Déclaration de M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche, sur la politique forestière nationale et internationale, le financement de la reconstitution du patrimoine forestier suite aux tempêtes, au Sénat le 3 avril 2001.

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Circonstance : Présentation du projet de loi d'orientation sur la forêt en première lecture, au Sénat le 3 avril 2001

Texte intégral

Monsieur le président,
Mesdames, Messieurs,
Je me trouvais en juin dernier dans l'enceinte de l'Assemblée nationale, pour la première lecture du projet de loi d'orientation sur la forêt. L'intérêt des parlementaires, le caractère constructif du débat, et la diversité des sujets abordés ont encore renforcé ma conviction que parler de l'arbre, de la forêt et du bois permet d'aborder plusieurs questions cruciales pour notre société.
Elément fondamental de notre économie et de nos paysages, la forêt illustre par excellence la nécessité et l'utilité de l'action politique et du rôle de l'Etat dans la prise en compte du long terme, de l'intérêt collectif, de l'emploi, comme de la prévention des risques naturels et du patrimoine.
Le Premier Ministre lui-même a insisté, à l'occasion de sa visite en Lorraine en janvier dernier, sur l'ambition du gouvernement pour ce texte.
Ce projet est issu d'une large concertation
Je l'ai dit devant les députés, et je le réaffirme ici devant vous, ce projet de loi est autant celui des parlementaires - et celui de la société - que celui du gouvernement. Il est en effet le fruit des échanges approfondis qui se sont instaurés ces dernières années entre tous les acteurs et partenaires de la politique forestière, notamment sur la base du rapport de Jean-Louis BIANCO "La forêt, une chance pour la France" publié en 1998. Les tempêtes de décembre 1999 ont apporté une nouvelle pertinence aux dialogues, aux innovations (voire aux revendications !), tout en mettant en lumière les forces et les faiblesses de la filière forêt-bois, mais j'y reviendrai.
La richesse des débats à l'Assemblée nationale a reflété cette volonté de concertation active et sans a priori. J'ai ainsi souvent souscrit, sans parti pris, à de nombreux amendements. Le travail que nous mènerons ici s'inscrira, je n'en doute pas, dans cette dynamique d'ouverture et de recherche de l'intérêt général.
Ce projet, nous l'avons voulu ancré dans les évolutions du monde d'aujourd'hui.
Dans un premier temps, je voudrais revenir rapidement sur les évolutions fondamentales de notre société qu'il appartient à la politique forestière de prendre en compte. Je retiendrai cinq axes majeurs.
1 - Tout d'abord l'indispensable ouverture sur le monde. Les frontières de notre environnement écologique, économique et social, se sont étendues à l'ensemble de la planète. Les enjeux sont globaux.
2 - Ensuite, le lien à la société. Une société dont les demandes, exprimées ou tacites, sont de plus en plus complexes : accueil et sécurité, emploi et naturalité, beauté et durabilité Ces demandes de nos concitoyens s'expriment par une exigence de services et d'usages, mais aussi par la volonté d'être davantage et mieux associés aux choix stratégiques.
3 - Ces demandes s'accompagnent d'une urbanisation croissante - et ce sera mon troisième axe. Une charge affective forte est projetée sur des espaces ruraux par une population avant tout citadine. L'arbre, témoin biologique immuable (en apparence), devient le symbole de la continuité du vivant. Dans ce contexte, tout changement, même ponctuel, est perçu comme une agression. Et les forêts se trouvent ainsi progressivement assimilées par l'opinion à des espaces publics au service de tous, alors même que les de leur étendue relèvent de domaines privés.
4 - La construction de l'Union européenne constitue mon quatrième axe. La forêt est restée en quelque sorte sur le seuil de cette aventure. Les produits forestiers ne figurant pas au traité de Rome, la forêt n'y est abordée que par le biais des autres politiques communes : agriculture, aménagement du territoire, environnement, énergie Pourtant un intérêt se développe, et il n'est pas anodin de constater que la première réunion rassemblant l'ensemble des pays du continent européen après la chute du mur de Berlin ait concerné la forêt, à l'initiative de Louis MERMAZ et de son homologue finlandais, jetant à Strasbourg les bases de ce qui allait devenir le " processus pan-européen d'Helsinki ".
5 - Enfin, au niveau national, la décentralisation a introduit une nouvelle donne. La forêt en a intégré le mouvement notamment à travers les contrats de plan Etat-région et la création des commissions régionales de la forêt et des produits forestiers en 1985.
Cette prise en compte - je dirais presque " par essence " - du long terme propre aux préoccupations forestières inscrit bien ce projet de loi dans la ligne des grands projets d'orientation sur la forêt, et des premières ordonnances royales visant à " soutenir perpétuellement en bon état " le domaine forestier, pour reprendre les termes de l'ordonnance de Philippe VI de Valois (1346).
Comme quoi, en matière forestière, la gestion durable (soutenable) n'est ni une innovation, ni une mode, mais bien une nécessité, n'en déplaise à nos modernes Robins des bois !
[Mais ce n'est pas vous que je dois convaincre, Monsieur le Président (FRANÇOIS), vous qui étiez déjà le rapporteur du projet de loi de 1985 ].
Pour autant, la gestion du long terme n'exonère pas des responsabilités immédiates ; les 18 mois qui viennent de s'écouler ont été riches d'enseignements à cet égard.
Il nous a tout d'abord fallu gérer l'impact des tempêtes de décembre 1999 sur ces réflexions d'orientation.
Plus d'un an après ce désastre, les flux de bois se rétablissent progressivement, même si, j'en ai bien conscience, la situation reste encore difficile à court terme dans certaines régions sinistrées par les ouragans LOTHAR et MARTIN.
Mais le gouvernement a toujours considéré que la perspective dans laquelle se plaçait le projet de loi, en liaison avec la réforme des financements forestiers conduite dans le cadre du PLF 2000 et la définition de la Stratégie forestière française, ne s'en trouvait pas altérée. Vous m'avez entendu répéter " les chablis ne doivent donc pas cacher le reste de la forêt " En maintenant le calendrier d'examen du projet de loi, nous avons assumé, sans démagogie, son décalage relatif avec les événements.
Et je crois que nous avons eu raison de faire ce choix.
En effet, les atouts et les handicaps structurels du secteur de la forêt et du bois, pas plus que les enjeux internationaux, n'ont été significativement modifiés par l'épreuve que notre pays a affrontée. Jean-Louis BIANCO évaluait dans son rapport la quantité de bois supplémentaire à prélever dans les forêts françaises à 6 millions de m3 par an. La pertinence de son analyse n'est pas remise en cause, même si la tempête a abattu une partie de ces volumes " sur-capitalisés " sur pied.
Un an après, nous sommes arrivés à l'heure des premiers bilans
Le plan national pour la forêt - ambitieux - mis en place par le gouvernement mobilise près de 10 milliards de francs pour des soutiens financiers et 12 milliards de prêts bonifiés , et comportera d'ici 2003 par 1,7 milliard de francs dans le cadre des " avenants tempête " aux contrats de plan.
Nous avons voulu le dispositif souple et évolutif, pour faire face aux dégâts et préparer la reconstitution du patrimoine forestier.
Les efforts de tous, et en premier lieu ceux des professionnels concernés, ont porté leurs fruits. Environ la moitié des chablis aura ainsi été récoltée en 2000 par l'ensemble de la filière. Je crois que c'est un bon résultat, un résultat que nous n'aurions pas osé espérer voici un an. Mais la tâche reste lourde, et d'autant plus difficile que la forêt ne se trouve plus, si j'ose dire, sous les feux de l'actualité.
C'est pourquoi le gouvernement a confirmé le prolongement des aides du plan national pour la forêt, et poursuivi au cours des derniers mois la mise au point de certains points particuliers :
L'instruction fiscale précisant les modalités de la déduction des revenus professionnels des charges liées aux tempêtes est parue le 23 janvier 2001.
Une mission prospective interministérielle se met en place sous l'égide du ministère de l'Intérieur, pour évaluer les condition de soutien à la trésorerie des communes touchées au-delà de 2001.
Les pluies de cet hiver, elles aussi exceptionnelles, ont à nouveau freiné la sortie des bois, en rendant les conditions d'exploitation en forêt particulièrement difficiles. La poursuite de l'aide au transport au cours des prochains mois me paraît dans son principe d'autant plus indispensable que les bois abattus encore à mobiliser sont à présent de moindre qualité et moins accessibles. Les modalités de cette poursuite de l'aide au transport, en cours de discussion, seront arrêtées courant avril.
Le dispositif d'aides à la reconstitution est opérationnel sur l'ensemble du territoire depuis l'automne dernier. Une phase active de travaux s'engage, favorisée par un dispositif spécifique d'aide aux pépiniéristes forestiers arrêté en novembre dernier et leur tout récent accès à des aides à l'investissement dans le cadre des avenants aux CPER . Je viens néanmoins d'alerter ma collègue Secrétaire d'Etat au Budget sur quelques difficultés administratives apparues dans les procédures d'instruction.
Enfin, l'actualisation des plans de prévention et de lutte contre les incendies de forêts adaptés aux risques spécifiques liés aux chablis, mis en place l'été dernier, est en cours.
Au-delà, il nous appartiendra de tirer les enseignements à moyen terme de cet événement, de nous livrer à l'exercice du " retour sur expérience ". Plusieurs amendements de l'Assemblée nationale ont introduit des rapports spécifiques liés à certains volets de cette évaluation. Je tiens pour ma part à ce qu'un plan de campagne en cas de tempêtes en forêt soit établi, aussi bien au niveau national que régional.
A travers cette année mouvementée, la filière a, je le pense, démontré sa capacité à sortir renforcée de l'épreuve actuelle. J'ai, en plusieurs occasions, invité les professionnels à faire de 2001 " l'année du bois ", et j'ai plaisir à saluer la multiplicité des initiatives qui, depuis quelques mois, s'inscrivent dans cet objectif :
La première Semaine du bois vient de s'achever ; avec plus de 800 manifestations à travers toute la France, cette opération de communication a connu un succès qui dépassait les espérances de ses promoteurs, et qui illustre bien l'intérêt du grand public.
J'ai signé dans ce cadre le 28 mars dernier la charte " Bois-construction-environnement ", aux côtés de Marie-Noëlle LIENEMANN et Dominique VOYNET, avec l'objectif d'accroître de 25 % la part de marché de cet éco-matériau. Avec le pôle construction du CTBA inauguré en octobre dernier à Bordeaux, la filière dispose à présent des moyens de dynamiser l'utilisation du bois dans le bâtiment.
La création d'un Espace national de la forêt et du bois, lieu d'échange et d'interactivité regroupant sur un site commun les principaux partenaires de la filière, est à l'étude.
Enfin, les négociations relatives à la structuration d'une Interprofession se sont approfondies depuis le début de l'année, et donnent lieu à des débats sans précédent entre les acteurs.
Dans ce projet de loi d'orientation sur la forêt, c'est donc fort de l'alliance d'un secteur en pleine évolution, que le gouvernement réaffirme sa confiance dans les potentialités de la forêt et de l'industrie du bois.
Car c'est demain que ce projet de loi prépare et je voudrais en rappeler ici les lignes de force.
1 - Il faut positionner la loi française dans l'environnement juridique international, en pleine évolution après le Sommet de la Terre de Rio (1992), avec les conventions des Nations-Unies sur la biodiversité, les changements climatiques... et la nécessité de relier le droit français à un droit international de l'environnement qui se constitue. Dans notre pays, où le poids de la dimension socio-culturelle est fort, la multifonctionnalité est une référence traditionnelle en forêt. La France, comme l'Europe, s'est néanmoins trouvée paradoxalement désarçonnée par l'irruption de la gestion durable sur la scène internationale, dans l'obligation de formaliser un savoir-faire séculaire de gestion des espaces naturels, certes riche mais méconnu et de justifier ses choix face à la formule plus lisible de la séparation des territoires (il faut protéger ici, exploiter là, comme si ces deux fonctions étaient antinomiques et inconciliables). Et la remise en question du protocole de Kyoto, succédant à l'incapacité de la conférence de la Haye à parvenir, en novembre dernier, à une position sur la question des forêts illustre le chemin qui reste à parcourir en la matière.
2 - Nous devons nous donner les moyens de rapports rénovés entre forêt et société.
Le projet réaffirme la responsabilité de l'Etat en tant que garant du long terme et de l'intérêt général, et sa vocation d'arbitre lorsque des divergences légitimes d'intérêt pénalisent la réalisation des objectifs globaux.
Le projet donne parallèlement la possibilité de privilégier l'approche contractuelle, lorsque celle-ci s'avère plus pertinente. Je voudrais citer en particulier la création de chartes de territoires forestiers qui a fait l'objet de fructueuses discussions à l'Assemblée. Ces chartes doivent devenir de véritables outils de formalisation de projets multifonctionnels ancrés dans les réalités de terrain. Une dizaine de démarches expérimentales s'engagent déjà dans le cadre du programme pilote que j'ai souhaité mettre en place. Il s'agit d'une véritable évolution de fond pour le secteur forestier, qu'il appartiendra ensuite aux partenaires professionnels, aux élus et aux représentants du monde associatif de mettre en oeuvre, en relation avec l'Etat, en définissant un équilibre entre le contrat et la préservation de l'intérêt général.
Le projet établit enfin des liaisons entre le Code forestier et les autres législations avec lequel il entretient des relations de plus en plus étroites (les exemples les plus récents en sont la loi chasse, la loi sur le sport, ou encore l'ordonnance Natura 2000).
3 - L'atout économique que constitue, en France, un patrimoine forestier en croissance continue depuis plusieurs dizaines d'années, doit être valorisé, dans un monde où la demande en bois augmente. La compétitivité de la filière de transformation des produits forestiers et dérivés du bois constitue un enjeu d'aménagement du territoire et de développement des emplois ruraux. Le projet de loi comporte notamment des dispositions en faveur de l'élévation de la qualification professionnelle dans le secteur des travaux forestiers, de l'amélioration des conditions de sécurité, de la lutte contre le travail dissimulé, de la stabilité des entreprises et du développement des emplois en milieu rural. L'élaboration d'un rapport spécial sur le travail en forêt a été introduite par amendement à l'Assemblée, et le système de dotation pour les jeunes entrepreneurs de travaux forestier - qui relève du domaine réglementaire - se met en place. Je voudrais enfin souligner les multiples dispositions introduites dans le projet de loi pour faciliter le renforcement de la solidarité de filière et structurer les organisations interprofessionnelles, assorties d'un cadrage du processus d'écocertification de la gestion durable.
Le projet de loi comporte ainsi cinq grands titres : développer une politique de gestion durable et multifonctionnelle ; favoriser le développement et la compétitivité de la filière forêt-bois ; inscrire la politique forestière dans la gestion des territoires ; renforcer la protection des écosystèmes forestiers ou naturels ; mieux organiser les institutions et les professions relatives à la forêt. Il propose en outre la suppression de nombreux articles du code forestier, obsolètes, contradictoires avec d'autres lois récentes, ou excessivement dirigistes. Avec ce texte, nous modernisons le code forestier et nous le réduisons puisque nous supprimons plus d'articles que nous n'en créons.
J'aimerais enfin revenir sur deux sujets qui ont fait l'objet de débats intenses.
Il s'agit d'une part de la possibilité de mobiliser l'épargne au profit d'une dynamisation des investissements forestiers et de la restructuration foncière. Le groupe de travail chargé de formuler des propositions concrètes à introduire en seconde lecture de ce projet de loi s'est réuni à plusieurs reprises, dans différentes configurations (la dernière associant les parlementaires des deux assemblées et les professionnels). Les objectifs et les moyens sont à présent clairement identifiés. Il nous reste à définir l'instrument (ou les instruments) qui permettra (ont) d'optimiser la réponse apportée.
Il s'agit d'autre part du dispositif des assurances en forêt. Je vous confirme que le gouvernement a déjà mis en chantier de façon informelle le rapport spécial introduit par amendement sur les enseignements de la tempête dans le domaine des assurances. Les premières analyses conduites ont par ailleurs souligné la sensibilité du couplage actuel du risque tempête à l'assurance incendie, qui pourrait menacer à très court terme la pérennité de cette dernière garantie, et confirment ainsi, si besoin était, le caractère crucial de la question.
Au-delà de ces interrogations récurrentes, portant sur des sujets complexes où les avancées se font pas à pas, notre travail d'aujourd'hui saura, je n'en doute pas, dissiper les dernières ambiguïtés et introduire de nouvelles améliorations.

J'ai parfois l'occasion de dire que la forêt est en quelque sorte le miroir de nos sociétés. C'est, de plus, un miroir qui a de la mémoire.
Nos forêts sont le résultat des orientations d'hier et traduisent la réponse apportée par les hommes à des situations passées, quand l'Etat voulait reconstruire sa marine, assurer les besoins en énergie ou protéger les sols de montagne d'une érosion catastrophique. Notre action d'aujourd'hui s'inscrit dans cette histoire, qui passe de générations en générations, et dont la forêt est le souvenir et le témoignage.
La forêt est leçon de modestie : nous héritons de celles qu'ont façonnées nos aïeux et nous travaillons celles que connaîtront les générations futures. La forêt est aussi affaire d'ambition. Les ravages que deux ouragans ont faits en quelques heures ne doivent pas nous conduire au fatalisme ou à la résignation.
C'est donc à la fois avec humilité et fierté que je vous propose aujourd'hui ce projet de loi d'orientation pour nos forêts, nouvelle étape de la longue et complexe histoire forestière de notre pays.
L'homme et la nature ne sont pas nécessairement antagonistes. C'est tout le projet de ce texte, un projet d'une actualité particulière en ce début de siècle.
Je vous remercie.
(Source http://www.agriculture.gouv.fr, le 9 avril 2001)