Interview de Mme MIchèle Alliot-Marie, ministre de la justice et des libertés, à Europe 1 le 19 octobre 2010, sur les relations entre la France et l'Algérie et sur le conflit autour du projet de loi sur la réforme des retraites.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach.- M.-O. Fogiel : J.-P. Elkabbach, vous recevez ce matin le ministre de la Justice, M. Alliot-Marie.
 
D'abord pour un événement entre les deux rives de la Méditerranée, pour les relations avec le Maghreb, l'Afrique, l'Europe et avec une certaine résonance ici en France, Alger et Paris se réconcilient. M. Alliot-Marie, bonjour, merci d'être là.
 
Bonjour.
 
Depuis deux ans, l'Algérie et la France se regardaient en chiens de faïence et ne parlaient pratiquement plus. Cette nuit, vous êtes rentrée d'Alger. Est-ce la fin de la glaciation ou le début d'un réchauffement avec Alger ?
 
C'est surtout le début d'un nouvel élan, comme cela arrive quelquefois, parce que c'est vrai que dans l'histoire entre la France et l'Algérie il y a eu des moments de crise, il y a eu des moments d'irritation, mais à chaque fois, on le voit parce que les liens sont très étroits, qu'il y a eu une volonté de repartir parce que les liens entre les deux pays sont indissolubles, parce que les intérêts sont communs, parce que nous sommes confrontés aux mêmes défis.
 
Et ce matin, est-ce que vous dites : la crise Paris - Alger est finie ?
 
Je crois, effectivement, qu'il y a une volonté de part et d'autre d'agir ensemble. D'agir ensemble pour répondre notamment au problème du terrorisme, d'agir ensemble pour répondre au problème du développement économique, parce qu'il ne faut pas oublier que le grand défi des dix ans ou vingt ans à venir c'est de savoir si l'Europe et la Méditerranée, parce que c'est un ensemble, seront capables d'être des concurrents à égalité avec les grands ensembles comme la Chine, l'Inde, le Brésil, etc.
 
Et la réponse, vu d'Alger ?
 
Et la réponse d'Alger, c'est oui, bien sûr, nous avons non seulement un passé commun qui peut comporter parfois des irritants soulevés par tel ou tel...
 
...malgré les blessures...
 
... mais nous avons surtout un avenir à construire en commun.
 
Vous avez passé deux heures et demie avec le président Bouteflika. Vous lui avez remis un message de N. Sarkozy. Il vous en a adressé un pour lui. Que disent-ils qui intéresse les deux peuples ?
 
Ils se disent beaucoup de choses, et ils communiquent bien entendu entre eux. J'étais porteuse, effectivement, d'une invitation du président Sarkozy au président Bouteflika de venir en France pour un voyage officiel, pour un voyage d'Etat.
 
Et il viendra alors qu'il avait annulé le précédent voyage, ou reporté ?
 
Je rappelle d'abord que le président Bouteflika est venu à Nice pour le Sommet France - Afrique. C'était un geste qui a été apprécié, c'était un geste également symbolique. Et la volonté très claire c'est effectivement de renforcer l'ensemble des relations pour pouvoir regarder ensemble ce que sont les défis que nous avons en commun et ce que sont les possibilités d'agir notamment pour aller vers l'Afrique.
 
Et est-ce qu'il accepte de venir cette fois ?
 
Oui ! Sur le principe, bien entendu ! Ensuite, il y aura effectivement des problèmes de date, mais enfin, vous savez, ce sont les chefs d'Etat...
 
... et N. Sarkozy en Algérie ?
 
Ecoutez, ensuite, j'ai des messages à passer, vous me permettrez de réserver au président de la République les messages du président Bouteflika.
 
Ah non, non, non, il faut nous les donner d'abord ici. Bon. Il y aura peut-être un voyage. Le président algérien généralement avare de ses mots n'hésite pas, donc, lui, à dire qu'entre Paris et Alger les relations se portent bien. Est-ce que par exemple pour l'avenir, cela implique un renforcement de la lutte contre le terrorisme d'Al Qaïda Maghreb islamiste ?
 
Oui, bien entendu ! Je me suis longuement entretenue avec le président Bouteflika et également avec le Premier ministre et avec un certain nombre des ministres que j'ai rencontrés de cette problématique du terrorisme, parce que l'Algérie est menacée par le terrorisme, on le voit malheureusement régulièrement sur le terrain, tout comme notre pays peut être menacé par le terrorisme. Et ce sont des terrorismes qui viennent, si je puis dire, du même endroit puisqu'il s'agit essentiellement d'AQMI, c'est-à-dire Al Qaïda au Maghreb islamique qui se développe.
 
Ce sont souvent des Algériens eux-mêmes qui étaient dans le GIA.
 
C'est tout un ensemble parce que nous voyons se développer l'emprise territoriale d'AQMI dans toute la zone du sud Sahel, autrefois c'était très limité au sud de l'Algérie, à la Mauritanie, au sud du Maroc. Nous voyons aujourd'hui que c'est en train de se développer avec des groupe ouverts qui ...
 
... les Algériens sont-ils inquiets ?
 
Les Algériens sont inquiets, en tous les cas ils sont déterminés dans la lutte contre le terrorisme.
 
Et est-ce que l'Algérie peut aider à retrouver les sept otages détenus au nord-est du Mali ?
 
Ecoutez, je crois que chacun participe, effectivement, au maximum à la possibilité de renseignement et de tout ce qui peut aider sur cette affaire.
 
Et éventuellement, les Algériens pourraient servir de médiateurs, donc pour une éventuelle négociation ?
 
J.-P. Elkabbach, sur des sujets comme ceux-ci, vous comprendrez que je ne vous en parle pas sur des ondes. N'oubliez jamais une chose : c'est que les terroristes sont souvent via Internet ou d'autres éléments extrêmement bien informés de ce que nous pouvons dire, de ce que nous pouvons parfois même penser, et c'est la raison pour laquelle je ne suis pas là pour aider à ce qu'ils aient davantage d'informations. Laissons les choses se faire discrètement, c'est la meilleure protection de nos otages.
 
Donc, à Alger, M. Alliot-Marie a reçu l'accueil d'un chef d'Etat. A Paris, on n'en fait pas encore un chef de gouvernement.
 
Ecoutez, encore une fois, il y a des vrais sujets. Les vrais sujets c'est le rapprochement entre la France et l'Algérie, c'est la lutte contre le terrorisme, c'est le développement économique. Ca, ce sont les vrais sujets.
 
D'accord, d'accord, d'accord, on ne part pas dans des explications qu'on peut prévoir. La journée d'action a commencé dans un calme relatif aujourd'hui. Les incidents ont mis aux prises, hier, policiers et jeunes débordés par des casseurs. Près de 300 casseurs ont été interpellés. Est-ce qu'ils seront jugés en procédure accélérée ? Qu'est-ce qu'ils risquent aujourd'hui ?
 
Il est évident que la grève est un droit, les manifestations sont un droit. Les syndicats, à la limite, organisent des manifestations en attendant que la loi soit votée, ils sont effectivement dans leur rôle, en quelque sorte. Mais il est évident aussi qu'une manifestation n'entraîne pas le droit de casser. Et c'est un risque majeur. Et d'ailleurs, je l'avais dit quand madame Royal a incité les jeunes à venir participer aux manifestations, il y a un vrai problème parce que dès qu'il y a des manifestations qui se répètent, dès qu'il y a des jeunes, nous voyons s'infiltrer un certain nombre de petits groupes qui sont purement et simplement des casseurs. Alors, j'ai essayé de lutter contre cela.
 
Et des casseurs cagoulés, souvent.
 
Exactement. Et c'est la raison pour laquelle quand j'étais ministre de l'Intérieur j'ai fait prendre un décret interdisant que l'on aille dans une manifestation en se dissimulant le visage parce que c'est bien là la volonté exprimée de créer un trouble, de faire de la provocation.
 
Mais ce matin, le ministre de la Justice dit-il qu'il souhaite que les casseurs soient traités avec sévérité ?
 
Absolument ! Je crois que c'est une évidence. Je pense qu'il faut de la fermeté. Encore une fois, il y a des droits dans notre pays, le droit de faire grève, le droit de manifester. Il n'y a pas de droit de casser, de provoquer, ni d'avoir une action violente.
 
M. Alliot-Marie l'exécutif et les syndicats sont apparemment tous débordés, et ils sont dans l'impasse. Ils gardent un contact permanent. N'est-ce pas au Gouvernement de trouver les portes de sortie d'une crise qui affaiblit l'économie française dans la compétition mondialisée d'aujourd'hui ?
 
Je crois qu'il n'y a ni débordement, ni crise majeure. Il y a un problème difficile, qui est le problème de préservation de nos retraites dans lequel finalement ce sont ceux qui travaillent qui garantissent les retraites de ceux qui ont travaillé et fait la richesse.
 
Mais en même temps, le pays est, je ne dis pas bloqué, mais presque bloqué, en cours de blocage.
 
Par rapport à cela, bien entendu que les Français ne soient pas satisfaits quand on demande un certain nombre d'efforts, ces efforts sont modérés, notamment quand nous regardons la situation de nos voisins, quand nous regardons l'enjeu qui est de préserver les retraites. Au-delà de ça, il ne faut pas non plus exagérer un certain nombre de choses. Il y a 4 300 lycées, il y a 300 lycées dans lesquels il y a des blocages, on parle de 800, en fait quand vous avez quelques dizaines de personnes, ça ne change rien.
 
Mais on ne va pas faire le détail, mais aujourd'hui, ce matin, est-ce qu'il vaut mieux tenir pour faire passer la réforme ou céder ?
 
Il est indispensable de tenir parce que cette réforme nous en avons besoin, c'est la seule façon de garantir aujourd'hui et demain, c'est-à-dire pour les actuels retraités mais également pour les jeunes, à la fois les retraites, le montant des retraites, et éviter que ce ne soit un poids trop important pour les jeunes à supporter.
 
Aujourd'hui, on a dépassé la réforme des retraites, est-ce que la vraie raison de la crise actuelle ce n'est pas une bataille politique frontale, par des moyens sociaux, contre l'exécutif, donc N. Sarkozy ?
 
Certains anticipent l'élection présidentielle, c'est certain. Ils n'ont que cela en tête en attaquant le président de la République faute d'être capables d'avoir la moindre idée ou le moindre programme. Les enjeux pour notre pays sont trop importants pour que l'on se laisse prendre à ce type de manoeuvre. Il est important que les Français ensemble puissent réussir à faire valoir tous les atouts de notre pays dans la compétition internationale qui s'annonce. La France a toutes les chances...
 
Merci.
 
M.-O. Fogiel : On va s'arrêter là. ...Eh bien, les Français doivent aussi le savoir et agir pour pouvoir en bénéficier le plus longtemps possible.
 
Merci d'être venue.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 5 novembre 2010