Interview de M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'Etat à la justice, à RMC le 3 novembre 2010, sur la prévention de la délinquance juvénile.

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Circonstance : Remise au Président de la République par le secrétaire d'Etat à la justice de son rapport sur la prévention de la délinquance des mineurs, à Paris le 3 novembre 2010

Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

J.-J. Bourdin.-  Vous rendez votre rapport à N. Sarkozy, rapport sur la prévention  de la délinquance des mineurs, rapport commandé au mois d'août,  en plein débat sur la politique sécuritaire ; quinze propositions. Je  vais m'arrêter sur certaines de ces propositions, et je vais  notamment m'arrêter sur la prise en charge des enfants en  difficulté dès l'âge de 2 ou 3 ans. Je sais que plusieurs  pédopsychiatres vous ont apporté leur soutien et leur lumière,  comme M. Rufo ou P. Jeammet. Le professeur Jeammet qui était  avec nous, en direct, tout à l'heure, nous disait, "les enfants dès  l'âge de 2 ou 3 ans ont déjà, pour certains, des difficultés  d'apprentissage, de sociabilité, et même pour se nourrir, et là, ces  signes-là, doivent évidemment nous alerter". 
 
Oui, il s'agit évidemment pas de prédéterminer les enfants qui seront un jour délinquants, on n'est pas du tout dans cet esprit. 
 
Il n'y a pas de gène de la délinquance, J.-M. Bockel ? 
 
Non, évidemment, il ne s'agit pas de ça. Là, en l'occurrence, le terme  de "détection de la souffrance" dès le plus jeune âge dit bien ce qu'il  veut dire. Et au fond, ces enfants se font d'abord beaucoup de mal à  eux-mêmes, et c'est un des aspects, naturellement, de mes propositions,  ce n'est pas le seul. De manière plus générale, et au-delà de problèmes  souvent qu'ils peuvent rencontrer - des problèmes de santé, de  comportement, les problèmes psychologiques graves ou familiaux  graves -, il y a ensuite une autre proposition qui consiste alors pour des  gamins qui ne rencontrent pas ces difficultés mais qui sont de plus en  plus tôt, comme dirais-je, portés par des comportements violents,  parfois extrêmement violents, c'est l'idée d'intervenir plus en amont,  dès l'école primaire. Parce que souvent au collège, on a des gamins qui  sont multi-réïtérants. Et bien sûr, au fond, l'idée générale de mon  rapport, c'est bien sûr d'aider les enfants, les jeunes qui sont dans la  récidive d'en sortir avec une dimension à la fois de main tendue et de  sanctions quand c'est nécessaire. Mais c'est aussi, au fond, d'agir sur  les flux parce que c'est un échec français. Depuis vingt ans, la  délinquance des mineurs a augmenté de 120 % alors que dans tous les  pays qui nous entourent elle a diminué, que dans les villes qui ont fait  un travail sur ces questions - moi je l'ai vu dans ma propre ville à  Mulhouse -, on a des résultats. Et donc, je veux aussi agir, si vous  voulez, le plus en amont possible, au niveau de la parentalité, au niveau  de l'école bien sûr - L. Chatel a déjà engagé ce travail - et sur l'espace  public, de manière à ce que on ne soit pas toujours à courir après le  phénomène, en quelque sorte. 
 
Donc plus on prend le phénomène tôt et mieux on arrive à le  contrôler et même à faire baisser cette future délinquance.  Formation des enseignants, évidemment, pour permettre de repérer  les difficultés chez les plus petits. A l'école primaire, gros efforts,  encore faut-il, je ne vais pas toujours avancer le problème des  moyens, mais avoir le personnel pour cela, vous le savez bien J.-  M. Bockel. 
 
J'ai a abordé la question des moyens dans mon rapport de manière peut-être  un petit peu nouvelle, parce que naturellement, comme toujours en  France, dès qu'on fait des propositions de changement, on met en avant  la question des moyens ; elle existe. Moi, je fais le constat et je le fais  aussi avec ma sensibilité d'avoir été maire pendant vingt ans, que  depuis une quinzaine d'années, de nouveaux acteurs sont arrivés, ont  mis des moyens et des moyens de professionnels qualifiés, du sérieux  sur ce sujet. Moi, je l'ai vu dans plusieurs villes que je suis allé voir. Et  ces moyens n'existaient pas avant, en tout cas à côté des moyens  traditionnels de l'Etat : les juges des enfants qui font un travail  remarquable, la protection judiciaire de la jeunesse qui a vu ses  missions évoluer, puisque eux s'occupent maintenant des centres  éducatifs fermés avec une réelle réussite. Nous avons des éducateurs de  rue financés par les conseils généraux, des éducateurs spécialisés et des  professionnels financés par les communes et les intercommunalités. Et  tout ça fait que les moyens globalement déployés sont plus importants  qu'ils ne l'étaient il y a dix ans. Alors, bien sûr, ici ou là, on peut  pointer des manques. Je fais des propositions sur le front  interministériel qui aujourd'hui est beaucoup consacré à la  vidéo-protection, ce qui est d'ailleurs une bonne chose, utile, et qui  devrait pouvoir se redéployer comme levier pour un certain nombre  d'actions qui sont menées un peu partout en France, notamment par des  associations. Mais encore une fois, des moyens importants sont  déployés, il faut savoir les évaluer. Vous savez qu'en Grande-Bretagne,  10 % d'une action en matière de prévention de la délinquance est  consacrée à l'évaluation de ce qu'on fait pour voir si ça marche ou si ça  ne marche pas, s'il faut le changer, l'arrêter ou au contraire le  développer. 
 
Oui, mais ça me paraît bien. 
 
Cette culture de l'évaluation, cette culture également de la  transversalité, travailler ensemble, ce qu'ont apporté les maires sur ce  sujet, c'est apprendre que le dans respect de la séparation des pouvoirs,  néanmoins entre un juge, un policier, un enseignant, un éducateur, un  maire, on peut mener des actions ensemble. Donc là aussi si vous  voulez, plus de cohérence, savoir qui fait quoi, nous permettra aussi  d'apporter un commencement de réponse à la vraie question des  moyens. 
 
Alors, j'ai deux questions : la création d'un statut du beau-parent,  c'est une proposition que vous faites... 
 
Oui, c'est une idée de N. Morano, déjà ancienne... 
 
Oui, déjà ancienne, mais l'absence des pères est un vrai sujet,  évidemment, l'absence du père ou de la mère. Création d'un statut  du beau-parent, absolument, dans certains... 
 
Du beau-parent je dirais, ou d'un adulte tiers. C'est-à-dire que au foyer,  même quand il y a un seul parent, souvent la maman seule, il y a un  compagnon ou il y a quelqu'un de la famille, voire un grand-père,  enfin... Et il faut que cette personne à qui le gamin qui parfois va vers  des difficultés, commence à se fragiliser, risque de tomber dans la  délinquance lorsque la maman veut lui dire un peu le droit chemin...  Pardon, lorsque le beau-père par exemple veut lui dire, « écoute, ça, ça  ne va pas », il lui répond, « mais tu es qui pour me parler ? ». 
 
Eh oui ! 
 
Et donc, au fond, ça c'est une réalité qu'il faut aujourd'hui prendre en  compte. Il n'y a pas forcément à faire une loi là-dessus, mais peut-être  je parle d'un statut. Il faut au fond que la société fasse passer le  message que ces adultes, ils ont peut-être aussi un rôle à jouer et il faut  savoir le dire. 
 
Bien sûr. 
 
Sur, d'ailleurs, la famille, je prends également en compte dans mon  rapport les préconisations du sociologue H. Lagrange, qui a écrit dans  "Le déni de culture" ce qu'est la réalité également de l'impact de  l'immigration sur le rôle de la famille, sur la difficulté d'insertion d'un  certain nombre de jeunes et d'adolescents, et sur des réponses  spécifiques qu'il convient d'apporter, sans être ni dans la stigmatisation,  ni dans l'ethnicisation. Mais au fond, ne pas savoir désigner un  problème, refuser de l'évoquer, ce n'est pas se donner les moyens de le  solutionner. Et c'est ça finalement qui fait le lit des extrêmes. J'évoque  aussi cette problématique, notamment sur la question des parents qui ne  maîtrisent pas la langue, qui ne connaissent pas les règles républicaines  de base. Et là, je propose aussi, comme d'ailleurs de manière générale  dans l'aide à la parentalité, d'allier à la fois la dimension de la main  tendue et dans certains cas la contrainte, voire la sanction pour que les  gens se bougent. 
 
J'ai une dernière question qui n'a rien... Enfin, qui, a un rapport  quand même avec votre rapport sur la prévention de la  délinquance des mineurs, rapport indirect. Vous avez vu la  proposition de J.-F. Copé de créer un examen d'entrée en 6e. Vous  y êtes favorable ou pas ? 
 
Ça, ça ne rentre pas directement dans mon sujet. 
 
Non, pas directement... 
 
Ce qui rentre dans mon sujet, c'est que c'est entre l'école primaire et le  collège qu'apparaisse un certain nombre de problèmes et que, au fond,  il met le doigt sur quoi ? Sur le décrochage scolaire massif avec à la clé  absentéisme, échec scolaire. 
 
Mais vous dites oui ou non ? 
 
Je dis que ça mérite au minimum d'être étudié. 
 
Oui, vous êtes plutôt favorable ? 
 
Je veux dire, l'idée est intéressante parce que tout ce qui peut lutter  contre ce décrochage scolaire massif qui, lui, évidemment nourrit la  délinquance, moi, m'intéresse. 
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 5 novembre 2010