient (rudement) sollicités de prendre de telles mesures.
D'où la recherche de meilleurs impôts, de l'accroissement du rendement des impôts existants, pour faire face à un service de la dette parfois démesuré, à un déficit budgétaire structurel considérable.
Pour nombre de pays, il ne s'agit plus aujourd'hui de réunir et de mobiliser des ressources en vue du développement mais tout simplement de survivre.
I - Cette recherche d'ajustements internes, au travers notamment d'aménagements des systèmes fiscaux, est certes nécessaire.
A - Il faut cependant souligner d'abord qu'elle ne permet pas de faire l'économie d'une réflexion approfondie sur les responsabilités du système économique, commercial et financier international dans les déséquilibres actuels et sur les réformes à mettre en oeuvre pour y remédier.
Je ne veux pas approfondir ce point qui n'est pas l'objet de votre colloque, mais je voudrais rappeler simplement pour mémoire les trois thèmes qui s'imposent :
- la remise en ordre urgente du système monétaire international, dont les aberrations et les fluctuations anéantissent les efforts les plus louables ;
- la recherche accrue de systèmes de régulation et de stabilisation du commerce international des matières premières et produits tropicaux ;
- l'accroissement de l'aide internationale au développement à des conditions concessionnelles ;
- la recherche et le développement de procédures d'aides internationales destinées à conforter les efforts d'ajustements économiques et financiers à court et à moyen terme des PVD (sur le modèle des prêts d'ajustement structurels de la Banque Mondiale et des facilités du Fonds Monétaire International).
B - La mise en oeuvre de politiques d'ajustement est cependant également nécessaire. D'autant plus peut-être que les conditions qui précèdent sont, hélas, loin d'être réunies, que leur prise en compte même est loin de faire l'unanimité des gouvernements et dans les institutions internationales. Et ce n'est pas la récente réunion de Toronto qui me fait changer d'avis sur ce point.
Les politiques doivent bien sûr utiliser et combiner entre elles tous les instruments classiques de la politique économique (prix, monnaie, crédits, taux de change, etc...)
Qu'en est-il de la fiscalité ?
Nous savons tous que, pas plus dans les PVD que les pays industrialisés, il n'existe d'impôt miracle. Et, d'après ce que j'ai compris, c'est tout de même une des conclusions, prévisible celle-là, de votre colloque. Pour être efficace, l'impôt doit d'abord être adapté à chaque environnement culturel, économique et social particulier.
Nous savons également que l'impôt ne peut pas être économiquement neutre. Explicitement ou implicitement, et à des degrés divers, il est au service d'une politique économique, d'un modèle de développement, ou d'un autre.
Dans la plupart des pays en développement, les systèmes fiscaux, partiellement imités de ceux des pays industrialisés, ont été mis au service de l'accumulation du capital en vue du développement.
En outre, et même lorsque ces pays ne disposaient pas d'atouts décisifs et solides au regard de la spécialisation internationale du travail, cette capitalisation était en général attendue d'une intégration volontaire et croissante dans le système économique international. Ainsi, la plupart des systèmes fiscaux dans le Sud ont-ils été conçus pour favoriser les apports de capitaux extérieurs (codes des investissements...) tandis que l'essentiel du revenu fiscal ou parafiscal était attendu des transactions avec l'extérieur ou du secteur moderne "importé".
La fragilité extrême de ce modèle de développement extraverti nous frappe particulièrement aujourd'hui : les PVD sont maintenant frappés de plein fouet et sans défense par la récession et l'inflation mondiale (stagflation) comme par les mouvements erratiques des monnaies, des taux d'intérêt des cours des matières premières.
En même temps, ce système a souvent gravement appauvri les économies internes : régression du secteur des entreprises traditionnelles de l'artisanat, des initiatives locales utilisatrices de main-d'oeuvre, abandon du secteur vivrier, exode d'une partie croissante de la population rurale... Tous ces faits sont connus.
Il est cependant urgent de réfléchir, au-delà des ajustements financiers - dramatiques et pressants - auxquels il faut procéder et auxquels la fiscalité peut contribuer, aux ajustements nécessaires des politiques de développement et à la manière dont la fiscalité peut être mise à contribution (!) pour assurer un recentrage progressif des économies.
Comment mettre la fiscalité, non seulement en mesure de contribuer au rétablissement des grands équilibres financiers, mais aussi. au service d'une politique de développement réorientée ? Telle me paraît être la question fondamentale. J'ai bien entendu tout à l'heure M. LAINET dire qu'il fallait pas mélanger les genres et qu'il ne fallait pas demander à l'instrument fiscal autre chose que ce pourquoi il est fait, mais en même temps il conviendra avec moi que, si nous n'arrivons pas à surmonter ce paradoxe qui fait qu'une fiscalité ne contribuant pas à l'évolution économique s'enferme et enferme le pays dans un étau dont il ne peut se sortir, si nous n'arrivons pas à surmonter ce paradoxe, non seulement il n'y aura pas de bonne fiscalité, mais il n'y aura pas de bonne économie ; et la dégradation, la détérioration de la situation ne feront que s'accentuer. Il nous faut donc essayer ce genre périlleux et chercher à trouver les poids et moyens d'une politique fiscale réfléchie, cohérente, prudente sans doute mais suffisamment audacieuse pour surmonter le paradoxe.
II - Quelques axes de réflexion.
A - d'ordre-méthodologique-tout-d'abord :
1. Trop souvent, la fiscalité est considérée comme une technique "en soi" qui reste du domaine des seules fiscalités en raison de sa complexité, sans qu'il y ait un effort suffisant de réflexion et d'orientation commune entre les divers acteurs chargés de mettre en oeuvre la politique du développement.
C'est ainsi que l'on constate dans la quasi totalité des plans de développement l'inexistence d'une stratégie fiscale intégrée aux autres instruments dont dispose le planificateur. M. MAMADOU TOURE me contredira peut-être sur le Sénégal, mais cette heureuse exception mise à part, je n'en ai pas vu beaucoup. Ceci tient souvent du divorce existant entre Ministère du Plan et Ministère des Finances. Il est vrai que le cadre pluri-annuel d'un plan se prête mal, à priori, à l'intégration d'une politique fiscale surtout soucieuse du court terme, et cette difficulté n'est pas spécifique au Sud, on la retrouve dans le Nord et même dans mon pays. Cette réconciliation entre fiscalité et planification peut cependant s'opérer si le plan prend en compte la dimension du court terme (plan glissant) et si les fiscalistes acceptent de sortir de la technique fiscale pure pour poser le problème de l'adaptation des ressources fiscales aux objectifs de développement.
La prise en compte de la prévision est aussi un élément favorable à l'intégration de la politique fiscale dans la politique économique.
2. Il importe par ailleurs souvent que soient gérées de manière mieux coordonnée les diverses ressources de l'État mobilisées en vue du développement. En effet, la fiscalité n'est pas, loin de là, la seule ressource dont disposent les États pour conduire une action de développement : les ressources exceptionnelles tirées des surplus éventuellement dégagés par les caisses de stabilisation de produits de base et les rentes minières, les ressources d'emprunt mobilisées principalement sur les marchés internationaux constituent très souvent une source de financement bien supérieure à la fiscalité, les ressources procurées par l'aide internationale de leur côté peuvent parfois être substantielles, du moins en proportion. Elles ne peuvent cependant jamais être indépendamment d'elles : l'instabilité des recettes d'exportation est en effet cause d'instabilité de recettes fiscales et para fiscales qui s'y rattachent ; le recours massif à l'emprunt international est lui aussi source possible de perturbation dans la gestion des ressources publiques dans la mesure où son financement intérieur est différé dans le temps pour incomber in fine aux recettes fiscales s'il s'agit - et c'est très souvent le cas - d'un emprunt de l'État ou avalisé par lui. Gestion de la dette et gestion des ressources fiscales sont de ce fait étroitement imbriquées dans le temps. L'aide internationale, même sous forme de dons, n'est pas exempte non plus d'incidences fiscales mal maîtrisées, du fait d'une estimation insuffisante des charges récurrentes qu'elle entraîne et de la répartition de ses charges.
B - Dans quelle mesure la fiscalité peut-elle contribuer à un recentrage progressif des économies ?
L'autocentrage consiste sommairement à provoquer un processus de croissance reposant sur l'impulsion de l'intérieur.
Une meilleure utilisation des ressources naturelles, des équipements et des hommes, à travers une politique d'emploi et de productivité, la conquête d'un marché intérieur avec la formation d'une demande importante, constituent les objectifs d'un développement endogène et autocentré qui s'appuie sur les forces internes organisées vers la production de biens et services répondant aux besoins réels et immédiats de la population.
La priorité doit être donnée au secteur agricole, vivrier, à l'industrie de biens d'équipement adaptés et du biens de consommation interne. Dès lors, le secteur d'exportation cesse d'être prioritaire pour devenir un appoint nécessaire mais non privilégié.
Sommairement, il conviendrait de n'importer que des biens indispensables à la croissance industrielle, de ne pas importer de biens susceptibles d'être produits sur place, d'exporter principalement des produits conçus au préalable pour satisfaire le marché intérieur.
La mise en oeuvre même progressive de cette politique n'est cependant pas exempte de contradictions dont les effets pourraient être particulièrement dommageables dans la période actuelle, où la plupart des États sont angoissés, à la recherche de ressources supplémentaires.
Ainsi, en substituant aux importations et aux exportations des activités intérieures et à usage intérieur, l'autocentrage de l'économie supprime une source de recettes fiscales qui se prêtent facilement à l'imposition (droits de porte, droits de sortie ...) et dont le rendement fiscal est souvent très élevé par rapport au coût de la collecte de l'impôt. Par ailleurs, les nouvelles activités créées par la politique d'import - substitution donnent lieu à des perceptions fiscales largement minorées par les dégrèvements prévus dans les codes des investissements.
Enfin, or, ne pourra attendre d'une expansion des secteurs traditionnels, agriculture vivrière, petites et moyennes entreprises artisanales ou semi-industrielles, un rendement fiscal immédiatement correspondant aux recettes perdues et aux mesures (fiscales et autres) incitatives nécessaires. En effet, la fiscalisation du secteur informel ne devra et ne pourra être que très progressive : il y a dans ce domaine un champ immense de recherche fondamentale, théorique et technique, qui n'en est qu'à ses premier balbutiements et devrait être développé en priorité.
Force est ici de constater qu'un recentrage de l'économie axé sur les orientations sommaires qui précèdent se traduira à court terme par une réduction des perceptions fiscales.
L'exigence, particulièrement dramatique aujourd'hui, d'un minimum de recettes fiscales peut donc constituer un frein à la mise en oeuvre d'un recentrage pourtant nécessaire à moyen et à long terme.
C'est pourquoi cet effort d'ajustement ne peut être envisagé qu'à terme. Il est nécessaire de l'aménager au travers de plans ou de programmes d'ajustement pluri-annuels, associant à la fiscalité intérieure et douanière à tous les autres instruments de la politique économique (prix, salaires et revenus, taux d'intérêt différenciés, ajustement des changes, etc ...) et, encore une fois, l'aide extérieure.
Il est en effet inconcevable que les pays en développement qui en ont la volonté - et notamment les moins avancés d'entre eux - puissent mener à bien une telle reconversion de leurs économies sans une aide internationale adaptée, adaptée dans ses objectifs, dans ses procédures et dans ses méthodes.
A cet égard, la recherche théorique, technique et pratique menée ici à Paris, au cours du deuxième colloque sur la fiscalité et le Développement, comme sur le terrain par- les fiscalistes et les économistes du développement apparaît d'une importance primordiale, vitale même.
Tant il est vrai que la sortie de cette crise mondiale, tant il est vrai que la possibilité pour nous, pour vous de surmonter la contradiction que j'indiquais tout à l'heure, a pour conditions lucidité, volonté politique et mise en oeuvre de solutions nouvelles.