Texte intégral
J.-J. Bourdin.- Vous rendez votre rapport à N. Sarkozy, rapport sur la prévention de la délinquance des mineurs, rapport commandé au mois d'août, en plein débat sur la politique sécuritaire ; quinze propositions. Je vais m'arrêter sur certaines de ces propositions, et je vais notamment m'arrêter sur la prise en charge des enfants en difficulté dès l'âge de 2 ou 3 ans. Je sais que plusieurs pédopsychiatres vous ont apporté leur soutien et leur lumière, comme M. Rufo ou P. Jeammet. Le professeur Jeammet qui était avec nous, en direct, tout à l'heure, nous disait, "les enfants dès l'âge de 2 ou 3 ans ont déjà, pour certains, des difficultés d'apprentissage, de sociabilité, et même pour se nourrir, et là, ces signes-là, doivent évidemment nous alerter".
Oui, il s'agit évidemment pas de prédéterminer les enfants qui seront un jour délinquants, on n'est pas du tout dans cet esprit.
Il n'y a pas de gène de la délinquance, J.-M. Bockel ?
Non, évidemment, il ne s'agit pas de ça. Là, en l'occurrence, le terme de "détection de la souffrance" dès le plus jeune âge dit bien ce qu'il veut dire. Et au fond, ces enfants se font d'abord beaucoup de mal à eux-mêmes, et c'est un des aspects, naturellement, de mes propositions, ce n'est pas le seul. De manière plus générale, et au-delà de problèmes souvent qu'ils peuvent rencontrer - des problèmes de santé, de comportement, les problèmes psychologiques graves ou familiaux graves -, il y a ensuite une autre proposition qui consiste alors pour des gamins qui ne rencontrent pas ces difficultés mais qui sont de plus en plus tôt, comme dirais-je, portés par des comportements violents, parfois extrêmement violents, c'est l'idée d'intervenir plus en amont, dès l'école primaire. Parce que souvent au collège, on a des gamins qui sont multi-réïtérants. Et bien sûr, au fond, l'idée générale de mon rapport, c'est bien sûr d'aider les enfants, les jeunes qui sont dans la récidive d'en sortir avec une dimension à la fois de main tendue et de sanctions quand c'est nécessaire. Mais c'est aussi, au fond, d'agir sur les flux parce que c'est un échec français. Depuis vingt ans, la délinquance des mineurs a augmenté de 120 % alors que dans tous les pays qui nous entourent elle a diminué, que dans les villes qui ont fait un travail sur ces questions - moi je l'ai vu dans ma propre ville à Mulhouse -, on a des résultats. Et donc, je veux aussi agir, si vous voulez, le plus en amont possible, au niveau de la parentalité, au niveau de l'école bien sûr - L. Chatel a déjà engagé ce travail - et sur l'espace public, de manière à ce que on ne soit pas toujours à courir après le phénomène, en quelque sorte.
Donc plus on prend le phénomène tôt et mieux on arrive à le contrôler et même à faire baisser cette future délinquance. Formation des enseignants, évidemment, pour permettre de repérer les difficultés chez les plus petits. A l'école primaire, gros efforts, encore faut-il, je ne vais pas toujours avancer le problème des moyens, mais avoir le personnel pour cela, vous le savez bien J.- M. Bockel.
J'ai a abordé la question des moyens dans mon rapport de manière peut-être un petit peu nouvelle, parce que naturellement, comme toujours en France, dès qu'on fait des propositions de changement, on met en avant la question des moyens ; elle existe. Moi, je fais le constat et je le fais aussi avec ma sensibilité d'avoir été maire pendant vingt ans, que depuis une quinzaine d'années, de nouveaux acteurs sont arrivés, ont mis des moyens et des moyens de professionnels qualifiés, du sérieux sur ce sujet. Moi, je l'ai vu dans plusieurs villes que je suis allé voir. Et ces moyens n'existaient pas avant, en tout cas à côté des moyens traditionnels de l'Etat : les juges des enfants qui font un travail remarquable, la protection judiciaire de la jeunesse qui a vu ses missions évoluer, puisque eux s'occupent maintenant des centres éducatifs fermés avec une réelle réussite. Nous avons des éducateurs de rue financés par les conseils généraux, des éducateurs spécialisés et des professionnels financés par les communes et les intercommunalités. Et tout ça fait que les moyens globalement déployés sont plus importants qu'ils ne l'étaient il y a dix ans. Alors, bien sûr, ici ou là, on peut pointer des manques. Je fais des propositions sur le front interministériel qui aujourd'hui est beaucoup consacré à la vidéo-protection, ce qui est d'ailleurs une bonne chose, utile, et qui devrait pouvoir se redéployer comme levier pour un certain nombre d'actions qui sont menées un peu partout en France, notamment par des associations. Mais encore une fois, des moyens importants sont déployés, il faut savoir les évaluer. Vous savez qu'en Grande-Bretagne, 10 % d'une action en matière de prévention de la délinquance est consacrée à l'évaluation de ce qu'on fait pour voir si ça marche ou si ça ne marche pas, s'il faut le changer, l'arrêter ou au contraire le développer.
Oui, mais ça me paraît bien.
Cette culture de l'évaluation, cette culture également de la transversalité, travailler ensemble, ce qu'ont apporté les maires sur ce sujet, c'est apprendre que le dans respect de la séparation des pouvoirs, néanmoins entre un juge, un policier, un enseignant, un éducateur, un maire, on peut mener des actions ensemble. Donc là aussi si vous voulez, plus de cohérence, savoir qui fait quoi, nous permettra aussi d'apporter un commencement de réponse à la vraie question des moyens.
Alors, j'ai deux questions : la création d'un statut du beau-parent, c'est une proposition que vous faites...
Oui, c'est une idée de N. Morano, déjà ancienne...
Oui, déjà ancienne, mais l'absence des pères est un vrai sujet, évidemment, l'absence du père ou de la mère. Création d'un statut du beau-parent, absolument, dans certains...
Du beau-parent je dirais, ou d'un adulte tiers. C'est-à-dire que au foyer, même quand il y a un seul parent, souvent la maman seule, il y a un compagnon ou il y a quelqu'un de la famille, voire un grand-père, enfin... Et il faut que cette personne à qui le gamin qui parfois va vers des difficultés, commence à se fragiliser, risque de tomber dans la délinquance lorsque la maman veut lui dire un peu le droit chemin... Pardon, lorsque le beau-père par exemple veut lui dire, « écoute, ça, ça ne va pas », il lui répond, « mais tu es qui pour me parler ? ».
Eh oui !
Et donc, au fond, ça c'est une réalité qu'il faut aujourd'hui prendre en compte. Il n'y a pas forcément à faire une loi là-dessus, mais peut-être je parle d'un statut. Il faut au fond que la société fasse passer le message que ces adultes, ils ont peut-être aussi un rôle à jouer et il faut savoir le dire.
Bien sûr.
Sur, d'ailleurs, la famille, je prends également en compte dans mon rapport les préconisations du sociologue H. Lagrange, qui a écrit dans "Le déni de culture" ce qu'est la réalité également de l'impact de l'immigration sur le rôle de la famille, sur la difficulté d'insertion d'un certain nombre de jeunes et d'adolescents, et sur des réponses spécifiques qu'il convient d'apporter, sans être ni dans la stigmatisation, ni dans l'ethnicisation. Mais au fond, ne pas savoir désigner un problème, refuser de l'évoquer, ce n'est pas se donner les moyens de le solutionner. Et c'est ça finalement qui fait le lit des extrêmes. J'évoque aussi cette problématique, notamment sur la question des parents qui ne maîtrisent pas la langue, qui ne connaissent pas les règles républicaines de base. Et là, je propose aussi, comme d'ailleurs de manière générale dans l'aide à la parentalité, d'allier à la fois la dimension de la main tendue et dans certains cas la contrainte, voire la sanction pour que les gens se bougent.
J'ai une dernière question qui n'a rien... Enfin, qui, a un rapport quand même avec votre rapport sur la prévention de la délinquance des mineurs, rapport indirect. Vous avez vu la proposition de J.-F. Copé de créer un examen d'entrée en 6e. Vous y êtes favorable ou pas ?
Ça, ça ne rentre pas directement dans mon sujet.
Non, pas directement...
Ce qui rentre dans mon sujet, c'est que c'est entre l'école primaire et le collège qu'apparaisse un certain nombre de problèmes et que, au fond, il met le doigt sur quoi ? Sur le décrochage scolaire massif avec à la clé absentéisme, échec scolaire.
Mais vous dites oui ou non ?
Je dis que ça mérite au minimum d'être étudié.
Oui, vous êtes plutôt favorable ?
Je veux dire, l'idée est intéressante parce que tout ce qui peut lutter contre ce décrochage scolaire massif qui, lui, évidemment nourrit la délinquance, moi, m'intéresse.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 5 novembre 2010
Oui, il s'agit évidemment pas de prédéterminer les enfants qui seront un jour délinquants, on n'est pas du tout dans cet esprit.
Il n'y a pas de gène de la délinquance, J.-M. Bockel ?
Non, évidemment, il ne s'agit pas de ça. Là, en l'occurrence, le terme de "détection de la souffrance" dès le plus jeune âge dit bien ce qu'il veut dire. Et au fond, ces enfants se font d'abord beaucoup de mal à eux-mêmes, et c'est un des aspects, naturellement, de mes propositions, ce n'est pas le seul. De manière plus générale, et au-delà de problèmes souvent qu'ils peuvent rencontrer - des problèmes de santé, de comportement, les problèmes psychologiques graves ou familiaux graves -, il y a ensuite une autre proposition qui consiste alors pour des gamins qui ne rencontrent pas ces difficultés mais qui sont de plus en plus tôt, comme dirais-je, portés par des comportements violents, parfois extrêmement violents, c'est l'idée d'intervenir plus en amont, dès l'école primaire. Parce que souvent au collège, on a des gamins qui sont multi-réïtérants. Et bien sûr, au fond, l'idée générale de mon rapport, c'est bien sûr d'aider les enfants, les jeunes qui sont dans la récidive d'en sortir avec une dimension à la fois de main tendue et de sanctions quand c'est nécessaire. Mais c'est aussi, au fond, d'agir sur les flux parce que c'est un échec français. Depuis vingt ans, la délinquance des mineurs a augmenté de 120 % alors que dans tous les pays qui nous entourent elle a diminué, que dans les villes qui ont fait un travail sur ces questions - moi je l'ai vu dans ma propre ville à Mulhouse -, on a des résultats. Et donc, je veux aussi agir, si vous voulez, le plus en amont possible, au niveau de la parentalité, au niveau de l'école bien sûr - L. Chatel a déjà engagé ce travail - et sur l'espace public, de manière à ce que on ne soit pas toujours à courir après le phénomène, en quelque sorte.
Donc plus on prend le phénomène tôt et mieux on arrive à le contrôler et même à faire baisser cette future délinquance. Formation des enseignants, évidemment, pour permettre de repérer les difficultés chez les plus petits. A l'école primaire, gros efforts, encore faut-il, je ne vais pas toujours avancer le problème des moyens, mais avoir le personnel pour cela, vous le savez bien J.- M. Bockel.
J'ai a abordé la question des moyens dans mon rapport de manière peut-être un petit peu nouvelle, parce que naturellement, comme toujours en France, dès qu'on fait des propositions de changement, on met en avant la question des moyens ; elle existe. Moi, je fais le constat et je le fais aussi avec ma sensibilité d'avoir été maire pendant vingt ans, que depuis une quinzaine d'années, de nouveaux acteurs sont arrivés, ont mis des moyens et des moyens de professionnels qualifiés, du sérieux sur ce sujet. Moi, je l'ai vu dans plusieurs villes que je suis allé voir. Et ces moyens n'existaient pas avant, en tout cas à côté des moyens traditionnels de l'Etat : les juges des enfants qui font un travail remarquable, la protection judiciaire de la jeunesse qui a vu ses missions évoluer, puisque eux s'occupent maintenant des centres éducatifs fermés avec une réelle réussite. Nous avons des éducateurs de rue financés par les conseils généraux, des éducateurs spécialisés et des professionnels financés par les communes et les intercommunalités. Et tout ça fait que les moyens globalement déployés sont plus importants qu'ils ne l'étaient il y a dix ans. Alors, bien sûr, ici ou là, on peut pointer des manques. Je fais des propositions sur le front interministériel qui aujourd'hui est beaucoup consacré à la vidéo-protection, ce qui est d'ailleurs une bonne chose, utile, et qui devrait pouvoir se redéployer comme levier pour un certain nombre d'actions qui sont menées un peu partout en France, notamment par des associations. Mais encore une fois, des moyens importants sont déployés, il faut savoir les évaluer. Vous savez qu'en Grande-Bretagne, 10 % d'une action en matière de prévention de la délinquance est consacrée à l'évaluation de ce qu'on fait pour voir si ça marche ou si ça ne marche pas, s'il faut le changer, l'arrêter ou au contraire le développer.
Oui, mais ça me paraît bien.
Cette culture de l'évaluation, cette culture également de la transversalité, travailler ensemble, ce qu'ont apporté les maires sur ce sujet, c'est apprendre que le dans respect de la séparation des pouvoirs, néanmoins entre un juge, un policier, un enseignant, un éducateur, un maire, on peut mener des actions ensemble. Donc là aussi si vous voulez, plus de cohérence, savoir qui fait quoi, nous permettra aussi d'apporter un commencement de réponse à la vraie question des moyens.
Alors, j'ai deux questions : la création d'un statut du beau-parent, c'est une proposition que vous faites...
Oui, c'est une idée de N. Morano, déjà ancienne...
Oui, déjà ancienne, mais l'absence des pères est un vrai sujet, évidemment, l'absence du père ou de la mère. Création d'un statut du beau-parent, absolument, dans certains...
Du beau-parent je dirais, ou d'un adulte tiers. C'est-à-dire que au foyer, même quand il y a un seul parent, souvent la maman seule, il y a un compagnon ou il y a quelqu'un de la famille, voire un grand-père, enfin... Et il faut que cette personne à qui le gamin qui parfois va vers des difficultés, commence à se fragiliser, risque de tomber dans la délinquance lorsque la maman veut lui dire un peu le droit chemin... Pardon, lorsque le beau-père par exemple veut lui dire, « écoute, ça, ça ne va pas », il lui répond, « mais tu es qui pour me parler ? ».
Eh oui !
Et donc, au fond, ça c'est une réalité qu'il faut aujourd'hui prendre en compte. Il n'y a pas forcément à faire une loi là-dessus, mais peut-être je parle d'un statut. Il faut au fond que la société fasse passer le message que ces adultes, ils ont peut-être aussi un rôle à jouer et il faut savoir le dire.
Bien sûr.
Sur, d'ailleurs, la famille, je prends également en compte dans mon rapport les préconisations du sociologue H. Lagrange, qui a écrit dans "Le déni de culture" ce qu'est la réalité également de l'impact de l'immigration sur le rôle de la famille, sur la difficulté d'insertion d'un certain nombre de jeunes et d'adolescents, et sur des réponses spécifiques qu'il convient d'apporter, sans être ni dans la stigmatisation, ni dans l'ethnicisation. Mais au fond, ne pas savoir désigner un problème, refuser de l'évoquer, ce n'est pas se donner les moyens de le solutionner. Et c'est ça finalement qui fait le lit des extrêmes. J'évoque aussi cette problématique, notamment sur la question des parents qui ne maîtrisent pas la langue, qui ne connaissent pas les règles républicaines de base. Et là, je propose aussi, comme d'ailleurs de manière générale dans l'aide à la parentalité, d'allier à la fois la dimension de la main tendue et dans certains cas la contrainte, voire la sanction pour que les gens se bougent.
J'ai une dernière question qui n'a rien... Enfin, qui, a un rapport quand même avec votre rapport sur la prévention de la délinquance des mineurs, rapport indirect. Vous avez vu la proposition de J.-F. Copé de créer un examen d'entrée en 6e. Vous y êtes favorable ou pas ?
Ça, ça ne rentre pas directement dans mon sujet.
Non, pas directement...
Ce qui rentre dans mon sujet, c'est que c'est entre l'école primaire et le collège qu'apparaisse un certain nombre de problèmes et que, au fond, il met le doigt sur quoi ? Sur le décrochage scolaire massif avec à la clé absentéisme, échec scolaire.
Mais vous dites oui ou non ?
Je dis que ça mérite au minimum d'être étudié.
Oui, vous êtes plutôt favorable ?
Je veux dire, l'idée est intéressante parce que tout ce qui peut lutter contre ce décrochage scolaire massif qui, lui, évidemment nourrit la délinquance, moi, m'intéresse.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 5 novembre 2010